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Angelina Jolie : « Saisissons ce moment pour repenser notre approche de l'aide humanitaire »

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Angelina Jolie : « Saisissons ce moment pour repenser notre approche de l'aide humanitaire »

Déclaration de l'actrice et Émissaire du HCR sur les raisons pour lesquelles 2020 est le moment de repenser les modalités de l'aide
10 Décembre 2020

8 décembre 2020 - J’avais un peu plus de 20 ans lors de ma première visite dans un camp de réfugiés et j’y ai rencontré un père désemparé dont le fils était dans un état désespéré. Cet enfant de 12 ans souffrait de malnutrition aiguë et la maladie due à une blessure par balle n'avait pas été traitée assez rapidement. Le personnel du dispensaire avait fait tout son possible et venait de renvoyer l'enfant chez lui.

Dans mon désarroi, j'ai demandé si je pouvais prendre en charge son évacuation pour l'envoyer ailleurs, n'importe où, afin qu'il puisse recevoir des soins médicaux. L'équipe avec laquelle je me trouvais m’a gentiment expliqué que l'enfant n'avait aucune chance de survivre et qu'en outre, le triage médical était une réalité quotidienne dans les camps de réfugiés pour tenter de sauver le plus grand nombre de vies possibles avec des moyens extrêmement limités.

Je relate cette histoire aujourd'hui parce que je pense que d'instinct, chacun d'entre nous a le désir d'aider quand nous sommes confrontés à la souffrance. Toutefois, déterminer comment il faut aider est parfois plus complexe qu'il n'y paraît.

Durant les 20 années écoulées depuis le début de mon collaboration avec le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, j'ai participé à des opérations d'aide de diverses natures. J'ai fait des dons au HCR et à d'autres programmes de secours d'urgence des Nations Unies, soutenu la construction d'écoles pour les jeunes filles réfugiées et financé des programmes sanitaires et environnementaux à long terme. Je ne cherche pas à laisser entendre que j'ai fait quoi que ce soit de spécial, loin de là. J'ai fait des erreurs et j'apprends toujours. Toutefois, la véracité de certains principes semble s'imposer.

Le premier de ces principes est que les locaux savent mieux que quiconque comment venir en aide à leurs compatriotes, hommes et femmes. Ils les connaissent et les comprennent, tout autant que leur contexte. Grâce à mon travail auprès du HCR, j'ai appris que les organisations locales de première ligne sont généralement les plus rapides et les plus efficaces en cas de situation d'urgence et assurément, pour ce qui est du développement à long terme de leurs sociétés. L'une des conséquences bienvenues de la pandémie est qu’avec le confinement de la planète et l'interruption des voyages, nous entendons beaucoup plus les citoyens des pays eux-mêmes, plutôt que des étrangers. Nous avons assisté à un foisonnement d'innovations locales pour résoudre les problèmes posés par la pandémie. C'est quelque chose dont nous devons nous réjouir et profiter de l'occasion pour repenser notre approche de l'aide humanitaire et du développement afin qu'elle parte de la base, en plaçant les déracinés au cœur de notre réponse et en donnant davantage de pouvoir aux personnes les plus affectées.

Deuxièmement, il n'y a pas meilleur investissement que de soutenir l'éducation. L'objectif de l'assistance doit être d'aider les gens à devenir autosuffisants. Aucun individu, aucun pays, ne souhaite vivre dépendant d'autrui. Par leur dur travail et leurs aptitudes, des jeunes filles d'une école que je soutiens au camp de Kakuma, au Kenya, ont obtenu des résultats comptant parmi les meilleurs aux examens nationaux. Or, même avant la pandémie, la moitié de l'ensemble des enfants réfugiés n'était pas scolarisée et seulement 3% des jeunes réfugiés pouvaient accéder à l'enseignement supérieur. C'est un terrible gaspillage de potentiel humain. En cette époque de pandémie de coronavirus, les initiatives qui permettent aux jeunes filles de poursuivre leur scolarité sont essentielles. Les jeunes filles sont bien plus susceptibles que les garçons d’être déscolarisées et contraintes de travailler ou de se marier précocement. Les solutions ne sont pas toutes complexes. Dans le camp de Kakuma, la distribution de lampes permettant aux enfants de continuer à étudier quand ils ne sont pas à l'école s’est révélée le moyen le plus efficace de venir en aide aux filles pendant le confinement.

