Allocution prononcée par M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à l'Université de Genève
Allocution prononcée par M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à l'Université de Genève
Le 26 juillet 1961
I. INTRODUCTION
1. Le problème des réfugiés est un des grands problèmes humanitaires de notre temps. Problème international par excellence, il a été du ressort de l'organisation internationale depuis la création de la Société des Nations. J'évoquerai à ce propos le nom illustre du premier Haut Commissaire pour les réfugiés, Fridtjof Nansen, dont le centenaire sera commémoré en octobre de cette année. Dès 1921, Genève a été le centre de l'activité internationale en faveur des réfugiés et, à part une interruption pendant la deuxième guerre mondiale, elle est restée le siège des organisations internationales chargées de l'aide aux réfugiés. Celles-ci ont bénéficié ainsi de l'ambiance et de l'esprit de solidarité qui ont donné naissance à certaines des plus grandes oeuvres humanitaires et sociales.
2. Je suis d'autant plus heureux d'avoir cette occasion de faire un exposé sur le problème des réfugiés et sur l'activité du Haut Commissariat dans cette enceint, devant des auditeurs venus de nombreux pays et s'intéressant spécialement à l'activité internationale.
II. DIFFERENTS ASPECTS DU PROBLEME DES REFUGIES
3. L'étude du problème des réfugiés présente un intérêt particulier du point de vue de plusieurs disciplines : notamment le droit, l'économie politique, la psychologie, la sociologie et les sciences sociales. Chacune de ces disciplines correspond à un aspect particulier du problème des réfugiés et est en même temps un instrument de travail indispensable pour approfondir le problème, élaborer des solutions et les mettre en oeuvre. En voici quelques exemples :
4. Sur le plan juridique la situation du réfugié se caractérise en général par une interruption des rapports de droit entre le réfugié et son pays d'origine. Arrivé dans un autre pays, le réfugié est un étranger qui se distingue des autres en ce sens qu'il subit les inconvénients sans bénéficier néanmoins des avantages que la qualité d'étranger peut parfois comporter. En tant qu'étranger, il n'a pas les mêmes droits que les ressortissants du pays d'accueil et il est donc limité dans son champ d'activité. D'autre part, il ne peut se prévaloir de l'aide de son pays d'origine. Les difficultés auxquelles il doit faire face sur le plan juridique relèvent aussi bien du droit public - délivrance de permis de séjour et de titres de voyage, droit d'exercer sa profession et de bénéficier de prestations sociales - que de droit privé et notamment du droit de famille.
5. Pour parer à ces difficultés un ensemble de mesures connues sous le nom de protection juridique ou encore protection internationale des réfugiés est mis en oeuvre par l'organisation internationale.
6. Sur le plan économique, les réfugiés se heurtent à des difficultés qui varient évidemment selon leur profession, leurs aptitudes, leur lieu d'origine et leur pays d'accueil. D'une façon générale, les réfugiés arrivent les mains vides dans leur pays de destination et doivent repartir à zéro. Non seulement ils ne possèdent rien mais en outre, se trouvant dans un pays étranger, sans famille, sans amis, sans ressources, ils ne peuvent obtenir de prêts ou recevoir une aide privée pour se faire une nouvelle existence. Ils sont donc handicapés d'emblée. En raison de la situation du marché de la main-d'oeuvre, ceux qui connaissent un métier n'ont pas toujours la possibilité de l'exercer et sont souvent obligés de prendre un autre travail ne correspondant ni à leurs aptitudes ni à leur expérience antérieure. Cependant, ils ne peuvent retourner chez eux, et il leur est souvent difficile de se réinstaller dans un tiers pays. Il leur faut donc accepter ce qu'on leur offre, même s'ils se trouvent déclassés sur le plan économique.
7. Pour remédier à ces difficultés, l'organisation internationale met en oeuvre des projets d'assistance et d'entretien pour parer aux besoins immédiats et des projets d'aide économique à long terme dont je vous reparlerai en détails.
