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Grand angle sur les « fleurs d'Afghanistan »

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Grand angle sur les « fleurs d'Afghanistan »

La photographe britannique Alixandra Fazzina présente son reportage sur le voyage périlleux d'un enfant afghan non accompagné vers Istanbul.
30 Janvier 2012 Egalement disponible ici :
Un jeune Afghan travaille dur dans l'environnement hostile d'une petite usine à Istanbul.

ISTANBUL, Turquie, 27 janvier (HCR) - Alixandra Fazzina, lauréate de la prestigieuse distinction Nansen 2011, a passé une grande partie de sa carrière en tant que photographe à couvrir les conflits et leurs conséquences humanitaires, notamment le sort des réfugiés. En utilisant la récompense financière allouée avec la médaille Nansen, elle a couvert le périple d'enfants non accompagnés vers l'Europe depuis l'Afghanistan. Selon elle, il est essentiel de faire connaître le vécu de ces enfants. La plupart d'entre eux sont des garçons qui sont vulnérables aux abus et à l'exploitation organisés par les réseaux criminels. Alixandra Fazzina a emprunté certains itinéraires avec eux et elle présente son reportage sur un site Internet The Flowers of Afghanistan (Les fleurs d'Afghanistan). L'article ci-dessous est tiré de l'un de ses reportages sur Danesh, 15 ans, qui est originaire de la province instable de Kapisa en Afghanistan. Elle l'a rencontré et l'a photographié dans le froid glacial d'une cave à Istanbul où, avec d'autres, il travaille 15 heures par jour à la découpe de fourrures pour faire des gilets. Ils doivent également dormir dans cette pièce sordide. Danesh, qui n'est jamais allé à l'école, avait quitté l'Afghanistan quatre ans plus tôt. Son éducation s'est faite sur les routes. Son objectif, comme beaucoup de jeunes Afghans à Istanbul, est de rejoindre l'Europe de l'Ouest.

L'histoire de Danesh :

« Toute ma famille est décédée. Je n'ai plus personne. Je n'ai que peu de souvenirs de ce qui s'est passé, car j'étais petit. Mon père, mes frères et mes soeurs sont morts lorsqu'une roquette est tombée et a explosé sur notre maison ; seule ma mère a survécu car elle se trouvait ailleurs. Après, elle s'est remariée mais mon beau-père a été tué dans les combats. Un jour [Danesh avait alors 12 ans] je marchais le long de la route vers le marché avec ma mère et j'étais descendu à la rivière pour boire de l'eau, lorsqu'un camion a surgi de l'autre côté de la route. Elle est tombée sous le camion [et a été tuée].

« J'ai été recueilli par un proche dans sa maison et j'ai vécu chez lui pendant un moment… Je travaillais dans la rue à vendre de petits articles, comme des bonbons et des chaussettes, lorsqu'un étranger m'a abordé. Je pensais que c'était un taliban… et, bien qu'il ait l'air dangereux, il m'a parlé gentiment.

« Il m'a donné une arme ressemblant à un AK47 [fusil d'assaut], des grenades et une liasse de billets de banque. La première fois que j'ai tiré une balle, je suis tombé à la renverse, mais l'homme m'a dit d'être plus fort. J'étais jeune et je ne voulais pas vraiment m'engager.

« J'avais déjà entendu parler d'enlèvements d'enfants, et beaucoup se déroulaient d'ailleurs tout près de chez moi. Mon oncle m'avait dit une fois qu'ils prélèvent les organes des enfants, leur estomac et leur coeur, alors que d'autres sont emmenés pour subir un entraînement au combat contre le gouvernement.

« Mon oncle s'était fâché et m'avait dit de me débarrasser des armes et autres. Après il m'a interdit de quitter la maison et je suis resté enfermé pendant deux mois comme un prisonnier. Durant cette période, la guerre avait un peu baissé d'intensité. Lors d'une accalmie des combats durant quelques jours, j'ai reçu l'ordre de partir avec une famille qui se dirigeait vers l'Iran.

