AFFAIRE NOTTEBOHM
(LIECHTENSTEIN c. GUATEMALA)

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
1955 LE 6 AVRIL Rôle général n°18
ANNEE 1955
6 avril 1955

DEUXIEME PHASE

Instance introduite par requête. – Exception d'irrecevabilité.- Conclusions finales des Parties.- Nationalité comme condition de l'exercice de la protection diplomatique et de l'action judiciaire internationale. – Loi du Liechtenstein sur la nationalité du 4 janvier 1934.- Naturalisation en Liechtenstein.- Compétence nationale en matière de nationalité. – Non-reconnaissance par le Guatemala de la nationalité acquise au Liechtenstein par naturalisation.- Conditions requises pour que la nationalité conférée par un Etat à un individu soit opposable à un autre Etat et donne titre à l'exercice de la protection à l'égard de celui-ci. – Caractère effectif de la nationalité - Rattachement de fait du naturalisé à l'Etat qui a conféré la naturalisation.

ARRET

Présents: Mr. HACKWORTH, Président; M. BADAWI, Vice - Président; MM. BASDEVANT, ZORICIC, KLAESTAD, READ, HAU MO, ARMAND-UGON, KOJEVNIKOV, Sir Muhammad ZAFRULLA KHAN, MM. MORENO QUINTANA, CORDOVA, Juges; MM. GUGGENHEIM et GARCIA BAUER, juges ad HOC; M. LOPEZ OLIVAN, Greffier. En l'affaire Nottebohm,
entre la Principauté de Liechtenstein, Représentée par M. Erwin H. Loewenfeld, LL. B., Sloicitor à la Cour suprême, comme agent,
assisté de
M. Georges Sauser-Hall, professeur honoraire aux Universités de Genève et de Neuchâtel,
M. James E. S. Fawcett, D.S.C., membre du barreau d'Angleterre,
M. Kurt Lipstein, Ph. D., membre du barreau d'Angleterre,
Comme conseils,
et
la République du Guatemala, Représentée par M:V.S. Pinto J., ministre plénipotentiaire, Comme agent,
assisté de
Me Henri Rolin, professeur de droit à l'Université libre de Bruxelles, M. Adolfo Molina Orantes, doyen de la faculté des sciences juridiques de l'Université de Guatemala, comme conseils,
et de
Me A. Dupont-Willemin, avocat du barreau de Genève,
comme secrétaire, LA COUR,
ainsi composée, Rend l'arrêt suivant: Par arrêt du 18 novembre 1953, la Cour a rejeté l'exception préliminaire opposée par le gouvernement de la république du Guatemala à la requête du Gouvernement de la Principauté de Liechtenstein. La Cour a en même temps fixé des délais pour la suite de la procédure écrite sur le fond, délais qui furent ultérieurement prorogés par ordonnances du 15 janvier du 8 mai et du 13 septembre 1954. L'affaire dans sa deuxième phase s'est trouvée En état le 2 novembre 1954, date du dépôt de la duplique du gouvernement du Guatemala. Des audiences ont été tenues les 10,11, 14 à 19, 21 à 24 février, 2, 3, 4,7, et 8 mars 1955. La Cour comptait sur le siège M. Paul Guggenheim, professeur à l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, membre de la cour permanente d'arbitrage, désigné comme juge ad hoc par le gouvernement de Liechtenstein, et M. Carlos Garcia Bauer, professeur à l'Université de San Carlos, ancien Président de la délégation du Guatemala à l'Assemblée générale des Nations Unies, désigné comme juge ad hoc par le Gouvernement du Guatemala. L'agent du Gouvernement du Guatemala ayant déposé un certain nombre de documents nouveaux après la fin de la procédure écrite et la Partie adverse n'y ayant pas donné son assentiment, la Cour, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, de son Règlement, avait à se prononcer, après avoir entendu les parties. Aux audiences du 10 et du 11 février 1955, ont pris la parole à ce sujet MM. Loewenfeld et Fawcett, au nom du gouvernement de Liechtenstein et M. Rolin, au nom du Gouvernement du Guatemala. La décision de la cour a été prononcée à l'ouverture de l'audience du 14 février 1955. Prenant acte de ce qu'au cours des audiences, l'assentiment de l'agent du Gouvernement de Liechtenstein a été donné à la production de certains des nouveaux documents; tenant compte des circonstances particulières qui ont entouré la recherche, la classification et la présentation des documents pour lesquels cet assentiment n'a pas été donné, la Cour autorise la production de l'ensemble des documents et réserve à l'agent du gouvernement de Liechtenstein le droit de se prévaloir, s'il le désire, de la faculté prévue à l'article 48, paragraphe 2, du Règlement, après avoir entendu l'exposé de l'agent du gouvernement du Guatemala relatif à ces documents et après tel délai que, sur sa demande, la Cour jugerait équitable de lui accorder, Faisant usage de ce droit, l'agent du Gouvernement de Liechtenstein a déposé des documents le 26 février 1955. A l'audience du 14 février 1955 et à celles qui ont suivi, la Cour a entendu, en leurs plaidoiries et réponses: au nom du gouvernement de Liechtenstein, MM. Loewenfeld, Sauser-Hall, Fawcett et Lipstein; au nom du gouvernement du Guatemala, MM. Pinto, Rolin et Molina. Les conclusions ci-après ont été prises par les Parties:

Au nom du Gouvernement de Liechtenstein:

dans le mémoire:

"Le gouvernement du Liechtenstein demande à la Cour de dire et juger que:

1. Le Gouvernement du Guatemala, en arrêtant, en détenant, en expulsant et en refusant de réadmettre M. Nottebohm et en saisissant et retenant les biens de celui-ci sans indemnité, a agi en violation des obligations que lui impose le droit international et en conséquence d'une manière qui exige réparation.

2. Pour arrêt injustifié, détention, expulsion et refus de réadmettre M. Nottebohm, le Gouvernement du Guatemala devrait verser au Gouvernement du Liechtenstein:

i)des dommages et intérêts spéciaux, selon les renseignements obtenus jusqu'à présent, qui ne soient pas inférieurs à 20,000 francs suisses;

ii)des dommages t intérêts généraux, se montant à 645.000 francs suisses.

3. en ce qui est de la saisie et de la rétention des biens de M. Nottebohm, le gouvernement du Guatemala devrait présenter un compte des bénéficies rapportés par les diverses parties des biens, depuis les dates auxquelles elles ont été saisies, et devrait verser l'équivalent en francs suisses, avec intérêt à 6%, à partir de la date d'accumulation de toutes sommes que révélerait ce compte comme étant dues par le Gouvernement du Guatemala. En outre, ce gouvernement devrait verser des dommages et intérêts, évalués actuellement à 300.000 francs suisses par an, représentant le revenu supplémentaire que, de l'avis de la cour, les biens auraient rapporté s'ils étaient demeurés sous le contrôle de leur propriétaire légal.

4. En outre, le Gouvernement du Guatemala devrait restituer à M. Nottebohm tous les biens saisis et retenus par lui, en fournissant des dommages et intérêts pour la détérioration desdits biens. A titre d'alternative, il devrait verser au Gouvernement du Liechtenstein la somme de 6.510.596 francs suisses, représentant la valeur marchande actuellement attribuée aux biens saisis s'ils avaient été conservés dans leur état primitif. "

dans la réplique:

"Plaise à la cour, dire et juger, Sur la défense de non-recevabilité de la réclamation du Liechtenstein relative à M. Nottebohm:

1)qu'un différend existe entre le Liechtenstein et le Guatemala, que ce différend fait l'objet de la requête présentée à la Cour par le Gouvernement de Liechtenstein et que ce différend est susceptible d'être déféré pour jugement à la Cour sans autres échanges ou négociations diplomatiques entre les Parties;

2)que la naturalisation de M. Nottebohm au Liechtenstein, le 20 octobre 1939, a été accordée conformément au droit interne du Liechtenstein, et n'était pas contraire au droit international et qu'en conséquence M. Nottebohm était, à partir de cette date, dépouillé de sa nationalité allemande et que la réclamation du Liechtenstein pour le compte de M. Nottebohm comme ressortissant du Liechtenstein est recevable devant la Cour;

3)que la défense du Guatemala tirée du non-épuisement des recours internes par M. Nottebohm est écartée par la prorogation, dans le cas actuel, de la compétence de la Cour, ou subsidiairement que la défense vise réellement non pas la recevabilité de la réclamation du Liechtenstein pour son compte, mais le fond de la réclamation;

4)qu'en tout état de cause M. Nottebohm a épuisé tous les recours internes au Guatemala qu'il a été en mesure ou requis d'épuiser, en vertu du droit interne du Guatemala et du droit international.

Quant au fond de sa réclamation, le Gouvernement du Liechtenstein répète les conclusions finales énoncées dans son mémoire, page 51, et, par référence aux paragraphes 2, 3 et 4 de ces conclusions finales, demande en outre à la Cour de prescrire, en vertu de l'article 50 du Statut, toute enquête nécessaire pour examiner le compte des bénéfices et l'évaluation des dommages."

à titre de conclusions finales, énoncées à l'audience du 4 mars 1955:

"Plaise à la Cour,

I.Sur les fins de non recevoir visant la réclamation du Liechtenstein relative à M. Frédéric Nottebohm:

I)dire et juger qu'un différend existe entre le Liechtenstein et le Guatemala, que ce différend fait l'objet de la requête présentée à la Cour par le gouvernement de Liechtenstein et que ce différend est susceptible d'être déféré pour jugement à la Cour sans autre communication diplomatique ou négociations entre les parties;

2)dire et juger que la naturalisation de M. Frédéric Nottebohm obtenue au Liechtenstein le 13 octobre 1939 n'était pas contraire au droit international et que la réclamation du Liechtenstein pour le compte de M. Nottebohm en tant que ressortissant du Liechtenstein est recevable devant la Cour;

3)dire et juger:

a)qu'en ce qui est de la personne de M. Frédéric Nottebohm, celui-ci a été empêché d'épuiser les recours internes et qu'en tout cas ces recours auraient été sans effet;

b)

aa) qu'en ce qui est des biens à propos desquels il n'a pas été rendu de décision par le ministre à la suite de la demande d'exonération introduite par M. Frédéric Nottebohm, celui-ci a épuisé les recours qui lui étaient ouverts au Guatemala et qu'il était tenu d'épuiser en vertu du droit interne du Guatemala et du droit international;

bb) qu'en ce qui est des biens à propos desquels une décision a été rendue par le ministre, M. Frédéric Nottebohm n'était pas tenu, en vertu du droit international, d'épuiser les recours internes;

4)pour le cas où la Cour n'accepterait pas la conclusion 3)ci-dessus

de déclarer néanmoins que la réclamation est recevable, attendu que les faits démontrent une violation du droit international par le Guatemala dans la manière dont la personne et les biens de M. Frédéric Nottebohm ont été traités.

II.Sur le fond de la réclamation:

5)d'ajourner la procédure orale pour au moins trois mois, pour permettre au gouvernement de Liechtenstein d'obtenir et de réunir des documents à l'appui de commentaires sur les nouveaux documents produits par le Gouvernement du Guatemala;

6)d'inviter le Gouvernement du Guatemala à produire l'original ou une copie certifiée conforme l'original des accords de 1922 mentionnés dans les accords du 8 janvier 1924 (document n VIII) et du 15 mars 1938 (document n XI);

7)de fixer, le moment venu, une date pour compléter la procédure orale sur le fond;

8)pour le cas où la Cour ne rendrait pas l'ordonnance demandée dans les points 5) à 7), le Gouvernement de Liechtenstein réitère les conclusions finales énoncées à la page 51 de son mémoire et, se référant aux paragraphes 2,3 et 4 de ces conclusions finales, demande en outre à la cour d'ordonner, par application de l'article 50 du Statut, telle enquête qui serait nécessaire sur les comptes des bénéfices et l'évaluation des dommages."

Au nom du gouvernement du Guatemala:

Dans le contre-mémoire:

"Plaise à la Cour, sous toutes réserves et sans reconnaissance préjudiciable, Quant à la recevabilité:
déclarer la Principauté de Liechtenstein non recevable dans sa demande

Ià raison du défaut de négociations diplomatiques préalables;

2parce qu'elle n'a pas fait la preuve que le sieur Nottebohm pour la protection duquel elle agit a régulièrement acquis la nationalité liechtensteinoise conformément à la législation de la Principauté;

que cette preuve fût-elle fournie, les dispositions légales dont il aurait été fait application ne peuvent être considérées comme conformes au droit des gens;

et que de toute façon le sieur Nottebohm apparaît comme n'ayant pas, du moins, valablement, perdu la nationalité allemande;

3à raison du non-épuisement des voies de recours interne par ledit sieur Nottebohm;

Subsidiairement au fond:
Dire pour droit que ni dans les mesures législatives du Guatemala dont il a été fait application au sieur Nottebohm, ni dans les mesures administratives ou judiciaires prises à son égard en exécution desdites lois, n'a été établie de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat défendeur à l'égard de la Principauté de Liechtenstein; En conséquence débouter la Principauté de Liechtenstein de sa demande; Plus subsidiairement quant au montant des indemnités postulées: Dire n'y avoir lieu à dommages-intérêts que relativement à l'expropriation des biens personnels de Friedrich Nottebohm, à l'exclusion des parts qu'il possédait dans la société Nottebohm Hermanos; Dire également que le Gouvernement du Guatemala sera déchargé de toute responsabilité en procédant conformément aux dispositions du décret n 900 contenant la loi sur la réforme agraire,"

dans la duplique:

"Plaise à la Cour, sous toutes réserves et sans reconnaissance préjudiciable, quant à la recevabilité:
déclarer la Principauté de Liechtenstein non recevable dans sa demande

Ià raison du défaut de négociations diplomatiques préalables.

Subsidiairement quant à ce:
La déclarer non recevable de ce chef tout au moins dans sa demande relative à la personne de Friedrich Nottebohm

2à raison de l'absence de nationalité liechtensteinoise dans le chef de Nottebohm.

Subsidiairement quant à ce:
Ordonner au Liechtenstein de produire en original les documents d'archives de l'administration centrale et de l'administration communale de Mauren ainsi que les procès-verbaux de la Diète ayant trait à la naturalisation de Nottebohm

3à raison du défaut d'épuisement préalable des voies de recours interne.

Subsidiariement quant à ce:
Déclarer le moyen fondé tout au moins en ce qui concerne la réparation des dommages prétendûment infligés à la personne de Nottebohm et des expropriations d'autres biens que ses biens immeubles et ses parts dans les immeubles inscrits au nom de la société Nottebohm Hermanos.

Subsidiairement au fond:
dire pour droit que les lois du Guatemala dont il été fait application au sieur Nottebohm n'ont violé aucune règle de droit des gens et qu'aucune faute n'à été établie à charges des autorités guatémaltèques dans leur conduite à son égard de nature à engager la responsabilité de l'Etat défendeur;

en conséquence débouter le Liechtenstein de sa demande.

Plus subsidiairement au cas où une expertise serait ordonnée pour déterminer le montant des réparations:
dire pour droit que ce montant devrait être calculé dans le respect de la législation guatémaltèque, soit le décret 529 et pour certains immeubles la loi de réforme agraire."

à titre de conclusions finales, énoncées à l'audience du 7 mars 1955:

"Plaise à la Cour, sous toutes réserves et sans reconnaissances préjudiciables, quant à la recevabilité:
déclarer la Principauté de Liechtenstein non recevable dans sa demande

I)à raison de l'absence de négociations diplomatiques préalables entre la Principauté de Liechtenstein et le Guatemala ayant fait apparaître avant le dépôt de la requête introductive d'instance l'existence d'un différend entre les deux Etats;

Subsidiairement quant à ce:
Déclarer la Principauté non recevable de ce chef, tout au moins dans sa demande relative à la réparation des dommages prétendûment causés à la personne de Friedrich Nottebohm;

2)

a)parce que le sieur Nottebohm, pour la protection duquel la Principauté de Liechtenstein se présente devant la Cour, n'a pas régulièrement acquis la nationalité liechtensteinoise conformément à la législation de la Principauté;

b)parce que la naturalisation n'a pas été accordée au sieur Nottebohm en conformité avec les principes généralement reconnus en matière de nationalité;

c)et parce que, de toute façon, le sieur Nottebohm apparaît comme ayant sollicité la nationalité liechtensteinoise frauduleusement, c'est-à-dire dans l'unique but d'acquérir le statut d'un ressortissant neutre avant de retourner au Guatemala et sans désir sincère d'établir entre la Principauté et lui un lien durable exclusif de la nationalité allemande;

subsidiairement quant à ce:
inviter le Liechtenstein à produire à la Cour dans le délai que celle-ci fixera tous documents d'archives originaux ayant trait à la naturalisation de Nottebohm et notamment les convocations des membres de la Diète à la séance du 14 octobre 1939 et celles de l'assemblée des citoyens de Mauren du 15 octobre 1939, les ordres du jour et les procès-verbaux desdites séances, ainsi que l'acte d'octroi de naturalisation que son Altesse le Prince régnant aurait revêtu de sa signature;

3)à raison du non-épuisement par Friedrich Nottebohm des voies de recours internes qui lui étaient offertes par la législation guatémaltèque tant en ce qui concerne sa personne que ses biens, et ce alors même qu'il s'avérerait que les critiques dirigées contre le Guatemala auraient pour objet de prétendues violations initiales du droit international;

Subsidiairement quant à ce:
déclarer le moyen fondé tout au moins en ce qui concerne la réparation des dommages prétendûment infligés à la personne de Nottebohm, ainsi qu'aux biens autres que ses biens immeubles ou les parts qu'il aurait possédées dans les immeubles inscrits au nom de la société Nottebohm Hermanos;

très subsidiairement au fond:
dire n'y avoir pas lieu à ordonner le complément d'instruction proposée alors qu'il incombait à la Principauté de faire elle-même et d'initiative la lumière sur la nature des intérêts de Friedrich Nottebohm dans la société Nottebohm Hermanos et sur les modifications apportées successivement au statut de cette société et à ses relations directes ou indirectes avec la société Nottebohm et C de Hambourg;

dire pour droit qu'aucune violation du droit international par le Guatemala à l'égard du sieur Nottebohm n'a été établie, pas plus en ce qui concerne les biens de Nottebohm que sa personne;

plus spécialement quant à la liquidation de ses biens, dire que le Guatemala n'était pas tenu de considérer la naturalisation de Friedrich Nottebohm dans la Principauté de Liechtenstein comme lui étant opposable et de nature à faire obstacle dans les circonstances de la cause à ce qu'il soit traité en sujet ennemi;

en conséquence, débouter le Liechtenstein de sa demande et de ses diverses conclusions;

en ordre tout à fait subsidiaire quant au montant des indemnités postulées:

donner acte au Guatemala qu'il conteste formellement les évaluations proposées, qui sont sans aucune justification sérieuse:"

La requête déposée le 17 décembre 1951, au nom du Gouvernement de Liechtenstein, a introduit devant la Cour une instance tendant au redressement et à la réparation de "mesures contraires au droit international" que ce Gouvernement dit avoir été prises par le Gouvernement du Guatemala "contre la personne et les biens de M. Friedrich Nottebohm, ressortissant du Liiechtenstein". Dans son contre-mémoire, le Gouvernement du Guatemala a soutenu que cette demande était irrecevable et cela à plusieurs titres, l'une de ses exceptions d'irrecevabilité se référant à la nationalité de celui pour la protection duquel le Liechtenstein a saisi la Cour.

