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Discours M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, au Comité administratif de coordination, New York, le 24 octobre 1988

Discours et déclarations

Discours M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, au Comité administratif de coordination, New York, le 24 octobre 1988

24 Octobre 1988
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New York, le 24 octobre 1988

Monsieur le Secrétaire généra, chers amis et collègues,

Certains d'entre vous pourraient être surpris que je demande la parole sur un thème au sujet duquel le HCR n'a pas souvent eu grand-chose à dire : le développement. Néanmoins, s'il est une chose qui est devenue évidente au cours de nos délibérations de ces dernières années à cette tribune, c'est l'interdépendant des activités et des préoccupations de chacun d'entre nous. Monsieur le Secrétaire général, vous conduisez les destinées d'une institution qui se consacre principalement à la recherche de la paix, à la défense de l'humanitaire et à la promotion du développement. Les défis que vous devez relever et les succès que vous avez enregistrés ne peuvent que se répercuter sur le travail de chacun d'entre nous, le HCR au même titre que les autres. Les grandes réalisations des Nations Unies cette année dans le domaine de la paix - les progrès concernant l'Afghanistan, le Sahara occidental, la guerre du Golfe et, si j'ose dire, sur l'avenir de la Namibie - sont des situations qui engendrent des mouvements massifs de population, et particulièrement de réfugiés. En même temps, la paix doit être étayée par le développement qui garantit la dignité et l'épanouissement de ceux qui essaient d'offrir leur aide. Ce sont précisément les principaux domaines de préoccupation du HCR.

Je crois que, dans la discussion de la stratégie à adopter pour la Décennie du développement, nous devons au sein de ce Comité nous préoccuper des réfugiés pour un certain nombre de raisons. Tout d'abord, notre intérêt nous commande de sortir les réfugiés des camps en milieu rural aux conditions inhumaines, où tant des 12 millions de réfugiés du monde se trouvent. Un trop grand nombre d'entre eux sont pratiquement entreposés dans un état de dépendance quasi totale. Depuis le tout début de leur exil, les réfugiés ont impérieusement besoin d'une activité d'autosuffisance liée au développement. Ultérieurement, à condition que la situation politique le permette et que les efforts d'instauration et de maintien de la paix de Secrétaire général leur ouvrent la voie, les efforts constants des agences de secours et de développement sont nécessaires pour apporter une solution durable aux problèmes des réfugiés.

Le problème des réfugiés est aujourd'hui inextricablement lié au drame du développement. La plupart des 12 millions de réfugiés que compte aujourd'hui le monde viennent de pays en développement et vont dans les pays en développement, nombre d'entre eux parmi les moins développés du monde. Les réfugiés qui affluent aux frontières fuient la persécution, la violation des droits de l'homme ainsi que différents catastrophes politiques, militaires et économiques, imputables d'une façon ou d'une autre à la crise du sous-développement. On ne peut plus nier les liens qui existent entre déplacement massif et maldéveloppement. Dans le contexte des réfugiés, le développement est en fait à la fois un remède et un moyen de prévention. Les projets de développement peuvent résoudre les problèmes des réfugiés et prévenir les exodes. Ils peuvent veiller à ce que les solutions apportées aux problèmes soient durables et qu'un réfugié qui regagne son foyer, car il ne craint plus la violence et la persécution, ne soit pas contraint de repartir en raison de la pauvreté et de la famine prévalantes. Il n'est pas déplacé de parler du développement lorsque l'on aborde le problème des réfugiés : il devient rapidement un facteur clé de notre aptitude à résoudre les problèmes de réfugiés.

Nos arguments se fondent également sur un certain nombre de considérations pratiques. Les économies de ressources imputables à l'autosuffisance et aux solutions permanentes sont patentes. La charge financière que représente pour la communauté internationale l'assistance aux réfugiés du monde sous la forme d'une dépendance illimitée à l'égard de la charité est énorme. En investissant certaines de ces ressources par le biais d'institutions chargées du développement, nous amorçons un processus essentiel consistant à réduire ces coûts exorbitants aux plans financier et humain.

Bien que ces réductions de coûts aient été envisagées bien avant que le Groupe des 18 n'ait conçu le projet de réforme visant à réaliser des économies, elles semblent se fondre dans le moule conçu par ce groupe. Le Groupe des 18 nous a demandé d'éviter tout chevauchement et double-emploi, d'urgence en Afrique. Nous avons été instamment priés de faire valoir les principes de la coopération interinstitutions, de l'interdépendance, du travail d'équipe au sein de la famille des Nations Unies au siège, et d'une action concertée sur le terrain par le biais d'une équipe des Nations Unies dans le pays considéré. Naturellement, cela s'applique à notre propre expérience et à notre engagement à une collaboration constructive. Dans le lien spécifique existant entre l'aide aux réfugiés et les activités de développement, le HCR, le PNUD, la Banque mondiale et le FIDA font directement écho à la demande du Groupe des 18 concernant une efficacité et une rentabilité supérieures.

