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Une année de souffrance et d'espoir pour les réfugiés rohingyas

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Une année de souffrance et d'espoir pour les réfugiés rohingyas

Plus de 720 000 femmes, enfants et hommes ont fui les violences qui ont éclaté au Myanmar il y a tout juste un an, le 25 août 2017. Un an plus tard, les solutions se font toujours attendre.
24 Août 2018
Une mère rohingya porte son bébé en traversant une rizière à la frontière entre le Bangladesh et le Myanmar.

Alors que les villages partaient en flammes dans le nord du Myanmar, Tahara, une maman rohyngia a pris son nouveau-né âgé de quatre mois et s’est enfuie sous les pluies diluviennes de la mousson dans sa quête désespérée de sécurité au Bangladesh.


« Nous étions bloqués par la pluie. On a dû se cacher sous un arbre dans les collines pendant deux jours. Je n’avais sur moi qu‘un peu de riz fermenté. Mon bébé avait besoin de lait », se souvient-elle.

Il y a un an, le 25 août 2017, une flambée de violence a embrasé l’État de Rakhine, au Myanmar, et déclenché une vague de destruction et de peur qui a poussé plus de 720 000 réfugiés – dont plus de la moitié sont des enfants – à fuir vers le district de Cox Bazar au Bangladesh.

Au plus fort de la crise, des dizaines de milliers de réfugiés, comme Tahara et son bébé, arrivaient chaque jour au Bangladesh. Cette crise de réfugiés a été celle qui a connu la croissance la plus rapide depuis des années. Alors qu’on apercevait depuis le Bangladesh les nappes de fumée des nombreux villages en feu, en un mois seulement, près de 500 000 enfants, femmes et hommes ont fui et traversé la frontière.

Beaucoup d’entre eux ont mis des jours à traverser à pied la chaine de montagnes Mayu de l’État de Rakhine, ou ont traversé à la pagaie sur des radeaux de fortune la rivière Naf, la frontière naturelle entre le Bangladesh et le Myanmar. Certains sont même passés à la nage. Parmi ceux qui sont arrivées à Cox Bazar, il y avait des femmes enceintes de plusieurs mois et près d’accoucher, ou encore des hommes blessés par balle ou au couteau. Il y avait des enfants qui avaient été séparés de leurs parents et des familles qui portaient leurs aïeux dans des couvertures suspendues à des bâtons de bambou.

Comme presque tous les réfugiés au Bangladesh, Tahara est Rohingya, une minorité musulmane du Myanmar qui fait l’objet depuis longtemps d’une politique discriminatoire de refus du droit à la citoyenneté, des droits les plus essentiels et de la possibilité de mener une vie normale, dans la dignité. Tahara et son bébé étaient parmi les premiers arrivants au Bangladesh, et avaient dû donner bijoux et autres possessions personnelles aux pêcheurs qui les ont fait passer depuis le Myanmar.

« Il fallait passer en bateau, alors j’ai donné de l’argent. J’ai aussi dû donner mes boucles d’oreilles », raconte-t-elle.

Les Bangladais ont été les premiers à répondre à l’urgence, alors que les vagues de réfugiés arrivaient sous la pluie dans les régions de Kutupalong et Nayapara. Épuisés, émaciés, tous avaient un besoin urgent de nourriture, d’eau et d’abris. Le gouvernement a maintenu l’ouverture des frontières du pays et a lancé un vaste programme de vaccination des enfants, tandis que les citoyens multipliaient les actions d’aide en faveur des réfugiés.

Des voitures, des camions et des autobus ont afflué de tous les coins du pays tandis que des ouvriers d’usine, des associations professionnelles et des groupes religieux se sont mobilisés pour fournir le minimum vital, riz, lentilles, et eau en bouteille, et distribuer vêtements et bâches aux réfugiés qui les attendaient, alignés debout dans la boue. Dans le district de Cox Bazar, de petits exploitants ont aussi donné de petits lopins de terre aux réfugiés pour y bâtir des abris et reconstruire leurs vies.

« Dès le début, la population locale a ouvert son cœur », se souvient Anupam Das Anup, l’un des assistants du gouvernement du Bangladesh chargé des camps à Cox Bazar. « Ce sont eux qui ont sauvé le plus de vies. »

Les organisations internationales ont très rapidement intensifié leurs efforts pour soutenir le gouvernement. À la fin du mois de septembre, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, avait doublé le nombre de ses agents à Cox Bazar et fait livrer par avion plus de 1 500 tonnes d’aide d’urgence vitale au Bangladesh, dont des couvertures, des bâches en plastique, des matelas, des tentes et du matériel de cuisine.

« Ils n’ont absolument rien », avait souligné le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, au cours d’une visite à Cox Bazar au mois de septembre. « De ma carrière, j’ai rarement vu des gens arrivés aussi démunis. Ils ont besoin de tout. »

En quelques semaines, un vaste camp s’était spontanément créé sur les collines qui entourent Kutupalong. Avec une population plus importante que celle de Lyon, la troisième ville française, le camp suscitait des inquiétudes relatives au manque d’abris adéquats, d’eau, de systèmes sanitaires et d’accès aux services essentiels. Au vu du risque d’épidémies qui auraient provoqué une ‘catastrophe au sein de la catastrophe’, le HCR et ses partenaires ont installé des milliers de latrines supplémentaires, et creusé des puits tubés et des trous de puisage pour assurer une amenée d’eau saine.