Troisièmement, il est capital de financer des foyers d'accueil où les femmes peuvent échapper à la violence, obtenir un soutien post-traumatique et acquérir de nouvelles compétences. Il faut une augmentation considérable de l'assistance, surtout pour la mise en place de foyers d'accueil et de services afin de mieux aider les femmes et les enfants déracinés qui ont été violés ou sont victimes de violences familiales. Cela vaut partout dans le monde, y compris dans les pays développés et en paix tels que le mien. Mais il est impossible de justifier qu'actuellement, moins de 1 % des fonds d’aide humanitaire internationale sont alloués à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Des pressions doivent être exercées sur les gouvernements pour faire évoluer cette situation, mais l'action individuelle a également sa place en incitant les organisations à se focaliser davantage sur ces questions.

Enfin, et c'est peut-être le plus important, si nous ne réfléchissons qu'en termes d'aide humanitaire, nous interviendrons toujours a posteriori. Nous ne pouvons nous borner à apporter des secours humanitaires sans nous élever contre les agresseurs qui sont les auteurs premiers des violences et des déplacements. Les réfugiés rohingyas au Bangladesh n'ont pas seulement besoin de nourriture, d'abris et d'éducation, ils ont besoin de pouvoir rentrer chez eux en toute sécurité, au Myanmar où leurs droits de citoyens doivent être reconnus. L'aide ne peut se substituer aux accords de paix, à la responsabilité des crimes perpétrés contre des civils innocents et à l'aptitude des pays à commercer librement pour devenir prospères et indépendants.

Aujourd'hui pourtant, au lieu de trouver des solutions aux conflits, nous nous attendons à ce que les familles réfugiées survivent indéfiniment sur des rations toujours plus maigres, avec des perspectives toujours plus faibles de rentrer chez eux. Le Programme alimentaire mondial a récemment annoncé que par suite des réductions de l'aide, son assistance alimentaire ne pourrait plus être apportée que tous les deux mois au Yémen où les enfants meurent de faim. Consultez le Service de surveillance financière et vous constaterez qu'à l’heure où j'écris, moins de 6% des fonds demandés pour apporter les secours strictement nécessaires aux réfugiés du Soudan du Sud ont effectivement été reçus.

Peu importe les difficultés rencontrées, les employés du HCR disent et font tout leur possible pour soutenir les réfugiés comme ils l'ont fait tout au long de la pandémie, parfois dans les endroits les plus difficiles du monde. Or, nos dirigeants restent trop souvent silencieux, quand encore ils ne contribuent pas au problème. L'incapacité du Conseil de sécurité des Nations Unies à aborder cette question est pour moi une source de malaise croissant.

La pandémie offre l'occasion de réinventer notre approche globale de la politique étrangère et de l'assistance humanitaire pour déterminer comment parvenir à un monde plus stable et plus équitable. Si vous êtes en mesure de donner, je conseillerais de faire des dons directs aux organisations locales dans la mesure du possible, de les écouter exprimer leurs besoins les plus impérieux et de donner la priorité à la protection des femmes et des enfants. Renseignez-vous sur les moyens d'appuyer l'action du HCR (unhcr.org/uk/get-involved.html). Et si vous ne pouvez pas donner de l'argent, s'il vous plaît accordez votre respect et votre empathie aux réfugiés qui sont en première ligne du combat pour la liberté de vivre à l'abri de la persécution.

Cette tribune a été initialement publiée en anglais le 8 décembre 2020 dans le Financial Times.