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Déclaration de Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, devant le Conseil de sécurité

Communiqués de presse

Déclaration de Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, devant le Conseil de sécurité

Par Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à New York.
1 May 2025 Egalement disponible ici :
UN-Hochkommissar für Flüchtlinge Filippo Grandi spricht am 28. April vor dem UN-Sicherheitsrat in New York.

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, s'adresse au Conseil de sécurité des Nations Unies à New York le 28 avril.

Merci Monsieur le Président,

Depuis plusieurs années, le Conseil de sécurité a bien voulu m'inviter régulièrement à partager mes réflexions sur la situation globale des réfugiés et autres personnes relevant du mandat du HCR. Je vous remercie donc, Monsieur le Président, de m'accueillir ici une fois de plus – et probablement une dernière fois en tant que Haut Commissaire pour les réfugiés – sous l'égide de la présidence française. C'est une pratique utile, d'ailleurs inscrite dans vos procédures, que je vous encourage à continuer.

Monsieur le Président,

Nous vivons une période de guerre. Nous vivons une période de crise.

Du Soudan à l'Ukraine, du Sahel au Myanmar, de la République démocratique du Congo à Haïti, la violence est devenue l'élément déterminant de notre époque. Bien que le HCR ne soit pas impliqué dans la réponse des Nations Unies à Gaza, la situation des civils sur place, qui semblait ne pas pouvoir empirer, devient chaque jour plus désespérée. Je sais que je ne vous apprends rien, à vous, membres du Conseil – ce qui constitue en soi une forme de condamnation – mais c'est malheureusement la réalité de notre monde. Un monde dans lequel, selon le Comité international de la Croix-Rouge, 120 conflits continuent de faire rage. Chacun d'entre eux est alimenté par cette même croyance perverse mais puissante : que la paix est réservée aux faibles, que le seul moyen de mettre fin à la guerre n'est pas la négociation, mais d'infliger tant de souffrances à ses ennemis qu'ils n'ont plus que deux choix, se rendre ou être anéantis.

Ainsi, aveuglés par l'idée que seule une victoire militaire totale est acceptable, il n'est guère surprenant que les normes du droit international humanitaire, autrefois respectées, ou du moins prétendument respectées – protéger les civils, garantir la neutralité des acteurs humanitaires, permettre l'acheminement de l'aide la plus élémentaire aux populations assiégées –, soient balayées d'un revers de main, aussi facilement que les milliers de vies brisées en quête de victoire. Comme l'a dit le pape François, « toute guerre représente non seulement une défaite de la politique, mais aussi une honteuse capitulation ». Il n'est malheureusement plus parmi nous, mais ses paroles restent plus importantes que jamais.

Prévenir et mettre fin aux guerres, maintenir la paix et la sécurité, telle est la mission du Conseil de sécurité. Telle est votre responsabilité première. Et, vous me pardonnerez de le répéter, c'est une responsabilité à laquelle cet organe a constamment failli.

Mais je vous en prie, ne vous résignez pas à la défaite de la diplomatie. Je m'adresse à vous aujourd'hui une fois de plus au nom de 123 millions de personnes déplacées de force, qui sont parmi les premières victimes des guerres et, à bien des égards, le symptôme le plus visible des conflits et des persécutions. Prises au piège dans des situations dramatiques, elles se sont mises en quête de sécurité, ou du moins ont tenté de le faire. Mais elles continuent d'espérer pouvoir rentrer chez elles en toute sécurité. Et je sais que ces personnes ne baisseront pas les bras et ne veulent pas que nous le fassions non plus.

À l'instar du peuple soudanais, dont un tiers a été chassé de chez lui depuis le début du conflit il y a deux ans. Une personne sur trois ! Ces personnes ont été contraintes de fuir leur foyer en raison d'une situation qui dépasse l'entendement : violences aveugles, maladies, famine, violences sexuelles généralisées, inondations, sécheresses.

Un pays et une société déchirés dans un contexte où tout respect des normes humanitaires semble avoir été abandonné. Je me suis rendu au Tchad au début du mois, à la frontière avec le Soudan. J'y ai rencontré des femmes et des enfants qui venaient d'arriver de El-Fasher et Zamzam, deux villes en proie aux combats. Ils m'ont fait part d'horreurs, mais surtout de leur peur. Les civils du Darfour sont régulièrement empêchés de fuir les zones dangereuses. Pire encore, ils sont activement pris pour cible – vous avez sans doute vu les récents rapports faisant état d'attaques contre des civils dans et autour des camps de déplacés, où l'acheminement de l'aide est non seulement un défi sécuritaire et logistique, comme dans le reste du pays, mais aussi un cauchemar bureaucratique lié à un climat politique délétère. C'est pourquoi il était symboliquement si fort que ces mêmes familles, en me racontant leur parcours, m'aient fait remarquer qu'en franchissant la frontière, malgré toutes les épreuves qu'elles s'apprêtaient à endurer, elles laissaient au moins cette peur derrière elles. Il n'y a pas de meilleur témoignage du caractère vital de l'asile.