8. Après les difficultés d'ordre juridique et économique viennent les difficultés sociales dont certaines sont les mêmes pour les réfugiés que pour d'autres étrangers, comme, par exemple, le changement de milieu, de langue et d'habitudes. A celles-ci viennent s'ajouter le déclassement social qui suit le déclassement économique et rend l'assimilation plus difficile encore. Je pense, toutefois, que l'attachement au passé, l'incertitude de l'avenir et plus encore l'impossibilité de choisir cet avenir en toute liberté constituent pour les réfugiés l'handicap le plus important - handicap qu'ils ne pourront surmonter que grâce à un réel effort de leur part et à une compréhension bienveillante de la part de ceux qui les entourent et qui essaient d'améliorer leur sort. Cette tâche est rendue plus difficile encore par le sentiment de frustration qui se manifeste surtout chez les réfugiés de longue date à la suite d'une vie prolongée dans les camps, de nombreuses entrevues infructueuses auprès des missions de sélection des pays d'immigration et des espoirs trop souvent déçus pendant une vaine attente ; d'où la nécessité de doubler l'aide économique d'une assistance sociale fournie, d'ailleurs, dans de nombreux cas, par les agences bénévoles qui sont spécialisées dans ce domaine.
9. Ce qui caractérise peut-être le plus la situation du réfugié est le fait qu'il est déraciné, coupé de ces souvenirs que constituent le cadre national, social, et souvent, familial qui lui sont coutumiers.
10. Ceci m'amène à vous entretenir maintenant de la « notion de réfugié » ou, si vous préférez, des différents concepts de ce terme.
III. CONCEPTS DU REFUGIE - EVOLUTION DANS LE TEMPS - PRINCIPAUX GROUPES DE REFUGIES
11. Un réfugié dans notre langage courant est quelqu'un qui, habitant un lieu donné, a cherché refuge ailleurs, que ce soit en raison d'une catastrophe naturelle, qu'il ait été expulsé du lieu où il se trouvait ou encore qu'il l'ait quitté de plein gré à la suite d'événements d'ordre politique. Le réfugié à cet égard se distingue de l'émigrant ordinaire qui choisit librement de vivre ailleurs que dans son pays et ne rompt pas pour autant avec ce dernier. Les victimes de catastrophes naturelles étant à la charge du gouvernement de leur pays, la communauté internationale n'intervient d'habitude que par des dons destinés à alléger le fardeau de pays intéressé.
11a. Par contre, la communauté internationale est amenée par la force des choses à s'intéresser au sort des réfugiés qui, ayant rompu leurs attachés avec leur pays d'origine, affluent vers les pays limitrophes où ils sont accueillis en vertu du droit d'asile. La communauté intervient dans ces cas à titre humanitaire et en même temps pour alléger la tâche trop lourde du pays d'accueil qui, par le hasard de sa situation géographique, doit consentir des sacrifices qui dépassent parfois ses possibilités.
12. On comprendra, dans ces conditions, que la communauté internationale ait été obligée de délimiter les diverses catégories de réfugiés selon certains critères juridiques. Au début de son activité le Haut Commissariat de la société des Nations avait été appelé à s'occuper de deux catégories nettement définies : - les réfugiés qui avaient quitté la Russie à la suite de la révolution et les Arméniens qui, du fait du démembrement de l'Empire Ottoman, n'avaient plus de patrie.
13. A mesure que de nouveaux groupes de réfugiés surgissaient et que la tâche de l'organisation internationale compétente devenait plus vaste et plus variée, le besoin se faisait ressentir de donner à la définition du terme réfugié une base juridique aussi large et en même temps aussi précise que possible. On estimait en l'occurrence que pour acquérir la qualité de réfugié trois conditions étaient requises : - l'intéressé devait avoir quitté le pays où il avait son domicile permanent ou dont il était le ressortissant ; deuxièmement, les événements qui étaient à l'origine de la condition de réfugié devaient avoir trait aux rapports entre l'Etat et ses ressortissants et troisièmement, il fallait que l'interruption de ces rapports ait été imposée au réfugié - par exemple en cas d'expulsion - ou bien qu'elle soit fondée sur des motifs autres que de convenance personnelle, si le réfugié lui-même en avait pris l'initiative.
14. On trouvera un exemple de la définition strictement juridique du terme réfugié dans la Constitution de l'Organisation internationale pour les réfugiés, instituée en 1946 pour répondre au double besoin de venir en aide, d'une part aux réfugiés d'avant guerre - Russes, Arméniens, Républicains espagnols, Juifs de l'Allemagne nationale socialiste - et, d'autre part, aux personnes déplacées qui ne souhaitaient pas, ou ne pouvaient pas, retourner chez elles.
