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Filippo Grandi au Conseil de sécurité de l'ONU

Communiqués de presse

Filippo Grandi au Conseil de sécurité de l'ONU

31 May 2024 Egalement disponible ici :

Merci monsieur le Président,

C’est un honneur pour moi de faire mon exposé traditionnel devant le Conseil de sécurité pendant la présidence du Mozambique. Comme nous venons d’en discuter, je me suis rendu dans votre pays en mars et j’ai pu voir de mes propres yeux à quel point le Mozambique était aux prises avec nombre des défis mondiaux auxquels le monde est confronté et leur impact sur la vie quotidienne des populations, qu’il s’agisse de certaines des manifestations les plus dévastatrices de l’urgence climatique, des conflits internes violents alimentés par des groupes armés et des déplacements forcés de grande ampleur qui en résultent. J’ai été inspiré par le Président Filipe Nyusi qui, décrivant la manière dont le Mozambique aborde ces problèmes, a ajouté qu’il était important, je cite, que « la situation actuelle ne nous détourne pas de la recherche de solutions ».

Ce message vaut pour nous tous. Il vaut aussi pour le Conseil de sécurité, à l’heure où vous vous trouvez confrontés à de graves atteintes à la paix et à la sécurité. Ce message est crucial si nous voulons aller au-delà des paroles creuses et résoudre les problèmes des personnes.

N’oubliez pas, s’il vous plaît, que parmi ces problèmes figurent le risque et la réalité du déplacement forcé. Je tiens à le dire, car cette dimension est parfois mise de côté ! Le nombre de personnes qui ont été contraintes de fuir de chez elles à cause de la guerre, de la violence et de persécutions a atteint 114 millions d’après notre dernier décompte. Le mois prochain, nous actualiserons ce chiffre : il sera plus élevé. Les solutions politiques nécessaires pour résoudre le problème des déplacements continuent de toute évidence à faire défaut.

Monsieur le Président,

La dernière fois que je me suis adressé à ce Conseil, c’était en octobre. J’avais alors exposé mon avis sur plusieurs crises et averti que le personnel humanitaire, s’il n’abandonnait pas, approchait du point de rupture. Sept mois se sont écoulés mais la situation n’a pas changé, elle a même empiré. Je vais donc, et c’est très regrettable, devoir parler de nouveau des mêmes crises, et de la manière dont elles ont déplacé un nombre toujours croissant de personnes.

Pourquoi une telle situation ? Les raisons sont multiples, et souvent liées à la géopolitique, qui est votre domaine, pas le mien ! Permettez-moi cependant d’insister sur un aspect plus immédiat, dont mes collègues et moi-même, et de fait tous les travailleurs humanitaires, sont témoins dans leur travail quotidien : le non-respect du droit international humanitaire. « Non-respect » est un terme froid et technique. Mais ce qu’il signifie concrètement, c’est que les parties aux conflits, de plus en plus, partout et presque toutes, ont cessé de respecter les règles fondamentales de la guerre, et parfois même de faire semblant de le faire : des civils toujours plus nombreux sont tués ; le viol et autres formes de violence sexuelle sont utilisés comme arme de guerre ; les infrastructures civiles sont frappées et détruites ; les travailleurs humanitaires sont pris pour cible. Tout cela, vous l’entendez et en discutez tous les jours. Le Président du Comité international de la Croix-Rouge, qui a pour mandat de faire respecter ce droit, vous a parlé de ce problème la semaine dernière. Mais je veux que vous l’entendiez de ma bouche aussi, parce que nous, au HCR, nous occupons d’une conséquence spécifique de ces violations : dans la mesure où cette conduite brutale des hostilités a pour but non seulement de détruire mais aussi de terroriser les civils, ceux-ci, de plus en plus souvent, n’ont d’autre choix que de fuir, dans la terreur.