Alors que le nombre de Soudanais déracinés continue d'augmenter, les humanitaires tirent la sonnette d'alarme sur le terrible coût pour le peuple soudanais et son avenir. Ils préviennent également, comme je l'ai fait à nouveau lors de la conférence de Londres il y a quelques jours, que les conséquences de ce conflit ont désormais dépassé les frontières du Soudan et touchent en particulier les pays qui accueillent collectivement plus de trois millions de réfugiés soudanais, de l'Égypte à l'Éthiopie, en passant par l'Ouganda et la République centrafricaine. Les pays les plus touchés sont le Tchad et le Soudan du Sud, qui doivent faire face à d'énormes défis en plus de l'arrivée de réfugiés, mais qui ont maintenu leurs frontières ouvertes malgré un financement humanitaire largement insuffisant. L'appel régional en faveur des réfugiés n'est financé qu'à 11 %.

Pourtant, les besoins sont énormes. Les réfugiés arrivent démunis et ne reçoivent qu'une fraction de l'aide nécessaire en raison de la baisse des fonds humanitaires, à laquelle s'ajoute ce que les communautés tchadiennes proches de la frontière peuvent leur donner. Les autorités tchadiennes ne ménagent pas leurs efforts. Les lois et politiques tchadiennes en matière de réfugiés sont parmi les plus progressistes au monde. Ce qui leur manque, ce sont les ressources nécessaires pour continuer à accueillir des réfugiés. Nous ne pouvons pas les abandonner.

Car ce n'est pas une évidence, Monsieur le Président, d'accueillir, de protéger et d'aider les réfugiés – les attitudes beaucoup moins accueillantes à l'égard des personnes déracinées dans des pays beaucoup plus riches le montrent clairement. Tous les pays font des choix, et vous m'avez entendu exprimer mon désaccord avec bon nombre d'entre eux. Dans le cas présent, ce sont les pays qui accueillent les réfugiés qui prennent la bonne décision. Ils font leur devoir. Nous, les humanitaires, sommes sur le terrain et faisons également notre part. Vous devez vous montrer plus déterminés et plus unis pour faire la vôtre. Chaque jour qui passe sans que les parties au conflit soudanais ne s'assoient à la table des négociations rend la guerre encore plus terrible et plus complexe : les réfugiés ne parlent plus seulement de deux parties au conflit, mais d'une prolifération de milices locales, vaguement affiliées aux principaux acteurs, qui commettent des violences et des exactions.

Cette situation confuse et meurtrière est caractéristique des guerres modernes. Nous aurions dû tirer les leçons des guerres en République démocratique du Congo ou en Afghanistan, dont les répercussions continuent de se faire sentir aujourd'hui pour de nombreux membres de ce Conseil. Car si la dynamique actuelle, faite d'impuissance résignée et de diminution de l'aide, ne change pas, ne nous faisons pas d'illusions : les effets déstabilisateurs de la guerre au Soudan s'amplifieront. Cela inclut les mouvements de population : il y a déjà plus de 200 000 Soudanais en Libye aujourd'hui, dont beaucoup pourraient se diriger vers l'Europe.

Monsieur le Président,

Je suis également très préoccupé, comme vous sans doute, par les événements récents en Ukraine, pays où je me suis rendu à six reprises depuis 2022. En janvier dernier, j'étais encore à Kyiv et à Soumy, villes qui ont de nouveau été frappées par des attaques meurtrières ces derniers jours. J'ai été témoin des terribles conséquences de cette guerre sur le peuple ukrainien, en particulier sur les plus vulnérables – les personnes âgées, les enfants, les familles – dont la résilience reste néanmoins admirable, même si elle s'amenuise. Le HCR travaille en étroite collaboration avec le gouvernement et ses partenaires locaux de la société civile pour tenter d'alléger les souffrances et apporter un peu de normalité et d'espoir dans la vie des populations.

Mais il est clair, comme beaucoup l'ont dit, que ce dont les gens ont besoin, c'est d'une paix juste. Mon rôle n'est pas de décrire à quoi elle pourrait ressembler, mais de rappeler à tous ceux qui s'engagent en faveur de la paix de ne pas oublier le sort de plus de 10 millions d'Ukrainiens déracinés, dont 7 millions sont des réfugiés. Il est essentiel de continuer à planifier leur retour au sein de leurs communautés. Mais ils ne retourneront pas chez eux s'ils ne peuvent pas y vivre en sécurité, à court et à long terme. Tant que les sirènes n'auront pas cessé de retentir pour annoncer les attaques, tant qu'ils n'auront pas accès à un logement décent, aux services et à un emploi, et tant qu'ils ne seront pas convaincus que les conditions de la paix sont durables, pour eux et pour leur pays.

