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En Crète, de jeunes Afghans démunis créent des ponts entre les nations

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En Crète, de jeunes Afghans démunis créent des ponts entre les nations

Ali Sher Kashimi est arrivé en Grèce alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Aujourd'hui, il aide d'autres demandeurs d'asile en leur servant d'interprète.
23 Mars 2018
Ali-Sher Kashimi, âgé de 22 ans, aide une famille afghane qui vient d'arriver dans son nouveau logement à Héraklion, en Crète (Grèce).

La famille Karimis emménage dans son nouveau logement. Ils doivent transporter une montagne de bagages entre la fourgonnette et leur appartement situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de la cité  balnéaire d'Héraklion, la capitale de l'île de Crète, en Grèce.


Un grand jeune homme au visage jovial est sur place pour accueillir cette famille composée de sept personnes. Il s’appelle Ali-Sher Kashimi et est âgé de 22 ans. Il fait partie de la communauté des Hazaras en Afghanistan, tout comme les demandeurs d’asile qu’il aide aujourd’hui.

Son rôle est vital. Il va leur servir d’interprète, les aider à surmonter les difficultés liées à la langue, et leur faciliter la vie quotidienne.

La famille Karimis est très heureuse de rencontrer un concitoyen qui parle couramment le grec, et ils le bombardent immédiatement de questions. Sans l’aide d’un interprète comme Ali, lui-même réfugié ayant passé les dix dernières années en Crète, ils auraient eu beaucoup de difficultés à trouver leurs marques.

C’est le cas pour la plupart des réfugiés et des migrants qui arrivent par la mer, ainsi que pour le personnel qui les aide, notamment les travailleurs du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.  

« Toutes les personnes concernées ont besoin d’un interprète » explique Ali, qui parle couramment l’ourdou, le farsi, le dari et bien sûr le grec. « On permet de jeter un pont entre deux nations », ajoute Habibala, l’un de ses collègues qui interprète le dialecte hazara.

Les deux interprètes aident près de 80 personnes parmi les quelque 600 réfugiés ayant obtenu un logement en Crète dans le cadre du programme ESTIA d’aide à l’hébergement et d’aide en espèces, géré par le HCR. Ce programme a déjà permis d’améliorer les conditions de vie de milliers de personnes.

Le programme d’aide à l’hébergement financé par l’Union européenne (UE) n’existait pas en 2008, quand Ali et Habibala sont arrivés en Grèce. Comme ils étaient jeunes, ils ont été transférés vers le centre d’hébergement d’Anogia, la première structure d’accueil pour les enfants non accompagnés en Crète, qui a ouvert ses portes en 2001. A présent, ils participent aux différentes étapes du processus d’accueil des demandeurs d’asile, dès leur arrivée dans le pays. 

« Pour les réfugiés, c’est très important de pouvoir communiquer » explique Ali, tandis que la famille Karimis découvre l’appartement en compagnie d’employés de l’Agence pour le développement d’Héraklion (HAD), qui assure la mise en œuvre du programme dans les villes d’Héraklion, Sitia et Chania.

L’agence HAD emploie 11 interprètes, dont Ali et Habibala, qui peuvent traduire depuis l’arabe, le farsi, le dari, le sorani et l’ourdou. Des interprètes parlant d’autres langues sont parfois nécessaires en fonction des besoins. Le HCR fait aussi appel à d’autres interprètes dans le reste du pays par le biais de partenaires comme METAdrasi.

Dans l’appartement à Héraklion, Ali explique comment fonctionne la machine à laver, où aller faire ses courses et comment utiliser les transports publics. Les membres de la famille paieront leurs dépenses quotidiennes en utilisant une carte créditée en espèces, dès qu’Ali les aura aidés à enregistrer leur nouvelle adresse. Orienter ces réfugiés est très important. Cela leur permet de comprendre comment fonctionne leur communauté d’accueil, et de s’adapter à sa culture et à son style de vie.

Parmi ces nouveaux arrivants, beaucoup ont des problèmes de santé ou souffrent d’un handicap. Ils ont besoin d’aide pour comprendre les médicaments qu’ils doivent prendre ou les traitements à suivre. Ensuite, il faut aussi s’occuper de l’inscription des enfants à l’école, une tâche à laquelle Ali est très attentif.  

