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Le recensement sort les familles autochtones de l'ombre

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Le recensement sort les familles autochtones de l'ombre

La campagne d'enregistrement lancée conjointement par le Costa Rica et le Panama permet à des milliers de Ngäbe-Buglé menacés d'apatridie d'accéder aux soins de santé et à l'éducation.
29 Janvier 2018 Egalement disponible ici :

Enceinte, Teresa vivait parmi les siens sur les hauts plateaux du Costa Rica et se sentait de plus en plus faible à mesure que sa grossesse progressait.


« J'étais enceinte de deux mois quand j'ai commencé à me sentir mal. Je ne pouvais plus marcher ou faire quoi que ce soit », se souvient la jeune femme de 23 ans, qui vivait, comme elle l’a découvert par la suite, avec une leucémie non diagnostiquée qui mettait sa vie gravement en danger.

« Du jour au lendemain… je ne pouvais plus manger, je m'évanouissais et je ne pouvais même plus marcher… j'étais maigre comme un clou. »

Teresa appartient à la communauté des Ngäbe-Buglé, un peuple autochtone traditionnel dont les terres se trouvent dans ce qui est aujourd'hui le Costa Rica et le Panama en Amérique centrale.

Née au Panama, où sa naissance n'a jamais été enregistrée, elle a vécu sans documents au Costa Rica voisin depuis que sa famille a traversé la frontière pour faire la cueillette du café lorsqu’elle avait 14 ans. S’affaiblissant davantage de jour en jour, elle n'avait pas accès aux soins médicaux dont elle avait besoin mais, heureusement, elle a pu trouver de l'aide.

Une équipe de terrain qui veille à ce que les familles autochtones vivant de part et d'autre de la frontière ne passent pas entre les mailles du filet de l'aide sociale a pris contact avec Teresa. Ils ont constaté qu'il fallait établir sa nationalité panaméenne et un assistant l'a aidée à obtenir la documentation requise.

« Je m'évanouissais et je ne pouvais même pas marcher… Ils sont venus à la maison et m'ont aidée pour les papiers. »

« Ils sont venus à la maison et m'ont aidée pour les papiers », explique-t-elle. Dès qu’elle a obtenu le statut de résidente permanente au Costa Rica, elle a rapidement été inscrite dans le système national de soins de santé et prise en charge à l'hôpital de San Jose, la capitale du Costa Rica.

Après une greffe de moelle osseuse et une chimiothérapie, Teresa est de retour chez elle où elle vit avec son fils, qui a deux ans maintenant, ainsi qu’avec sa famille élargie.

Quelque 250 000 Ngäbe-Buglé vivent dans le nord-ouest du Panama et environ 15 000 d’entre eux traverseraient clandestinement la frontière pour travailler dans le sud du Costa Rica pendant la récolte du café.

Teresa fait partie des milliers d'autochtones qui profitent de l'initiative prise par l'état civil du Costa Rica et son équivalent au Panama, avec l'appui du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

Norberto Andrade, 28 ans, avec ses proches, Pablo, quatre ans (à gauche) et Moïse, neuf ans (à droite) dans la ferme où ils vivent et travaillent dans les hauts plateaux du sud-est du Costa Rica.

Les employés sur le terrain, qui mettent en œuvre cette initiative connue localement sous le nom de ‘projet Chiriticos’, se rendent à moto, en voiture et parfois à pied dans des zones reculées des deux côtés de la frontière où les familles ngäbe-buglé travaillent comme cueilleurs de café migrants dans les riches terres agricoles des hauts plateaux.

Depuis les débuts du projet en 2014, ces agents ont pris contact avec plus de 19 370 personnes. S’ils ont pu établir que la plupart d'entre eux étaient citoyens du Panama ou du Costa Rica, ils ont identifié et aidé plus de 3 600 personnes menacées d'apatridie parce qu'elles n'étaient inscrites dans aucun des deux pays.