Il apparaît à la cour que ce moyen d'irrecevabilité a une importance primordiale et qu'il convient, en conséquence, de l'examiner tout d'abord. Le Guatemala se réfère à un principe bien établi du droit international qu'il a entendu énoncer dans son contre-mémoire, en disant: "c"est le lien de nationalité entre l"Etat et l"individu qui seul donne à l"Etat le droit de protection diplomatique". il a emprunté cette phrase à un arrêt de la Cour permanente de Justice internationale (série A/B, n76,p.16) qui se réfère à cette forme de protection diplomatique qu'est l'action judiciaire internationale. Le Liechtenstein estime agir en conformité de ce principe et il invoque que Nottebohm est son ressortissant en vertu de la naturalisation qui lui a été conférée. Nottebohm est né à Hambourg le 16 septembre 1981. Allemand d'origine, il avait encore cette nationalité au moment où, en octobre 1939, il a demandé sa naturalisation au Liechtenstein. En 1905 il se rend au Guatemala. Il y établit son domicile et le siège de ses affaires qui deviennent importantes et prospères; celles-ci se développent dans le commerce, la banque et les plantations. Simple employé dans la maison Nottebohm hermanos fondée par ses frères Juan et Arturo, il devient leur associé en 1912 puis, en 1937, il se trouve placé à la tête de l'affaire. A partir de 1905 il se rend parfois en Allemagne pour des raisons d'affaires ou en d'autres pays pour des vacances. Il conserve en Allemagne des relations d'affaires. Il fait quelques visites à l'un de ses frères, ses parents et amis sont les uns en Allemagne, les autres au Guatemala. Lui-même continue à avoir son domicile au Guatemala jusqu'en 1943, c'est-à-dire jusqu'aux événements qui sont à la base du présent litige. En 1939, après avoir pourvu à la sauvegarde de ses intérêts au Guatemala par une procuration donnée, le 22 mars, à la société Nottebohm Hermanos, il quitte ce pays à une date que le conseil du Liechtenstein fixe approximativement à la fin de mars ou au commencement d'avril , date à laquelle il semble s'être rendu à Hambourg, puis avoir fait quelques brefs séjours à Vaduz où il se retrouve au début d'octobre 1939. C'est alors que, le 9 octobre, un peu plus d'un mois après l'ouverture de la seconde guerre mondiale marquée par l'attaque de la Pologne par l'Allemagne, son fondé de pouvoir, le Dr Marxer, présente, au nom de Nottebohm, une demande de naturalisation. La loi du Liechtenstein du 4 janvier 1934 détermine les conditions requises pour la naturalisation des étrangers, et spécifie les justifications à présenter, les engagements à prendre, les organes compétents pour en décider ainsi que la procédure à suivre. Cette loi exige entre autres, d'un manière impérative, que le candidat à la naturalisation prouve: I "que la bourgeoisie (Heimatverband) d"une commune liechtensteinoise lui est promise pour le cas où il viendrait à acquérir la nationalité liechtensteinoise"; 2 qu'il perdra son ancienne nationalité par le fait de sa naturalisation, cette exigence pouvant toutefois faire l'objet d'une dispenses sons certaines conditions. Elle pose également comme condition l'exigence d'un domicile légal sur le territoire de la Principauté depuis au moins trois ans, ajoutant ici toutefois que, "dans des cas particulièrement dignes d"intérêt et à titre exceptionnel cette condition peut ne pas être exigée". En outre, le candidat à la naturalisation doit présenter certaines pièces parmi lesquelles: l'attestation d'un domicile légal sur le territoire de la Principauté, un certificat de bonnes moeurs délivré par l'autorité compétente du domicile, des documents concernant sa fortune et ses revenus et, s'il n'a pas de domicile légal dans la Principauté, la preuve qu'il a conclu une convention avec l'administration des contributions publiques "sur avis de la commission fiscale de sa commune d"origine présomptive" La loi prescrit également le paiement par le candidat d'une taxe de naturalisation dont le montant est fixé par le Gouvernement princier et s'élève au minimum à la moitié de la finance payée pour l'acquisition de la bourgeoisie d'une commune liechtensteinoise, le promesse de cette acquisition constituant, d'après la loi, une condition mise à l'octroi de la naturalisation. La loi fait apparaître la préoccupation de n'accorder la naturalisation qu'à bon escient en ce qu'elle prescrit expressément de soumettre à un examen les rapports du candidat avec son ancien pays d'origine ainsi que sa situation personnelle et familiale, ajoutant que "la naturalisation est exclue si ses rapports et sa situation sont de sorte qu'il y a lieu de craindre des inconvénients quelconques pour l"Etat du fait de cette naturalisation". Quant à l'examen de la demande par les organes compétents et à la procédure à suivre par eux, la loi dispose que le gouvernement, après avoir examiné la demande et les pièces y annexées et après avoir reçu les renseignements favorables au sujet du candidat, soumet la demande à la Diète. Si celle-ci accepte la demande, le gouvernement présente une proposition en ce sens au Prince régnant qui est seul compétent pour conférer la nationalité liechtensteinoise. Enfin la loi autorise le gouvernement princier, pendant les cinq ans suivant la naturalisation, à retirer la nationalité liechtensteinoise à celui qui l'aurait acquise s'il s'avère que les conditions requises aux termes de la loi n'ont pas été remplies; elle prévoit également qu'il peut retirer la nationalité en tout temps si la naturalisation a été acquise frauduleusement. Tel était le régime légal auquel était soumise une demande de naturalisation lorsque celle de Nottebohm a été présentée. Le 9 octobre 1939, Nottebohm "résidant au Guatemala depuis 1905 (actuellement en visite chez son frère Hermann Nottebohm à Vaduz)" présenta une demande de naturalisation en Liechtenstein et en même temps d'admission préalable à la bourgeoisie de la commune de mauren. Il demande à être dispensé de la condition de domicile de trois ans exigée par la loi, sans énoncer de circonstances exceptionnelles de nature à justifier cette dispense. Il présente une déclaration du Crédit Suisse à Zürich au sujet de ses avoirs et prend l'engagement de payer 25.000 francs suisses à la commune de Mauren et 12.500 francs suisses à l'Etat, à quoi s'ajoutera le paiement des frais de procédure. Il énonce, d'autre part, avoir passé "convention avec les autorités fiscales du gouvernement en vue de la passation d"un accord formel aux termes duquel il paiera impôt annuel de naturalisation de 1.000 francs suisses, dont 600 francs suisses sont payables à la commune de Mauren et 400 francs suisses à la Principauté de Liechtenstein, sous la réserve que le paiement de ces taxes viendrait en compensation des impôts ordinaires qui seraient dus si le demandeur fixait sa résidence dans l"une des communes de la Principauté" Il prend, en outre, l'engagement de fournir une garantie financière d'un montant de 30.000 francs suisses. Il donne, d'autre part, des indications générales sur la fortune qu'il possède et fait entrevoir qu'il ne tombera jamais à la charge de la commune dont il demande à acquérir la bourgeoisie. Enfin il demande "que la procédure de naturalisation soit ouverte et menée à bonne fin sans retard devant le Gouvernement de la Principauté et devant la commune de Mauren, que la demande soit alors soumise à la Diète avec favorable et enfin qu'elle soit soumise avec toute la diligence nécessaire à Son Altesse le Prince régnant". Sur l'original de cette demande écrite à la machine, original dont il a été produit une photocopie, on peut remarquer que le nom de la commune de Mauren et le montant des sommes à verser ont été ajoutés à la main. Ce qui a donné lieu à discussion entre les conseils des Parties. On y trouve, d'autre part, mention avec la date du 13 octobre 1939 d'un "Vorausverständnis" obtenu du Prince régnant, que le Liechtenstein interprète comme désignant la décision portant naturalisation, sens qui, cependant, a été mis en doute. Enfin, à la demande se trouve jointe une feuille blanche revêtue de la signature du Prince régnant, "Franz Josef", sans date ni autre explication. Un document du 15 octobre 1939 certifie qu'à cette date la commune de Mauren a accordé le privilège de sa bourgeoisie à Nottebohm avec prière adressée au Gouvernement de transmettre à la Diète pour approbation. Un certificat du 17 octobre 1939 constate le paiement des taxes exigées de Nottebohm. Le 20 octobre 1939 Nottebohm prêts serment civique et le 23 octobre un arrangement final concernant les taxes et les impôts est conclu. Tels ont été les actes de la procédure de naturalisation concernant Nottebohm. Il a été produit également un certificat de nationalité signé au nom du gouvernement de la Principauté, en date du 20 octobre 1939, attestant que Nottebhohm a été naturalisé par décision suprême du Prince régnant en dat4e du 13 octobre 1939. Muni d'un passeport liechtensteinois, Nottebohm le fait viser par le consul général du Guatemala à Zürich le Ier décembre 1939 et retourne au Guatemala au commencement de l'année 1940; il y reprend ses affaires antérieures et notamment la direction de la maison Nottebohm Hermanos. Invoquant la nationalité ainsi conférée à Nottebohm, le Liechtenstein s'estime fondé à saisir la Cour de sa réclamation concernant celui-ci et ses conclusions finales énoncent deux demandes à ce sujet. Le Liechtenstein demande à la cour de dire et juger premièrement "que la naturalisation de M. Frédéric Nottebohm, obtenue au Liechtenstein le 13 octobre 1939, n"était pas contraire au droit international" et, deuxièmement, "que la réclamation du Liechtenstein pour le compte de M. Nottebohm, en tant que ressortissant du Liechtenstein, est recevable devant la Cour". D'un autre côte, les conclusions finales du Guatemala demandent à la Cour de "déclarer la Principauté de Liechtenstein non recevable dans sa demande" et énoncent plusieurs motifs se référant à la nationalité du Liechtenstein octroyée à Nottebohm par naturalisation. Ainsi, la vraie question soumise à la Cour est celle de la recevabilité de la réclamation du Liechtenstein pour le compte de Nottebohm. La première conclusion du Liechtenstein, mentionnée plus haut, énonce une raison à l'appui d'une décision de la Cour en faveur du Liechtenstein, alors que les divers motifs invoqués par le Guatemala au sujet de la question de la nationalité sont présentés comme des raisons à l'appui de la non-recevabilité de la réclamation du Liechtenstein La tâche actuelle de la Cour est simplement de statuer sur la réclamation du Liechtenstein pour le compte de Nottebohm en se fondant sur telles raisons par elle jugées pertinentes et appropriées. Pour prononcer sur la recevabilité de la requête, la cour doit rechercher si la nationalité que le Liechtenstein a conférée à Nottebohm par une naturalisation intervenue dans les circonstances qui ont été rappelées peut être valablement invoquée à l'égard du Guatemala, si elle donne au Liechtenstein un titre suffisant pour exercer la protection de Nottebohm vis-à-vis du Guatemala et, en conséquence, saisir la Cour d'une réclamation concernant cette personne. Le conseil du Liechtenstein a dit à ce propos: "La question centrale est celle de savoir si M. Nottebohm, ayant acquis la nationalité du Liechtenstein, cette acquisition doit être reconnue par les autres Etats." Cette formule est exacte sous la double réserve qu'il s'agit, d'une part, non d'une reconnaissance à tous les effets mais seulement aux effets de la recevabilité de la requête, d'autre part, d'une reconnaissance non par tous les Etats, mais seulement par le Guatemala. La Cour n'entend pas sortir du cadre limité de la question qu'il lui faut résoudre, à savoir, si la nationalité conférée à Nottebohm peut être invoquée vis-à-vis du Guatemala pour justifier la présente procédure. Elle doit la résoudre sur la base du droit international, ce qui est conforme à la nature de la question posée et à celle de sa propre mission. pour établir que la recevabilité de la requête doit être admise, le Liechtenstein invoque que le Guatemala a reconnu antérieurement ce qu'il conteste aujourd'hui et que cet Etat ne doit pas être admis à prendre ainsi devant la Cour une attitude en contradiction avec son attitude antérieure. Divers actes, faits ou comportements ont été invoqués à cet égard. Il a été invoqué que, le Ier décembre 1939, le consul général du Guatemala à Zürich a revêtu d'un visa de retour au Guatemala le passeport liechtensteinois de Nottebohm; que le 29 janvier 1940, Nottebohm, s'adressant au ministère des Relations extérieures du Guatemala, a déclaré avoir adopté la nationalité liechtensteinoise et a demandé que son inscription sur le Registre des étrangers fût modifiée en conséquence, ce qui lui fut accordé le 31 janvier; que le 9 février 1940, sa pièce d'indentité fût modifiée dans le même sens, enfin qu'un certificat correspondant lui fût délivré le Ier juillet §940 par le Registre civil du Guatemala. Les actes émanant des autorités du Guatemala qui viennent d'être relatés ont été motivés par les déclarations à elles faites par l'intéressé. ils procèdent l'un de l'autre. Le premier n'avait pour objet, ainsi qu'il résulte de l'article 9 de la loi guatémaltèque sur les passeports, que de permettre ou faciliter l'entrée au Guatemala, et rien de plus. Aux termes de la loi sur les étrangers du 25 janvier 1936, article 49, l'inscription sur le Registre "constitue la présomption légale que l"étranger possède la nationalité qu'elle lui attribue, mais la preuve contraire est admise". tous ces actes se réfèrent à la police des étrangers au Guatemala et non à l'exercice de la protection diplomatique. Quand Nottebohm se présente ainsi devant les autorités guatémaltèques, celle-ci ont devant elles une personne privée: il ne s'établit pas par là une relation de Gouvernement à gouvernement. Rien en tout cela ne fait apparaître que le Guatemala ai t alors reconnu que la naturalisation accordée à Nottebohm donnât titre au Liechtenstein pour l'exercice de la protection, Si, dans la requête adressée le 13 septembre 1940 au ministre des Finances et Crédit public par Nottebohm Hermanos au sujet de l'inscription de cette maison sur la liste noire britannique, mention est faite qu'un seul des associés est "ressortissant du Liechtenstein/Suisse", ce point n'y est énoncé que incidemment et toute la requête est fondée sur la considération que cette maison "est une affaire purement guatémaltèque" ainsi que sur celle des intérêts de "l"économie nationale". C'est sur ce plan que la question a été traité sans qu'aucune allusion y soit faite à une intervention du Gouvernement de Liechtenstein à ce moment. Egalement étrangère à l'exercice de la protection est la lettre adressée, le 18 octobre 1943, par le ministre des Relations extérieures au consul de Suisse qui, ayant cru apprendre que les documents d'immatriculation désignaient Nottebohm comme citoyen suisse du Liechtenstein, avait manifesté, dans une note du 25 septembre 1943, son désir d'éclaircir ce point. Il lui fut répondu qu'une telle indication de nationalité suisse ne figurait pas dans ces documents et, bien que le consul eût fait mention de la représentation à l'extérieur des intérêts de la Principauté par les agents de la Confédération, l a réponse ne fit aucune allusion à l'exercice, par ou pour le Liechtenstein, de la protection au profit de Nottebohm. Lorsque, le 20 octobre 1943, le consul de Suisse demande que "Mr. Walter Schellenberg, de nationalité suisse, et M. Federico Nottebohm, du Liechtenstein", qui avaient été transférés à la base militaire des Etats-Unis en vue de leur déportation, soient renvoyés dans leurs foyers, "en tant que citoyens de pays neutres", le ministre des Relations extérieures du Guatemala répond, le 22 octobre, en invoquant que c'est là le fait des autorités des Etats-Unis et sans faire pour sa part aucune allusion à la nationalité de Nottebohm. Dans une lettre du 15 décembre 1944, du consul de Suisse au ministre des Relations extérieures, mention est faite de l'inscription de "Frédéric Nottebohm, national du Liechtenstein" sur les listes noires. Il n'a été produit ni le texte ni une extrait de ces lites, mais cela est sans rapport avec la question en cours d'examen. Le fait important est que le Guatemala a, dans sa réponse du 20 décembre 1944, expressément déclaré ne pas "reconnaître que M. Nottebohm, ressortissant allemand, domicilié au Guatemala, ait reçu la nationalité du Liechtenstein sans avoir en À changer de domicile". la Cour n'a pas à apprécier en ce moment la valeur du motif allégué à l'appui de cette contestation de nationalité et qui a été repris pour justifier le retrait d'immatriculation de Nottebohm en qualité de citoyen du "Condado" de Liechtenstein, il lui suffit de constater qu'elle se trouve là en présence d'une dénégation expresse par le Guatemala de la nationalité liechtensteinoise de Nottebohm. Le nom de Nottebohm ayant été rayé du Registre des étrangers domiciliés, son parent karl Heinz Nottebohm Stoltz demandait, le 24 juillet 1946., le retrait de cette décision et sa réinscription comme citoyen du Liechtenstein, faisant valoir diverses considérations fondées essentiellement sur le droit exclusif du Liechtenstein de décider sur cette nationalité et le devoir du Guatemala de se conformer à unetelle décision. Loin de s'arrêter aux considérations ainsi avancées, le ministre des Relations extérieures rejeta cette demande, le Ier août 1946, se bornant à la déclarer sans objet, Nottebohm n'étant plus domicilié au Guatemala. Rien de tout cela ne fait apparaître qu'avant l'ouverture de l'instance le Guatemala ait reconnu au Liechtenstein titre pour exercer la protection au profit de Nottebohm et se trouve par là forclose à lui contester aujourd'hui ce titre. La Cour ne saurait davantage trouver la reconnaissance d'un tel titre dans la communication signée du ministre des Relations extérieures du Guatemala, datée du 9 septembre 1952 et adressée au Président de la Cour. Dans cette communication mention est faite des mesures prises à l'égard de Nottebohm "qui se dit être citoyen de l"Etat réclamant" ("quien se alega ser ciudadano del Estado reclamante"). Puis, après mention de la réclamation présentée par le Gouvernement de la Principauté de Liechtenstein au sujet de ces mesures, il est énoncé que le Gouvernement du Guatemala "est prêt à entamer des négociations avec le Gouvernement de ladite Principauté afin d"arriver à une solution amiable par voie de règlement direct, d"arbitrage ou de règlement judiciaire". ce serait entraver l'ouverture de négociations en vue de régler un différend international ou de conclure un compromis d'arbitrage, ce serait gêner l'emploi des méthodes de règlement recommandées par l'article 33 de la Charte des Nations Unies, que d'interpréter l'offre d'y recourir, le consentement à y prendre part ou le fait d'y participer comme impliquant renonciation à tel moyen de défense qu'un partie croit avoir ou comme impliquant acceptation de telle prétention de l'autre partie alors que cela n'a pas été exprimé ou ne résulte pas d'une façon incontestable de l'attitude adoptée. La Cour ne voit pas, dans la communication du 9 septembre 1952, l'admission par le Guatemala au profit de Nottebohm d'une nationalité nettement contestée dans la dernière communication officielle faite par lui à ce sujet, savoir la lettre du 20 décembre 1944 au consul de Suisse, encore moins la reconnaissance du titre qui résulterait, pour le Liechtenstein, de cette nationalité, à exercer la protection et à saisir la cour dans le cas présent. La preuve n'ayant pas été rapportée que le Guatemala ait reconnue le titre à l'exercice de la protection que le Liechtenstein prétend tirer de la naturalisation par lui octroyée à Nottebohm, la Cour doit rechercher si un tel octroi de nationalité par le Liechtenstein entraîne directement obligation pour le Guatemala d'en reconnaître l'effet, à savoir le titre du Liechtenstein à l'exercice de la protection. En d'autres termes, il s'agit de rechercher si cet acte émanant du Liechtenstein seul est opposable au Guatemala en ce qui concerne l'exercice de la protection. La Cour traitera de cette question sans examiner celle de la validité de la naturalisation de Nottebohm selon la loi du Liechtenstein. Il appartient au Liechtenstein comme à tout Etat souverain de régler par sa propre législation l'acquisition de sa nationalité ainsi que de conférer celle-ci par la naturalisation octroyée par ses propres organes conformément à cette législation. Il n'y a pas lieu de déterminer si le droit international apporte quelques limites à la liberté de ses décisions dans ce domaine. D'autre part, la nationalité a ses effets les plus immédiats, les plus étendus et, pour la plupart des personnes, ses seuls effets dans l'ordre juridique de l'Etat qui l'a conférée. La nationalité sert avant tout à déterminer que celui à qui elle est conférée jouit des droits et est tenus des obligations que la législation de cet Etat accorde ou impose à ses nationaux. Cela est implicitement contenu dans la notion plus large selon laquelle la nationalité rentre dans la compétence nationale de l'Etat. Mais la question que la Cour doit résoudre ne se situe pas dans l' ordre juridique du Liechtenstein. Il ne dépend ni de la loi ni des décisions du Liechtenstein de déterminer si cet Etat a le droit d'exercer sa protection dans le cas considéré Exercer la protection, s'adresser à la Cour, c'est se placer sur le plan du droit international. C'est le droit international qui détermine si un Etat a qualité pour exercer la protection et saisir la Cour. La naturalisation de Nottebohm est un acte accompli par le Liechtenstein dans l'exercice de sa compétence nationale. Il s'agit de déterminer si cet acte produit l'effet international ici considéré. Or la pratique internationale fournit maints exemples d'actes accomplis par un Etat dans l'exercice de sa compétence nationale qui n'ont pas de plein droit effet international, qui ne s'imposent pas de plein droit aux autres Etats ou qui ne s'imposent à eux que sous certaines conditions: c'est le cas, par exemple, d'un jugement rendu par le tribunal compétent d'un Etat et que l'on cherche à invoquer dans un autre Etat. Dans le cas présent, il s'agit de déterminer si la naturalisation conférée à Nottebohm peut Valablement être invoquée vis-à-vis du Guatemala, si, comme il a été déjà dit, elle lui est opposable de telle sorte que le Liechtenstein soit par là fondé à exercer sa protection au profit de Nottebohm vis-à-vis Guatemala. Lorsqu'un Etat a conféré sa nationalité à une personne et qu'un autre Etat a conférée sa propre nationalité à cette même personne, il arrive que chacun de ces Etats, estimant qu'il a agi dans l'exercice de sa compétence nationale, s'en tien à sa propre conception et se conforme à celle-ci pour son action propre. Chacun de ces Etats reste jusque-là dans son ordre juridique propre. Cette situation peut se trouver placée sur le terrain international et être examinée par un arbitre international , ou par le juge d'un Etat tiers. Si l'arbitre ou le juge de l'Etat tiers s'en tenait ici à l'idée que la nationalité relève uniquement de la compétence nationale de l'Etat, il devrait constater qu'il est en présence de deux affirmations contradictoires émanant de deux Etats souverains, ce qui l'amènerait à les tenir pour égales et, en conséquence, à laisser subsister la contradiction sans trancher le conflit porté devant lui. Le plus souvent, l'arbitre international n'a pas eu, à proprement parler, à trancher, entre les Etats en cause, un conflit de nationalité, mais à déterminer si la nationalité invoquée par l'Etat demandeur était opposable à l'Etat défendeur, c'est –à-dire si elle donnait à l'Etat demandeur titre à exercer la protection. En présence de l'allégation de nationalité émanant de l'Etat demandeur et de la contestation opposée par l'Etat défendeur, l'arbitre international a recherché si la nationalité avait été conférée par l'Etat demandeur dans des conditions telles qu'il en résultât pour l'Etat défendeur l'obligation de reconnaître l'effet de cette nationalité. Pour en décider, l'arbitre a dégagé certains critères propres à déterminer si à la nationalité invoquée devait être reconnu plein effet international. La même question se pose actuellement devant la Cour: elle doit être résolue selon les mêmes principes. En présence de la même situation, le juge de l'Etat tiers a procédé de même. Il l'a fait non à propos de l'exercice de la protection qui ne relevait pas de son examen mais quand, deux nationalités différentes étant invoquées, il lui a fallu, non pas certes trancher entre les deux Etats intéressés un tel différend, mais déterminer si telle nationalité étrangère invoquées, il lui a fallu, non pas certes trancher entre les deux Etats intéressés un tel différend, mais déterminer si telle nationalité étrangère invoquée devant lui devait être reconnue par lui. L'arbitre international a tranché de la même façon de nombreux cas de double nationalité où la question se posait où la question se posait à propos de l'exercice de la protection. Il a fait prévaloir la nationalité effective, celle concordant avec la situation de fait, celle reposant sur un lien de fait supérieur entre l'intéressé et l'un des Etats dont la nationalité était en cause. Les éléments pris en considération sont divers et leur importance varie d'une cas à l'autre: le domicile de l'intéressé y tient une grande place, mais il y a aussi le siège de ses intérêts, ses liens de famille, sa participation à la vie publique, l'attachement à tel pays par lui manifesté et inculqué à ses enfants, etc. De même le juge de l'Etat tiers, lorsqu'il tiers, lorsqu'ils a devant lui un individu que deux autres Etats tiennent pour leur national, s'efforce de trancher le conflit en faisant appel à des critères d'ordre international et sa tendance dominante est à faire prévaloir la nationalité effective. Telles est aussi la tendance qui domine chez la doctrine des publicistes et dans la pratique. L'article 3, paragraphe z, du Statut de la Cour s'en est inspiré. Les lois nationales la reflètent lorsqu'entre autres, elles subordonnent la naturalisation des conditions de rattachement variables dans leur objet ou leurs modalités mais répondant à cette préoccupation. La loi liechtensteinoise du 4 janvier 1934 en est un bon exemple. La pratique de certaine Etats qui s'abstiennent d'exercer la protection au profit d'un naturalisé lorsque celui-ci a rompu, de fait, par son éloignement prolongé, son rattachement avec ce qui n'est plus pour lui qu'une patrie nominale, manifeste, chez ces Etats, la conviction que, pour mériter d'être invoquée contre un autre Etats, la nationalité doit correspondre à la situation de fait. La même conviction a inspiré les dispositions correspondantes qui se trouvent dans les traités bilatéraux en matière de nationalité conclus par les Etats-Unis d'Amérique avec d'autres Etats depuis 1868, tels que ceux qui sont parfois désignés sous le nom de traités Bancroft, et dans la convention panaméricaine sur le statut des citoyens naturalisés qui rétablissent leur résidence dans leur pays d'origine, signée à Rio de Janeiro le 13 août 1906. Le caractère ainsi reconnu dans l'ordre international à la nationalité n'est pas contredit par le fait que le droit international laisse à chaque Etat le soin de régler l'attribution de sa propre nationalité. S'il en est ainsi, c'est que la diversité des conditions démographiques n'a pas permis jusqu'ici l'établissement d'un accord général sur les règles concernant la nationalité., encore que, par sa nature, celle-ci affecte les rapports internationaux. On a estimé que le meilleur moyen de faire concorder ces règles avec les conditions démographiques diverses existant ici et là était de laisser leur détermination à la compétence de chaque Etat. Corrélativement, un Etat ne saurait prétendre que les règles par lui ainsi établies devraient être reconnues par un autre Etat que s'il s'est conformé à ce but général de faire concorder le lien juridique de la nationalité avec le rattachement effectif de l'individu à l'Etat qui assume la défense de ses citoyens par le moyen de la protection vis-à-vis des autres Etats. La nécessité d'une telle concordance se retrouve dans les travaux poursuivis au cours de ces trente dernières années à l'initiative et sous les auspices de la Société des Nations et des nations Unies Là se trouve l'explication de la disposition que la conférence pour la codification du Droit international tenue à La Haye, en 1930, insérait dans l'article premier de la convention relative aux conflits de lois en matière de nationalité, dispositions énonçant que la législation édictée par un Etat pour déterminer quels sont ses nationaux, "doit être admise par les autres Etats, pourvu qu"elle soit en accord avec … la coutume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité". Dans le même esprit, l'article 5 de cette convention se référait à des critères de rattachement effectif pour trancher le problème de la double nationalité se posant dans un Etat tiers. Selon la pratique des Etats, les décisions arbitrales et judiciaires et les opinions doctrinales, la nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droits et de devoirs. Elle est, peut-on dire, l'expression juridique du fait que l'individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l'autorité, est, en fait, plus étroitement rattaché à la population de l'Etat qui la lui confère qu'à celle de tout autre Etat. Conférée par un Etat, elle ne lui donne titre à l'exercice de la protection vis-à-vis d'un autre Etat que si elle est la traduction en termes juridiques de l'attachement de l'individu considéré à l'Etat qui en a fait son national. La protection diplomatique et la protection par la voie judiciaire internationale constituent une mesure de défense des droits de Etat. Comme l'a dit et répété la Cour permanente de justice internationale, "en prenant fait et cause pour l'un des siens, en mettant en mouvement, en sa faveur, l'action judiciaire internationale, cet Etat fait, à vrai dire, valoir son propre droit, le droit qu'il a de faire respecter en la personne de ses ressortissants, le droit international" (C.P.J:I:, série A, n 2, p.12, et série A/B, nos 20-21, p.17). Tel étant le caractère que doit présenter la nationalité quand elle est invoquée pour fournir à l'Etat qui l'a conférée un titre en vue d'exercer la protection et de mettre en mouvement l'action judiciaire internationale, la Cour doit examiner si la nationalité conférée à Nottebohm par voie de naturalisation présente ce caractère, en d'autres termes si le rattachement de fait existant entre Nottebohm et le Liechtenstein à l'époque précédant, entourant et suivant sa naturalisation apparaît comme suffisamment étroit, comme si prépondérant par rapport au rattachement pouvant exister entre lui et tel ou tel autre Etat, qu'il permettre de considérer la nationalité à lui conférée comme effective, comme l'expression juridique exacte d'un fait social de rattachement. Préexistant ou se constituant ensuite. La naturalisation n'est pas une chose à prendre à la légère. La demander et l'obtenir n'est pas un acte courant dans la vie d'un homme. Elle comporte pour lui rupture d'un lien d'allégeance et établissement d'un autre lien d'allégeance. Elle entraîne des conséquences lointaines et un changement profond dans la destinée de celui qui l'obtient. Elle le concerne personnellement et ce serait en méconnaître le sens profond que de n'en retenir que le reflet sur le sort de ses biens. Pour en apprécier l'effet international, on ne peut être indifférent aux circonstances dans lesquelles elle a été conférée, à son caractère sérieux, à la préférence effective et non pas simplement verbale de celui qui la sollicite pour le pays qui la lui accorde. Au moment de sa naturalisation Nottebohm apparaît-il comme plus attaché par sa tradition, son établissement, ses intérêts, son activité, ses liens de famille, ses intentions proches, au Liechtenstein qu'à tout autre Etat? Les faits essentiels ressortent suffisamment du dossier. La cour juge inutile de s'attacher aux pièces tendant à établir que Nottebohm avait on n'avait pas conservé des intérêts en Allemagne, inutile également de s'attacher à la conclusion subsidiaire du Guatemala tendant à demander au Liechtenstein la production de nouveaux document. Elle relève au surplus que, de son côté, le gouvernement de Liechtenstein, en demandant dans ses conclusions finales un ajournement de la procédure orale et présentation de nouveaux documents, ne l'a fait que pour le cas où la requête serait déclarée recevable et non en vue d'apporter de nouveaux éclaircissements touchant la recevabilité de celle-ci. Les faits essentiels sont les suivants: Au moment où il demande sa naturalisation Nottebohm est de nationalité allemande depuis sa naissance. Il a toujours en des rapports avec les membres de sa famille demeurés en Allemagne et des rapports d'affaires avec ce pays. Son pays est en guerre depuis plus d'un mois et rien ne fait apparaître que la demande de naturalisation que présente alors Nottebohm ait été motivée par un désir de se désolidariser du gouvernement de son pays. Il est établi depuis trentre-quatre ans au Guatemala. Il y a exercé son activité. Là est le siège principal de ses intérêts. Il y retournera peu de temps après sa naturalisation et y conservera le centre de ses intérêts et de ses affaires. Il y restera jusqu'à ce qu'il en soit éloigné par mesure de guerre en 1943. Il cherchera ensuite à y revenir et il fit aujourd'hui grief au Guatemala de ne pas l'y admettre. Là aussi se trouvent plusieurs membres de sa famille et qui s'efforceront de prendre la défense de ses intérêts. A l'opposé de cela, ses liens de fait avec le Liechtenstein sont extrêmement ténus. Aucun domicile, aucune résidence prolongée dans ce pays au moment de la demande de naturalisation: celle –ci mentionne qu'il y est en visite et confirme le caractère passager de celle-ci en demandant que la procédure de naturalisation soit commencée et terminée sans délai. Aucune intention manifestée alors ni réalisée dans les semaines, mois et années qui suivent du s'y fixer, mais au contraire, retour au Guatemala suivant de près la naturalisation avec l'intention manifeste d'y rester. Si Nottebohm s'est rendu en 1946 au Liechtenstein, c'est en conséquence du refus de l'accueillir au Guatemala. Aucune indication des motifs propres à expliquer la dispense, dont il a implicitement bénéficié. De la condition de domicile exigée par la loi de 1934 sur la nationalité. Aucune allégation d'intérêts économiques ni d'activité exercée ou à exercer au Liechtenstein. Aucune manifestation d'une intention quelconque d'y transférer tout ou partie de ses intérêts et de ses affaires. Il n'y a pas lieu de s'attacher, à cet égard, à la promesse de payer les taxes perçues à l'occasion de la naturalisation. Les seuls liens que l'on aperçoive entre la Principauté et Nottebohm sont, d'une part, les séjours passagers déjà mentionnés, d'autre part la présence à Vaduz d'un de ses frères; mais cette présence n'est invoquée dans la demande de naturalisation que comme référence de moralité. Au surplus, d'autres membres de sa famille Ont affirmé le désir de Nottebohm de passer ses vieux jours au Guatemala. Ces faits établissent clairement d'un part l'absence de tout lien de rattachement entre Nottebohm et le Liechtenstein, d'autre part l'existence d'un lien ancien et étroit de rattachement entre lui et le Guatemala, lien que sa naturalisation n'a aucunement affaibli. Cette naturalisation ne repose pas sur un attachement réel au Liechtenstein qui lui soit antérieur et elle n'a rien changé au genre de vie de celui à qui elle a été conférée dans des conditions exceptionnelles de rapidité et de bienveillance. Sous ces aux aspects, elle manque de la sincérité qu'on doit attendre d'un acte aussi grave pour qu'il s'impose au respect d'un Etat se trouvant dans la situation du Guatemala. Elle a été octroyée sans égard à l'idée que l'on se fait, dans les rapports internationaux , de la nationalité. Plutôt que demandée pour obtenir la consécration en droit de l'appartenance en fait de Nottebohm à la population du Liechtenstein, cette naturalisation a été recherchée par lui pour lui permettre de substituer à sa qualité de sujet d'un Etat belligérant la qualité de sujet d'un Etat neutre, dans le but unique de passer ainsi sous la protection du Liechtenstein et non d'en épouser les traditions, les intérêts, le genre de vie, d'assumer les obligations-autres que fiscales-et d'exercer les droits attachés à la qualité ainsi acquise. Le Guatemala n'est pas tenu de reconnaître une nationalité ainsi octroyée. En conséquence, le Liechtenstein n'est p as fondé à étendre sa protection à Nottebohm à l'égard du Guatemala et il doit être, pour ce motif, déclaré irrecevable en sa demande. La Cour, en conséquence, n'a pas à examiner les autres fins de non recevoir présentées par le Guatemala ni les conclusions des Parties autre que celles sur lesquelles elle statue conformément aux motifs précédemment énoncés. Par ces motifs, LA COUR, Par onze voix contre trois, Déclare irrecevable la demande présentée par le Gouvernement de la Principauté de Liechtenstein. Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la paix, à La Haye, le six avril mil neuf cent cinquante-cinq, en trois exemplaires, dont l'un restera déposé aux archives de la Cour et dont les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la Principauté de Liechtenstein et au Gouvernement de la République du Guatemala. Le Président, (Signé) Green H: HACKWORTH. Le Greffier, (Signé) J. LOPEZ OLIVAN. MM. KLAESTAD et READ, juges, et M. GUGGENHEIM, juge ad hoc, se prévalant du droit que leur confère l'article 57 du Statut, joignent à l'arrêt les exposés de leur opinion dissidente. (Pharaphé) G.H.H: (Paraphé) J.L.O.

