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Banque mondiale : Les nouvelles aides en faveur des réfugiés profitent également aux pays hôtes

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Banque mondiale : Les nouvelles aides en faveur des réfugiés profitent également aux pays hôtes

La Banque mondiale intensifie sa participation à la réponse aux mouvements de réfugiés.
10 Août 2018
Des réfugiés rohingyas en classe aux côtés d'élèves bangladais au lycée de Kutapalong, près de Cox's Bazar au Bangladesh, le 28 juin 2018. L'établissement compte 1250 élèves de 11 à 17 ans dont 70 sont des réfugiés rohingyas.

Xavier Devictor est le conseiller de la cellule Fragilité, Conflits et Violence de la Banque mondiale et dirige les travaux de la Banque sur les déplacements forcés de population qui constituent un défi pour le développement.

A quelques mois de l'adoption d'un nouveau pacte mondial sur les réfugiés, qui appelle à un partage plus équitable des responsabilités dans la réponse apportée aux mouvements de réfugiés, Xavier Devictor expose la nature des nouvelles aides disponibles pour les pays accueillant un grand nombre de réfugiés.


Qu’est-ce qui sous-tend l'engagement accru de la Banque mondiale dans la réponse aux crises de réfugiés ?

Notre mandat vise à réduire la pauvreté et à promouvoir une prospérité partagée. De notre point de vue, les réfugiés, les personnes déplacées internes et les personnes vivant dans les communautés hôtes sont généralement pauvres ou vulnérables. Leur venir en aide constitue donc un axe majeur de notre mandat.

Le développement a considérablement progressé à travers le monde. Les personnes vivant dans une extrême pauvreté sont aujourd'hui moins nombreuses et principalement concentrées dans des poches géographiques ou des groupes sociaux particuliers. Les réfugiés et les communautés hôtes font partie de ces groupes.

En quoi les réfugiés sont-ils plus vulnérables que les autres personnes vivant dans le dénuement ?

Tout d'abord, il s'agit de gens qui ont souvent tout perdu en très peu de temps, que ce soit en termes de biens physiques et financiers, de réseaux sociaux ou de capital social. Ils ont connu des épreuves profondément traumatisantes et ont besoin d'un soutien supplémentaire.

En outre, les réfugiés vivent souvent dans des conditions précaires. Dans certains pays, ils ont un accès très limité à l’emploi, à l'éducation ou au système de santé.

Dans la plupart des cas, ils vivent aussi dans des régions plus pauvres que la moyenne nationale et où les opportunités sont plus rares. Quatre-vingt pour cent des réfugiés vivent dans des pays dont les résultats économiques sont inférieurs à la moyenne mondiale. Et dans ces pays, environ 72 % des réfugiés vivent dans des régions plus mal loties que la moyenne nationale. Par conséquent, ils finissent dans les régions pauvres des pays pauvres.

« Les gens étaient persuadés qu’ils seraient rentrés chez eux l'année suivante. »

Enfin, l'incertitude quant à leurs perspectives a pour conséquence que les réfugiés ne peuvent rien prévoir, sauf à très court terme. Ainsi, selon un rapport de Human Rights Watch vieux d’environ un an, certains Syriens vivant en Turquie se plaignaient que leurs enfants ne pouvaient pas poursuivre leur scolarité en langue arabe. Ils auraient pu fréquenter les écoles publiques turques, mais il leur aurait fallu apprendre le turc, ce qui leur aurait pris un an. Comme ces réfugiés se voyaient retourner en Syrie rapidement, ça n’en valait pas la peine. Sauf que c'était il y a six ans. Les gens étaient persuadés qu'ils seraient rentrés chez eux l'année suivante. Cette situation a eu des conséquences majeures pour la nouvelle génération.

Ce type de pauvreté et de vulnérabilité hautement spécifique exige une attention particulière.

Quels sont les éléments clés d'une « réponse aux déplacements forcés axée sur le développement » et en quoi se distingue-t-elle de l'approche traditionnelle ?

L’approche axée sur le développement vient compléter l'action existante, et non s'y substituer. Il ne s'agit pas d'une modalité nouvelle qui viendrait remplacer l'approche ancienne. L’idée est plutôt d'ajouter à ce qui est déjà fait au titre du vaste train de mesures engagées par la communauté internationale.