C'est là l'équation essentielle pour mettre fin aux crises humanitaires et aux crises de réfugiés, Monsieur le Président. La sécurité et l'autonomie. Et ces deux éléments doivent être perçus comme durables.

Les solutions sont difficiles à trouver. Elles exigent des engagements et des compromis. On ne peut pas instaurer la paix de manière passive ou espérer qu'elle s'installe d'elle-même. C'est pourquoi il est d'autant plus important que, lorsque des opportunités inattendues se présentent, nous soyons prêts à les saisir. Et prêts à prendre des risques calculés.

Au cours des huit dernières années, par exemple, c'est la paralysie qui a caractérisé la réponse apportée à la situation au Myanmar. Les combats entre l'armée birmane et différents groupes armés ont causé d'immenses souffrances et des déplacements à grande échelle à travers le pays et la région, une situation qui a été exacerbée par le terrible tremblement de terre qui a frappé il y a un mois. Le sort de la minorité rohingya, en particulier, s'est encore aggravé. Les combats dans l'État de Rakhine avec l'Armée de l'Arakan ont été particulièrement violents : 1,2 million de Rohingyas sont aujourd'hui réfugiés, principalement au Bangladesh, dans les camps autour de Cox's Bazaar.

Nous devons remercier le Bangladesh et son peuple de leur avoir offert l'asile pendant toutes ces années. Mais les réfugiés rohingyas croupissent dans les camps, sans travail, privés de toute autonomie, entièrement dépendants de l'aide humanitaire, qui devient de plus en plus précaire. La moitié de la population réfugiée a moins de 18 ans. Pour paraphraser le Dr Yunus, ils sont coupés de toute opportunité, mais connectés au monde grâce à Internet. Faut-il s'étonner du fait que beaucoup se sentent contraints de se lancer dans de dangereuses traversées maritimes à la recherche d'une vie meilleure ? Ou du fait que ceux qui cherchent à recruter des combattants y trouvent un terreau fertile ?

Cependant, il existe aujourd'hui une opportunité de briser cette spirale dangereuse. Le gouvernement intérimaire du Bangladesh a choisi de s'engager auprès des parties au conflit dans l'État de Rakhine afin de trouver une solution sur place, là où elle doit être trouvée. Beaucoup diront immédiatement qu'une telle solution est aujourd'hui impossible pour toutes les raisons que nous connaissons : trop de sang a été versé, la discrimination persiste et les intérêts en jeu sont trop nombreux pour être conciliés. Beaucoup diront que les causes profondes ne seront jamais efficacement traitées, et c'est peut-être le cas.

Mais cela fait huit ans que nous sommes dans une impasse concernant la situation des Rohingyas. C'est une voie sans issue. Si l'on veut trouver une solution au sort des Rohingyas et commencer à créer les conditions propices au retour des réfugiés, il est essentiel d'engager le dialogue avec toutes les parties afin que les agences humanitaires, y compris le HCR, puissent rétablir leur présence et reprendre leurs activités humanitaires, en toute sécurité et en toute liberté. Cela permettrait ensuite de relancer les discussions sur le retour éventuel des Rohingyas déplacés – je le souligne : de manière volontaire, en toute sécurité et dans la dignité – dès que la situation sécuritaire dans l'État de Rakhine le permettra, et à partir de là, leurs autres droits fondamentaux pourraient également être rétablis. C'est certes un pari risqué, mais je vous invite à sortir des sentiers battus et à prendre certains risques. J'espère que le Conseil continuera à se concentrer résolument sur la situation au Myanmar, y compris sur le sort des Rohingyas, et j'attends avec intérêt la conférence prévue en septembre ici à New York.

Monsieur le Président,

D'autres changements décisifs sont visibles, littéralement, même d'ici. Vendredi, le nouveau drapeau de la Syrie a été hissé aux Nations Unies – quel symbole puissant pour tous les Syriens ! Il s'agit là d'une autre crise humanitaire et de déplacement de longue date pour laquelle une solution inattendue pourrait désormais être envisageable. Mais pour y parvenir, vous devez tous donner la priorité au peuple syrien plutôt qu'à des considérations politiques qui, pour certaines, sont franchement dépassées. Ici aussi, il s'agit de prendre des risques calculés. Bien sûr, ne soyons pas naïfs, de nombreux défis restent à relever, comme l'a décrit vendredi le ministre Shaibani. Il est impossible de surmonter en quelques mois les ravages causés par 14 ans de guerre. Mais, pour la première fois depuis des décennies, une lueur d'espoir apparaît, notamment pour les millions de Syriens qui sont encore déracinés aujourd'hui, dont 4,5 millions sont réfugiés dans les pays voisins.