15. La définition figurant dans la Constitution de l'OIR fermait la porte à une catégorie de réfugiés qui devait s'accroître par la suite, à savoir, ceux qui quittaient leur foyer contre leur gré en vertu des accords de transfert de population découlant des modifications territoriales intervenues après la deuxième guerre mondiale.
16. Je citerai à titre d'exemple les personnes d'origine ethnique allemande, les « volksdeutsche », installées dans différents pays d'Europe centrale, dont plusieurs centaines de milliers devaient être transférées en Allemagne, aux termes des accords de Potsdam, ou bien encore les Hindous qui, lors de la création du Pakistan, durent quitter ce pays pour s'installer en Inde. Si on ne contestait pas les besoins considérables de ces réfugiés, on estimait toutefois, à l'époque, que du moment qu'ils rejoignaient un peuple frère et que le gouvernement du pays d'accueil leur conférait les mêmes droits qu'à ses propres ressortissants, la communauté internationale n'avait pas à intervenir. Ce point de vue pouvait jusqu'à un certain point se justifier dans les pays d'Europe ; mais il était beaucoup moins valable pour les régions où le système économique et social n'a pas atteint le même degré de développement et où un afflux considérable de nouveaux venus ne saurait survivre sans une aide économique venant de l'extérieur. On s'est d'ailleurs rendu compte, dans le courant même de la période d'égalité avec les ressortissants du pays d'accueil n'apportait pas toujours une solution définitive à ses problèmes.
17. Dans le statut du Haut Commissariat élaboré en 1949 et 1950, on retrouvera une définition juridique du terme réfugié un peu plus libérale que celle de l'OIR. Ainsi, aux termes du Statut, les personnes d'origine ethnique allemande se trouvant en Autriche ne sont pas exclues à priori du mandat du HCR.
18. Depuis l'entrée en fonctions du Haut Commissariat au début de 1951, le caractère humanitaire et social de l'aide aux réfugiés, qui est d'ailleurs précisé à l'Article 2 du Statut, s'est affirmé graduellement en même temps que l'esprit universel, qui est à la base de l'Organisation des Nations Unies, s'est accru. En 1953 déjà le Haut Commissariat a été habilité à mettre en oeuvre des projets-pilotes d'aide économique financés par la Fondation Ford à l'intention des réfugiés en Allemagne, à quelque catégorie qu'ils appartiennent.
19. Deux années plus tard, les Nations Unies se sont penchées sur le problème des réfugiés chinois à Hong Kong, 700.000 à l'époque et plus d'un million aujourd'hui, qui pour des raisons d'ordre strictement juridique ne pouvaient pas être inclus dans le mandat du HCR. L'Assemblée générale néanmoins a reconnu que le problème devait intéresser la communauté internationale et a autorisé le Haut Commissaire à user de ses bons offices pour favoriser l'envoi de contributions destinées à l'assistance de ces réfugiés. Un an après, l'Assemblée générale a adopté une nouvelle résolution autorisant le Haut Commissaire à user également de ses bons offices à l'égard des autres réfugiés qui ne sont pas du ressort de l'Organisation des Nations Unies.
20. L'Année mondiale du réfugié, commencée en juillet 1959, n'a fait qu'accroître l'intérêt qui déjà existait dans le monde pour les problèmes des réfugiés. Instituée par l'Assemblée générale sur la proposition du Royaume-Uni, l'Année mondiale était destinée à faire bénéficier les réfugiés de toutes catégories des fonds recueillis à cette occasion. Grâce à la participation de près de 100 Etats ou territoires, cet élan de solidarité mondiale a contribué encore à universaliser le problème. En 1960, l'Assemblée générale devait adopter une nouvelle résolution rappelant les possibilités d'intervention du Haut Commissariat et invitant les Etats membres à s'entendre avec lui au sujet des mesures destinées à venir en aide aux groupes de réfugiés qui ne sont pas du ressort des Nations Unies.
21. Je reviendrai sur le rôle du HCR dans l'accomplissement de sa tâche, mais j'aimerais, au préalable, vous donner quelques indications au sujet des formes principales d'assistance aux réfugiés et de la situation actuelle de ces derniers.