Notre appui s'adresse aux réfugiés autant qu'aux communautés hôtes. Nous sommes convaincus que c'est ainsi que nous pouvons servir au mieux les dimensions socio-économiques d'une situation : l'accès au travail, l'accès aux services et, fondamentalement, la possibilité de retrouver une vie à peu près normale offrant des chances d'épanouissement. 

L'autre aspect essentiel est de tirer parti de certains des enseignements du développement et, plus que tout autre, ceux concernant les politiques et les institutions. Ce ne sont pas les projets qui portent le développement des pays. Ce ne sont que des moyens de parvenir à une fin, une façon de soutenir l'adoption de politiques avisées ou de renforcer les institutions.

La Banque mondiale a récemment introduit de nouveaux types de financement pour les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire qui accueillent de larges populations de réfugiés. Quelles sortes de problèmes ces nouveaux instruments ont-ils pour vocation de résoudre ?

Ce que nous essayons de faire avec ces nouveaux instruments de financement, c'est de combler l'écart entre notre modèle de financement par pays et le fait que les réfugiés ne vivent pas dans leurs pays d'origine. Parallèlement, nous voulons apporter un complément de ressources au-delà de celles qui seraient fournies dans des circonstances normales et ce, à des conditions extrêmement favorables pour les pays hôtes.

« Il n'y a plus à choisir entre les réfugiés et les non ressortissants et vos compatriotes. »

Admettons que vous viviez dans un pays qui peut prétendre à 100 millions de dollars de financement de la Banque mondiale, vous allez continuer de recevoir vos 100 millions de dollars et vous recevrez également 20 ou 30 millions de dollars supplémentaires au profit des réfugiés et des communautés hôtes. Il n'y a plus à choisir entre les réfugiés et les non ressortissants et vos compatriotes. Vous pouvez faire les deux.

Quelle est la proportion de dons et de prêts dans ces financements ?

Pour les pays à faible revenu, à savoir les plus pauvres du monde comme ceux d'Afrique sub-saharienne et d'Asie du Sud, tels que le Bangladesh, nous intervenons généralement via une branche du Groupe de la Banque mondiale appelée l'Association internationale de développement. L'institution est actuellement dans son 18e cycle de reconstitution de ses ressources (IDA-18) et fournit aux pays une combinaison de crédits et de dons en fonction de leur situation macro-économique et de leur endettement. Pour la plupart des pays, la partie crédit consiste en un prêt à taux zéro sur 38 ans pour lequel aucun remboursement n'est exigé durant les six premières années.

À l'heure actuelle, nous injectons des fonds dans ce programme via ce que nous appelons le Sous-guichet pour les réfugiés et les communautés hôtes d’IDA-18, avec pour objectif d'apporter des dons aux pays qui peuvent prétendre aux dons de l'IDA ; pour les pays pouvant solliciter des crédits, cette aide est fournie pour moitié en dons, et pour le reste en crédits.

Ces fonds ne sont pas seulement destinés aux réfugiés, mais aussi aux communautés hôtes. En outre, nous ne finançons pas l'aide d'urgence, mais des investissements qui seront porteurs de retombées économiques pour le pays. La plupart des pays trouvent extrêmement avantageux de recevoir une assistance en ces termes.

Pour ce qui est des pays à revenu intermédiaire, comme le Liban et la Jordanie, nous intervenons via une autre branche du Groupe de la Banque mondiale, la BIRD ou Banque internationale pour la reconstruction et le développement. Nous empruntons des fonds à des conditions extrêmement favorables sur les marchés financiers, pour ensuite les rétrocéder aux pays à revenu intermédiaire qui ne peuvent généralement pas bénéficier de conditions aussi favorables sur les marchés financiers. En ce qui concerne les projets engagés au profit des réfugiés des communautés hôtes, et pour pouvoir acquitter les intérêts sur nos prêts, nous mobilisons des ressources auprès de donateurs tels que le Mécanisme mondial de financement concessionnel (GCFF). Ce qui signifie fondamentalement que des pays tels que le Liban et la Jordanie peuvent avoir accès à ces ressources pour en faire bénéficier les réfugiés et les communautés hôtes et ce, aux conditions les plus favorables, un peu comme dans le cas des crédits de l'IDA.