OPINION DISSIDENTE DE M. KLAESTAD

[Traduction] j'estime que cette affaire aurait dû faire l'objet d'un ajournement pour les raisons suivantes: L'arrêt actuel traite de l'une des fins de non recevoir qui ont été invoquées par le Gouvernement du Guatemala dans cette deuxième phase de la procédure. Cette fin de non recevoir a été fondée par ce Gouvernement sur le motif que la naturalisation consentie à M. Nottebohm par le Liechtenstein n'est pas valable parce qu'elle est incompatible avec la loi interne du Liechtenstein aussi bien qu'avec le droit international.

1. Quant à la loi interne du Liechtenstein, on prétend que les autorités de cet Etat, en appliquant leur propre loi sur la nationalité du 4 janvier 1934, n'ont pas respecté ses dispositions, mais s'en sont écartées à plusieurs points de vue, en particulier en ce qui concerne l'ordre prescrit dans lequel le gouvernement, la Diète et la commune devaient traiter de la demande de naturalisation. Sur ce motif, on demande à la Cour de déclarer que M. Nottebohm n'a pas valablement acquis la nationalité du Liechtenstein conformément à la loi de la principauté.

Il est généralement admis que les questions de naturalisation des étrangers sont en principe , et en l'absence de règles conventionnelles, du domaine de la compétence exclusive des Etats, et que le droit international a laisse aux Etats eux-mêmes le soin de régler la manière et les conditions dans lesquelles leur nationalité peut être conférée aux étrangers. Mais si un Etat, en principe, a compétence exclusive pour régler les questions de nationalité par sa propre législation sans intervention des autres Etats. Il est difficile de voir pour quel motif sa propre interprétation et sa propre application de cette même loi peuvent prêter à contestation par d'autres Etats. Cette contestation est possible, en théorie, pour le motif que la loi ou son application sont incompatibles avec le droit international. Mais la question que nous examinons maintenant est uniquement de savoir si les autorités du Liechtenstein ont appliqué leur loi interne d'une manière compatible avec les dispositions de cette loi interne.

