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Le sombre avenir d'une jeune rescapée de violences sexuelles au Niger

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Le sombre avenir d'une jeune rescapée de violences sexuelles au Niger

Après avoir échappé à un mariage forcé tandis qu'elle était prisonnière de Boko Haram, Adia*, 15 ans, compte aujourd'hui parmi les nombreuses femmes et filles qui se prostituent pour survivre.
25 Novembre 2018
Adia* a été kidnappée et retenue prisonnière par des militants de Boko Haram alors qu'elle avait seulement 13 ans.

Kidnappée et retenue prisonnière par les militants de Boko Haram alors qu’elle n’avait que 13 ans, Adia* s’est retrouvée confrontée à un terrible choix : épouser l’un des combattants ou se faire exécuter publiquement.


« Ils enterraient les gens vivants, en laissant juste leur tête dépasser jusqu’à ce qu’ils meurent », raconte-t-elle. « Si on parlait, si on les suppliait d’épargner la personne, on se faisait exécuter aussi », ajoute-t-elle.

Enlevée par le groupe de rebelles près de la frontière entre le Nigeria et le Niger, Adia est restée prisonnière pendant cinq mois. Séparées des garçons, les filles étaient détenues dans une cour entourée d’une grande clôture surmontée de pointes, leurs moindres besoins laissés au bon vouloir de leurs ravisseurs.

« On mangeait et on buvait quand ça leur chantait. On a souvent passé des jours entiers sans manger », dit-elle.

Les garçons étaient là pour apprendre à combattre. Les filles étaient destinées à devenir leurs épouses, ou bien des bombes humaines : on les faisait pénétrer dans l’enceinte des villages et des marchés, le corps bardé d’explosifs que Boko Haram faisait détonner à distance.

« Ils enterraient les gens vivants. »

En attendant que leur sort soit fixé, elles étaient forcées de travailler comme esclaves et lorsqu'elles ne travaillaient pas, elles subissaient un endoctrinement religieux. Quand elles ne suivaient pas les ordres, elles étaient battues.

Les militants venaient chercher les filles l'une après l'autre pour leur faire épouser l'un des combattants. Quand ils sont venus chercher Adia, elle a refusé. D'autres, qui avaient refusé avant elle, avaient fait l'objet d'une exécution publique.  

Heureusement pour elle, le chef de Boko Haram a décidé de lui laisser un peu plus de temps pour changer d'avis. Dans l'intervalle, une bataille a éclaté à proximité et la plupart des rebelles sont partis combattre. Un groupe de jeunes filles et garçons a profité de l'occasion pour s'échapper, sachant que s'ils étaient capturés, ils seraient eux aussi exécutés en public, comme ils en avaient déjà été les témoins.  

Pendant toute une semaine, le groupe a marché de nuit avant d'atteindre Maiduguri, la capitale de l'État de Borno dans le nord-est du Nigéria. C'est là qu’Adia a embarqué dans un véhicule pour se rendre au Niger voisin où on lui a dit qu'elle serait en sécurité. Malheureusement pour elle, ses tourments n'allaient qu'empirer.  

Un employé du HCR écoute l'histoire d'Aisha*, 14 ans, qui a été enlevée par Boko Haram.

Adia est arrivée à Kindjandi, dans la région de Diffa au sud-est du Niger, où vivent environ 25 000 personnes déracinées par la violence, dont des enfants, femmes et hommes, réfugiés et déplacés internes. Elle ne possédait rien d'autre que les vêtements qu'elle portait sur elle, et ne savait pas où était sa famille.

Plusieurs jeunes filles du même âge ont eu pitié d'elle et l’ont laissée partager leur abri. Toutefois, sans possibilité de gagner leur vie et sans aide humanitaire, les adolescentes n'avaient guère d'autre choix que la prostitution ou, plus exactement, le "sexe de survie".  

« Je me suis très vite rendue compte que j'étais enceinte, après seulement un ou deux mois… Je ne sais absolument pas qui est le père de mon enfant », dit-elle en berçant son bébé d'un an et demi sur son genou.

« Je n'aime pas faire ce que je fais… Mais autrement, il aura faim. Souvent, ils ne me payent pas, ils me donnent juste de la nourriture que je peux partager avec mon bébé. Si je ne trouve pas d'homme dans la journée, on aura faim le soir », ajoute-t-elle.

L'histoire de cette jeune femme de 15 ans est hélas presque banale. Adia compte parmi plus de 118.000 réfugiés nigérians établis à Diffa après avoir fui Boko Haram, et plus de 25 000 Nigériens qui vivaient au Nigéria et ont dû revenir au Niger, à cause du conflit.

Près de 105 000 personnes ont également été déracinées dans la région même de Diffa depuis que la violence, au Nigéria voisin, s'est propagée au Niger, en 2015.

Plus de la moitié de ceux qui ont été forcés de fuir sont des femmes et 55 pour cent d'entre elles ont moins de 18 ans, parmi lesquelles 3 500 rescapées de violences sexuelles ou sexistes.

« Les violences sexuelles et sexistes peuvent prendre de multiples formes. Les violences et les abus ne concernent pas seulement les femmes et les filles qui ont échappé à Boko Haram, mais la famille tout entière et la communauté dans son ensemble qui ont été déstabilisées, humiliées, marginalisées et stigmatisées », déclare Alessandra Morelli, représentante au Niger pour le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

« Nous devons considérer les violences sexuelles et sexistes comme des crimes. »

La situation désespérée des jeunes filles enlevées et mariées de force ou utilisées comme bombes humaines par Boko Haram est apparue au grand jour en 2014, quand près de 300 adolescentes ont été kidnappées dans une école à Chibok, dans l'État de Borno. Il ne s'agissait malheureusement pas d'un événement isolé, car des femmes et des filles continuent d'être régulièrement enlevées. Même lorsqu'elles s'échappent, elles sont souvent stigmatisées par leur communauté.

Le HCR est la première organisation à apporter protection et assistance aux réfugiés et aux populations déplacées dans la région de Diffa. Toutefois, l'intérêt des donateurs s'amenuise.

En janvier 2018, le HCR a lancé un appel régional visant à mobiliser 157 millions de dollars pour répondre aux besoins des réfugiés et des personnes déracinées par Boko Haram dans le bassin du Lac Tchad qui couvre le Niger, le Tchad et le Cameroun. À la fin juillet, seulement 32 pour cent des financements nécessaires avaient été reçus.

Dans la région de Diffa, le HCR travaille avec des organisations partenaires ainsi qu'avec des groupes de protection communautaires, pour une meilleure prévention des violences sexuelles et sexistes et pour donner accès à des services adaptés, notamment l’aide médicale, psychosociale, économique et légale. Compte tenu du sous-financement du secteur de la protection, cette assistance ne peut malheureusement pas être apportée à tous.

« Nous devons considérer les violences sexuelles et sexistes comme des crimes et des violations graves du bien-être, de la liberté et de l'intégrité de l’être humain », souligne Alessandra Morelli.

Le HCR cherche des solutions adaptées pour Adia. Ces solutions passent en premier lieu par l'accueil dans un camp de réfugiés où elle pourra avoir accès aux services de base, y compris : une éducation et un ensemble de services de soutien; et la possibilité d'une réinstallation dans un pays tiers, une aide dont elle a urgemment besoin.

Quand Adia nous a quittés, sa frêle stature ployait sous le poids du bébé qu'elle portait dans le dos et de toutes les épreuves qu'elle a endurées.

*Nom modifié pour protéger l'identité de la rescapée