Bangladesh : Une décision de la Cour Suprême change la vie de plus de 300 000 apatrides
Bangladesh : Une décision de la Cour Suprême change la vie de plus de 300 000 apatrides
DHAKA, Bangladesh, 23 février (HCR) - Il fait frais en ce dimanche après-midi dans le camp Geneva à Dhaka, au Bangladesh. De petits groupes se sont formés dans les ruelles étroites de l'installation, cloués devant un écran en plein air diffusant en direct le match de la Coupe du Monde de cricket entre l'Inde et le Pakistan. Certains garçons ont peint le drapeau pakistanais sur leur visage et leur buste, c'est le legs d'un passé qui continue de les affecter aujourd'hui.
Lors de la partition du sous-continent en 1947, des centaines de milliers de locuteurs de langue ourdoue ont migré depuis l'Inde vers ce qui s'appelait alors le Pakistan oriental. Comme certains d'entre eux avaient pris position pour le Pakistan pendant la guerre d'indépendance du Bangladesh, beaucoup ont subi des violences au Bangladesh et ont été forcés de vivre dans des camps dans les centres urbains. Cela était censé prévenir la violence entre la communauté majoritaire et la communauté minoritaire quand le pays est devenu indépendant en 1971.
En 2006, selon les estimations, 151 000 personnes apatrides parlant ourdou vivaient dans 116 camps et installations au Bangladesh, tandis que 100 000 autres vivaient en dehors des camps sans bénéficier de la citoyenneté non plus. Depuis cette date, des décisions judiciaires et un effort concerté des instances nationales et internationales ont contribué à diminuer le nombre d'apatrides et à montrer un bon exemple de la façon de réduire l'apatridie.
A lui seul, le camp Geneva accueille près de 30 000 locuteurs de langue ourdoue. Tandis que la foule du dimanche se concentre sur le cricket, deux jeunes femmes terminent leur journée de travail. Elles ne le savent peut-être pas, mais Nahid Parveen et Shabnaj Akter, toutes deux âgées de 20 ans, détiennent la clé du présent et de l'avenir de leur communauté.
Elles travaillent dans un centre d'aide juridique fondé par Khalid Hussain, le premier avocat parmi la communauté parlant ourdou issue des camps au Bangladesh. Il a étudié dans le camp jusqu'à la 4ème avant de fréquenter une école publique enseignant en bengali. Subissant fréquemment des moqueries et des préjugés, la plupart de ses amis ont abandonné l'école et seuls quatre d'entre eux ont réussi à terminer leurs études - un véritable exploit.
Avec un ami, Khalid Hussain a fondé l'Association de la jeune génération de la communauté parlant ourdou en 1999 et a commencé à plaider pour le droit de cette communauté à obtenir la citoyenneté bangladaise. Deux ans plus tard, Khalid Hussain et neuf autres locuteurs de langue ourdoue ont saisi la justice pour que soit reconnu le droit à la citoyenneté des locuteurs de langue ourdoue.
Le jugement a été prononcé en 2003 - la Cour Suprême a accordé la citoyenneté aux requérants et a ordonné au gouvernement de les enregistrer comme électeurs. Pour Khalid Hussain et sa communauté, ce verdict a représenté un événement déterminant. « Cette décision a changé ma vie », a-t-il déclaré.
Suite à la décision de la Cour, le HCR a aidé à faire le lien entre les militants nationaux, la communauté internationale et le gouvernement. En 2008, la Cour Suprême a déclaré que tous les membres de la communauté parlant ourdou étaient ressortissants du Bangladesh en vertu de la législation et a ordonné à la commission électorale de les inscrire sur les listes électorales et de leur délivrer des cartes d'identité. Cette déclaration a mis un terme à l'apatridie de plus de 300 000 hommes, femmes et enfants parlant ourdou résidant dans le pays.
Grâce à cette avancée, le Bangladesh figure parmi les sept études de cas provenant d'Asie, d'Europe et d'Amérique latine citées dans le premier recueil de bonnes pratiques du HCR publié lundi. Ce premier recueil, intitulé « Résoudre les principales situations actuelles d'apatridie », correspond au premier point du Plan d'action mondial en 10 points qui fait partie de la campagne du HCR intitulée #IBelong visant à éliminer l'apatridie d'ici 2024.
Il montre comment il est possible de régler la situation de centaines de milliers de personnes grâce à la volonté et à l'action politiques, aux conseils techniques et au plaidoyer ciblé du HCR ainsi qu'à la collaboration d'un grand nombre d'acteurs de la société civile.
Au Bangladesh, Khalid Hussain a fondé le Conseil des minorités afin de sensibiliser les habitants du camp locuteurs de langue ourdoue à leurs droits. Les six centres d'aide juridique de l'organisation offre des services gratuits. « Nous facilitons l'acquisition et l'utilisation de certificats de naissance, passeports, licences commerciales et cartes d'identité », explique Khalid Hussain.
Nahid Parveen est fière de travailler là-bas parce que cela lui vaut le respect de la communauté : « Quand je sors de chez moi… les gens me saluent dans la rue ». Shabnaj Akter travaille à temps partiel comme auxiliaire de justice pour pouvoir poursuivre ses études. Ses amis bengalis sont très amicaux, dit-elle. Ils sont à l'aise quand ils lui rendent visite dans sa modeste habitation dans le camp et elle n'a jamais connu de discrimination en tant que locutrice de langue ourdoue.
Bien que des portes se soient ouvertes pour la communauté, des obstacles quotidiens restent à surmonter. Beaucoup de locuteurs de langue ourdoue continuent de vivre dans une pauvreté extrême et sont parfois incapables d'accéder aux services essentiels soit parce que ces services n'existent pas dans leur région, soit parce qu'ils ne peuvent pas satisfaire aux conditions juridiques ou administratives.
Par exemple, les résidents du camp n'ont pas d'adresse valable, une condition requise pour obtenir un passeport. Le défi est maintenant de faciliter un accès sans entrave à leurs droits civils afin qu'ils aient les mêmes opportunités que tout autre citoyen bangladais.
Par Onchita Shadman à Dhaka, au Bangladesh et Roland Schönbauer à Genève