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De nos jours, un ressortissant soudanais du Darfour peut voir sa demande d'asile rester lettre morte en Europe

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De nos jours, un ressortissant soudanais du Darfour peut voir sa demande d'asile rester lettre morte en Europe

L'agence des Nations Unies pour les réfugiés exprime son inquiétude croissante au sujet des effets de legislations et de pratiques de plus en plus restrictives dans chaque pays européen ainsi qu'au niveau de l'Union européenne. Il en résulte que même les cas les plus incontestables, comme un exemple récent l'a illustré clairement, peuvent se voir refuser l'asile en Europe aujourd'hui.
6 Décembre 2005 Egalement disponible ici :
Mohammad discute de son cas lors d'une visite au bureau de l'UNHCR à Athènes, peu après avoir été libéré de sa quatrième détention en prison.

ATHENES, 6 décembre (UNHCR) - Mohammad* est originaire du Darfour dévasté par la guerre, souvent décrit comme l'une des situations les plus violentes au monde ces deux dernières années.

Des centaines de villages ont été détruits, des centaines de milliers de personnes ont été tuées, blessées ou sont mortes de maladie, conséquences des tactiques de combat et de terre brûlée des infâmes milices janjawid. Nombre de femmes et de filles ont été violées. Plus de 2 millions de personnes ont été déplacés. Des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ont été commis.

Assez pour qu'une demande d'asile effectuée par une personne originaire du Darfour soit prise au sérieux, on pourrait en tout cas le penser.

A la fin du mois de mai 2005, après un très important lobbying et des appels au tribunal par le Conseil grec des réfugiés et Amnesty International, Mohammad fut libéré après son troisième séjour en détention en Grèce. Il n'est toujours pas prêt de voir sa demande pour le statut de réfugié correctement examinée, et encore moins d'être reconnu en tant que réfugié.

Sa demande d'asile a été interrompue à cause d'un vice de procédure et depuis lors l'association de la loi de l'Union européenne et de la législation nationale grecque a rendu possible que le cas de Mohammad ne soit jamais traité, sans prendre en compte qui il est, d'où il vient et aussi justifiée que soit sa demande pour devenir réfugié - à moins que la raison ne l'emporte et que les dernières interventions des ONG de Droits de l'Homme portent leurs fruits.

Mohammad a également été détenu au Royaume-Uni. Au total, il a passé environ plus de la moitié de son séjour en Europe en détention. Son crime ? Apparemment aucun, si ce n'est d'avoir essayé de chercher une protection en Europe, et que - comme beaucoup d'autres demandeurs d'asile - il n'avait pas compris l'incroyable complexité des législations aussi bien au niveau national qu'européen.

Ce Soudanais de 45 ans a fui son village dans le nord du Darfour en 2003, quelques mois après le commencement de cette guerre civile larvée. Il a été contraint de quitter sa femme et ces cinq jeunes enfants. Contrairement à beaucoup de demandeurs d'asile qui peuvent avoir des difficultés à prouver des faits avérés de leur vie face à de sceptiques officiers d'immigration et juges en matière d'asile, Mohammad a pu fournir des preuves documentées sur son identité et son pays d'origine, le Darfour.

Un membre du personnel de l'UNHCR qui lui rendait visite pendant sa plus récente période de détention en avril 2005, a dit qu'il était extraordinairement calme, même serein, pendant la plus grande partie de l'interview. Cependant quand il a été question de la situation dans son pays, ses yeux se sont emplis de larmes.

« Quand mon village a été attaqué, beaucoup de membres de ma famille ont été tués », a-t-il dit à voix basse. « Tous les hommes et les garçons de plus de 11 ans ont été pendus. » Depuis sa fuite, Mohammad a reçu peu d'information sur le sort de sa famille. Il pense, en tout cas il espère, qu'ils vivent dans l'un des nombreux camps de déplacés au Darfour.

L'histoire de Mohammad est une histoire que l'on entend souvent - une longue suite de viols et d'autres atrocités - parmi les 1,8 million de personnes déplacées à l'intérieur du Darfour, ou plus de 200 000 réfugiés qui vivent de l'autre côté de la frontière tchadienne. Cependant, comme c'est souvent le cas dans les premières années d'une grande crise de réfugiés, relativement peu de personnes originaires du Darfour ont jusqu'alors réussi à arriver en Europe.

Après plusieurs semaines de voyage par voie terrestre et maritime, Mohammad a rejoint Leros, une île grecque dans l'est de la mer Egée, en juin 2003. Depuis qu'il est arrivé en Grèce illégalement, il a été - comme beaucoup d'autres arrivant dans les mêmes conditions - arrêté et placé en détention. Il avait évidemment très peur pendant cette période. Au début, raconte-t-il, personne ne l'a informé de ses droits et il ne savait pas comment faire pour demander l'asile. Il a ensuite obtenu la documentation à ce sujet et a pu le faire. Après trois mois - la durée de détention pour les nouveaux arrivants - il fut libéré et put quitter Leros pour la Grèce continentale.

« Après avoir été libéré, j'ai passé deux semaines sans abri, se souvient-il. « J'ai dormi dehors à Omonia (un jardin public dans le centre d'Athènes). Je n'avais rien. Pas de travail, pas d'endroit où aller. Je ne savais pas quoi faire, aussi j'ai décidé de quitter la Grèce. »

Ne connaissant pas la procédure d'asile en Grèce, souvent sans abri et manquant de soutien, beaucoup de demandeurs d'asile quittent le pays à la recherche de protection et d'assistance ailleurs en Europe. C'est la même histoire en Italie, où l'aide est seulement fournie pendant les 45 premiers jours, mais la procédure d'asile peut prendre plus d'un an.

