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Questions/Réponses : La dramaturge lauréate du Prix Pulitzer inspirée par des réfugiées congolaises

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Questions/Réponses : La dramaturge lauréate du Prix Pulitzer inspirée par des réfugiées congolaises

La dramaturge Lynn Nottage parle de sa pièce « Ruined », l'histoire forte et émouvante de femmes survivant dans un Congo ravagé par la guerre.
10 Juin 2010 Egalement disponible ici :
Lynn Nottage (au fond à droite, avec les boucles d'oreilles) avec certaines des réfugiées interviewées.

NEW YORK, Etats-Unis, 10 juin (HCR) - La pièce de Lynn Nottage qui a remporté le Prix Pulitzer, « Ruined », raconte l'histoire forte et émouvante de femmes, de leurs souffrances et de leur survie dans plusieurs régions de la République démocratique du Congo (RDC) ravagées par la violence. Le conflit qui se déroule dans cet immense pays africain a fait des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés internes ces vingt dernières années. Au cours des recherches qu'elle a effectuées pour écrire la pièce, la dramaturge américaine s'est entretenue avec des réfugiées congolaises vivant en Ouganda, pays voisin. L'année dernière, « Ruined » a remporté le Prix Pulitzer de la meilleure pièce de théâtre. La pièce a été commandée et mise en scène pour la première fois par le Théâtre Goodman à Chicago. Sa première saison européenne, très bien accueillie, a pris fin samedi dernier au Théâtre Almeida de Londres. Lynn Nottage s'est récemment entretenue au téléphone avec Leo Dobbs, rédacteur en chef du site Internet du HCR, qui a vu la pièce à Londres. Extraits de l'entretien :

Parlez-nous de votre pièce

« Ruined » se passe dans le nord-est du Congo, dans la forêt tropicale de l'Ituri. La pièce se déroule dans une maison de passe qui se trouve au bord d'une mine de coltan [un minerai utilisé dans les équipements électroniques comme les téléphones portables et les ordinateurs]. Cela tourne autour de l'histoire de Mama Nadi, une femme d'affaires très habile et laborieuse, qui exploite et en même temps protège des jeunes femmes victimes d'abus sexuels commis par des soldats pendant le conflit armé qui sévit dans cette région.

Pourquoi l'avoir écrite ?

En 2004, je me suis beaucoup intéressée à l'impact des conflits armés sur les femmes en Afrique. C'est connu, en général ce ne sont pas les femmes qui déclenchent ces conflits mais ce sont elles qui sont toujours disproportionnellement victimes de la violence. J'étais particulièrement intéressée par la guerre en [République démocratique du] Congo. Le nombre de victimes était tellement stupéfiant que je souhaitais enquêter sur ce qui arrivait vraiment à ces femmes. J'ai commencé à lire les nouvelles et à faire des recherches par l'intermédiaire d'organisations de défense des droits de l'homme, mais je n'arrivais pas à trouver de récits de femmes au-delà des descriptions brutes de violence. Je ne parvenais pas à imaginer qui elles étaient en trois dimensions. Je me suis donc rendue en Afrique de l'Est pour ma lancer à la recherche de réfugiées congolaises.

Quand j'ai commencé à les interroger, ce que j'ai entendu a été une absolue révélation pour moi. Je savais que ces femmes étaient des victimes mais j'ai été complétement abasourdie par l'ampleur des brutalités qui leur étaient infligées. C'est ce qui m'a conduite à raconter l'histoire de « Ruined » c'est-à-dire l'histoire de ces femmes prises au piège du conflit congolais.

Où avez-vous effectué vos recherches ?

Au départ, quand nous sommes arrivés dans la capitale ougandaise, Kampala, nous souhaitions nous diriger vers la frontière avec le Congo au nord. A ce moment là, il y a eu une recrudescence de la violence et on nous a déconseillé de franchir la frontière située près d'Arua. Nous avons donc fini par rechercher des femmes réfugiées ayant fui en Ouganda. Nous avons eu recours à des organisations locales de réfugiés et des groupes comme Amnesty International pour nous aider à identifier ces personnes. Lors de mon second voyage, j'ai fini par aller dans plusieurs camps de réfugiés dans tout le nord de l'Ouganda qui, pour certains, accueillaient des réfugiés congolais. Je me suis également rendue à la frontière avec le Congo.

Je pense que les gens se sont vraiment sentis libres de me parler. Je leur ai dit : « Je ne travaille pas pour une organisation humanitaire. Je suis une conteuse et je ne peux rien vous offrir d'autre qu'une oreille pour vous écouter ; je sais être patiente et compatissante. Mais ne vous attendez pas à ce que je produise quelque chose de tangible à part le fait d'être un corps dans une pièce disposé à écouter votre histoire du début à la fin ». Etrangement ces paroles les réconfortaient et les calmaient parce que beaucoup disaient que les organisations souhaitaient entendre et écrire des rapports sur l'horreur mais ne s'intéressaient pas à leur humanité. J'ai souvent dû écouter les menus détails de la vie des gens avant d'arriver aux détails de ce qui leur était arrivé pendant le conflit armé. Mais je pense qu'il était très réconfortant pour elles qu'on écoute la totalité de leurs histoires.