La Cour permanente de Justice internationale, à plusieurs reprises, a examiné l'attitude qu'elle devrait prendre à l'égard de la loi nationale des Etats, par exemple, dans l'arrêt n 7, sur les Intérêts allemands en haute-Silésie polonaise, et les arrêts nos 14 et 15, dans les affaires des Emprunts serbes et brésiliens. Conformément à l'opinion exprimée dans ces jugements, ou peut dire qu'il ne serait pas conforme à la fonction pour laquelle la Cour a été instituée qu'elle examine et décide si les autorités compétentes du Liechtenstein ont correctement appliqué les diverses dispositions de leur loi de 1934 sur la nationalité. La Cour n'est pas censée connaître la loi nationale des différents Etats. Il ne lui serait guère possible de donner sa propre interprétation des dispositions de la loi du Liechtenstein sur la nationalité et de négliger l'interprétation qui en a été donnée et l'application qui en a été faite par les autorités locales compétentes. Ce faisant, la Cour se substituerait à ces autorités locales et statuerait sur des questions qui sont sans rapports avec le droit international et qui par conséquent rentrent uniquement dans la compétence de ces autorités.

Ce que la Cour peut et doit faire, en ce qui est de l'application de la loi du Liechtenstein sur la nationalité, c'est, à mon avis, de s'assurer que la naturalisation en question a été consentie en fait par l'autorité à laquelle cette loi a donné compétence. L'article 12 dispose que c'est le Prince régnant qui est seul compétent pour conférer la nationalité de la principauté. Sur la base des preuves présentées à la cour, il est selon moi démontré que le prince a en fait donnée son consentement à la naturalisation de M. Nottebohm.

II.Le gouvernement du Guatemala soutient, en outre, que la naturalisation n'a pas été consentie conformément au droit international. On invoque le fait que M. Nottebohm n'avait pas établi sa résidence au Liechtenstein avant d'avoir demandé la naturalisation et qu'il a quitté le pays peu de temps après l'avoir obtenue. En l'absence de règles conventionnelles, le droit international n'exige cependant pas la résidence préalable dans le pays comme condition de la naturalisation, non plus qu'il ne présuppose la résidence postérieure dans ce pays. Cela est démontré par le fait que les lois nationales d'un grand nombre d'Etats-tout en disposant généralement qu'il y ait eu une résidence préalable dans le pays-prévoient des dispenses de cette condition. La loi nationale du Liechtenstein, elle aussi, exige une résidence antérieure (paragraphe 6 d) de la loi de 1934 sur la nationalité). Mais elle prévoit des dispenses de cette condition, et c'est en fait ce qui s'est produit dans le cas actuel. L'exercice de cette faculté discrétionnaire de dispense relève exclusivement de la compétence du Gouvernement du Liechtenstein.

La validité de la naturalisation de M. Nottebohm est aussi contestée pour le motif que le Gouvernement du Liechtenstein n'a pas prouvé la perte de la nationalité allemande comme le veut le paragraphe 6 c) de cette même loi de 1934. Mais d'après cette disposition, il est possible d'être également dispensé de cette condition. Il apparaît cependant que cette dispense a été jugée inutile en raison des dispositions de l'article 25 de la loi allemande sur la nationalité de 1913, d'après laquelle il aurait perdu sa nationalité allemande par l'acquisition de la nationalité du Liechtenstein. Le fait qu'il a perdu sa nationalité allemande par suite de sa naturalisation au Liechtenstein a été certifié le 15 juin 1954 par le Sénat de Hambourg.

III.On a prétendu que le rapport entre l'Etat et l'individu établi par une naturalisation présuppose nécessairement l'existence d'un lien physique ou réel ou d'une relation substantielle rattachant l'individu à l'Etat. On indique implicitement par là que la seule volonté commune et effective, non viciée de fraude, ne suffit pas à créer le rapport de nationalité. Il y a lieu de se demander si cette opinion est bien l'expression d'une règle obligatoire du droit international.

Quand la Cour, dans l'affaire du Droit d'asile, s'est trouvée en face de l'allégation se rapportant à un prétendu droit de qualification unilatérale et définitive de l'infraction commise par le réfugié, elle s'est fondée sur le principe de la souveraineté de l'Etat et a déclaré que celui qui invoque une coutume dérogeant à ce principe doit prouver que la règle invoquée est conforme à une pratique constante et uniforme des Etats acceptée comme étant le droit. Il semble qu'il faut appliquer la même méthode dans le cas actuel. Ayant à se fonder sur la base que les questions de naturalisation relèvent en principe de la compétence exclusive des Etats, il faudrait examiner, comme dans l'affaire de l'Asile, la question de savoir si une règle dérogeant à ce principe est établie de manière à être opposable au Liechtenstein. Il faudrait que le Gouvernement du Guatemala prouve que cette coutume est conforme à une pratique constante et uniforme des Etats "acceptée comme étant le droit" (article 38, paragraphe I b), du Statut de la Cour). Mais ce Gouvernement n'a apporté aucune preuve tendant à établir l'existence d'une pareille coutume.

IV.L'arrêt actuel ne décide pas la question, en litige entre les Parties, de savoir si la naturalisation consentie à M. Nottebohm était valable ou non valable, soit selon le droit interne du Liechtenstein, soit selon le droit international à étendre sa protection à M. Nottebohm contre le Guatemala.

Une solution sur une telle base-dissociation de la protection diplomatique de la question de nationalité, et limitation du droit de protection-n'a jamais été invoquée par le gouvernement du Guatemala, ni discutée par le Gouvernement du Liechtenstein. Elle n'est conforme ni à l'argumentation ni aux preuves que les Parties ont présentées à la Cour, et le Gouvernement de Liechtenstein n'a pas eu l'occasion de définir son attitude et de prouver les allégations qu'il aurait dû faire valoir le cas échéant à propos de cette solution, par laquelle sa réclamation est aujourd'hui rejetée. Dans ces conditions, il est difficile de discuter le fond d'une pareille solution si ce n'est sur une base théorique. Mais je vais mentionner quelques faits qui montrent combien il eût été nécessaire, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'accorder aux Parties l'occasion de discuter ce point avant qu'il soit décidé.

M. Nottebohm s'est rendu au Liechtenstein en 1946 après avoir été libéré de son internement aux Etats-Unis d'Amérique. Il ressort de l'annexe 5, paragraphe 18, et de l'annexe 6, paragraphe 20, au mémoire, et du paragraphe 18 et de l'annexe 6, paragraphe 20, au mémoire, et du paragraphe 106 de la duplique, qu'il a dû arriver au Liechtenstein avant le 6 mai 1946. Il a établi sa résidence dans ce pays et y a vécu depuis lors.

Le dossier de l'affaire montre que le Gouvernement du Guatemala a pris certaines mesures contre les biens de M. Nottebohm, à une époque où celui-ci résidait en permanence au Liechtenstein. Lors ds mesures d'expropriation prises contre ses biens en application du décret législatif n 630 du 25 mai 1949, il vivait au Liechtenstein depuis de trois ans.

Comme l'arrêt n'a pas décidé que la naturalisation consentie à M. Nottebohm le 13 octobre 1939 est non valable selon la loi du Liechtenstein, il faut pour statuer sur la présente fin de non recevoir, la présumer valable. Dans ces conditions, il est difficile de voir sur quelle base légale le gouvernement du Liechtenstein pourrait être considéré comme empêché d'accorder sa protection diplomatique à M. Nottebohm, pour ce qui est des mesures prises par le Gouvernement du Guatemala contre ses biens, à une époque où il résidait en permanence au Liechtenstein a cette époque, son lien ou ses rapports avec ce pays étaient de telle nature que les raisons invoquées dans l'arrêt devraient fournir des motifs solides pour reconnaître au Gouvernement du Liechtenstein le droit d'étendre sa protection à lui à l'égard du Guatemala, pour ce qui est de toutes les mesures prises contre ses biens pendant sa résidence permanente au Liechtenstein.

V.Le Gouvernement du Guatemala prétend que le gouvernement du Liechtenstein, en accordant sa nationalité à une ressortissant allemand à une époque où l'Allemagne était en guerre, a commis un abus de droit ou une fraude. Pour les besoins de la présente affaire, il est inutile d'exprimer une opinion quelconque sur la possibilité d'appliquer en droit international la notion de l'abus de droit. Tout ce que j'ai à dire, c'est qu'a mon sens, si elle est applicable, elle présuppose qu'une sorte de dommage a été causé aux intérêts légitimes du Guatemala par la naturalisation de M. Nottebohm. Mais on n'a pas démontré qu'un dommage quelconque ait été causé de ce fait au Guatemala qui, à cette époque, était un Etat neutre.

Quant à l'allégation que le Gouvernement du Liechtenstein a commis une fraude, il suffit de dire qu'aucune preuve n'a été produite à l'appui d'une telle allégation. Les diverses irrégularités dans la procédure de naturalisation dont se plaint le Gouvernement du Guatemala, et les conditions financières établies pour l'octroi de la naturalisation, ne sauraient être considérées comme impliquant fraude.

VI.Le Gouvernement du Guatemala soutient enfin que M. Nottebohm a commis une fraude quand il a demandé et obtenu la nationalité du Liechtenstein. On a prétendu qu'il avait frauduleusement recherché cette naturalisation dans le seul but d'échapper aux conséquences de sa nationalité allemande, sous le couvert de la nationalité d'un Etat neutre. Aucune preuve documentaire n'ayant été produite à l'appui de cette thèse au cours de la procédure écrite, l'agent du Guatemala, après la clôture de cette procédure et quelques jours avant les audiences, a présenté à la Cour un nombre considérable de documents nouveaux. L'Agent du Liechtenstein, ayant fait une objection à la production de ces documents, la Cour a décidé, le 14 février 1955, de permettre la production de tous ces documents nouveaux, déclarant qu'elle

"réserve à l'agent du Gouvernement du Liechtenstein le droit de se prévaloir, s'il le désire de la faculté prévue à l'article 48, paragraphe 2, du Règlement, après avoir entendu l'exposé de l'argent du gouvernement du Guatemala relatif à ces documents et après tel délai que sur sa demande la Cour jugerait équitable de lui accorder". Sur la base de ces documents nouveaux, le conseil du Guatemala a présenté à l'audience l'allégation nouvelle qu'une partie des biens de la firme Nottebohm Hermanos au Guatemala, que le Gouvernement du Liechtenstein réclame maintenant pour le compte de M. Nottebohm, appartenait en réalité à la firme Nottebohm & C de Hambourg, et que M. Nottebohm, et obtenant la nationalité du Liechtenstein, a essayé de protéger frauduleusement des biens allemands contre les conséquences de la Guerre. Le conseil a qualifié l'affaire de "cloaking case". Ces allégations de fraude, qui semblent maintenant constituer l'aspect principal de l'affaire, touchent à la fin de non recevoir visant la nationalité aussi bien qu'au fond. Dans ses conclusions finales sur le fond, le gouvernement du Liechtenstein demande à la Cour "5) d'ajourner la procédure orale pour au moins trois mois pour permettre au Gouvernement de Liechtenstein d"obtenir et de réunir des documents à l'appui de commentaires sur les nouveaux documents produits par le Gouvernement du Guatemala." L'examen du fond rendrait nécessaire l'octroi préalable de cette demande. Non seulement le Gouvernement du Liechtenstein a acquis le droit, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du Règlement de la Cour, de présenter des documents à l'appui de ses commentaires sur les documents nouveaux produits par l'agent du Guatemala mais encore ce droit a été expressément réservé à l'agent du Liechtenstein par la décision de la Cour du 14 février. A mon avis, une décision sur la fin de non recevoir concernant la nationalité (protection diplomatique) présuppose l'examen du fond. Elle dépend, comme j'ai essayé de le montrer, de la question de savoir si M. Nottebohm a commis une fraude lorsqu'il a demandé et obtenu la nationalité du Liechtenstein. Cette question de fraude est liée si étroitement au fond de l'affaire qu'elle ne peut être tranchée séparément et sans aucune appréciation des divers éléments de fait pertinents qui pourraient être révélés par l'examen du fond, y compris les documents nouveaux produits par le Gouvernement du Guatemala et ceux que le Gouvernement du Liechtenstein a acquis le droit de produire. Cette situation de procédure touche également aux deux autres fins de non recevoir invoquées par le Gouvernement du Guatemala. La fin de non recevoir visant la prétendue nécessité de négociations diplomatiques antérieures ne peut se pose que s'il est établi que M. Nottebohm a valablement acquis la nationalité du Liechtenstein. C'est dans ce cas seulement que le Gouvernement du Liechtenstein serait qualifié à présenter sa réclamation à la Cour. C ‘est alors seulement que se poserait une question pertinente sur les négociations entre les deux Gouvernements au sujet de la réclamation . des considérations du même ordre s'appliquent à la fin de non recevoir du non-épuisement des recours internes. Si l'on jugeait que M. Nottebohm n'a pas valablement acquis la nationalité du Liechtenstein, la question de savoir s'il a épuisé des recours au Guatemala ne pourrait se poser devant la Cour.

C'est pour ces raisons que j'ai voté pour l'ajournement de l'affaire.

(Signé) Helge KLAESTAD.

OPINION DISSIDENTE DE M. READ

[Traduction]

Je ne puis me rallier au jugement de la Cour concluant à l'irrecevabilité de la demande soumise par la Principauté de Liechtenstein. Je dois donc exposer mes conclusions personnelles quant à la manière appropriée de traiter cette fin de non recevoir et indiquer les motifs sur lesquels je me suis fondé. Je serai ainsi amené à examiner certains des arguments invoqués par le conseil dans les écritures et dans les plaidoiries, mais qui n'ont pas été retenus écritures et dans les plaidoiries, mais qui n'ont pas été retenus comme base de l'arrêt. Tout d'abord, j'estime que l'examen de l'affaire se trouve délimité par la nature même de la fin de non recevoir. Le fait d'admettre une fin de non recevoir empêche la Cour d'examiner les points de droit et de fait qui constituent le fond de la question. Il serait injuste de refuser d'examiner une réclamation quant au fond sur la base de conclusions de droit ou de fait qui pourraient être renversées si l'on examinait et si on traitait le fond de la question. Il est donc nécessaire, au stade actuel, de partir de l'hypothèse que tous les arguments du Liechtenstein sur le fond, les faits et le droits sont fondés et que les arguments du Guatemala quant au fond ne le sont peut-être pas. Cette affaire présente un autre aspect que je ne puis négliger. M. Nottebolhm a été arrêté le 19 octobre 1943 par les autorités guatémaltèques, non pour des raisons qui leur étaient propres, mais sur les instances du Gouvernement des Etats-Unis. Le même jour, il fut remis entre les mains de l'armée américaine. Trois jours plus tard, il fut déporté aux Etats-Unis et y resta interné pendant deux and et trois mois. Il n'y eut ni jugement ni enquête dans aucune de ces deux pays et il ne lui fut pas donné d'être confronté avec ses accusateurs, ni de se défendre, ni d'apporter des preuves en sa faveur. En 1944, une série de cinquante-sept procédures judiciaires furent entamées contre M. Nottebohm dans le but d'exproprier la totalité de ses biens, meubles et immeubles, sans lui accorder d'indemnité. Ces diverses procédures impliquaient plus de cent soixante et onze possibilités d'appel divers. Le conseil du Guatemala a montré avec compétence et impartialité l'existence de toue un système de procédures que l'on en pouvait entamer effectivement en l'absence de la principale partie intéressée. En outre, le point central et vital de toutes ces affaires était l'accusation de trahison portée contre M. Nottebohm. On ne conteste pas que M. Nottebohm n'a pas été autorisé à rentrer au Guatemala. Il se trouvait dès lors empêché d'assumer lui-même la direction du réseau compliqué des procédures. Il n'eut jamais l'occasion de fournir des témoignages en ce qui concerne les accusations portées contre lui, ni d'être confronté avec ses accusateurs en audience publique. Dan ces conditions, je me vois obligé de partir de la présomption que le Liechtenstein bénéficierait peut-être d'un verdict de déni de justice sur le plan national si l'on examinait l'affaire quant au fond. Etant donné la situation, je ne puis m'empêcher de constater que le fait d'admettre la fin de non recevoir aurait pour conséquence que justice ne serait rendue ni sur le plan national ni sur le plan international. Je ne crois pas qu'il faut admettre une fin de non recevoir qui aurait un tel effet, à moins que les motifs sur lesquels elle se fonde ne soient irréfutables. Compte tenu de ces considérations, il nous faut examiner la seule question que la Cour doit trancher pour rejeter ou admettre la fin de non recevoir fondée sur la nationalité. Cette question est la suivante: dans les conditions de l'affaire, le Liechtenstein peut-il, en vertu des règles du droit international, accorder sa protection diplomatique à M. Nottebohm vis-à-vis du Guatemala? Il faut examiner successivement les différents motifs invoqués dans la procédure tant écrite qu'orale. Le premier motif de non-recevabilité de la demande, qui et énoncé au paragraphe 2 a) des conclusions finales du Guatemala, peut être brièvement résumé: M. Nottebohm n'a pas acquis la nationalité liechtensteinoise conformément à la législation de la Principauté. Bien que dans l'arrêt la Cour ne se fonde pas sur ce motif, je dois exposer mon point de vue afin de justifier ma conclusion selon laquelle la fin de non recevoir, dans son ensemble, devrait être jointe au fond. Sur ce point, la production du certificat de naturalisation et l'adoption par le Liechtenstein de la réclamation constituent une preuve prima facie. La Cour peut revenir sur le certificat et ne pas en tenir compte si la fraude est prouvée dans la demande ou l'octroi de la naturalisation ou dans l'obtention ou la délivrance du certificat. Mais on n'a produit aucune preuve de ce genre. On a également prétendu que la Cour pouvait et devait examiner la législation liechtensteinoise et la procédure suivie par les autorités du Liechtenstein au moment où la naturalisation fut accordée. On a prétendu qu'elles ne s'étaient pas conformées à la loi et qu'en raison de cette carence la naturalisation est sans effet. Je suis arrivé à la conclusion qu'on ne peut pas rejeter la réclamation, motif tiré de l'inobservation de la législation nationale, et j'en donnerai brièvement les raisons. Tout d'abord il est nécessaire de prendre en considération la jurisprudence de la Cour permanente. Deux principes de droit ont été établis. L'arrêt dans l'affaire des concessions Maurommatis à Jerusalem - série A, n 5, page 30 - a établi la règle selon laquelle la charge de la preuve incombe à la partie qui allègue la nullité d'un acte légal en se fondant sur la loi nationale pertinente. Le deuxième principe qui se retrouve dans une longue série de décisions est le suivant: "les lois nationales sont de simples faits, manifestations de la volonté et de l'activité des Etats", et la Cour n'interprète pas la loi nationale en tant que telle.

Haute-Silésie polonaise, série A, n 7, page 19.

Emprunts serbes, série A, nos 20/21, page 46.

Emprunts brésiliens, série A, nos 20/21, page 124.