« Je ne savais rien sur la procédure d'asile, aussi j'ai suivi le conseil d'un ami, je suis allé au Royaume-Uni, où ça pourrait mieux marcher », dit Mohammad. Il s'est alors arrangé pour rejoindre le Royaume-Uni, où une fois de plus il a demandé l'asile.

Cependant, la base de données EURODAC de relevés d'empreintes digitales, lancée en septembre 2003 pour réduire ce que l'on appelle « asylum shopping » (des déplacements secondaires à l'intérieur de la Communauté vers les pays les plus accueillants), a révélé qu'il avait déjà fait une demande d'asile en Grèce.

Mohammad a, par conséquent, été arrêté et détenu pendant environ 6 mois au Royaume-Uni, pendant la procédure de son renvoi vers la Grèce - le pays responsable du traitement de sa demande d'asile - selon la nouvelle Réglementation Dublin II. Cet aspect important de la législation européenne a été adopté en février 2003 et, avec l'aide de l'EURODAC, assigne clairement la responsabilité à un pays de l'Union européenne d'étudier une demande d'asile (généralement le pays où la première demande a été effectuée).

En 2004, la Grèce a reçu plus de 1 300 demandes de retour des demandeurs d'asile qui avaient déjà entamé une procédure d'asile une première fois en Grèce avant de se déplacer dans d'autres pays européens et de faire de nouvelles demandes. Les demandeurs d'asile de retour depuis d'autres pays européens retrouvent souvent interrompu l'examen de leur demande qui, par conséquent dans le cadre de la législation grecque, ne pourra pas être représentée.

C'est précisément ce qui est arrivé à Mohammad : depuis son retour en Grèce en juin 2004, il a été informé qu'à la suite « de son départ non autorisé », l'examen de sa demande avait été interrompu et qu'il ne lui était pas possible de recommencer. Il a été détenu à nouveau trois mois, puis relâché et on lui a donné un mois pour quitter le pays.

En août 2004, le Secrétariat général d'Amnesty International a envoyé une lettre au Ministre de l'Ordre Public, Georgios Voulgarakis, qui établissait que - selon le point de vue d'Amnesty - Mohammad est un réfugié, et que son renvoi forcé au Soudan serait considéré comme une violation du principe de non refoulement. Selon le bureau d'Amnesty International à Athènes, aucune réponse n'a jamais été reçue.

Le 5 mars 2005, Mohammad a été arrêté et détenu à nouveau pour avoir violé le précédent ordre de quitter le territoire fin juin 2004. Cette fois, ses avocats ont fait appel devant le plus haut tribunal administratif, le Conseil d'Etat.

« La situation est désespérée. Les cas de personnes dans la même situation que Mohammad sont nombreux, et nous sommes simplement en sous-effectif pour pouvoir les assister tous », souligne Spyros Koulocheris, avocat et coordinateur de l'Unité d'assistance judiciaire du Conseil grec des réfugiés.

Ce cas est tout spécialement troublant pour les avocats des réfugiés. En substance, il montre que certains pays européens - aussi bien au niveau du pays qu'au niveau européen - ont sacrifié les garde-fous de la protection afin de réduire l'accès et le nombre de réfugiés. Un réfugié peut effectuer une demande d'asile dans un pays européen, partir dans un autre pays pour des raisons compréhensibles (même si elles sont irrégulières dans le cadre des procédures), être renvoyé en toute légalité en fonction de la réglementation européenne vers le pays où il a fait sa première demande d'asile et puis - de même en accord parfait avec la législation nationale - que sa demande initiale ne soit pas traitée.

« Nous voudrions souligner que cette situation kafkaïenne peut se produire en dehors de la Grèce », dit Judith Kumin, déléguée de l'UNHCR à Bruxelles. « Il y a d'autres pays en Europe où ce cas est déjà survenu et cela pourrait arriver encore si des procédures formelles - par exemple des dates limites pour présenter une demande d'asile - ne sont pas observées. »

La Réglementation Dublin II a été mise au point pour une Europe où les législations de l'asile et les pratiques sont vraiment harmonisées, précise Judith Kumin. « Malheureusement, nous avons encore un long chemin à parcourir vers cet objectif », dit-elle. « Quelque chose ne tourne pas rond quand le monde entier se préoccupe de la tragédie du Darfour et que la demande d'asile d'un homme originaire du Darfour ne peut pas être traitée. »

Le 21 septembre, la situation précaire de Mohammad s'est quelque peu améliorée, quand le Conseil d'Etat a rendu une décision temporaire qui réduit certaines des difficultés quotidiennes auxquelles il doit faire face. Le Comité a pris l'importante décision d'interdire aux autorités de renvoyer Mohammad jusqu'à ce que le tribunal ait pris sa décision finale afin que sa demande d'asile puisse éventuellement être revue à sa juste valeur par les autorités grecques. Le tribunal a également ordonné que sa carte rose - qui donne le droit de recevoir une assistance médicale gratuite et de chercher un emploi - lui soit rendue. Et le tribunal a ordonné que l'Etat paie ses dépenses d'avocat.

Cependant, avant que la Cour rende sa décision finale - ce qui pourrait prendre jusqu'à trois ans - cet homme originaire du Darfour continuera de subir les conséquences de l'une des failles du système d'asile européen.

« Je veux juste l'asile », dit il quand il discute des méandres de son cas avec le personnel de l'UNHCR.

* Le nom de Mohammad a été changé pour des raisons de sécurité.

Par Ketty Kehayioylou avec Haris Desinioti à Athènes