Y avait-il des histoires particulièrement émouvantes ?

Je pense qu'elles étaient toutes très émouvantes et j'ai été frappée par leur similarité. Je m'attendais à entendre des récits différents mais leurs histoires devenaient presque des litanies - c'était des personnes occupées à mener leur existence et dont les vies étaient soudainement interrompues par des soldats qui les arrachaient à leurs maisons ou à leurs champs et les brutalisaient. Et puis elles trouvaient la force de continuer.

Avez-vous été surprise par l'ampleur des abus ?

Absolument. Quand je me suis rendue sur place en 2004, j'ai été très surprise par le fait que presque chaque femme que j'interrogeais avait été violée. Ce que j'ai trouvé de particulièrement remarquable, c'est qu'elles parvenaient à trouver un calme et à mettre une certaine discipline dans leurs récits, aussi horribles soient-ils. A la fin, elles pleuraient parfois mais au-delà des larmes j'ai découvert en elles une sorte d'optimisme et j'ai compris que ces femmes étaient d'authentiques survivantes. Elles me racontaient leurs histoires non parce qu'elles avaient été vaincues mais parce que, d'une manière ou d'une autre, elles sentaient que le fait de raconter ce qui leur était arrivé les purifiait et allait leur permettre de ressusciter leur vie et d'aller de l'avant. C'est vraiment ce que j'ai ressenti. Je me souviens m'être assise avec mon metteur en scène après avoir entendu l'histoire d'une femme. Nous avons pleuré et nous l'avons serrée dans nos bras, puis nous avons commencé à parler de tout autre chose. On riait et on souriait et j'ai dit : « Je crois qu'elle va s'en sortir! ».

Continuez-vous de suivre la situation au Congo ?

Je suis certainement la question de beaucoup plus près que je ne le faisais avant d'écrire la pièce et avant de faire ce voyage, mais c'est une situation incroyablement frustrante. On s'attendrait à entendre des histoires différentes et pourtant il me semble que six ans après avoir entrepris ce voyage, les récits restent terriblement semblables. Cela me surprend. Les gens disent : « Que peut-on faire ? » Comme je suis une éternelle optimiste, je crois toujours que grâce à l'éducation et grâce à ces femmes qui reprennent leur vie en main et qui trouvent des moyens de s'assumer, la situation va changer. Mais quand je lis de nouveau les titres des journaux, je me sens frustrée.

Un haut fonctionnaire des Nations Unies a récemment décrit la République démocratique du Congo comme la capitale mondiale du viol. Le problème ne diminue pas.

Je pense que malheureusement le viol est devenu un outil très efficace en République démocratique du Congo parce que ce n'est pas cher et que c'est efficace…. Les soldats n'ont pas accès à certaines armes, du coup le viol devient l'arme la moins chère à utiliser et l'arme la plus efficace pour détruire la culture et les communautés… Je ne pense pas que le viol soit propre à cette région, je crois juste que c'est devenu un outil très efficace.

Suivez-vous la question des déplacements forcés en Afrique ?

Je le fais et je l'ai fait. Quand j'étais en Ouganda, j'ai visité de nombreux camps de réfugiés. Quand j'ai commencé mes recherches elles n'étaient pas centrées sur le Congo. J'interrogeais des réfugiées de toute l'Afrique et j'ai interrogé de nombreuses réfugiées soudanaises, beaucoup de réfugiées somaliennes et de nombreuses Ougandaises qui étaient déplacées à l'intérieur de leur propre pays.

Etes-vous satisfaite du spectacle de Londres et pensez-vous monter « Ruined » dans d'autres pays européens ?

J'ai trouvé que le spectacle de Londres avait été magnifiquement mis en scène. Je pense que les acteurs se sont vraiment investis. La majorité d'entre eux étaient soit nés en Afrique, soit d'origine africaine et je pense qu'ils ont aimé donner la parole aux habitants de ce continent. J'ai vraiment eu l'impression qu'ils étaient totalement possédés par leurs personnages et qu'ils les incarnaient magnifiquement.

J'ai eu des échanges avec un producteur pour monter la pièce en France et en Belgique. Je sais que les Belges sont très intéressés par la pièce parce qu'une compagnie afro belge souhaite la jouer en Belgique puis la monter à Kinshasa [capitale de la République démocratique du Congo], ce qui serait vraiment fabuleux. Je sais qu'ils essaient actuellement de trouver des financements pour le faire. Nous nous rendrons en Afrique du Sud plus tard dans l'année avec une production qui est en train de démarrer aux Etats-Unis.

Y a-t-il eu des réfugiés dans votre famille ?

Nous sommes venus par le Passage du Milieu [par lequel les Africains étaient embarqués à travers l'Atlantique pour devenir des esclaves dans les Amériques et les Caraïbes] avec des fers et des chaînes. Donc, oui, je suppose que nous sommes en quelque sorte des réfugiés.