Quel serait le message que vous aimeriez adresser aux États qui se demandent pourquoi ils devraient souscrire des emprunts pour faire face à l'accueil des réfugiés qui relèvent de la responsabilité internationale ?

Un message essentiel, c'est que ces financements ne sont pas destinés à l'assistance humanitaire. Ce sont des fonds qui peuvent être utilisés pour développer une région du pays à la fois plus mal dotée en services et en retard au plan économique.

« Les hôpitaux, les écoles et les routes qui ont été construits sont là pour rester. »

Il ne faut pas oublier non plus que tôt ou tard, les réfugiés rentreront chez eux tandis que les hôpitaux, les écoles et les routes qui ont été construits sont là pour rester.

Cette question m'a récemment été posée par les représentants d'un pays auxquels j'ai répondu ceci : il faut envisager ces financements comme un complément de fonds destiné à développer une partie de votre pays qui en a grand besoin. Et la seule chose que nous attendons de vous, si nous finançons cet hôpital, est d'autoriser les réfugiés à y avoir accès, ce qui ne coûte pas grand-chose dès lors que l'hôpital est construit. Pouvoir apporter des soins médicaux supplémentaires aux réfugiés, c'est également dans l'intérêt de la santé publique de votre pays.

C'est comme si vous aviez accès à des financements externes assortis de conditions très favorables – des prêts à zéro pour cent ou des dons - pour développer une région de votre pays qui en a besoin.

Avez-vous des exemples d'investissements judicieux réalisés dans des zones d'accueil de réfugiés, qui resteront acquis aux communautés locales même après le retour des réfugiés dans leurs pays ?

Les retombées économiques sur les communautés hôtes ne sont pas homogènes. Elles touchent de manière différente les groupes qui constituent la communauté hôte. En revanche, il y a des cas où les impacts sont clairement négatifs pour tout le monde, à savoir quand il y a un nombre insuffisant d'écoles, de centres de santé et de services environnementaux ou lorsque l'ajustement de l'offre se fait sur la durée. Selon nous, c'est là qu'il y a un immense besoin d'assistance internationale.

Encore une fois, ce ne sont pas les projets qui font évoluer la situation. Les choses changent si les gouvernements adoptent des politiques avisées et renforcer les institutions responsables de la consolidation de ces politiques. Prenons l'exemple de l'Éthiopie où nous essayons de soutenir un programme public pour la création de zones économiques spéciales, des zones industrielles, dans le but de développer l'emploi pour les Éthiopiens. Au titre de ce programme, les autorités sont prêtes à délivrer un certain nombre de permis de travail à des réfugiés. Clairement, les zones industrielles resteront en place après le départ ou le rapatriement des réfugiés. Mais ce qui fera la différence selon nous, ce sont à la fois les zones industrielles et le fait que les gens seront autorisés à sortir des camps et à prendre un emploi.

Il s'agit donc en partie de ce que vous pouvez obtenir, comme une école ou un centre de santé, mais aussi des systèmes, des politiques, des institutions comme les systèmes de protection sociale et les zones industrielles où des investisseurs privés peuvent s'implanter, investir et créer des emplois.

L'augmentation du financement du développement, la réflexion à plus long terme et le soutien aux communautés hôtes sont éminemment bienvenus. Toutefois, lorsque survient une nouvelle crise de réfugiés, l'aide humanitaire doit être mise en place sans tarder. Y a-t-il un risque que cet accent nouveau placé sur le développement détourne l'attention et les ressources de l'action humanitaire ?

Je ne crois pas que quiconque puisse sérieusement envisager le financement du développement comme un substitut à l'aide d'urgence durant les premiers mois d'une crise. D’après moi, la question doit être posée un peu différemment.

Selon un rapport paru il y a environ deux ans, 89 % de l'aide humanitaire est allouée à des crises qui durent depuis plus de trois ans, et 66 % de cette aide va à des crises qui durent depuis plus de huit ans. Autrement dit, nous utilisons l'aide humanitaire, un instrument conçu pour répondre aux urgences, pour gérer des situations qui perdurent dans le temps.