Ce qui se passe à Gaza depuis les attaques du Hamas le 7 octobre dernier et tout au long de l’offensive israélienne, en est un bon exemple. Je voudrais ajouter ma voix à celles qui vous ont instamment demandé de chercher à obtenir un cessez-le-feu immédiat, la libération des otages et la reprise complète de l’aide humanitaire ; et surtout de ne ménager aucun effort pour ressusciter un processus de paix réel, seul moyen d’assurer la paix et la sécurité pour les Israéliens et les Palestiniens. Malheureusement, rien de tout cela n’est encore advenu. Les événements atroces de Rafah ont fait de nous les témoins, une fois de plus et de manière extrêmement tragique, de centaines de milliers de personnes essayant d’échapper aux attaques meurtrières en se déplaçant dans l’espace limité du sud de Gaza, où l’aide ne parvient qu’au compte-goutte, tandis que des dizaines de personnes perdaient la vie. Parmi les nombreuses images de ce conflit qui nous hanteront longtemps, je voudrais mentionner celle de personnes désespérées prises au piège et souvent tuées à l’intérieur d’une zone de guerre. Leur sécurité devrait être notre préoccupation primordiale, elle devrait être votre préoccupation primordiale. Et bien que le HCR, respectant pleinement la répartition du travail avec l’UNRWA, ne soit pas et ne sera pas opérationnel sur ce terrain, permettez-moi de dire, du point de vue de mon rôle et de mon mandat, que si les Palestiniens doivent être protégés où qu’ils se trouvent, l’atroce dilemme consistant à se demander s’ils doivent quitter Gaza ou non, est un dilemme qu’il incombe clairement à Israël d’éviter ; car oui, il existe bel et bien un droit universel de demander asile, auquel les pays voisins des pays en conflit ont si souvent répondu positivement, et que je défendrai toujours, par principe. Mais dans ce cas, il y a aussi, et surtout, l’obligation, découlant du droit international, d’une puissance occupante de ne pas forcer, je répète, de ne pas forcer, la population civile à fuir le territoire qu’elle occupe. Un nouvel exode forcé des Palestiniens ne fera que créer un problème insoluble de plus et rendre impossible de trouver une solution à ce conflit qui dure depuis des décennies.

La guerre à Gaza nous rappelle aussi de manière tragique ce qui se passe lorsque des conflits (et par extension une crise de réfugiés) durent sans que l’on s’en occupe. Elle doit également servir d’appel à ne pas oublier d’autres crises non résolues. Exemple fort (et tout proche) : 13 ans après le début du conflit en Syrie, 5,6 millions de réfugiés syriens se trouvent toujours dans les pays voisins, qui accueillent aussi des réfugiés palestiniens depuis des générations, la situation critique du Liban restant la plus préoccupante, et les tensions relatives à la présence de réfugiés dans ce pays étant de nouveau extrêmement vives ; et la Jordanie, autre pays majeur d’accueil de Syriens, littéralement pris entre deux crises.

Mais le sort des réfugiés syriens ne suscite l’attention que lorsque d’autres facteurs apparaissent. Récemment, l’arrivée de Syriens dans des pays de l’UE a déclenché une vague de propositions sur la façon de résoudre le problème, y compris en renvoyant les réfugiés dans des « zones sûres » en Syrie. Permettez-moi d’en profiter pour réitérer une fois encore notre position sur cette question : le retour volontaire et en toute sécurité de réfugiés syriens dans leur pays d’origine est la meilleure solution, et c’est leur droit. Mais bien que la plupart des réfugiés aimeraient rentrer un jour, très peu le font actuellement, beaucoup exprimant soit leur peur d’être pris pour cible et leur manque de confiance dans le gouvernement syrien, soit la crainte que les conditions de vie en Syrie, services, logement, travail, ne soient dans un état catastrophique. C’est au gouvernement syrien qu’il incombe de remédier au premier groupe d’obstacles ; et concernant le second, nous exhortons tous les pays donateurs à intensifier leur soutien aux activités de relèvement rapide, conformément à la résolution 2642 du Conseil de sécurité. Si notre volonté de résoudre le problème des réfugiés syriens est sérieuse, et elle doit l’être, le seul moyen d’avancer est de surmonter les contraintes politiques et de travailler dans les deux directions, avec toutes les parties prenantes, ce que fait déjà le HCR.

Pendant ce temps, les violations du droit international humanitaire continuent d’avoir un effet dévastateur sur des millions de vies dans le monde, forçant notamment des personnes à fuir. Dans aucune, je dis bien dans aucune des crises de réfugiés et de déplacement que je vous ai décrites en octobre dernier, nous n’avons vu le moindre signe de progrès à cet égard.