Affaire des Phares (France/Grèce), série A/B, n 62, page 22, Affaire du chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, série A/B, n 76, Page 19. Dans la présente affaire, le Guatemala a la non-validité ou la nullité de l'acte légal de naturalisation en vertu de la législation nationale. La charge de la preuve incombe au Guatemala. Mais le Guatemala n'a fourni aucune preuve acceptable; tel par exemple, le témoignage d'un juriste éminent, versé dans la législation du Liechtenstein, ou encore un avis de la Cour suprême de ce pays. L'affaire a été présentée comme si la Cour était compétente pour interpréter la législation du Liechtenstein comme telle et pour juger de son application dans les circonstances particulières de la présente affaire. Elle a été discutée sans tenir compte des dispositions de la législation liechtensteinoise relatives à l'interprétation des lois ou des décisions de ses tribunaux. En conséquence, l'allégation du Gouvernement défendeur, relative à une invalidité fondée sur la législation nationale, tombe du fait qu'elle n'est pas étayée de preuve. Mais ce n'est pas uniquement un cas de défaut de preuve. Même en interprétant la loi liechtensteinoise de 1934 sans tenir compte des règles d'interprétation, de la procédure et du droit administratif en vigueur dans ce pays, il est impossible de conclure à la nullité de la naturalisation. Il y a erreur fondamentale dans la méthode d'interprétation adoptée par le conseil dans la procédure tant écrite qu'orale. On a prétendu que les autorités liechtensteinoises avaient négligé, sur deux points, les dispositions de la loi de 1934. On a dit qu'elles ont interverti l'ordre dans lequel devaient se dérouler les différents stades de la procédure. On a dit encore qu'elles ne s'étaient pas conformées à certaines conditions essentielles fixées par la loi. On en a conclu que la naturalisation n'était pas valable par défaut de se conformer à la législation de la Principauté. Cette interprétation était fondée sur l'examen de dispositions particulières sans tenir compte de la loi dans son ensemble. Elle ignore notamment une disposition d'une importance primordiale, l'article 21, qui contient le paragraphe suivant: Article 21 "Pendant les cinq ans suivant la naturalisation d'un étranger, le Gouvernement princier peut lui retirer la nationalité liechtensteinoise s'il s'avère que les conditions requises aux termes de la présenter loi pour son acquisition n'ont pas été remplies. Il peut d'ailleurs en tout temps retirer la nationalité si elle a été acquise frauduleusement." Il est évident qu'à tout moment au cours des cinq années suivant son octroi, la naturalisation de M. Nottebohm aurait pu être révoquée s'il était apparu que "les conditions requises aux termes de la présente loi n"ont pas été remplies". Il est tout aussi évident qu'après l'expiration du délai de cinq ans -i.e. en octobre 1944 -la naturalisation devenait irrévocable, sauf en cas de fraude. Dans ces conditions, près de seize ans après l'événement et en l'absence de fraude, il ne m'appartient pas de déclarer la naturalisation non valable en vertu de la loi du Liechtenstein. Le deuxième motif de non-recevabilité de la demande qui est énoncé au paragraphe 2 b) des conclusions finales du Guatemala peut être brièvement résumé: la naturalisation n'a pas été accordée à M. Nottebohm en conformité avec les principes généralement reconnus en matière de nationalité. La conclusion finale 2 b) du Guatemala est visiblement défectueuse. La Cour ne peut pas déterminer "les principes généralement reconnus" ni juger d'une affaire en se fondant sur de tels principes. En vertu des dispositions formelles et obligatoires de l'article 38 du Statut, sa mission se limité à rendre des décisions "conformément au droit international": Toutefois, il résulte clairement de l'attitude adoptée par le conseil que la conclusion finale 2 b) doit être considérée comme visant l'abus de droit. La notion d'abus de droit se fonde sur l'hypothèse de l'existence du droit qui a donné lieu à l'abus. En l'occurrence, elle et fondée sur l'hypothèse qu'en droit international le Liechtenstein avait la faculté de naturaliser M. Nottebohm, mais que, étant donné les circonstances particulières et la façon dont ce droit a été exercé, il y a eu exercice abusif de ce droit - exercice tellement scandaleux et exorbitant que son résultat, à savoir le statut national conféré à M. Nottebohm, ne pouvait être invoqué à l'égard du Guatemala. La théorie de l'abus de droit ne peut être invoquée par un Etat contre un autre Etat, à moins que ce dernier, en exerçant les droits qu'il détient du droit international, ne cause un préjudice au premier. Etat donné que ce motif n'a pas été invoqué dans l'arrêt de la Cour, il est inutile que j'examine les raisons particulières invoquées par le conseil. Il suffit de faire remarquer que le Liechtenstein n'a causé aucun tort au Guatemala et qu'en conséquence il faut rejeter la conclusion finale 2 b) Le troisième motif de non-recevabilité de la demande qui figure au paragraphe 2 c) des conclusions finales du Guatemala est fondé sur la fraude. Il et impossible de dissocier ceux des aspects de la fraude qui relèvent de la fin de non recevoir de ceux qui concernent le fond. La plupart des preuves à l'appui de l'accusation de fraude consistent en plus de cent documents. Quelques-uns d'entre eux ont été choisis et soumis à l'attention de la Cour, tandis que les autres n'ont pas été mis à sa disposition. Dans ces conditions il m'est impossible, au stade actuel, d'établir une conclusion fondée sur la fraude. En conséquence, je suis d'avis qu'il faudrait joindre au fond la conclusion finale 2 c) du Guatemala. Cette question comporte un autre aspect dont il faut tenir compte. L'arrêt de la cour se fonde sur l'argument que la naturalisation de M. Nottebohm ne constituait pas une opération sincère. Il est dit qu'elle n'a en rien changé son genre de vie; et qu'elle a été acquise non pour obtenir la consécration en droit de son appartenance, en fait à la population du Liechtenstein, mais pour lui permettre d'obtenir un statut de neutre et la protection diplomatique d'un Etat neutre. Cet argument, que j'appellerai la théorie du lien, puisqu'il est fondé sur la nature des rapports entre M. Nottebohm et le Liechtenstein, ne peut être apparenté aux conclusions finales du Guatemala, ni à l'argumentation développée au cours de la procédure tant écrite qu'orale. En conséquence, ce point est régi par le principe qui a été appliqué par la Cour dans l'affaire Ambatielos (compétence), arrêt du 1er jullet 1952, C. I. J. Recueil 1952, page 45: "Le point soulevé ici n'a pas encore été complètement débattu par les Parties et, par conséquent, il ne peut être tranché au stade actuel." Certains de ses aspects ont été discutés en tant qu'éléments d'abus de droit mais non en tant que règle de droit international limitant la faculté d'un Etat souverain d'exercer son droit de protection diplomatique en faveur de ses citoyens par naturalisation. En ma qualité de membre de la présente Cour, je suis contraint d'appliquer le principe de droit international ainsi proclamé par la Cour, je ne puis approuver l'admission de ce motif - qui ne figure pas dans les conclusions et qui n'a été débattu par aucune des Parties-pour justifier l'admission de la fin de non recevoir et pour empêcher qu'il ne soit discuté, examiné et tranché quant au fond. Etant donné, cependant, l'attitude adoptée par la majorité, je dois examiner ce motif pour dire que l'octroi de la naturalisation n'a pas donné lieu au droit de protection et exposer certaines des objections qui motivent mon désaccord. Tout d'abord, je ne conteste pas l'opportunité d'imposer certaines limites au pouvoir discrétionnaire très étendu dont disposent les Etats souverains: le droit, reconnu par le droit international, de déterminer par leur législation interne quels sont leurs nationaux et de leur accorder leur protection. Pourtant, aux termes de l'article 38 du Statut, je suis tenu d'appliquer le droit international tel qu'il existe- en droit positif -et non tel qu'il pourrait être si une conférence de codification réussissait à établir de nouvelles règles limitant l'octroi de la nationalité par les Etats souverains. Il y a donc lieu d'examiner s'il existe des règles de droit international positif exigeant un lien réel entre l'individu et l'Etat pour qu'une naturalisation valable donne lieu au droit de protection diplomatique. Les deux Parties considèrent que l'article premier du projet de convention de La Haye de 1930 correspond exactement aux règles reconnues du droit international. Dans le commentaire à ce sujet, qui figure au contre-mémoire (p.7), le Gouvernement du Guatemala déclare "que son article premier représente bien l'état actuel du droit des gens". Cet article dispose que: "Il appartient à chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux,. Cette législation doit être admise par les autres Etats, pourvu qu'elle soit en accord avec les conventions internationales, la coutume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité." Si nous appliquons cette disposition en l'occurrence, il en résulte, d'une part, que le Liechtenstein avait le droit de décider, en vertu de sa propre législation, que M. Nottebohm était un de ses nationaux et, d'autre part, que le Guatemala doit reconnaître la législation liechtensteinoise en la matière, pourvu qu'elle soit en accord avec les conventions internationales, la coutume internationale et les principes généralement reconnus en matière de nationalité. Je désignerai par le terme "opposabilité" ce caractère obligatoire de la naturalisation. Il n'est pas question ici de "conventions internationales" et aucune "coutume internationale" n'a été prouvée. Restent "les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité", et c'est sur cette spécification de la portée générale de la règle énoncée à l'article premier que le Guatemala s'est fondé dans la procédure écrite et orale. A cet égard, le Gouvernement du Guatemala déclare au paragraphe 16 du contre-mémoire: "Quant au premier point, il convient avant tout de déterminer quel est, en l'absence de conventions internationales générales liant la Principauté de Liechtenstein, le Contenu de ce droit des gens à la lumière duquel la validité internationale de sa législation doit être appréciée. Reconnaissions qu'il n'existe à cet égard ni système de règles coutumières, ni principes rigides s'imposant à l'observation des Etats. Comme l'indique M. Scelle, c'est bien plutôt dans la voie de l'abus de pouvoir (ou de compétence, ou de droit) que la jurisprudence déterminera dans chaque cas d'espèce s'il y a violation du droit international (Scelle - Cours de Droit international public, Paris, 1948, p. 84)." Ce point de vue a été maintenu au cours de la procédure orale. Aussi, il est évident que de l'avis du Gouvernement du Guatemala, il est évident que de l'avis du gouvernement du Guatemala, il n'existe pas en droit international de principes bien établis en matière de nationalité mais que le droit du Liechtenstein de déterminer par sa législation que M. Nottebohm était un de ses nationaux, de même que l'obligation qui en découle pour le Guatemala de reconnaître la législation liechtensteinoise à cet égard -l'opposabilité -sont limités non par des règles rigides de dont international, mais uniquement par les règles relatives à l'abus de droit et à la fraude. J'ai dit que l'on ne pouvait invoquer ici aucune "convention internationale" et qu'aucune "coutume internationale n'avait été prouvée". Le Guatemala a admis qu'il "n'existe aucune système de règles coutumières", mais on invoque à l'appui de la théorie du lien que certaines conventions internationales témoignent d'un effort dans ce sens. Je dois vider cette questions avant d'examiner s'il y a lieu de rejeter l'interprétation stricte de la loi sur laquelle les deux Parties sont complètement d'accord. La première convention internationale réside dans l'article 3 (2) du Statut, qui traite du problème de la double nationalité. Il n'y est pas question de la protection diplomatique et il ne présente aucune rapport avec la question qui nous occupe. Il est vrai que cet article pose comme critère en cas double nationalité l'Etat où l'individu "exerce habituellement ses droits civils et politiques". En admettant même que l'on retire ce critère de son cadre propre, pour l'appliquer au cas présent qui est totalement différent, il ne contribuera guère à la solution, au cours des cinquante dernières années, M. Nottebohm a été rattaché à quatre Etats différents. Ressortissant allemand pendant trente-quatre ans, il n'a exercé ni droits civils ni droits politiques dans son pays. Pendant près de quarante ans, il a eu sa résidence ordinaire au Guatemala, mais il n'y a jamais exercé de droits politiques et pendant douze ans il a été empêché d'y exercer des droits civils importants- Il a été interné pendant plus de deux ans aux Etats-Unis, où il n'a exercé ni droits civils ni droits politiques. Depuis sa libération, on lui a accordé la pleine jouissance de ses droits civils aux Etats-Unis, il les y exercés librement mais ne possède aucun droit politique dans ce pays. Il y a près de seize ans qu'il jouit des pleins droits civils au Liechtenstein et depuis neuf ans il y exerce pleinement ses droits politiques. L'article 3 (2) n'affaiblit certes pas la position du Liechtenstein. Entre 1868 et 1928, les Etats-Unis d'Amérique ont conclu avec environ dix-huit pays, le Liechtenstein non inclus, des conventions bilatérales aux fins de limiter le droit de protéger les personnes naturalisées retournant dans leur pays d'origine. Des restrictions analogues quant l'opposabilité de la naturalisation figurent dans une convention panaméricaine conclue à Rio de Janeiro en 1906. Le Liechtenstein n'a pu y prendre part. Le Venezuela a refusé de signer la convention. La Bolivie, Cuba, le Mexique, le Paraguay, le Pérou et l'Uruguay ont signé la convention mais ne l'ont pas ratifiée. Elle a été dénoncée par le Brésil et le Guatemala. Le fait qu'on ait jugé nécessaire de conclure une série de conventions bilatérales ainsi que la convention multilatérale précitées, indique que les pays intéressés ne voulaient pas s'en remettre à l'existence possible d'une règle de droit international positif pour limiter le droit de protection. En outre, même dans la partie de l'hémisphère occidental située au sud du 49me parallèle, les ratifications de la Convention multilatérale n'ont pas été suffisamment généralisées pour permettre d'en déduire que les pays intéressés étaient d'accord sur ce point. Prises dans leur ensemble, les conventions sont trop peu nombreuses et trop espacées pour indiquer une tendance ou l'accord général des Etats, élément essentiel à l'établissement d'un règle de droit international positif. On a dit que la théorie du lien peut se justifier en appliquant au cas présent les principes adoptes par les tribunaux arbitraux pour trancher des cas de double nationalité. Les tribunaux internationaux ont fréquemment dû juger des cas de double nationalité donnant lieu à des demandes contradictoires, en pareils cas, il a été nécessaire de choisir; et le choix a été déterminé par la force relative de l'association entre l'individu et l'Etat dont il était ressortissant. Il y a de nombreux exemples d'Etats qui ont refusé de reconnaître que la naturalisation d'un de leurs citoyens conférait un droit à la protection diplomatique, ou qui ont refusé d'admettre que cette naturalisation le dispensait des obligations inhérentes à sa nationalité d'origine, tel par exemple le service militaire. Mais les problèmes découlant de requêtes contradictoires en matière de nationalité et de double nationalité ne se posent pas en l'occurrence. Il ne fait pas de doute que M. Nottebohm a perdu sa nationalité allemande d'origine du fait de sa naturalisation au Liechtenstein en octobre 1939. Je ne crois pas qu'il soit permis d'appliquer à un cas où les rapports sont tout différents des critères réservés aux cas de double nationalité. Il y a lieu de noter qu'à part les cas de nationalité double, on n'a cité devant la Cour aucun exemple d'un Etat qui aurait refusé avec succès de reconnaître que la nationalité légalement conférée et conservée donnait lieu au droit de protection diplomatique. La théorie du lien soulève d'autres difficultés. Dans le cas de M. Nottebohm, elle se fonde sur la conclusion de fait que rien n'indique que sa demande de naturalisation à l'étranger fut motivée par le désir de rompre les liens qui le rattachaient à l'Allemagne. Il m'est impossible de me rallier à une telle conclusion au stade actuel de l'affaire. Il n'existait aucun lien entre M. Nottebohm et le Gouvernement de l'Allemagne, malgré l'abondance de preuves établissant ses rapports avec le pays, en tant que distinct du Gouvernement. Il existe des difficultés importantes qu'il faut examiner. En premier lieu, je ne crois pas qu'en dehors des cas d'abus de droit et de fraude, le droit international permette d'assujettir les effets de la naturalisation aux motifs qui l'ont inspirée. En deuxième lieu, cette conclusion dépend de l'examen de questions de fond qui ne peuvent être tranchées à l'occasion de l'examen de la fin de non recevoir. En troisième lieu, la rupture des liens avec le pays d'origine n'est pas une condition indispensable pour que la naturalisation soit valable et opposable. Le droit international reconnaît la nationalité double et dans la pratique des Etats il y a actuellement tendance à la généraliser, ce qui implique nécessairement le maintien des liens avec le pays d'origine. Il est à noter que la règle adoptée par le Royaume-Uni en 1987, selon laquelle la naturalisation à l'étranger entraînait automatiquement la perte de la nationalité britannique, a été abandonnée en 1948. En vertu de la nouvelle législation britannique, le citoyen britannique qui obtient une naturalisation étrangère conserve normalement ses liens avec son pays d'origine. En quatrième lieu, je ne suis pas d'accord pour dire que rien n'indique que la naturalisation de M. Nottebohm fût motivée par le désir de rompre les liens qui le rattachaient à l'Allemagne. Il y a trois faits qui établissent qu'il était décidé à rompre ses liens avec l'Allemagne. Le premier est sa demande de naturalisation, le deuxième son serment d'allégeance vis-à-vis du Liechtenstein et le troisième l'obtention d'un certificat de naturalisation et d'un passeport du Liechtenstein. La théorie du lien se fonde en partie sur le fait que le Liechtenstein a renoncé à la condition exigeant une résidence de trois ans. Au moment de sa naturalisation, M. Nottebohm séjournait temporairement au Liechtenstein mais il n'y avait pas établi de domicile et n'avait pas l'intention immédiate de le faire. Mais en l'occurrence, il m'est difficile de considérer le défaut de résidence comme un facteur décisif. Le conseil du Guatemala a admis que "la plupart des Etats, sous une forme ou une autre, soit dans leurs lois, soit dans la pratique, connaissent des cas exceptionnels dans lesquels ils dispensent le candidat à la naturalisation de faire la preuve d"une résidence antérieure prolongée". C'est là un autre point sur lequel les deux Parties sont d'accord, et cette situation a été clairement démontrée en la présente affaire. Le conseil du Guatemala prétend ensuite que le défaut de résidence en l'occurrence pourrait être pris en considération pour déterminer s'il y a eu abus de droit de la part du Liechtenstein, mais j'ai déjà examiné cet aspect de la question. J'estime que les Parties avaient raison et qu'en vertu des règles du droit international positif, le Liechtenstein avait le droit discrétionnaire d'écarter la condition de résidence. Cela étant je ne puis - en l'absence de fraude ou de préjudice - critiquer les facteurs qui ont pu influencer le Liechtenstein dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il n'est pas étonnant que l'on n'ait cité devant la Cour aucun précédent établissant que l'on ait pu contester avec succès l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré à un Etat en vertu des principes du droit international positif, alors qu'il n'y avait eu ni fraude ni préjudice causés à la partie adverse. S'il existait un tel précédent, il aurait certainement été soumis à l'attention de la Cour. Il est dit également que la naturalisation de M. Nottebohm manquait de sincérité et que, du fait de sa conduite ultérieure, elle ne donnait pas lieu au droit de protection. Il est dit qu'il n'a pas renoncé à sa résidence et à ses activités au Guatemala, fondé une entreprise au Liechtenstein et établi là son domicile permanent. Dans le même ordre d'idées, il est dit qu'il ne s'est nullement intégré dans la communauté politique que constitue l'Etat de Liechtenstein. Dans l'examen de ce point, il ne faut pas perdre de vue qu'aucune règle de droit international ne m'autorise à considérer la conduite ultérieure d'une individu comme élément pertinent à la validité et à l'opposabilité de la naturalisation. Néanmoins, je ne puis éviter d'examiner sa conduite depuis octobre 1939. Il m'est difficile d'accepter le point de vue qui a été adopté en ce qui concerne la nature de l'Etat, et l'incorporation d'un individu dans l'Etat par voie de naturalisation. A mon avis, la notion d'Etat est suffisamment large pour englober non seulement le territoire et ses habitants. Mais encore ceux de ses citoyens qui résident à l'étranger, mais qui lui restent rattachés par le lien d'allégeance. Pour la plupart des Etats, les citoyens qui ne résident pas dans le pays sont néanmoins considérés comme faisant partie du corps politique. Dans beaucoup de pays, tels la Chine, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, les citoyens non-résidents forment une partie importante du corps politique t se comptent par centaines de milliers ou par millions. Beaucoup de ces citoyens non-résidents ne se sont jamais trouvés sur le territoire de leur patrie. Je ne vois aucune raison pour laquelle l'organisation du corps politique du Liechtenstein serait ou devrait être différente de celle des autres Etats. A mon avis, M. Nottebohm s'est intégré dans la partie non résidente du corps politique du Liechtenstein. Depuis le moment de sa naturalisation jusqu'à la date de l'arrêt rendu par la présente Cour, il ne s'est jamais départi dans sa conduite de sa qualité de membre de l'Etat liechtensteinois. En octobre 1939, il commença par se procurer un passeport qui fut revêtu du visa de consulat de Guatemala. En arrivant au Guatemala, en janvier 1940, il en informa immédiatement le Gouvernement guatémaltèque et se fit immatriculer comme ressortissant liechtensteinois. Après son arrestation en octobre 1943. Il obtint la protection diplomatique du Liechtenstein par l'intermédiaire du consul suisse. Au moment où on commença à confisquer ses biens, il obtint la protection diplomatique de la même source et par les mêmes voies. Après sa libération, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique lui accorda les pleins droits civils et il entama à Washington des procédures et négociations en vue d'obtenir la libération de ses avoirs bloqués et les poursuivit avec succès en se fondant sur sa qualité de ressortissant du Liechtenstein. Depuis les neuf dernières années, il est membre résidant et actif du corps politique de ce dernier Etat. En ce qui concerne sa résidence et ses affaires, aucune règle de droit international n'exige qu'une personne naturalisée établisse sa résidence et son centre d'activité dans son pays d'allégeance. Toutefois, examinant la question de conduite ultérieure, je ne puis négliger ce qui s'est réellement produit. Tout d'abord, M. Nottebohm avait à l'époque 58 ans -c'est-à dire qu'il était à deux années de la retraite habituelle dans le genre d'activité qui était la sienne. Les témoignages qui ont été fournis prouvent qu'il envisageait réellement de prendre sa retraite. En octobre 1939, il était certainement très absorbé par des projets conçus dans le but de sauver ses entreprises, mais il m'est difficile de croire qu'il ne songeait nullement à sa retraite et qu'il ne pensait pas à Vaduz. Des quinze ans et demi qui se sont écoulés depuis sa naturalisation, M. Nottebohm en a passé moins de quatre au Guatemala, plus de deux aux Etats-Unis et neuf à Vaduz. Il est vrai que les demandes faites en son nom, en 1945, dans le but de le faire rentrer au Guatemala, déclaraient qu'il avait l'intention de reprendre sa résidence dans ce pays. Mais je ne puis négliger le fait que son retour était absolument indispensable pour lui permettre de diriger les 57 procès dont j'ai parlé précédemment et pour laver son bon renom des accusations de déloyauté qui avaient été portées contre lui. Je ne crois pas qu'il faille accorder trop d'importance aux déclarations faites par ses parents au Guatemala en vue d'obtenir sa réadmission dans ce pays. L'essentiel est qu'en 1946, après avoir été libéré, en plein hiver, dans l'Etat de Dakota du Nord, dépouillé de tous ses biens au Guatemala, ses avoirs aux Etats-Unis bloqués, il retourna dans son pays d'allégeance. A mon avis, son retour et son admission au Liechtenstein constituent des preuves convaincantes de la réalité et de l'effectivité du lien qui le rattachait au Liechtenstein. Sa conduite était une affirmation sans équivoque de sa nationalité liechtensteinoise, nationalité reconnue sans équivoque par le Liechtenstein. En outre, il m'est difficile d'admettre deux des conclusions de fait qui se trouvent intimement liées. La première est que la naturalisation n'a rien changé au genre de vie de M. Nottebohm. A mon avis, cette naturalisation, qui l'a finalement amené à établir sa résidence définitive dans son pays d'allégeance, a modifié le genre de vie de ce négociant qui jusque-là résidait et dirigeait ses affaires au Guatemala. La deuxième conclusion est que la naturalisation a été conférée dans ses conditions exceptionnelles de rapidité et de bienveillance. Il y a bien de pays, autres que le Liechtenstein, où la rapidité et la bienveillance sont considérées comme deux vertus administratives. Je ne considère pas que ces qualités altèrent l'efficacité ou la sincérité de leurs actes administratifs. La théorie du lien a été foncée sur la croyance que la nature même de la naturalisation et du lien entre l'Etat et son ressortissant permet de conclure que la naturalisation de M. Nottebohm, bien que valable, n'était pas réelle, et qu'elle ne pouvait justifier le droit de protection diplomatique. Il m'est difficile d'adopter ce point de vue et il est, dès lors, nécessaire d'examiner la nature de la naturalisation, de la protection diplomatique et le caractère juridique des liens qui se sont créés entre le Guatemala et le Liechtenstein en 1940, lors du retour de M. Nottebohm. Le nationalité et le lien qui rattache un citoyen à l'Etat auquel il doit allégeance sont de nature telle qu'ils exigent la certitude. Lorsqu'on examine les circonstances dans lesquelles on invoque ce lien - émigration et immigration, voyage, trahison, exercice des droits et devoirs politiques, service militaire, etc. -, il devient évident que la certitude est indispensable. Il doit exister des critères objectifs, faciles à établir, quant à l'existence et à la reconnaissance de ce statut. C'est pourquoi, dans la pratique des Etats, on a toujours rejeté les critères vagues et subjectifs en ce qui concerne le droit de conférer la nationalité - sincérité, fidélité, constance, manque de lien réel - pour adhérer à la règle du pouvoir discrétionnaire presque illimité de l'Etat, telle qu'elles est contenue à l'article premier du projet de convention de La Haye de 1931. Il existe une relation étroite entre la nationalité et la protection diplomatique. En droit international, il est généralement de règle que la nationalité donne lieu au droit de protection diplomatique. Fondamentalement, l'obligation pour un Etat d'accorder un traitement raisonnable aux résidents étrangers et le droit corrélatif de protection sont fondés sur le consentement des Etats en cause. Lorsqu'un étranger arrive à la frontière et demande à être admis soit pour s'y établir, soit temporairement, l'Etat a toute latitude de lui refuser l'entrée. Cela ne signifie pas qu'il peut nier le statut national de l'étranger, ni refuser de le reconnaître. Mais en refusant de l'admettre, l'Etat empêche la création de liens juridiques entraînant, en ce qui concerne cet étranger, des droits et obligations entre les deux pays. En revanche, en admettant l'étranger, l'Etat crée, de sa propre volonté, une série de liens juridiques avec l'Etat dont cet étranger est ressortissant. L'admission d'un étranger, que ce soit à titre d'immigrant ou comme visiteur, donne naissance à une série de liens juridiques. Deux Etats sont en cause, que je qualifierai respectivement d'Etat d'accueil et d'Etat protecteur. L'Etat d'accueil est soumis à une série d'obligations légales vis-à-vis de l'Etat protecteur, notamment le devoir d'accorder un traitement raisonnable et équitable. Il acquiert des droits vis-à-vis de l'Etat protecteur et de l'individu, notamment les droits inhérents à l'allégeance du lieu et le droit de renvoyer l'étranger dans l'Etat protecteur. Parallèlement, l'Etat protecteur acquiert les droits et obligations correspondants vis-à-vis de l'Etat d'accueil, notamment une limitations de ses droits vis-à-vis de l'individu par suite de l'allégeance du lieu, le droit d'accorder sa protection diplomatique et l'obligation de reprendre son ressortissant en cas d'expulsion. Ce réseau de droits et obligations est d'origine essentiellement conventionnelle - il débute par l'acte volontaire de l'Etat protecteur consistant à permettre à son ressortissant de s'établir dans un autre pays et l'acte volontaire de l'Etat d'accueil consistant à admettre l'étranger. La portée et la nature des droits sont cependant déterminées, dans une large mesure, par le droit international postif. Néanmoins, l'Etat d'accueil reste maître en tous temps, étant donné qu'il peut mettre fin à la situation par l'expulsion. Cet état de choses est illustré par ce qui s'est effectivement produit dans le cas présent. M. Nottebohm, ressortissant allemand, s'est rendu au Guatemala il y a cinquante ans pour s'y établir définitivement. A la suite de son admission comme immigrant, toute la série des liens juridiques prit naissance entre le Guatemala et l'Allemagne. En droit, le Guatemala assumait vis-à-vis de l'Allemagne l'obligation d'accorder un traitement raisonnable et équitable. Le Guatemala avait le droit de renvoyer M. Nottebohm en Allemagne, mais non de l'expédier ailleurs. L'Allemagne avait le droit de lui accorder la protection diplomatique et était tenue en droit de l'accueillir en cas d'expulsion. La naturalisation d'octobre 1939 mit fin à la série de liens juridiques ente le Guatemala et l'Allemagne en ce qui concernait M. Nottebohm. M. Nottebohm retourna au Guatemala en janvier 1940, après avoir modifié profondément ses liens juridiques dans ce pays. Son statut n'était plus celui d'un étranger de nationalité allemande, résidant d'une manière permanente. Il entrait avec un passeport du Liechtenstein et sous la protection de ce pays. Avant son départ, la première chose qu'il fit, c'est de se procurer le visa du consul guatémaltèque en arrivant au Guatemala, il fit immédiatement connaître son nouveaux statut national aux plus hautes autorités du Gouvernement guatémaltèque. Son immatriculation comme ressortissant allemand. Conformément à la loi sur les étrangers, fut annulée et il fut inscrit comme ressortissant du Liechtenstein. Dès la fin janvier 1940, il fut traité comme tel au Guatemala. A mon avis, l'admission de M. Nottebohm au Guatemala et son établissement, conformément à la législation guatémaltèque, en qualité de résident de nationalité liectensteinosie, donnèrent naissance entre le Guatemala et le Liechtenstein à une série de liens juridiques qui ont été amplement décrits précédemment. Dès ce moment , le Guatemala avait le droit de renvoyer M. Nottebohm au Liechtenstein et, corrélativement, le Liechtenstein avait l'obligation de le recevoir en cas d'expulsion. Le Liechtenstein avait, en droit, la faculté d'accorder la protection diplomatique à M. Notebohm au Guatemala, et lorsque ce droit fut exercé en octobre 1943, aucune objection ne fut soulevée par le Guatemala. Je ne puis me rallier à l'opinion selon laquelle le fait que les autorités guatémaltèques ont admis M. Nottebohm comme immigrant de nationalité liechtensteinoise, n'aurait créé aucune lien entre les deux Gouvernements. Je ne crois pas que la position du Guatemala se différencie en rien de celle d'autres Etats et, selon moi, le Guatemala ne pouvait empêcher la formation de liens juridiques de même nature que ceux qui se seraient créés si M. Nottebohm avait débarqué comme immigrant dans n'importe quel antre pays. Lorsqu'il existe entre deux Etats une série de liens, droits et devoirs juridiques, il n'est pas loisible à l'un de ces Etats de mettre fin à cet état de choses par un acte unilatéral. A mon avis, pareils liens ont été créés entre le Guatemala et le Liechtenstein par l'admission de M. Nottebohm, dans le premier de ces pays, en 1940. Le Guatemala aurait pu y mettre fin par l'expulsion , mais il n'aurait pu, sans le consentement du Liechtenstein, abolir le droit de ce pays, conforme au droit international, de protéger son ressortissant. Il est encore un autre aspect de la question auquel je dois me référer. Il est dit que M. Nottebohm avait sollicité la naturalisation dans le seul but d'éviter les conséquences légales de sa nationalité d'origine. Il était Allemand et l'Allemagne était en guerre, mais non avec le Guatemala. Il n'y a guère de doute que cela ait été un de ses motifs, mais la question de savoir si c'était son seul motif relève de la spéculation pure. Il existe apparemment des preuves abondantes sur cet aspect de l'affaire, mais elles ne m'ont pas été communiquées; des preuves pour établir ou pour réfuter l'allégation que la naturalisation faisait partie d'une opération frauduleuse. Mais, dans l'examen d'une fin de non recevoir, il ne m'est pas permis de consulter ces preuves. A ce stade-ci, je dois partir de l'hypothèse que la naturalisation a été obtenue de bonne foi et sans fraude. On s'est plaint de ce que la naturalisation avait pour but d'éviter l'application de mesures de guerre dans le cas où le Guatemala serait entré en guerre avec l'Allemagne. En octobre 1939, si M. Nottebohm lisait les journaux -ce qui est très probable-, il savait que Guatemala, de concert avec les autres Etats panaméricains, s'efforçait par tous les moyens de conserver sa neutralité. Il est bien plus vraisemblable que, se souvenant de l'expérience de Nottebohm Hermanos au cours de la première guerre mondiale, il s'est efforcé de protéger ses avoirs aux Etat-Unis. L'hypothèse selon laquelle il aurait prévu l'entrée en guerre du Guatemala n'est étayée d'aucune preuve, et je ne puis l'accepter. En outre, même si son désir principal avait été de protéger ses biens et ses entreprises en prévision de l'entrée en guerre du Guatemala, je ne crois pas que ce fait aurait pu affecter la validité ou l'opposabilité de la naturalisation. Il n'existait, à l'époque, aucune règle ni en droit international ni dans la législation guatémaltèque lui interdisant une telle action. M. Nottebohm n'a pas caché sa naturalisation, et dès son retour au Guatemala il en a informé les plus hautes autorités gouvernementales. Je ne me crois pas fondé à examiner les motifs qui ont inspiré M. Nottebohm - en l'absence de fraude ou de préjudice à l'égard du Guatemala -, mais même si l'on envisage ce motif particulier, on ne saurait prétendre qu'il empêche l'exercice du droit de protection diplomatique. En raison des circonstances précitées, je suis forcé de conclure que les deux Parties devant la Cour ont considéré avec raison que le droit du Liechtenstein de déterminer qu'en vertu de sa propre législation M. Nottebohm était un de ses nationaux, ainsi que l'obligation qui en découle pour le Guatemala de reconnaître la législation liechtensteinoise à cet égard, sont limités non par des règles rigides de droit international, mais uniquement par les règles relatives à l'abus du droit et à la fraude. En conséquence, je suis d'avis que la Cour devrait rejeter les conclusions finales 2 a) et 2 b) du Guatemala, joindre au fond la conclusion 2 c) et procéder à l'examen des autres fins de non recevoir figurant dans les conclusions finales 1 et 3 du Guatemala. (Signé) J. E. READ.