« L'aide au développement ne peut se substituer à l'assistance humanitaire. »

Je pense que l'on assistera probablement à une réévaluation du bon dosage des interventions entre assistance humanitaire et aide au développement. Il est bon que nous ayons aujourd'hui cette conversation sur la bonne combinaison des interventions et l'à-propos de l'assistance humanitaire dans une crise qui traîne depuis plus de huit ans. Parallèlement, il faut souligner le fait que l'aide au développement ne peut se substituer à l'assistance humanitaire, elle doit la compléter.

Ça paraît logique et moins coûteux de laisser les réfugiés gagner leur vie plutôt que de leur verser des allocations, mais les pays hôtes ont souvent leurs propres préoccupations politiques au niveau intérieur. Avez-vous un bon argument justifiant d'autoriser les réfugiés à travailler ou à exploiter leur entreprise ?

Un modèle qui dit aux gens « vous ne pouvez pas travailler, nous allons vous nourrir » est extraordinairement coûteux et, en toute honnêteté, bien au-delà de ce que la communauté internationale est probablement prête à payer. En outre, il n'y a rien de digne à laisser les gens en situation de dépendance et c'est éminemment contre-productif en termes de recherche de solutions.

Si vous mettez les gens dans une situation où ils ne peuvent pas travailler pendant 10 ou 15 ans, il est illusoire de penser qu'ils vont magiquement se remettre au travail lorsqu'ils retourneront dans leur pays. En fait, ils se retrouveront confrontés aux mêmes difficultés que les chômeurs de longue durée dans les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

La réalité, c'est aussi que dans la plupart des situations, l'assistance humanitaire ne suffit pas à nourrir les gens. Ils travaillent de manière informelle. Ils sont comme vous et moi ; il faut ramener à manger à la maison le soir. Donc la question, c'est de savoir si on laisse les gens travailler illégalement – parce que dans la pratique, c'est ce qui se passe – ou si on essaie de formaliser la situation.

« Les gens pourront travailler à la hauteur de leurs compétences. »

Formaliser l'emploi présente au moins deux ou trois avantages. Le premier, c'est que vous évitez le développement d'une économie parallèle qui génère dans certains pays des éléments plus que douteux. Le second aspect est que les gens pourront travailler à la hauteur de leurs compétences. Ainsi, les médecins n'ont pas à devenir chauffeurs de taxi et les enseignants peuvent enseigner. Au bout du compte, les gouvernements des pays dotés d'un système d'imposition efficace seront en mesure d'en récolter les fruits.

Un aspect fondamental de cette question d'emploi, c'est que l'impact des [flux de réfugiés] se présente comme une fonction de répartition. Certains perdent, d’autres gagnent. Si vous empêchez les réfugiés de travailler légalement, vous les acculez à des emplois moins qualifiés dans le secteur informel et vous caractérisez donc l'emploi du groupe socio-économique le plus bas au sein de la société hôte comme celui qui va être mis en difficulté. Alors que si vous donnez aux réfugiés le droit de travailler et d'appliquer leurs compétences, les effets seront répartis sur l'ensemble du spectre socio-économique.

Y aurait-il donc un lien entre la capacité des réfugiés à gagner leur vie en exil et leur retour au pays un jour ou l'autre ?

Nous devons cesser de parler de retour au pays pour envisager plutôt un retour au pays réussi, ce qui est dans l'intérêt du pays hôte, car tout pays hôte qui veut voir les réfugiés rentrer chez eux souhaite les voir rentrer pour toujours, et pas pour trois mois. Tout le monde souhaite assister à des retours au pays réussis.

Alors, à quoi tient la réussite des retours ? En premier lieu, ce sont les circonstances dans le pays d'origine et la persistance effective de la paix. Mais il y a également de nombreux facteurs individuels. Les données montrent que les gens les plus susceptibles de réussir leur retour au pays sont ceux qui rentrent avec des compétences et de l'argent. En d'autres termes, ce sont des gens qui ont pu travailler.