Le HCR a ajouté des cliniques et des centres médicaux pour essayer de contenir les flambées de maladies telles que diarrhée aqueuse aiguë, rougeole et diphtérie, soutenu dans ses efforts par l’action de sensibilisation de bénévoles issus de la communauté des réfugiés. Dès les premières semaines de la crise, le personnel médical a également assuré les premiers soins en santé mentale aux réfugiés qui avaient été témoins d’horreurs indicibles ou perdu des proches.

Dans les mois qui ont suivi, de nouveaux points d’information ont été établis pour aiguiller les résidents vers les services disponibles, notamment vers les centres de formation qui assurent un enseignement de base, de compétences liées à la vie quotidienne et de mathématiques, ainsi que vers des espaces dédiés aux femmes et aux enfants qui travaillent avec le soutien des agences de l’ONU et d’ONGs partenaires. BRAC, une ONG locale offre des activités supplémentaires et notamment des formations professionnelles dans les domaines de la couture ou de la fabrication de poudre dentifrice ou de savon.

« J’aime la couture et j’ai besoin de revenus », explique Laila Begum, une maman célibataire de 25 ans, qui participe à un atelier de couture qui forme des dizaines de femmes à la fabrication de filets de pêche et de calots de prière qu’elles pourront ensuite vendre.

Alors que la saison de la mousson était sur le point de commencer au Bangladesh, l’un des pays du monde les plus sujets aux catastrophes naturelles, le HCR et ses partenaires étaient lancés dans une course contre la montre pour protéger les réfugiés établis dans des campements précaires à flanc de colline ; quelque 200 000 personnes vivaient ainsi dans des zones à risque de glissements de terrain ou d’inondations.

En l’absence d’un service de travaux publics pour renforcer ce qui est aujourd’hui la sixième ville du Bangladesh, le HCR a travaillé conjointement avec le Programme alimentaire mondial et l’Organisation internationale pour les migrations pour mobiliser des ingénieurs et des engins de terrassement dans le campement afin de réparer les routes endommagées, dégager les égoûts et les éboulements, et stabiliser les pentes instables.

Les réfugiés ont eux aussi travaillé nuit et jour pour renforcer leurs abris et, dans certaines zones, ils ont nivelé des collines entières pour y reconstruire de nouveaux abris, plus sûrs. Avec l’aide des ingénieurs et de l’armée du Bangladesh, les réfugiés ont participé à la reconstruction ou à la réparation de plus de 2 kilomètres de ponts, 32 kilomètres de routes, 45 kilomètres d’escaliers, 63 kilomètres de structures de soutènement et de 91 kilomètres d’égouts.

« Avant, on marchait dans la boue », raconte Hafiz, un réfugié de 30 ans, alors qu’il fait une courte pause pendant la reconstruction d’un pont en bambou sur l’une des artères principales de Kutupalong. Lorsqu’il est arrivé du Myanmar, au mois d’octobre, au terme de 14 jours de marche à pied le long d’un chemin parsemé de cadavres, il n’y avait que très peu de points d’eau disponibles pour les réfugiés et il a puisé de l’eau dans des canaux, sans en connaitre l’origine.

« Aujourd’hui, nous avons des ponts, des toilettes en meilleur état, plus d’eau potable et de nourriture », dit Hafiz.

Grâce au travail de Hafiz et des autres, il a été possible de réinstaller 24 000 réfugiés dans des zones sûres, à l’abri des inondations et des glissements de terrain, et de prévenir un nombre incalculable de décès.

Un an plus tard, la réponse humanitaire au Bangladesh reste axée sur la nécessité de subvenir aux besoins humanitaires énormes des réfugiés du sud-est du pays, alors qu’un nombre réduit de nouveaux réfugiés continue à franchir la frontière en quête de sécurité – on compte environ 12 000 nouveaux arrivants depuis le mois de janvier.

Un soutien accru des bailleurs de fonds est nécessaire pour financer un plan d’aide humanitaire essentiel de 951 millions de dollars destinés à assurer le maintien de l’aide vitale jusqu’à la fin de l’année. Au début du mois d’août, seuls 32 pour cent de ce montant ont été financés.

L’objectif reste le retour volontaire des réfugiés dans leurs foyers au Myanmar, lorsque les conditions locales le permettront. Le HCR travaille avec les autorités du Myanmar pour créer ces conditions dans l'Etat de Rakhine. Mais des progrès importants demeurent nécessaires pour lutter contre les causes profondes de la crise, notamment la liberté de circulation, la sécurité et une voie vers la citoyenneté pour toutes les communautés.

Dans l'intervalle, il est urgent d'accroître l'aide internationale afin d'intensifier l'assistance au Bangladesh et de passer d'un soutien purement humanitaire et quotidien à une aide à moyen terme - à savoir la fourniture de moyens de subsistance, l'éducation, l'enregistrement, les programmes pour les plus vulnérables - les enfants, les femmes et les personnes âgées.

Pour Kurshida, une bénévole communautaire de santé, la possibilité d’obtenir une éducation signifierait une transformation profonde. « Nous sommes qualifiés », dit-elle. « Nous voulons nous former pour pouvoir parler en notre nom propre. »

Reportage de Keane Shum, Roger Burks et Viktor Pesenti à Cox Bazar, Bangladesh.