Par exemple, au Myanmar, où depuis ma dernière intervention devant vous, plus de 1,5 million de personnes ont été déracinées par les combats, portant à plus de trois millions leur nombre total, beaucoup tentant de trouver refuge dans les pays voisins. La situation dans l’État de Rakhine est particulièrement préoccupante. Le conflit entre les forces armées du Myanmar et l’armée de l’Arakan a repris, déplaçant différents groupes ethniques, la communauté Rohingya se trouvant prise entre les parties et victime d’abus, de stigmatisation et de recrutement forcé, tandis que les travailleurs humanitaires opèrent dans un environnement à haut risque, qui a déjà contraint des organisations à quitter temporairement certaines zones. Je tiens à réitérer ici mon appel récent aux parties, pour qu’elles assurent la protection des civils et des travailleurs humanitaires ; aux pays voisins du Myanmar, pour qu’ils accordent l’accès à leur territoire dans la sécurité aux réfugiés qui fuient pour sauver leur vie ; et à vous, pour que vous œuvriez à ce qu’un processus politique visant à résoudre les problèmes du Myanmar soit de nouveau (et sérieusement) inscrit à l’ordre du jour international, avant que certaines des conséquences de la situation existante ne menacent davantage la stabilité de la région.

En République démocratique du Congo, la violence entre hommes armés est si fréquente qu’aucun autre endroit sur terre n’est aussi dangereux pour les femmes et les enfants que l’Est du pays. Et ma réaction n’est pas naïve. J’y ai travaillé. Je connais les problèmes ethniques insolubles ; le pillage des ressources par une multiplicité d’acteurs, y compris des États ; les ramifications régionales ; l’absence constante de respect du caractère civil des sites de déplacés internes par les hommes armés, mettant en danger à la fois les personnes déplacées et les travailleurs humanitaires. Mais comment les membres des Nations Unies, comment « nous, les peuples » pouvons-nous accorder si peu d’attention à ces situations et être autant dans l’inaction dans un lieu où l’on peut acheter des relations sexuelles avec un enfant pour moins cher qu’une boisson fraîche ? Quelle tache honteuse sur l’humanité !

Nous, les travailleurs humanitaires, nous essayons de jouer notre rôle. L’an dernier, le Président Tshisekedi a demandé au HCR de redoubler d’efforts pour trouver des solutions aux situations complexes de déplacement forcé à travers les frontières de la région, et en particulier entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Le gouvernement rwandais a accepté et nous avons repris le dialogue, mais en réalité, en l’absence d’un processus politique plus large, ou du moins d’un cadre politique, il sera difficile de progresser sur le plan humanitaire ; et l’aide est de plus en plus difficile à mobiliser pour les victimes de cette situation.

Permettez-moi de parler brièvement de l’Ukraine, autre théâtre d’une guerre où le droit international humanitaire est violé chaque jour : voyez les attaques incessantes sur le réseau électrique ukrainien, qui causent d’énormes problèmes aux civils. Les attaques n’épargnent pas les maisons et les infrastructures civiles. En janvier dernier, au cœur de l’hiver, j’ai rencontré des enfants qui se rendaient dans une école de fortune dans le métro de Kharkiv, car c’était le seul endroit où les autorités locales pouvaient assurer la sécurité et le chauffage. Et les déplacements, là aussi, augmentent de nouveau, essentiellement à l’intérieur du pays, et principalement de personnes âgées et d’autres personnes vulnérables vivant près des lignes de front, qui ont besoin d’un soutien humanitaire et psychosocial urgent et vital. Et alors que vous continuez à traiter la guerre en Ukraine comme une question politique et militaire, ne perdez pas de vue ses conséquences humaines profondes et dévastatrices sur le peuple ukrainien.

Monsieur le Président,

Le mépris flagrant du droit international humanitaire par les parties aux conflits rend aussi la paix beaucoup plus difficile à atteindre. La mort, les destructions et les déplacements élargissent les fractures sociales, font voler en éclats la confiance et font qu’il est difficile de recoller les morceaux d’un pays déchiré.

Le Soudan est un exemple évident. Je m’y suis rendu en février. Là, les parties au conflit ne cessent de créer des obstacles supplémentaires pour entraver les activités d’assistance, avec leur refus d’accorder l’accès à certaines zones clés, empêchant les travailleurs humanitaires d’aider nombre des personnes démunies, y compris par des opérations transfrontalières et traversant les lignes de front, dont l’organisation reste extrêmement compliquée. Le contexte politique est décourageant : les efforts de paix insuffisants ou le soutien ouvert à l’une ou l’autre des parties aggravent considérablement le conflit. Pour les deux parties, au mépris de tout esprit d’humanité et sans aucune considération pour leur propre peuple, la solution reste essentiellement militaire. En conséquence, on compte actuellement neuf millions de personnes déplacées à l’intérieur du Soudan ou réfugiées dans les pays voisins, dont certains, comme le Soudan du Sud et le Tchad, sont aux prises avec leurs propres fragilités, soit un nombre similaire à celui que nous avons observé en Ukraine, mais que la communauté internationale n’a cessé de négliger et de traiter avec indifférence. Quant au financement, il reste absolument insuffisant. Lors d’une conférence qui s’est tenue à Paris en avril, conférence bienvenue, plus de 2 milliards de dollars de contributions ont été annoncées mais très peu se sont matérialisées jusqu’ici. Les activités d’assistance à l’intérieur du Soudan ne sont financées qu’à 15 % et les opérations en faveur des réfugiés à 8 %. Ces chiffres se passent de tout commentaire.