Afin de tirer le meilleur parti possible de notre collaboration avec nombre d'entre vous autour de cette table, le HCR essaie de faire participer les instituions compétentes en matière de développement dès la toute première phase d'un problème de réfugiés - qu'il s'agisse d'un nouvel afflux ou de l'amorce d'une solution au problème. Cette participation favorise l'autosuffisance en exploitant l'expérience en matière de développement requise pour des projets d'activités agricoles ou génératrices de revenus. Lorsque les solutions du rapatriement librement consenti ou de l'installation sur place sont réalisables, les apports d'institutions chargées du développement - sous la forme d'infrastructure et d'intégration de communautés réfugiées ou rapatriées dans la planification du développement national - permettent au HCR de passer le relais, assurant par là une solution durable une fois notre mandat rempli.

Comment expliquer le succès de ce concept ? Pourquoi sommes-nous convaincus que cette approche offre peut-être l'orientation la plus prometteuse et la plus intéressante aux efforts que nous déploierons à l'avenir ?

La réponse est tout simplement que chacun des participants à une opération en faveur des réfugiés a tant à y gagner et, vice versa, a tant à perdre si une telle approcha n'est pas adoptée.

L'intérêt supérieur qui motive notre action est celui des réfugiés eux-mêmes. Lier l'assistance aux réfugiés à l'autosuffisance et aux activités orientées vers la recherche de solutions, peut leur éviter de perdre d'une condition dégradante, qui est le propre de tant de camps de réfugiés dans le monde. Elle peut éviter la perte de générations entières parmi les plus productives et les plus douées du monde - générations à qui l'on refuse trop souvent le droit à une éducation appropriée et, pire encore, le droit à l'espoir.

Mais quel est l'intérêt d'un autre participant important ? - c'est-à-dire, les pays de premier asile qui ont offert l'hospitalité à des milliers - dans certains cas, à des millions - de réfugiés, souvent au grand dam de leurs ressources matérielles et de leur environnement. Des exemples ne manquent pas de pays ayant reçu des dizaines de millions de dollars au titre de l'aide au développement - dans un grand pays d'asile recevant des centaines de millions de dollars - pour la simple raison qu'ils avaient ouvert leurs portes aux réfugiés. C'est une forme d'assistance qui aide la population locale à assumer la charge additionnelle et dont elle profite autant - parfois plus - que les réfugiés eux-mêmes. Les projets d'activités génératrices de revenus, y compris le reboisement et d'autres projets liés à l'environnement, tombent dans cette catégorie. Des projets de développement liés à l'aide aux réfugiés permettent de stabiliser des dunes de sable en Somalie et de reverdir les versants des montagnes au Pakistan. Pour certains pays - pas encore assez nombreux, cependant - l'accueil des réfugiés a donné lieu à l'additionnalité prévue par la CIARA II, et préconisée par le Plan d'action pour la Conférence SARRED à Oslo.

Plusieurs institutions internationales chargées du développement ont découvert qu'elles pouvaient également tirer parti d'activités menées en faveur des réfugiés. Plusieurs instituions connaissant des difficultés de financement ou des problèmes d'accès se sont rendu compte que la coopération que la communauté internationale continue d'offrir au HCR tend également à rejaillir sur les instituions chargées du développement qui coopèrent avec le HCR. Le projet d'activités génératrices de revenus de la Banque mondiale en faveur des réfugiés afghans au Pakistan en est un exemple classique. Ici, la coopération entre le HCR, une institution de développement renommée (la Banque mondiale) et des réfugiés très productifs travaillant avec la population pakistanaise locale dans le cadre de projets portant sur l'amélioration de l'environnement, entre autres, s'est imposée comme une formule à succès pleine d'enseignement pour d'autres institutions de développement et d'autres situations de réfugiés ailleurs dans le monde.

Enfin, qu'offre ce lien entre l'aide aux réfugiés et l'aide au développement aux pays donateurs typiques ? Tout d'abord, le coût net de l'assistance aux réfugiés est considérablement réduit à long terme. Dans la mesure où ils peuvent canaliser leur assistance par des agences distinctes spécialisées dans les secours et le développement, le coût global à la fin de l'opération est plus faible. Plus important encore, ils ont contribué à mettre un terme à la condition tragique de certains des individus traditionnellement les plus productifs du monde - des gens qui ont légitimement droit à leur générosité.