IV. FORMES PRINCIPALES DE L'ASSISTANCE AUX REFUGIES - SITUATION ACTUELLE DES REFUGIES
22. Il convient de distinguer entre deux tâches principales : la protection juridique ou internationale des réfugiés, ainsi désignée puisqu'elle est censée remplacer la protection qui est d'habitude accordée par les autorités du pays d'origine, et la recherche de solutions permanents qui comporte le rapatriement librement consenti, l'intégration dans le pays de résidence et la réinstallation dans un autre pays. A ces deux tâches principales vient s'ajouter l'aide d'urgence qui - je le rappelle - est accordée pour parer aux besoins impérieux.
23. La protection internationale s'applique à tous les réfugiés relevant du mandat du HCR. Son objectif est de sauvegarder les droits et intérêts légitimes des réfugiés et d'améliorer leur statut juridique de manière à les mettre, autant que possible, sur un pied d'égalité avec les ressortissants du pays où ils demeurent. Pour atteindre cet objectif le Haut Commissariat dispose de deux principaux mayens d'action : favoriser la conclusion d'accords intergouvernementaux définissant les droits des réfugiés et encourager chacun des gouvernements à prendre, sur le plan national, des mesures visant à améliorer le statut des réfugiés. A tous les stades de son existence, le réfugié peut bénéficier de la protection internationale : qu'il s'agisse d'une menace de refoulement ou d'expulsion lors de son arrivée dans un pays d'asile, qu'il s'agisse d'obtenir la reconnaissance de sa qualité de réfugié par les autorités du pays d'accueil, ou encore d'obtenir un permis de séjour, ou un permis de travail. Bref, la protection internationale consiste à aider le réfugié dans toute la mesure du possible jusqu'au moment où il cessera d'avoir la qualité de réfugié, soit qu'il retourne de son plein gré dans son pays d'origine, soit qu'il acquière la nationalité du pays d'accueil définitif.
24. Parmi les accords intergouvernementaux dont peut bénéficier le réfugié, il faut citer la Convention de 1951, qui a pour objet de codifier les autres instruments internationaux concernent les réfugiés et de créer un statut légal uniforme pour les groupes de personnes répondant à une définition identique et bénéficiant de la protection du Haut Commissariat. Grâce à la Convention, à laquelle vingt-sept Etats sont maintenant parties, et grâce à la liaison étroite qui s'est instaurée entre le Haut Commissariat et les autorités de plus de quarante pays où il est représenté, des améliorations constantes sont apportées à la situation juridique des quelque 1.350.000 réfugiés relevant du mandat, dont 850.000 en Europe.
25. La deuxième forme importante d'assistance aux réfugiés consiste en la recherche de solutions permanentes à leur problème. Un des principes fondamentaux observés dans l'accomplissement de cette tâche est de donner aux réfugiés le loisir d'opter pour la solution qui convient le mieux à leurs besoins, qu'il s'agisse de rapatriement, de réinstallation ou d'intégration.
26. Le rapatriement librement consenti par l'intéressé doit lui permettre de reprendre son ancienne existence ou de s'en faire une nouvelle dans son pays d'origine. Le Haut Commissariat facilite le rapatriement des réfugiés qui en expriment le désir et dans certains cas où son aide est indispensable, il défraie le coût de transport.
27. La réinstallation dans d'autres pays que le pays de premier asile est une des solutions les plus attirantes pour les réfugiés ; en outre, elle répond aux besoins de main-d'oeuvre des pays d'immigration, en même temps qu'elle permet aux pays de premier asile de maintenir un équilibre démographique qu'un afflux trop massif de réfugiés risquerait de mettre en danger. A l'origine, les pays d'immigration, notamment les pays d'outre-mer, appliquaient aux réfugiés les mêmes critères d'admission qu'aux émigrants ordinaires. Malgré un début de libéralisation des critères dans quelques pays on comptait encore en 1951, après l'immigration de plus d'un million de réfugiés assistés par l'OIR, quelque 300.000 réfugiés non installés les conditions requises par les pays d'outre-mer.