« Il y avait énormément d'enfants qui n’avaient pas droit aux soins de santé, à l'éducation ou à une identité », explique Eduardo Salazar, un fonctionnaire du Costa Rica qui dirige l'état civil du Tribunal électoral suprême à San Vito, et qui a lancé sa septième initiative de prise de contact à la fin 2017.

L'objectif du projet est de leur conférer un statut légal en les enregistrant soit au Costa Rica soit au Panama pour qu'ils aient accès aux services d'un côté ou de l'autre de la frontière, ajoute-t-il.

Les populations autochtones souffrent d’une pauvreté intergénérationnelle, d'une forte mortalité infantile et de maladies telles que le VIH et la tuberculose, expliquent les agents de la santé.

« Sans papiers, ils ne peuvent obtenir ni document scolaire ni bourse pour poursuivre leur éducation. »

Pour leur permettre de participer à la vie de leurs pays, les deux gouvernements leur délivrent des actes de naissance à posteriori, en utilisant par exemple des certificats de vaccination pour établir leur identité.

« Dans le cas de Teresa, l'inscription lui a sauvé la vie », explique le Dr Pablo Ortiz, ancien directeur de la santé de la région, qui travaille auprès des groupes autochtones depuis plus de trente ans.

Ce programme est également vital pour les enfants, puisqu'il leur permet de s'inscrire à l'école, de se former dans le système éducatif, de jouir du droit au travail lorsqu’ils entrent dans la vie active et de voter, expliquent Eduardo Salazar et Pablo Ortiz.

« Sans papiers, ils ne peuvent obtenir ni document scolaire ni bourse pour poursuivre leur éducation. Ils n'ont pas accès non plus au programme qui aide ceux dont les ressources sont limitées à obtenir un acompte pour l'achat d'une maison. Ils restent en marge de la société. »

L'initiative d'inscription, qui existe depuis quatre ans, permet aussi d’établir un climat de confiance avec les autochtones dont bon nombre, comme l’ouvrier agricole Noberto Andrade, ont vécu toute leur vie en marge de la société. Avant d'obtenir ses papiers d’identité costaricaine, cet homme de 27 ans se sentait « comme un chien errant ».

« Maintenant que j'ai des documents d’identité, je me sens libre. J'ai des papiers que je peux montrer au travail. »

« Il fallait se cacher, si la police posait des questions », raconte-t-il, bavardant dans une baraque au toit de tôle dans la plantation de café où il travaille, à quelques kilomètres de la frontière du Panama. « Mais maintenant que j'ai des documents d’identité, je me sens libre. J'ai des papiers que je peux montrer au travail. »

Il est plein d'espoir pour l'avenir de ses deux fillettes, âgées d'un et trois ans, et qui ont toutes deux un acte de naissance. « Elles sont nées ici et dorénavant, leur avenir est ici. Elles peuvent aller à l'école, se former et avancer dans la vie, devenir des femmes importantes. »

Son père, Don Martin Andrade, est également ravi des opportunités qui se présentent dorénavant à lui, à ses enfants, et à ses petits-enfants, depuis qu'ils ont reçu leurs papiers d'identité.

« Ils nous ont donné le droit de vote… nous sommes inscrits sur la liste électorale », dit-il en ajoutant qu'il veut voter aux prochaines élections.

Plus de 10 millions de personnes dans le monde n'ont pas de nationalité et vont par conséquent d'obstacle en déception tout au long de leur vie. Eduardo Salazar pense que l'approche coopérative pratiquée dans la zone frontalière entre le Costa Rica et le Panama pourrait être appliquée à d'autres pays.

« Ça ne coûte pas plus cher qu'une moto et un peu de carburant », explique-t-il. « Ce projet pourrait être répliqué n'importe où. Il s'agit d'un simple problème d'identification, du risque d'apatridie. Il y a moyen de traiter ce problème de manière systématique. »

Don Martin Andrade, le chef de famille, est installé dans un hamac à la ferme où sa famille vit et travaille sur les hauts plateaux du sud-est du Costa Rica. À ses côtés, Moïse (à g.) et Pablo (à d.).