OPINION DISSIDENTE DE M. GUGGENHEIM, JUGE "AD HOC"

N'ayant pu, à mon regret, me rallier à l'arrêt de la Cour, j'estime devoir exposer mon opinion dissidente. A mon avis, la conclusion du gouvernement du Guatemala tendant à déclarer le Liechtenstein non recevable du fait que F. Nottebohm n'a pas la nationalité liechtensteinoise, aurait dû être jointe au fond et la procédure ajournée pour permettre au Gouvernement du Liechtenstein d'obtenir et de réunir des documents à l'appui des commentaires sur les nouveaux documents produits par le Guatemala, et ceci pour les raisons suivantes:

I

1. Chaque ordre juridique établit lui-même les conditions requises pour la validité des actes juridiques internes. C'est aussi le cas pour l'ordre juridique liechtensteinois en ce qui concerne l'octroi de sa nationalité. Pour la Cour, il s'agit à ce sujet d'une procédure de droit national. La naturalisation est un fait qui doit être prouvé dans le cadre de la procédure internationale et la Cour a certes le droit d'examiner, au moins jusqu'à un certain point, si les faits avancés correspondent à la réalité et à l'effectivité, c'est-à-dire si la naturalisation est réelle et effective du point de vue du droit national. Le pouvoir de vérification que comporte la naturalisation ne se limite donc pas à l'examen de certaines conditions, comme on l'a affirmé par exemple à l'occasion de l'affaire Salem, dans l'opinion dissidente de l'arbitre américain Nielsen qui a prétendu que l'examen du tribunal international porte uniquement sur la question de savoir si le certificat de naturalisation a été obtenu par fraude ou par faveur (voir Recueil des sentences arbitrales, Nations Unies, tome II, pp. 1204 et ss.).

Selon l'opinion dominante de la jurisprudence internationale, il n'est pas douteux que le tribunal international soit autorisé à examiner les conditions dans lesquelles un certificat de nationalité a été accordé. On trouve cette réponse dans la décisions Meyer-Wildermann C. Hoirie Stinnes et consorts, rendue par le tribunal arbitral germano-roumain, le 6 novembre 1924 (Recueil des décisions des tribunaux arbitraux mixtes, t. IV, p. 842). En effet, le tribunal arbitral s'y est réservé explicitement le droit de vérifier les conditions de la reconnaissance officielle de la nationalité. Parmi les nombreuses décisions favorables au contrôle judiciaire et arbitral international du certificat de nationalité, citons encore celle du commissaire Nielsen dans l'affaire Hatton c. United Mexican States (Recueil des sentences arbitrales des Nations Unies du 26 septembre 1928, to. IV, P. 331), qui met, avec raison, l'accent sur l'obligation de prouver la nationalité. "Convincing proof of nationalitz is requisite not only from the standpoint of international law, but as a jurisdictional requirement."

2. Cette jurisprudence est conforme à une règle plus générale: la règle de l'obligation de la preuve de la nationalité n'est qu'une norme particulière de la règle qui accorde au juge international la compétence d'apprécier la validité d'une règle ou d'un acte de droit interne, si cette règle ou cet acte revêt une importance au regard du litige international en cause. La règle ou l'acte de droit interne doivent être considérés comme de simples faits mais ces faits sont à même d'être prouvés et cela "à l'aide de toutes recherches auxquelles la Cour jugera convenable de procéder ou de faire procéder" (C.P.J.I., affaire des Emprunts brésiliens, série A, nos 20/21,p.124). la même décisions précise d'ailleurs: "tout ce qu'on peut admettre à cet égard, c'est qu'elle [la Cour] pourrait être éventuellement obligée de se procurer la connaissance du droit interne qu'il y a lieu d'appliquer".Cf. aussi C.P.J:I., série A, n7,p.19; série A, nos 20/21,p.46; série A/B, n 62, p. 22; série A/B ,n 76, p.19.