Le Soudan est aussi un exemple des conséquences plus larges du non-respect des règles de la guerre et de l’absence totale de responsabilité. Avant tout, bien sûr, envers les civils. Par exemple, presque aucun enfant au Soudan n’est allé à l’école depuis des mois ; et là aussi, les violences sexuelles sont monnaie courante, au Darfour et dans d’autres zones de guerre. Chaque jour, des réfugiés qui arrivent au Tchad nous racontent des histoires effroyables de femmes violées devant leurs enfants et d’enfants assassinés devant leur mère. Alors, je vous voudrais que vous réfléchissiez à ceci : comment des personnes qui ont fui de telles horreurs pourront-elles jamais se sentir suffisamment en sécurité pour avoir envie de rentrer ? Comment pourront-elles jamais faire confiance à ces hommes armés ? Au-delà de ces questions, comment la classe moyenne soudanaise, cette même classe moyenne qui d’une façon ou d’une autre a permis de maintenir la cohésion du pays malgré toutes les tourmentes traversées ces dernières décennies et qui est maintenant déplacée ou détruite, comment cette classe moyenne pourra-t-elle reconstruire le pays après ce conflit ?

Il ne faut pas non plus s’étonner que nous ayons constaté une augmentation de 500 % du nombre de Soudanais qui sont arrivés en Europe dans l’année qui a suivi le déclenchement de la violence. La plupart d’entre eux n’avaient jamais eu l’intention de partir. Mais la violence les a contraints à fuir. Et l’insuffisance de l’aide dans les pays voisins les a forcés à se déplacer de nouveau, notamment vers l’Afrique du Nord et au-delà, vers l’Europe. Les pays riches ne cessent de s’inquiéter de ce qu’ils appellent les « mouvements irréguliers ». Mais dans cette situation comme dans d’autres, ils ne font pas assez pour aider les personnes avant qu’elles ne confient leur sort à des trafiquants d’êtres humains. Les conséquences d’une telle situation sont inévitables.

Ainsi, le respect du droit international humanitaire, qui naturellement est une obligation, relève aussi de l’intérêt propre des pays. Monsieur le Président, c’est un paysage politique sombre que je vois autour de nous, de mon point de vue humanitaire, avec des décisions de politique étrangère à courte vue, souvent fondées sur le deux poids deux mesures, où le respect du droit n’est abordé que du bout des lèvres et où même ce Conseil ne tape guère du poing sur la table pour le faire respecter, et avec lui, la paix et la sécurité.

Le droit international humanitaire est la représentation la plus claire de l’effort visant à trouver un terrain d’entente. Et si, en temps de guerre, certaines des périodes les plus horribles et les plus troublées que l’humanité puisse connaître, les parties sont tenues de mettre leurs différends de côté et d’agir de manière à protéger, au moins, la vie des civils (ce que je les exhorte à faire aujourd’hui), vous devriez en faire autant dans votre travail quotidien.

Et vous me pardonnerez, Monsieur le Président, si j’utilise des mots forts, mais c’est la frustration d’un travailleur humanitaire qui s’exprime ici.

L’an dernier, je vous ai demandé de faire entendre votre voix, et non pas vos voix.

Mais la cacophonie de ce Conseil a fait que vous avez plutôt continué à présider à une cacophonie encore plus grande, reflet d’un chaos qui s’étend désormais au monde entier.

Il est trop tard pour les dizaines de milliers de personnes qui ont été tuées à Gaza, en Ukraine, au Soudan, en République démocratique du Congo, au Myanmar et dans tant d’autres endroits.

Mais il n’est pas trop tard pour que vous concentriez votre attention et votre énergie sur les crises et les conflits qui ne sont toujours pas résolus, afin qu’ils ne puissent s’envenimer et exploser de nouveau.

Il n’est pas trop tard pour intensifier l’aide qui permettra aux millions de personnes qui ont été déplacées de force de rentrer chez elles de leur plein gré, dans la sécurité et la dignité.

Il n’est pas trop tard pour tenter de sauver des millions de personnes supplémentaires du fléau de la guerre.

Je vous remercie.