Depuis le 8 décembre, ces chiffres diminuent – lentement mais sûrement – à mesure que le mouvement de retour des Syriens déplacés s'intensifie. Nous observons également une augmentation des retours depuis la Jordanie, le Liban et la Türkiye. Nous estimons que plus d'un million de personnes – un million de personnes ! – sont déjà rentrées et, d'après les dernières enquêtes, beaucoup d'autres pourraient suivre.

Que ces personnes restent en Syrie ou, malheureusement, repartent – notamment vers l'Europe et au-delà – dépendra bien sûr des autorités, mais aussi, dans une large mesure, de votre volonté de prendre des risques. Alléger les sanctions, soutenir activement les premiers efforts de relèvement, stimuler les investissements du secteur privé et d'autres acteurs : en un mot, créer les conditions pour que les éléments fondamentaux d'une vie digne – sécurité, eau, électricité, éducation, perspectives économiques – soient accessibles au peuple syrien alors qu'il commence à se reconstruire. Afin de réduire au maximum les risques que prennent les Syriens qui rentrent chez eux, je vous demande de prendre vous-mêmes certains risques, tant sur le plan politique qu'économique. Et pour cela, il faut aussi une aide humanitaire soutenue et plus importante, qui, comme partout ailleurs, diminue fortement en ce moment.

Monsieur le Président,

Je m'en voudrais de conclure sans attirer l'attention du Conseil sur la situation critique que connaît le financement de l'aide. Au moment même où l'espoir renaît de trouver enfin des solutions à plusieurs crises de déplacement, non seulement en Syrie, mais aussi au Burundi ou en République centrafricaine, nous assistons à un recul de la solidarité, du multilatéralisme, et même de l'aide humanitaire d'urgence. Il est question de la priorité donnée aux intérêts nationaux, de l'augmentation des dépenses en matière de défense, ce qui constitue bien sûr des préoccupations légitimes de la part des États. Mais ces objectifs ne sont pas incompatibles avec l'aide humanitaire, bien au contraire.

Je me retrouve donc à répéter sans cesse le même message, essayant ainsi de convaincre les pays donateurs d'une réalité dont nous sommes tous clairement conscients, à savoir que l'aide est synonyme de stabilité. Le gel ou la réduction des budgets d'aide a déjà des conséquences fatales pour des millions de personnes. Cela revient, entre autres, à abandonner les personnes déracinées à leur sort, à priver de soutien des pays d'accueil parfois très fragiles et, en fin de compte, à compromettre votre propre stabilité.

Le multilatéralisme, y compris l'aide multilatérale, renforce cette stabilité et reste indispensable pour trouver des solutions aux crises, y compris aux déplacements forcés. Vous me trouverez peut-être anachronique, Monsieur le Président, mais après plus de 40 ans passés dans l'aide humanitaire, dont près de 10 ans à mon poste actuel, je continue de croire que c'est en s'asseyant à la même table que toutes les voix peuvent être entendues, celles des plus forts comme celles des plus faibles. Et à ceux qui pensent que le multilatéralisme est contraignant, lent et en décalage avec vos priorités, j'espère que vous comprenez que quitter la table des négociations ne signifie pas que le débat prendra fin. Il se poursuivra, mais il sera moins efficace et moins pertinent. Nous avons besoin de vous tous.

La question des réfugiés est l'un des meilleurs exemples de cette tâche commune. Car si vous regardez autour de vous dans cette salle, vous verrez, comme moi, que les déplacements forcés ont concerné tous les membres du Conseil de sécurité à un moment ou à un autre, d'une manière ou d'une autre. La lutte pour la liberté, la lutte contre l'oppression, l'obligation de quitter son foyer à cause de la guerre, de la violence et de la persécution, l'accueil réservé à ceux qui sont contraints de fuir : voilà autant d'éléments familiers à l'histoire de chacun de vos pays, intimement liés de manière complexe et unique à vos traditions et à vos valeurs. Vous avez été des réfugiés. Vous avez accueilli ceux qui cherchaient refuge.

Aujourd'hui, vous êtes assis à cette table, avec la responsabilité de mettre fin à la guerre et d'instaurer la paix. Et vous devez y parvenir.

Vous le devez non seulement à toutes celles et ceux qui ont été déracinés et qui comptent sur vous.

Vous le devez aussi à vous-mêmes.

Merci beaucoup.