3. Le tribunal international ne doit donc pas s'en tenir aux constatations des autorités nationales quant à l'application qu'elles font des règles de droit interne. Il peut, en conséquence, apprécier les faits autrement que les instances de droit interne. Mais le juge international ne doit jamais oublier qu'il est amené à prendre en considération le droit interne, en vue d'exercer une compétence que le droit des gens lui reconnaît. Il ne s'agit pas pour lui de se prononcer sur la validité du droit interne dans l'ordre national, c'est-à-dire d'exercer les pouvoirs d'une instance d'appel et de cassation à l'égard du droit interne. Quel est donc son rôle? Le juge international doit uniquement se préoccuper du droit interne et, en particulier, de la nationalité comme d'un fait constitutif de la recevabilité de la demande portée devant la juridiction internationale. Il s'agit donc, pour le demandeur, de prouver que la nationalité est un acte valable, conforme au droit interne de l'Etat demandeur, et pour le défendeur, s'il le conteste, de prouver le contraire (cf. C.P.J.L., série A, n 5, p. 30).

4. J'arrive à la conclusion qu'il incombait à la Cour de se rendre compte si F. Nottebohm a valablement et effectivement acquis la nationalité, en conformité du droit interne liechtensteinois, et cela de telle manière que la validité de l'effectivité de la naturalisation ne puissent être mises en doute.

La Cour ne doit cependant pas dépasser à ce sujet un cadre nettement circonscrit. Cette limitation de la compétence de la Cour résulte de deux données entièrement différentes; d'une part, en examinant l'application du droit interne par les autorités nationales, la Cour se borne à vérifier si elle est conforme aux obligations que le droit international impose à l'Etat en question; d'autre part, vu que, selon la pratique du droit international, le droit interne n'appartient pas au corps des règles juridiques qu'elles applique directement , la Cour se trouve obligée de prendre position à l'égard du droit national dans le cadre d'une procédure probatoire. Elle ne peut pas examiner librement l'application du droit interne au titre des faits allégués ou contestés par les parties et par sa propre connaissance, afin de déterminer si ceux-ci sont exacts ou inexacts.

5. Comme la loi liechtensteinoise s'applique en premier lieu dans le cadre national, ce sont les autorités étatiques compétentes, et celles-ci exclusivement, qui ont qualité pour apprécier si la loi relative à la naturalisation est appliquée correctement, c'est-à-dire si, dans le cas d'espèce, suffisamment d'éléments sont réunis pour permettre de faire abstraction du "domicile légal sur le territoire de la Principauté depuis au moins trois ans", de considérer la demande de naturalisation "particulièrement digne d'intérêt" et aussi, "à titre exceptionnel", de dispenser le candidat de cette condition (voir art, 6 de la loi du 4 janvier 1934 sur l'acquisition et la perte de la nationalité liechtensteinoise). Même le Conseil d'Etat liechtensteinois n'a pas le pouvoir de revoir l'opportunité des actes juridiques décidés et exécutés en vertu du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives. Cette manière de voir correspond aux principes généraux du droit administratif suisse et allemand. Elle trouve sa consécration dans la jurisprudence du Conseil d'Etat de la principauté, ainsi qu'en témoigne sa décision du 20 juillet 1950, relative à l'octroi d'une concession pour un hôtel (Gastbewerbehaus-Konzession).(Voir rapport de Gestion du Gouvernement princier adressé à la Diète pour l'année 1950, pp. 83 et ss.) Il y est dit qu'en vertu de l'article 40 de la loi sur le Conseil d'Etat, ce dernier ne se prononce que sur la question de droit et non sur le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives. La Cour n'a pas, à mon avis, qualité pour se substituer à une instance de contrôle inexistante dans le droit national.

6. Si l'on examine sous cet angle la questionde l'acquisition de la nationalité liechtensteinoise par F. Nottebohm, il n'y a pas de doute qu'il doive être considéré comme ressortissant de la Principauté. Une naturalisation à laquelle les organes suprêmes, le Prince régnant et la Diète, ont donné leur assentiment, conformément à l'article 12 de la loi sur l'acquisition et la perte de la nationalité, comme ce fut le cas pour F. Nottebohm, est une naturalisation valable, une présomption juris et de jure existe d'ailleurs en faveur de la validité des actes de ces autorités suprêmes, le droit liechtensteinois ne connaissant pas de contrôle judiciaire des actes établis en vertu du pouvoir discrétionnaire desdites autorités.

7. En outre, en vue d'apprécier la validité de la naturalisation, le juge international doit encore tenir compte du fait que, depuis le moment de sa naturalisation, le Liechtenstein n'a jamais cessé de considérer F. Nottebohm comme l'un de ses ressortissants, de même que la Suisse, représentant les intérêts liechtensteinois à l'étranger, ainsi qu'il ressort du certificat de l'Office suisse de compensation du 24 juillet 1946 (réplique, annexe 18, p.90), et probablement aussi le Guatemala, du moins jusqu'à une date qui n'est guère facile à déterminer d'après le dossier. Enfin, F. Nottebohm, ayant effectivement perdu sa naturalisation, n'a jamais invoqué la protection d'aucun autre Etat que le Liechtenstein et il est retourné au Liechtenstein en 1946 sans plus changer de résidence.

II

1. Outre la question de savoir si la nationalité liechtensteinoise a été octroyée à F. Nottebohm d'une manière valable et effective selon l'ordre juridique liechtensteinois, il se pose, comme l'affirme une des conclusions du Guatemala, la question de savoir si la nationalité du Liechtenstein a été accordée à F. Nottebohm en conformité avec les principes généralement reconnus en matière de nationalité, dans le cas soumis devant la Cour, il ne s'agit cependant pas, à mon avis, de ce problème abstrait, mais de celui, plus concret, qui consiste à déterminer si la protection diplomatique résultant de l'octroi de la nationalité liechtensteinoise est opposable au Guatemala en vertu des règles générales du droit international.

2. En effet, cette protection diplomatique liechtensteinoise pourrait être inopérante pour deux raisons différentes entre lesquelles il y a lieu d'établir une nette distinction. D'une part, parce que la nationalité de F. Nottebohm en elle-même serait non valable dans l'ordre international, ce qui entraînerait sa non-validité, et aurait pour conséquence que le Liechtenstein ne pourrait exercer son droit de protection diplomatique. D'autre part, il est aussi possible que la nationalité de F. Nottebohm soit en elle-même valable au point de vue international, mais qu'elle soit inopposable aux Etats à l'égard desquels le Liechtenstein viendrait à exercer sa protection diplomatique, dans les mêmes conditions qu'à l'égard du Guatemala.

3. Le droit international connaît des situations où l'octroi de la nationalité n'est pas valable, ce qui a pour conséquence directe qu'elle ne peut donner lieu à la protection diplomatique. L'irrecevabilité d'une demande du chef d'absence de protection diplomatique n'est alors qu'une conséquence de l'absence des effets de la nationalité dans les relations internationales. D'autres conséquences en découlent comme, par exemple, la non-reconnaissance du statut personnel qui, revendiqué à la suite de l'octroi de la nationalité est déclaré nul, ainsi que la perte de la faculté de demander l'application des droits conventionnels réservés aux ressortissants de l'Etat en cause. Si dans l'ordre international, l'on examine les cas dans lesquels la pratique a reconnu l'inexistence d'un lien valable entre l'Etat et l'individu auquel le premier a octroyé sa nationalité, on constate que cette absence de liens a été reconnue uniquement lorsque l'individu en question possédait une seconde nationalité, ou que l'Etat d'adoption avait octroyé sa nationalité par contrainte, c'est-à-dire sans que l'individu ait donné son consentement, ou sans que l'Etat de la perte ait donné son accord sur le retrait de sa propre nationalité.

C'est dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, où le lien entre l'Etat et l'individu fait à tel point défaut, que les Etats tiers ne sont pas tenus de reconnaître la naturalisation ni de faire droit à la demande de protection. C'est ainsi que les Etats tiers ne devront pas considérer les enfants des diplomates étrangers qui naîtront sur le territoire d'un Etat qui leur attribue sa nationalité comme des ressortissants de ce dernier (cf. Article 12 de la convention de La Haye concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité, de 1930). La propriété foncière seule n'est pas un titre juridique suffisant pour l'octroi de la nationalité (cf. Les décisions de la commission mixte germanomexicaine, Amreican Journal of International Law, 1933, p. 69). L'ordonnance du Reich allemand, du 23 août 1942, autorisant l'octroi de la nationalité allemande à certains groupes de populations sur des territoires étrangers à la souveraineté allemande, mais occupés par l'Allemagne, ne devait pas être reconnue par les Etats tiers parce qu'elle est contraire à certaines obligations imposées à l'Allemagne, par le droit international général (cf. Annuaire suisse de droit international, tome I, 1944, pp. 79 et ss.).

La réintégration obligatoire d'un ancien nationalité établi à l'étrang4er est illicite si l'intéressé a perdu sa nationalité par retrait et si un nouveaux lien n'est pas établi entre lui et l'Etat qui veut le réintégrer dans sa nationalité antérieure (arrêts du Tribunal fédéral suisse, t. 72,I,p.410; t..74,I, pp. 346 et ss.).

Toutes ces situations sont pourtant assez exceptionnelles. Dans le cas de F. Nottebohm, l'octroi de la nationalité liechtensteinoise échappe d'autant plus à ces catégories qu'il a acquis volontairement la nationalité liechtensteinoise et que, de ce fait, il a automatiquement perdu la nationalité allemande en vertu de l'article 25 de la loi allemande sur la nationalité, du 22 juillet 1913, ce qui est, à mon avis, d'une importance capitale pour l'appréciation de l'"effectivité" de la naturalisation liechtensteinoise dans le cadre de l'ordre international. Aucune preuve n'a été apportée dans la procédure que F. Nottebohm ait fait usage de la faculté prévue au même article 25 de cette loi, selon lequel la nationalité n'est pas perdue par celui qui, avant d'acquérir la nationalité étrangère, s'est procuré auprès des autorités compétentes de son Etat l'autorisation écrite de conserver sa nationalité d'origine. Au contraire, le certificat de la vile libre hanséatique de Hambourg, du 15 juin 1954, atteste la perte de la nationalité allemande par suite de sa naturalisation au Liechtenstein (réplique, annexe 19,p.91).

4. Y a-t-il d'autres situations, en dehors de celles que nous avons indiquées, qui permettent à des Etats tiers de déclarer sans effet la naturalisation d'un ressortissant étranger consentant et qui n'a pas conservé sa nationalité antérieure? Pour l'affirmer valablement, il faudrait pouvoir relever, dans les relations internationales, des faits répétés, suivis, démontrant que, dans des circonstances identiques ou analogues à celles de la naturalisation de F. Nottebohm par le Liechtenstein, des Etats tiers ont refusé de reconnaître la naturalisation, de telle manière que l'on puisse admettre qu'un usage permanent s'est créé, avec les caractéristiques d'une pratique générale acceptée comme étant le droit (article 38, litt. 1,b),du Statut de la Cour, ainsi que C.P.J.I., série A, n10,p.28;C.I.J., affaire colombo-péruvienne, Recueil 1950, pp. 276 et ss.).La preuve d'une telle coutune interdisant l'octroi de la nationalité dans les conditions où le Liechtenstein a octroyé la sienne à F. Nottebohm, n'a pas été apportée dans cette procédure. Il ne suffit pas, à cet effet, d'affirmer -sans aucune preuve d'ailleurs - qu'il n'existe aucune autre loi étatique qui permette la naturalisationdans les conditions accordées à F. Nottebohm.

5. D'ailleurs, aucune des tentatives faites en vue de définir le "lien de rattachement" selon des critères autre que ceux que nous venons d'indiquer et qui sont conformes au droit international en vigueur, n'a réussi. Cet échec n'est pas un pur hasard. Il provient du fait que si, pour définir le lien nécessaire pour rendre la naturalisation obligatoire, on ajoute, aux critères objectifs (absence de contrainte à l'égard du candidat, double nationalité, octroi de la nationalité sans retrait de la nationalité par l'Etat auquel l'individu naturalisé appartenait antérieurement), des éléments subjectifs tels que "sincérité de la demande", "fidélité au nouvel Etat", "création d'un centre d'intérêt économique dans le nouvel Etat", "intention de s'intégrer dans la communauté nationale", ou bien on pose des règles qui ne sont nullement conformes à la pratique internationale actuelle, ou bien on formule des principes vagues ouvrant ainsi la porte aux appréciations arbitraires. Le droit international ne défend par exemple nullement à un Etat de se rattacher, au moment de leur naissance, les descendants de ses ressortissants établis à l'étranger depuis des siècles et dont l'unique lien avec l'Etat qui octroie sa nationalité consiste dans la filiation, sans qu'aucun autre élément de rattachement comme, par exemple,la religion, la langue, les conceptions sociales, les traditions, moeurs, genre de vie, etc., puisse être exigé. (Voir, par exemple, Code civil suisse, art, 263, al. 1, 270, 324, al. 1, et art. 10 de la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse du 29 septembre 1952; art. 4 de la loi liechtensteinoise sur l'acquisition et la perte de la nationalité). On ne voit pas très bien comment on peut affirmer que les conditions nécessaires pour que la naturalisation soit valable et effective dans le domaine des relations internationales, ne sont réalisées que s'il existe à l'époque de la demande de naturalisation un de ces liens de rattachement subjectif que nous venons de mentionner.

6. En vue d'apprécier le lien entre l'Etat et son ressortissant, c'est-à-dire de savoir si ce lien est lien est réel, effectif et non fictif, le droit internationale ne tient compte que des éléments extérieurs des faits juridiques auxquels il rattache des effets déterminés, sans se préoccuper du processus psychique du sujet de droit qui édicte un acte juridique comme l'acte de naturalisation, et sans prendre en considération les motifs (très difficilement décelables ) qui ont engagé un individu à faire sa demande de naturalisation. Cette manière de voir n'est nullement démentie par les dispositions de l'article premier de la convention relative aux conflits des lois, adoptées à la Conférence pour la codification du droit international, tenue à La Haye en 1930, dispositions énonçant que la législation édictée par un Etat pour déterminer quels sont ses nationaux "doit être admise par les autres Etats, pourvu qu'elle soit en accord avec ... la coutume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité". Cette règle, dont l'interprétation appropriée fait l'objet de controverses dans la doctrine, ne contient aucune critère exigeant le rattachement "effectif" à la nationalité. Elle renvoie tout simplement aux règles de la coutume internationale et aux principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité, principes qui n'interdisent pas l'octroi de la nationalité dans les conditions aux quelles de Liechtnestein a accordée la sienne à F. Nottebohm.

7. On ne peut davantage affirmer que le lien qui se crée entre un Etat et son ressortissant soit dans toutes les circonstances plus étroit que celui qui existe entre un Etat et un individu qui lui est rattaché par un autre lien comme, par exemple, la résidence permanente. Lorsqu'on examine de près l'évolution du droit moderne dans les Etats civilisés, on peut même affirmer que les droits et devoirs incombant à un individu dans l'Etat de sa résidence permanente sont souvent plus nombreux que ceux qui le rattachent à l'Etat de sa nationalité. Certaines règles régissent les conflits de loi en droit privé et elles illustrent bien cette situation. Dans ces conditions, l'affirmation selon laquelle il existe un lien particulièrement étroit entre l'Etat et son national ne peut guère avoir le caractère absolu qu'on lui prête souvent. Il est en tout cas affaibli lorsqu'il y a dissociation entre nationalité et résidence permanente ainsi que dans le cas de double nationalité, où deux et même plusieurs Etats se disputent un droit à l'attachement de l'individu considéré et exigent de lui qu'il accomplisse les devoirs inhérents à la nationalité, situation qui n'est nullement contraire au droit international commun. Le droit international ne contient d'ailleurs aucune règle qui fasse dépendre l'effectivité de la nationalité d'un lien sentimental entre l'Etat naturalisant et l'individu naturalisé.

8. Cependant, il a été affirmé , aussi bien au cours de la procédure écrite qu'au cours de la procédure orale, qu'il y avait lieu d'examiner le problème de la validité de l'acte de naturalisation indépendamment de l'existence d'un règle concrète du droit coutumier interdisant au Liechtenstein de naturaliser F. Nottebohm dans de telles conditions, mais qu'on devrait retenir à l'égard du Liechtenstein d'un part, et de F. Nottebohm d'autre part, le reproche plus général, celui de l'absence d'un volonté réelle et dépourvue de vice, qui est une condition de validité des actes juridiques en droit international. Toutefois, on ne peut prétendre que la naturalisation de F. Nottebohm était viciée par l'absence d'un volonté réelle de la part du Liechtenstein de la naturaliser, ou de la part de F. Nottebohm lui-même. La réalité de la naturalisation ne peut être mise en doute. Il ne s'agit pas d'un mariage fictif entre le Liechtenstein et Nottebohm. A cet égard, il convient de tenir compte du comportement subséquent de ce dernier qui, après la naturalisation, n'a jamais varié. Il s'est toujours comporté exclusivement comme ressortissant du Liechtenstein et, en prenant fait et cause pour son ressortissant, la Principauté a démontré le caractère sérieux du lien qui la rattache à son ressortissant. Le contrôle de la "sincérité" de la naturalisation, que la Cour peut exiger dans le cadre de la procédure de preuve relative à la réalité et à l'effectivité de la naturalisation, se limite aux constatations que nous venons de faire.

Comme F. Nottebohm n'avait pas de devoirs propres, résultant pour lui des principes du droit international, il n'est pas non plus nécessaire d'examiner s'il agissait avec "bonne foi" lorsqu'il a demandé sa naturalisation. Aucune règle de droit international commun, c'est-à-dire aucune règle coutumière ni aucun principe général de droit reconnu par les nations civilisées, au sens de l'article 38, ,litt b) et c), du Statut de la Cour, ne pose pareille exigence, et aucune responsabilité internationale ne peut être encourue de la part de la Principauté pour n'avoir pas examiné la demande de naturalisation sous cet angle, qui rendrait la naturalisation totalement ou partiellement sans effet à l'égard du Guatemala, pays neutre à l'époque de la naturalisation de Nottebohm. Il serait inadmissible de vouloir exiger à ce sujet que l'Etat naturalisant ou le candidat à la naturalisation prévoient des événements incertains, qui pourraient se produire à l'avenir avec plus ou moins de probabilité.