« J’aide les gens à reconstruire leur vie ».

Le jeune homme, qui a rejoint l’agence HAD l’an dernier, est rémunéré et retire beaucoup de fierté de son travail. « J’ai le sentiment de faire quelque chose d’important. J’aide les gens à reconstruire leur vie et cela m’apporte beaucoup de satisfaction ».

Il fait preuve d’empathie à l’égard de ces personnes et connaît bien leurs besoins vu qu’il a traversé des épreuves similaires lorsqu’il était enfant ; à commencer par le jour où sa famille a dû quitter la ville de Jaghori, sur les hauteurs de l’Hazarajat en Afghanistan, pour rejoindre la ville de Quetta, au Pakistan. Ils ont dû fuir l’intensification des combats entre les talibans et les forces gouvernementales.

Au Pakistan, la vie a été agréable pendant un an environ, jusqu’à ce que les tensions ethniques et les attaques s’intensifient. « Un jour, une bombe a explosé dans une mosquée que je venais de quitter cinq minutes plus tôt. Environ 200 personnes ont été tuées », se rappelle Ali. Ensuite, après avoir été sévèrement roué de coups, puis détroussé de ses livres scolaires par des voyous, il a pris la décision de fuir. Il n’avait que 12 ans.   

Il savait où il voulait aller. « Quand j’étais jeune, mon père me parlait beaucoup de la Grèce et il me lisait des histoires sur la Grèce antique.  Cela ressemblait à un bel endroit, avec de beaux paysages et des gens accueillants », ajoute-t-il. Il n’a confié à personne son intention de partir. 

Accompagné de son oncle, qui avait aussi 12 ans à l’époque, Ali a pris la route de l’Iran. Arrivé à la ville frontalière de Zahedan, il a appelé sa mère, qui était en larmes et anxieuse. Le périple vers les îles grecques s’est avéré beaucoup plus complexe.  Ils ont dû escalader des montagnes, ils ont été détenus, ils ont dû mendier pour obtenir de la nourriture et travailler pour payer des passeurs. Ils ont vu d’autres réfugiés mourir sur la route.

Avec de la chance et de l’argent envoyé par la famille, ils se sont associés avec quatre adultes pour acheter un canot avec lequel ils ont traversé le détroit qui sépare la Turquie de l’île de Samos. Craignant d’être refoulés, ils ont détruit leur embarcation dès leur arrivée sur le rivage et ils se sont rendus en ville. Lorsqu’ils ont essayé d’embarquer sur un ferry sans billets, les garçons ont été arrêtés.   

« Je considère que la Crète, c’est chez moi ».

Quand les garçons ont entamé une grève de la faim, des fonctionnaires ont accepté une offre d’accueil de la part du centre d’hébergement d’Anogia. Les enfants y sont restés six ans, jusqu’à leur majorité.  Ils y ont appris le grec, à cuisiner, à se faire des amis, et bien d’autres choses. « La chose la plus importante que j’ai apprise est de devenir quelqu’un de bien. J’ai aussi appris à parler aux gens et à communiquer », explique Ali. Aujourd’hui, un problème de financement menace l’existence même du centre d’Anogia et d’autres structures, malgré les préoccupations croissantes exprimées à ce sujet par le HCR et d’autres organismes.     

Depuis qu’il a quitté Anogia, qu’il considère presque comme son village natal en Grèce, Ali a trouvé du travail, s’est fait de nombreux amis, et il vit aujourd’hui dans un appartement avec sa copine roumaine. « Il est très populaire, en particulier au sein de notre programme », note Dimitra Kampeli, une collègue de l’agence HDA. Il prend aussi des cours de photo et travaille à temps partiel dans un restaurant.

Ali s’est complètement intégré dans la ville d’Héraklion, où il fait à présent partie des locaux. « Je considère que la Crète, c’est chez moi », dit-il. Malgré toutes les bonnes choses qui lui sont arrivées depuis son périple de 2008, une chose lui manque : « Je suis un réfugié. J’aimerais maintenant entamer les démarches pour obtenir la citoyenneté », insiste-t-il.