Alors que nous essayons d'élaborer une stratégie pour une nouvelle Décennie des Nations Unies pour le développement, mous avons besoin de l'aide des institutions de développement pour que le HCR ne continue pas de prêcher dans le désert concernant l'inclusion des réfugiés dans le cadre de cette stratégie. Nous sommes tous conscients des priorités accordées aux « plus pauvres des pauvres » dans les projets de développement - femmes, enfants, handicapés, défavorisés et démunis. Ces groupes, ayant le plus besoin d'une aide au développement, relèvent également de la compétence du HCR. Pour nous, ils ne représentent rien de vague ou de théorique. Ils sont notre réalité de tous les jours. Ce sont ces mêmes personnes qui sont des réfugiés. Naturellement, nous ne garantissons pas que nos efforts les plus soutenus feront de cette nouvelle décennie pour le développement une entreprise plus couronnée de succès que les précédentes. Mais nous pouvons être sûrs d'une chose au moins : ses chances de succès seront d'autant plus faibles qu'elle n'incluera pas les réfugiés.

A l'inverse, les plus grands succès de notre coopération avec d'autres institutions de développement révèlent les avantages de l'inclusion des réfugiés. Ces précédents montrent du moins que le CAC doit inclure le problème des réfugiés dans ces prises de position concernant une stratégie de développement. Nous ne pouvons tolérer le gaspillage humain et matériel que représenterait le refus d'utiliser au maximum le véhicule du développement pour faire passer les réfugiés d'un état de dépendant quasi totale à une autosuffisance de plus en plus grande, et de trouver une solution à leur sort lorsque le climat politique le permet.

L'expérience que nous avons acquise à ce jour démontre de façon convaincante que le concept de l'aide aux réfugiés et le développement ne signifie pas simplement la substitution du financement aux fins de développement par un montrant approximativement égal de fonds consacrés aux soins et entretien, nos sommes au contraire convaincus que des investissements relativement modestes dans des projets en faveur des réfugiés liés au développement peuvent permettre de réaliser des économies plus grandes au niveau des secours distribués aux réfugiés.

Permettez-moi de saisir l'occasion de cette décennie du développement pour démystifier le problème des réfugiés et pour l'intégrer dans une stratégie globale de développement du système des Nations Unies. Le mythe veut que les réfugiés n'aient besoin que d'une assistance d'urgence ; la réalité est tout autre : le réfugié est le bénéficiaire idéal des projets d'autosuffisance et d'assistance liés au développement. Le mythe veut que les réfugiés soient si défavorisés qu'ils doivent être totalement assistés pour recouvrer leurs forces et leur dignité; la réalité, c'est que les réfugiés perdraient très rapidement leurs forces et leur dignité, leur aptitude à survivre et à lutter, si on leur donnait tout ce dont ils ont besoin. Le mythe veut que les réfugiés aient tout perdu et ne puissent rien apporter ; la réalité, c'est que les réfugiés apportent avec eux de nouvelles compétences, des idées novatrices et des approches imaginatives pour le développement de leur nouveau pays. Le approches imaginatives pour le développement de leur nouveau pays. Le mythe veut que les pays hôtes doivent exclure les réfugiés de leurs plans de développement national, car ils seraient un poids pour les programmes en faveur de leurs ressortissants ; la réalité révèle que, lorsque des fonds aux fins de développement sont accordés aux régions accueillant les réfugiés, ils peuvent s'ajouter aux contributions normales des donateurs et ils profitent autant, voire plus aux ressortissants qu'aux réfugiés.

Le mythe fait du réfugié un destructeur de l'environnement - des arbres, des pâturages, des ressources en eau, etc.; la réalité montre que les réfugiés peuvent reconstituer les richesses qu'ils ont exploitées et laisser beaucoup plus derrière eux sous forme d'arbres plantés, de systèmes d'adduction d'eau, etc. le mythe veut que les réfugiés soient les grands perdants du système international et puisent donc, à ce titre, être éliminés de la quête de contributions productives en matière de développement ; la réalité, c'est que les réfugiés sont les vrais gagnants - c'est à nos périls que nous les négligerions dans nos stratégies de développement.

Débarrassons-nous de ces mythes et réaffirmons la réalité - et l'espoir de la voir se matérialiser. Voilà le réel défi que se doit de relever le HCR dans la décennie actuelle pour le développement, et je compte sur vous tous pour l'aider dans cette entreprise.

Je vous remercie de votre attention.