9. Même si l'on admettait que la Cour a le droit d'examiner les motifs qui ont conduit F. Nottebohm à demander la nationalité liechtensteinoise, il y a lieu de constater que F. Nottebohm n'a nullement manqué aux principes de la bonne foi, tels qu'ils sont définis dans le droit interne des Etats civilisés, et en particulier dans l'article 2 du code civil du Liechtenstein, de 1926. F. Nottebohm n'a dissimulé aucun élément essentiel ni accessoire pour l'appréciation de sa demande par les autorités liechtensteinoises, qui ont donc pu statuer en pleine connaissance de cause sur la requête. Il n'y a donc de la part de F. Nottebohm aucun "manque de loyauté", aucun manquement à la parole donnée qui, dans certaines conditions, pourraient rendre l'acte juridique irrégulier aux fins de l'application et de l'interprétation de la loi liechtensteinoise concernant l'acquisition et la perte de la nationalité. C'est seulement dans le cas où l'on pourrait prouver un agissement dolosif de la part de F. Nottebohm, par exemple la dissimulation de biens allemands grâce à la naturalisation, que l'on pourrait éventuellement, et si certaines conditions étaient réalisées, parler aussi d'un manquement au principe de la bonne foi de la part de F. Nottebohm à l'égard de la Principauté et peut-être aussi à l'égard du Guatemala, dissimulation qui pourrait justifier, comme nous le démontrerons ci-dessous, la non-reconnaissance de la nationalité liechtensteinoise. Dans ce cas, ce ne serait toutefois pas le manquement à la bonne foi qui serait l'élément déterminant pour cette non-poosabilité de la nationalité liechtensteinoise, mais le caractère dolosif de l'opération frauduleuse de dissimulation, dont l'acquisition de la nationalité liechtensteinoise ne serait qu'un des éléments constitutifs.

10. Est-il possible d'admettre la validité de la nationalité de F. Nottebohm aux termes du droit national liechtensteinois et d'affirmer, d'autre part, que cette nationalité ne déploie pas tous ses effets internationaux et que le Liechtenstein ne peut, en conséquence, exercer valablement sa protection diplomatique si cette dernière est contestée par le Guatemala? En effet, le droit international connaît des situations dans lesquelles les effets internes et même certains effets internationaux de la nationalité sont reconnus, mais dans lesquelles la protection diplomatique, exercée en raison de la nationalité acquise, peut faire l'objet de contestations valables, C'est ainsi que l'individu qui possède deux nationalité ne peut jouir de la protection diplomatique que de l'un des Etats don't il est ressortissant au regard de l'autre - et cela quel que soit son domicile. L'Etat ne peut accorder sa protection diplomatique selon l'opinion dominante qu'à une personne qui possédait sa nationalité à l'époque où le fait générateur de la protection diplomatique est né et qui l'a conservée sans interruption jusqu'à l'époque de la réclamation. Cette dissociation de la nationalité et de la protection diplomatique se réduit ordinairement à des situations où l'individu a deux nationalité, cumulatives ou successives, entraînant la conséquence que le titre à la protection peut toujours être exercé par un Etat, qui assure ainsi la possibilité de faire valoir une demande dans le domaine international.

11. Cette affirmation n'est pas contredite non plus par le fait que le juge de l'Etat tiers ou l'arbitre international ont eu, en maintes occasions, à trancher des conflits dans lesquels deux Etats revendiquaient le même individu comme leur propre national, et qu'à ces occasions la tendance prédominante est de faire prévaloir la nationalité effective, conception dont s'est aussi inspiré l'article 5 de la convention de 1930 relative aux conflits des lois en matières de nationalité. Le critère du rattachement effectif de la nationalité a été établi uniquement en vue de conflits résultant de la double nationalité, à l'occasion desquels les Etats tiers doivent choisir entre une nationalité qualifiée de plus effective et une autre de moins effective, ainsi qu'entre deux Etats dont chacun désire exercer la protection diplomatique en faveur du même individu.

Quant aux traités Bancroft, qui ont été invoqués au cours de la procédure, c'est à mon avis, à tort qu'on les considère comme un précédent pour la solution du cas de F. Nottebohm. Indépendamment du fait qu'il s'agit de conventions bilatérales, conclues en 1986 entre les Etats-Unis d'Amérique d'une part, les Etats de Wurtemberg, de Bavière, de Bade, de Hesse et la Confédération de l'Allemagne du Nord d'autre part, elles furent abrogées le 6 avril 1917 (voir Hackworth. Digest of International Law, to.III, p. 384), lors de l'entrée des Etats-Unis d'Amérique dans la première guerre mondiale, et ne peuvent dès lors être considérées comme reflétant les règles du droit international généra., leur objet principal se rapportait à la perte de la nationalité et de la protection diplomatique américaine par les personnes d'origine allemande naturalisées aux Etats-Unis, renouvelant leur résidence en Allemagne sans intention de retourner aux Etats-Unis. Ces traités avaient pour but essentiel d'annuler les effets de la nationalité américaine de personnes n'ayant aucun désir de résider aux Etats-Unis et qui rentraient dans leur pays d'origine, souvent pour éluder les obligations du service militaire. A l'égard des personnes de nationalité double- la nationalité américaine et celle d'un des Etats allemands en question - les traités Bancroft cherchaient à faire prévaloir la nationalité du pays de la résidence effective (cf. Moore, A Digest of International Law, t. III, pp. 358 et ss.)

Le cas d'espèce est tout différent. F. Nottebohm n'était pas un Liechtenstein d'origine se rendant au Guatemala et naturalisé dans ce pays pour retourner et résider ensuite au Liechtenstein. En outre, aucun conflit de double nationalité ne se présente dans son cas. En permettant au Guatemala de déclarer inopposable la demande du Liechtenstein d'exercer sa protection diplomatique, il en résulte que F. Nottebohm, ayant perdu sa nationalité allemande par l'acquisition de la nationalité liechtensteinoise, n'a plus la possibilité d'invoquer aucune protection diplomatique. Une telle dissociation entre nationalité et protection diplomatique ne trouve aucune base ni dans une règle coutumière ni dans un principe général de droit reconnu par les nations civilisées, au sens de l'article 38, litt. 1 b) et c), du Statut de la Cour. Il s'agit donc d'une règle de droit international qui ne peut être appliquée dans le cas d'espèce, surtout dans le cadre de l'examen d'une exception préliminaire, à mon avis, qu'avec le consentement des deux parties en cause, conformément à l'article 38, litte. 2, de son Statut.

12. La dissociation de la validité de la nationalité et de protection diplomatique laisse d'ailleurs un autre problème sans solution. S'agit-il d'une non-validité générale de la naturalisation dans l'ordre juridique international, dépassant ainsi le droit limité des Etats tiers de dénier la protection diplomatique exercée, ou cette non-validité vise-t-elle uniquement le droit du Liechtenstein à exercer la protection diplomatique à l'égard du Guatemala?

Etat donné que les motifs invoqués pour dénier la protection diplomatique se rapportent forcément au mode d'acquisition de la nationalité liechtensteinoise par F. Nottebohm et non à des raisons particulières qu'aurait le Guatemala de ne pas reconnaître les effets de la nationalité dans le domaine de la protection diplomatique, n'importe quel Etat tiers sera en mesure de tirer des conclusions dépassant le cadre restreint du droit de protection diplomatique et ainsi amené à ne pas reconnaître d'autres effets de la nationalité dans le domaine international. Rien ne les empêchera, par exemple, de dire que le statut personnel de F. Nottebohm est celui d'un apatride, F. Nottebohm ayant valablement perdu la nationalité allemande sans avoir valablement acquis la nationalité liechtensteinoise dans le domaine international. Le fait que l'arrêt ne se rapporte qu'au cas d'espèce et que la res judicala est sans effet à l'égard des Etats tiers n'infirme aucunement les considération que je viens de développer. La portée de la décision judiciaire dépasse les effets prévus à l'article 59 du Statut.

13. D'autre part, les motifs invoqués en se fondant sur l'absence d'un lien de rattachement suffisant en vue de dénier l'exercice de la protection diplomatique par le Liechtenstein l'égard du Guatemala visent les réclamations relatives aux dommages causés à l'époque où F. Nottebohm n'avait pas encore sa résidence permanente dans la principauté. En revanche, même dans ce système, rien n'empêche, à mon avis, le Liechtenstein de faire valoir les réclamations qui se rapportent à l'époque où F. Nottebohm a établi sa résidence permanente à Vaduy, où il s'est fixé en 1946 (voir duplique, p. 45). Comme les générateurs du dommage causé aux biens de F. Nottebohm, pour lesquels des réclamations ont été formulées à l'égard du Guatemala, se situent dans la période postérieure à 1946, et qu'en particulier la requête adressée à la Cour par le Liechtenstein est du 17 décembre 1951 et que les procédures d'expropriation pour lesquelles réparation est demandée par la Principauté n'ont été exécutées que postérieurement à l'année 1949, surtout après la mise en vigueur du décret législatif n 630 du 13 juillet 1949 relatif à la loi de liquidation des affaires de guerre (voir contre-mémoire, annexe 39, p. 126), rien n'empêche que la nationalité de F. Nottebohm déploie ses effets ordinaires à l'égard du Guatemala, même si on considère que les liens de fait, plus forts que ceux créés en 1939 par la naturalisation, sont indispensables pour permettre à un Etat de faire valoir sa protection diplomatique en faveur de ses ressortissants.

Il n'est pas possible de nier - si on adopte ce système qui va, à mon avis, au delà des exigences que pose le droit international général- que F. Nottebohm, après une résidence permanente de plus de trois ans au Liechtenstein, puisse faire valoir certaines de ses réclamations à l'égard du Guatemala et que le Liechtenstein soit en mesure de prendre fait et cause pour son ressortissant. Comme F. Nottebohm avait certainement la nationalité liechtensteinoise, consacrée par le "lien" de la résidence au moment où la demande a été adressée au Guatemala (1951), le Liechtenstein remplit à ce sujet toutes les conditions qui ont donné lieu dans la pratique internationale à des controverses en vue de savoir quelle date doit avoir la préférence, à savoir celle où le Gouvernement national "épouse" la demande, celle à laquelle la demande a été présentée à l'agent du Gouvernement défendeur, celle à laquelle elle a été présentée au tribunal international, ou bien la date du règlement de la demande (cf. E. Borchard. Protection diplomatique des Natioaux à l'Etranger, Annuaire de l'Institut de droit international, 1931, to. I, p 284).

D'autre part, il est indubitable que les faits générateurs du litige, c'est-à-dire le préjudice subi quant aux biens expropriés, se placent à une époque postérieure à l'établissement définitif de F. Nottebohm an Liechtenstein. A ce sujet , il y a aussi lieu de retenir que tous les critères sévères en vue de déterminer le caractère national d'une réclamation, qui ont été pris en considération lors des discussions préalables de la Conférence pour la codification du droit international de 1930, sont remplis dans le cas d'espèce (cf. Société des Nations, doc. C. 75.M.69.1929. V., pp. 140 et ss.).

Le fait que la loi guatémaltèque de liquidation des affaires de guerre de 1940, en vertu de l'article 7 du décret législatif n 630, qualifie d'enemies les personnes physiques qui ont eu la nationalité de l'un ou l'autre des pays avec lesquels le Guatemala a été en guerre, ou qui l'avaient le 7 octobre 1938, bien qu'elles aient prétendu avoir acquis par la suite une autre nationalité, ne modifie pas davantage les éléments essentiels de la question en discussion, c'est-à-dire que les faits générateurs du litige se placent à une époque à laquelle F. Nottebohm était ressortissant du Liechtenstein. Or, il n'appartient pas à un Etat tiers de trancher la question de la validité d'une nationalité étrangère en vue de rendre sans effet l'exercice de la protection diplomatique, exception faite peut-être du cas particulier de dissimulation de biens ennemis, qui sera traité sous III et qui, appartenant au fond du litige, ne peut donc être examiné dans le cadre d'une exception préliminaire.

Comme aucun mesure d'expropriation définitive, pour laquelle une demande de réparation a été formulée par le Liechtenstein, n'a été prise avant le retour de F. Nottebohm dans son Etat national en 1946, et que toutes ces mesures n'ont été réalisées qu'après son établissement permanent au Liechtenstein, je ne vois pas comment on peut invoquer l'absence de tout lien de rattachement entre le Liechtenstein et F. Nottebohm même si on admet à ce sujet des exigences allant au delà de ce que demande le droit international commun à ce sujet, en vue de nier que cet Etat a le droit de prendre fait et cause pour son ressortissant en 1951, concertant des actes illicites qui auraient été commis à une époque postérieure à 1946.

14. Les conséquences d'une décision déclarant la requête du Liechtenstein non recevable pour absence de nationalité valable dans la personne de F. Nottebohm, et interdisant à l'Etat demandeur de faire valoir le droit de protection diplomatique à l'égard du Guatemala, entraînent trois conséquences importantes;

a.La règle du droit international, qui veut que la nationalité et la protection diplomatique ne soient pas dissociées dans le cas où la personne protégée n'a qu'une nationalité et où les faits générateurs du litige sont nés après l'octroi de cette nationalité, se trouvera modifiée avec effet rétroactif, seize ans après la naturalisation de F. Nottebohm au Liechtenstein. Cette situation est d'autant plus grave que les principaux faits générateurs du litige n'ont été réalisés qu'après 1949, trois ans après que F. Nottebohm se fût définitivement établi au Liechtenstein et y eût, par une résidence prolongée, noué des lieus solides de rattachement dont l'absence a été alléguée par la partie défenderesse dans la procédure écrite et orale, ce qui, à son avis, interdit l'exercice de la protection diplomatique du Liechtenstein en faveur de F. Nottebohm à l'égard du Guatemala. A mon avis, même si l'on partage cette opinion, on doit admettre au moins la protection diplomatique en ce qui concerne les dommages causés à F. Nottebohm après 1946, surtout ceux mis à exécution à la suite de la promulgation du décret législatif n 630 du 13 juillet 1949.

b.Même en admettant la dissociation entre nationalité et protection diplomatique dans le cas d'espèce, il reste la question de savoir quelles sont les conséquences de l'invalidation totale ou partielle en droit international d'une nationalité valable en droit national. La non-validité se limité-t.-elle au domaine de la protection diplomatique ou s'étend-elle aux autres effet de la nationalité dans le domaine international, par exemple aux droits conventionnels dont peuvent jouir les ressortissantes d'un Etat en ce qui concerne les échanges monétaires, le droit d'établissement, l'accès aux tribunaux internes d'un Etat tiers, etc.?

c.En refusant de reconnaître la nationalité et, en conséquence, le droit de protection diplomatique, on rend l'application de cette dernière- unique protection mise par le droit international général à la disposition des Etats pour faire valoir les prétentions des individus contre les Etats tiers - encore plus difficile qu'elle ne l'était déjà.

En supprimant le droit à la protection, l'examen quant au fond de certaines réclamations alléguant une violation des règles du droit international devient impossible. Si aucun autre Etat n'est en mesure d'exercer la protection diplomatique - comme dans le cas d'espèce -, les réclamations faites au nom d'un individu dont la nationalité est contestée ou déclarée sans effet dans le domaine international, alors qu'il ne bénéficie pas d'une autre nationalité, se trouvent abandonnées. La protection de l'individu, déjà organisée d'une manière si précaire dans le droit international actuel, se trouvera encore affaiblie et ce serait , à mon avis, contraire au principe fondamental inscrit dans l'article 15, litt. 1,d e la déclaration universelle des Droits de l'homme, approuvée le 8 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies, selon lequel tout individu a droit à une nationalité.

Le refus de protection va en outre à l'encontre des nombreuses tentatives contemporains en vue de combattre l'augmentation des cas d'apatride et de remédier à l'absence de protection contre les actes violant les droits fondamentaux les plus élémentaires que le droit des gens reconnaît à l'homme, indépendamment de sa nationalité, de sa religion et de sa race.

15. L'admission de la conclusion de non-recevabilité du chef de la nationalité empêche la Cour d'examiner le fond de l'affaire et, ainsi de se prononcer sur l'existence ou l'inexistence d'un acte illicite de la part de l'Etat défendeur à l'égard du Liechtenstein et de son ressortissant qui n'a aucun autre moyen de protection juridique à sa dispositions. Une exception préliminaire doit d'ailleurs être interprétée d'une manière étroite. Elle ne doit pas empêcher que justice soit faite.

III

Quant au reproche fait à F. Nottebohm au cours de la procédure écrite et orale d'avoir sollicité la nationalité du Liechtenstein en vue de substituer à sa qualité de sujet d'un Etat belligérant la qualité de sujet d'un Etat neutre, il y a lieu de faire les observations suivantes:

1. Il n'existe ni en droit international privé, ni en droit international public, aucun principe raisonnable, aucune décision judiciaire qui permette de déclarer sans effet un nouvelle nationalité qui aurait été acquise en vue d'éviter, dans l'avenir, certains effets de l'ancienne nationalité. Si même on admettait, sans que d'ailleurs la preuve en ait été faite, que F. Nottebohm est devenu liechtensteinois dans le but d'échapper aux conséquences de sa nationalité allemande, la constatation s'impose que le changement de son statut n'a pas été effectué au cours de la guerre entre le Guatemala et l'Allemagne, mais bien avant. On ne peut donc parler d'une modification du statut d'une personne de nationalité ennemie en celui d'une personne de nationalité neutre, comme cela aurait peut-être été le cas, dans certaines conditions, si la naturalisation était intervenue au cours de l'état de guerre entre le Guatemala et l'Allemague.

2. D'autre part, peut-on affirmer que la nationalité de F. Nottebohm serait dolosive, vicieuse, s'il était prouvé qu'en demandant la naturalisation au Liechtenstein, Nottebohm ait voulu de ce fait dissimuler des avoirs appartenant à des ressortissants ennemis au Guatemala? L'on pourrait considérer qu'une nationalité acquise uniquement dans le but de bénéficier de la protection diplomatique d'un Etat neutre n'est pas opposable à l'Etat belligérant contre lequel les actes de dissimulation des biens ennemis sont dirigés, si l'on admet que le dol est en mesure de vicier l'acte juridique et ainsi que la partie défenderesse est fondée à en alléguer la nullité.

L'acquisition de la nationalité fait alors partie d'une transaction devant être qualifiée dans son ensemble de dolosive, entraînant éventuellement la non-reconnaissance du changement de nationalité par l'Etat belligérant lésé, et non pas uniquement l'inopposabilité de la protection diplomatique. Cependant, il sera toujours difficile de prouver l'existence d'une telle transaction dolosive.

3. Quelle que soit d'ailleurs la solution à apporter à ce problème, il aurait fallu, pour l'examiner et le résoudre, aborder le fond du litige. A cet effet, la Cour aurait dû accorder la possibilité à la partie demanderesse de réunir tous les éléments de preuve en vue de lui permettre de se rendre compte si, dans le cas d'espèce, le reproche de la dissimulation de biens était justifié, de telle manière que le Guatemala n'avait pas l'obligation de reconnaître la nationalité liechtensteinoise de F. Nottebohm. La preuve de la dissimulation des biens n'étant pas faite, la Cour aurait dû, à mon avis, joindre au fond l'exception d'irrecevabilité du chef de la nationalité. Cela aurait également dû être le cas pour les deux autres chefs d'irrecevabilité, car leur sort est lié à l'exception d'irrecevabilité quant à la nationalité. En effet, si cette dernière est admise, l'examen de la demande d'irrecevabilité du Guatemala du chef de l'absence de négociations diplomatiques et du non-épuisement des instances internes devient inutile.

4. La décision énoncée par la Cour à l'audience publique du 14 février 1955 a d'ailleurs explicitement réservé le droit du Liechtenstein, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du Règlement, de soumettre tous documents à l'appui des observations sur les nouveaux documents soumis par la partie adverse. La Cour aurait donc dû faire droit à la demande d'ajournement soumise par le Gouvernement de la Principauté de Liechtenstein.

(Signé) GUGGENHEIM.
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