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Parlez, sinon l'eau brisera votre coeur

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Parlez, sinon l'eau brisera votre coeur

Les bénévoles de l'Equipe Hellénique de Secours, lauréats de la distinction Nansen 2016 pour les réfugiés, racontent leur expérience d'une année traumatisante.
23 Septembre 2016 Egalement disponible ici :
Antigioni Piperaki (à gauche) et Panagiotis Konstantaras (à droite) sont bénévoles pour l'Equipe Hellénique de Secours de Lesbos, en Grèce.

LESBOS, Grèce – Dans une petite taverne qui surplombe la côte de Lesbos, Panagiotis Konstantaras et Antigoni Piperaki prennent une courte pause dans leurs missions de bénévoles au sein de l’Equipe Hellénique de Secours (HRT) pour revenir sur une année qu’ils n’oublieront jamais.

« Nous faisons des exercices avec cinq ou dix personnes à bord », explique Antigoni, en hochant la tête. « Mais quand vous voyez un bateau avec 50 personnes, vous vous dites ‘Que dois-je faire maintenant ?’ A ce moment-là, vous ne savez pas quoi penser ».

Ce binôme a fait partie d’une équipe de sauveteurs de HRT qui est intervenue ici au plus fort de la crise des réfugiés en 2015 au cours de laquelle les nouvelles arrivées sur la seule île de Lesbos ont atteint 10 000 personnes par jour. Les bénévoles ont passé la plupart de l’année en alerte maximale, allant souvent au-delà de leur devoir pour secourir des réfugiés échoués en mer. Beaucoup, comme Panagiotis et Antigoni, ont travaillé jour et nuit, jonglant entre des emplois à temps plein ou des études et des missions de sauvetage, disposant de ressources limitées et recevant souvent des appels des garde-côtes au petit matin.

« Début mars, les chiffres ont commencé à beaucoup augmenter »

Panagiotis est un agriculteur qui intervient également comme plongeur bénévole pour HRT à Lesbos. Il se souvient du moment où l’année 2015 a commencé à prendre une mauvaise tournure.

« Début mars, les chiffres ont commencé à beaucoup augmenter », dit-il.

« Il y avait environ dix bateaux des garde-côtes. Mais cela ne suffisait pas. Parce que de 6h à 10h du matin, nous avions 35 ou 40 bateaux remplis de réfugiés ».

Panagiotis Konstantaras, membre de l'Equipe Hellénique de Secours à Lesbos.

Au fur et à mesure que l’année avançait, la situation s’aggravait.

« Il y avait parfois de gros bateaux et ils étaient impropres à la navigation  », poursuit-il. « Ils étaient en bois, en vieux bois. Et à l’intérieur il y avait 200 personnes. En 2015, nous avons eu un gros accident impliquant un bateau de trois niveaux avec des personnes sur chacun d’eux. Quand il a fait naufrage, elles ont soudainement été écrasées. Et pendant une semaine, nous avons repêché des cadavres ». Il soupire. « Je ne ressens plus rien. J’essaie de ne pas voir les visages ».

Antigoni, une mère de famille qui dirige l’équipe de HRT sur Lesbos et travaille pour une association pharmaceutique, affirme que beaucoup de bénévoles ont connu une année traumatisante en mer. « A chaque fois que vous pensez à 2015, vous voyez des cadavres », dit-elle. « La plupart des personnes ont des souvenirs de ce type. Mon mari a trouvé le corps d’un bébé en novembre et, chaque jour, il serrait notre fille de neuf mois dans ses bras pendant près de quatre heures. Il ne pouvait pas la laisser ».

« Tous les pays doivent essayer de résoudre les problèmes en Syrie, au Pakistan et en Afghanistan »

Mais souvent les bénévoles de HRT ont puisé des forces les uns dans les autres. « Parlez », conseille Panagiotis. « Sinon l’eau brisera votre cœur ».

Des milliers de bénévoles grecs comme Panagiotis et Antigoni ont aidé à redonner espoir en 2015, sans reconnaissance ni récompense. Beaucoup étaient guidés par un sens du devoir envers leurs semblables – une réaction que les Grecs appellent ‘philoxenia’.

« J’avais une sœur atteinte de mucoviscidose », déclare Antigoni. « Elle est décédée à l’âge de 28 ans. Je pense que parce que ma mère et mon père ont toujours aidé ma sœur, j’ai reçu cela en héritage et je veux aider les autres – pas seulement ceux qui souffrent de mucoviscidose, mais de tout type de problèmes, argent, nourriture ou autre. Ma sœur ne partage plus ma vie maintenant mais je peux aider les réfugiés qui arrivent. Il y a toujours un problème plus important que le mien ».

Antigoni espère qu’un jour les dirigeants politiques partageront cette vision.

Antigoni Piperaki, capitaine d'un bateau de l'Equipe Hellénique de Secours à Lesbos.

« Tous les pays doivent essayer de résoudre les problèmes en Syrie, au Pakistan et en Afghanistan », dit-elle. « Ce n’est pas ‘Je reste ici, je n’ai pas de problèmes actuellement et vous n’avez qu’à résoudre vos problèmes tout seuls’. C’est le problème de tout le monde – parce qu’aujourd’hui ça se passe en Syrie, mais peut-être que demain ce sera en Angleterre. Tout est lié ».

Pour l’instant, son travail et celui des autres bénévoles de HRT se poursuivent sans relâche.

« Je regarde les membres de mon équipe et je me dis ‘Si je m’arrête maintenant, les nouveaux n’auront pas autant d’expérience que moi. Je vais rester encore une année et les aider à faire mieux’. Et peut-être que le reste de la Grèce fait mieux ».