« Une nuit, une voiture est venue au village et j'ai été envoyé avec le mari, sa femme et leurs trois enfants. Nous avons rejoint Kaboul par la route et, de là, nous avons pris le bus vers Kandahar puis Nimroz [dans le sud-ouest de l'Afghanistan]… A Nimroz, nous avons dormi dans un mosafer khana [maison d'hôtes] mais, lorsque je me suis réveillé le matin suivant, la famille avait disparu. Je suis resté là deux autres nuits, j'ai aidé le propriétaire à faire la vaisselle mais, lorsque j'ai demandé de l'argent, il m'a frappé deux fois et m'a dit de quitter les lieux. J'étais assis dans la rue en pleurant, lorsque quelqu'un m'a demandé pourquoi j'étais si triste et que je pourrais lui raconter mon histoire. L'homme s'appelait Nik et il a dit que je pourrais rejoindre l'Iran avec lui.

« Nous avons traversé la frontière avec de nombreux autres voyageurs et nous avons passé une semaine à marcher dans les montagnes. Parfois des villageois nous donnaient de la nourriture en chemin et, d'autres fois, Nik devait me porter. Lorsque nous sommes arrivés à Zaidan, une gentille famille afghane nous a offert le gîte et ils nous ont orientés vers un guide qui pourrait nous aider à continuer notre voyage.

« Il s'est passé sept ou huit jours avant que nous rejoignions Bandar Abbas [sur le golfe Persique]… Après trois mois, Nik m'a dit tout d'un coup que nous partions vers Téhéran mais, au moment de monter dans le bus, la police nous a arrêtés… En prison, nous avons été séparés et j'ai été placé avec les mineurs de moins de 18 ans. Mais Nik a dit que j'étais son frère alors, deux semaines après, nous avons été relâchés.

« D'abord, à Téhéran, je ne pouvais pas travailler à cause de mon jeune âge, mais j'ai commencé à aider à fabriquer des briques sur un site de construction. Puis Nik a décidé de retourner en Afghanistan et je me suis à nouveau retrouvé tout seul. J'ai commencé à travailler dans un marché pour une boutique qui vendait des fruits, où je gagnais 100 dollars par mois. J'ai déposé une demande pour obtenir le statut de réfugié et j'ai été à nouveau arrêté par la police [et battu].

« Durant ces deux longues années, tout en grandissant, je voyais d'autres Afghans aller et venir et gagner de l'argent. J'ai vu beaucoup de gens arriver comme des fourmis et partir pour rejoindre l'Europe… Alors un jour, au marché, j'ai rencontré un jeune qui s'appelait Abdoul qui prévoyait d'aller en France. J'avais confiance en lui. J'avais réussi à épargner environ 700 dollars, et j'étais convaincu que nous irions en Turquie ensemble. Les passeurs demandaient 1 100 dollars, alors nous avons convenu que quelqu'un à Téhéran garderait mes économies et que lorsque j'aurais rejoint la Turquie, je remettrais le reste de l'argent dès que j'aurais trouvé un travail. J'ai été trompé.

« A notre arrivée à Van [dans le sud-est de la Turquie], les passeurs m'ont enfermé durant 10 jours et ils m'ont dit que je devais donner tout l'argent ainsi que les frais de mon séjour chez eux. J'étais emprisonné dans une cave sans fenêtre… Ensuite, ils ont encore accentué la pression sur moi et j'ai été placé dans une autre cave froide et humide. Puis ils ont commencé à me battre.

« J'ai eu de la chance car Abdoul a réussi à parler à nos kidnappeurs et il les a convaincus que j'étais une personne fiable et que je les paierais dès que je commencerais à gagner de l'argent. Les passeurs m'ont emmené à Ankara et m'ont fait travailler durant un mois jusqu'à ce que je les paie autant que je le pouvais, mais j'ai encore des dettes envers eux. Après ils m'ont relâché. J'ai rejoint Istanbul et, il y a un mois, j'ai trouvé du travail dans cette kargah [usine] de découpe de fourrures pour 200 dollars par mois.

« Beaucoup me disent maintenant que mon avenir serait meilleur en Europe et d'autres sont déjà partis. Je pense que je vais d'abord rembourser l'argent des passeurs puis je commencerai à économiser pour la prochaine étape de mon voyage… Un jour, bientôt, je voudrais m'arrêter pour mener une vie calme et sûre sans toutes ces aventures. A l'âge de 17 ans, je voudrais vraiment grandir quelque part en Europe. »

Par Alixandra Fazzina