28. Aussi, lorsqu'en 1955 le Haut Commissariat a mis en oeuvre un programme de solutions permanentes, il a dû faire porter l'effort principal sur l'intégration des réfugiés dans les pays où ils se trouvaient, notamment en Allemagne, en Autriche, en Grèce et en Italie. Ce n'est que quelques années plus tard que la réinstallation dans d'autres pays devait prendre toute son importance. Entre temps, néanmoins, plusieurs pays d'Europe tels que l'Angleterre, la Belgique, la France, les Pays-Bas, les pays scandinaves et la Suisse facilitèrent l'admission de certaines catégories de réfugiés et en particulier des handicapés, trop âgés ou trop malades pour subvenir à leurs propres besoins.
29. Lors de l'afflux en 1956 de quelque 200.000 réfugiés hongrois, un grand nombre de pas en Europe et outre-mer, dans un remarquable élan de solidarité internationale, ouvrirent leurs portes à ces réfugiés et assurèrent, en moins d'un an, l'émigration de quelque 150.000 d'entre eux. Dès lors, il semble qu'une nouvelle ère ait commencé dans le domaine de la réinstallation.
30. Encouragés par les résultats de l'émigration hongroise et par les efforts conjugués du Haut Commissariat et du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes (CIME), chargé du transport des réfugiés, les gouvernements de plusieurs pas d'outre-mer ont finalement, eux aussi, assoupli leurs critères d'immigration et ont mis en oeuvre des plans spéciaux, notamment pour les réfugiés handicapés.
31. Les résultats de cette nouvelle expérience ont été concluants au point que plusieurs pays d'immigration se sont déclarés disposés à poursuivre cette politique, dans les limites de leur capacité d'absorption.
32. La conséquence la plus importante de cette évolution est qu'elle met fin à la politique sélective qui est à la base de la proportion élevée des cas handicapés laissés pour compte.
33. On peut donc espérer désormais que si de nouveaux problèmes de réfugiés se posent, il sera plus aisé de les régler au fur et à mesure en évitant une accumulation de cas difficiles pour lesquels des mesures spéciales devraient être prises par le suite.
34. La troisième possibilité de solution permanente consiste en l'intégration du réfugié dans le pays où il se trouve. C'est la formule qui a été également appliquée dans une large mesure aux réfugiés non-installés se trouvant en Europe.
35. En 1955, au début du programme de solutions permanentes du Fonds des Nations Unies pour les réfugiés (UNREF) leur nombre était d'environ 250.000 dont 85.000 avaient pour la plupart passé plus de dix ans dans des camps en Allemagne, en Autriche, en Grèce et en Italie. Un grand nombre de ces réfugiés n'avaient pas encore d'emplois et en trouvaient difficilement.
36. L'idée qui a été à la base de l'assistance économique fournie par le HCR est d'« aider le réfugié à s'aider lui-même ». dans cet ordre d'idées, l'assistance aux réfugiés revêt la forme de prêts plutôt que de dons, qu'il s'agisse de leur procurer un logement ou de les mettre en mesure d'exercer leur profession.
37. Afin d'évacuer les camps aussitôt que possible, la majeure partie des fonds doit être consacrée à des projets de logement. Ces projets ont été mis en oeuvre par les organisations bénévoles grâce aux subventions du Haut Commissariat et des autorités locales qui ont fait construire des logements suffisamment avantageux pour permettre aux réfugiés de les acquérir ou de s'y installer moyennant un loyer modique.
38. A côté de l'aide au logement et à l'emploi, la formation professionnelle, l'assistance sociale, par des conseillers spécialisés, et la réadaptation des cas handicapés, continuent à jouer un rôle important dans la solution des problèmes des réfugiés non installés.
39. Il ne reste aujourd'hui plus que quelque 150.000 réfugiés dans les camps et, grâce à l'Année mondiale du réfugié, les fonds nécessaires ont pu être recueillis afin de les aider à s'établir de manière définitive d'ici un an ou deux. Par suite de la situation économique favorable de cas dernières années, un bon nombre de réfugiés non installés vivant hors des camps ont eux aussi réussi à s'établir de manière permanente, soit qu'ils aient trouvé un emploi dans leur pays de résidence soit qu'ils aient bénéficié des diverses possibilités de réinstallation qui leur étaient offertes dans d'autres pays. Il reste néanmoins un nombre de réfugiés physiquement ou socialement handicapés - estimé à 20.000 - dont beaucoup vivent dans des conditions aussi précaires que la population des camps.
40. Quels sont ces réfugiés ? En partie des personnes âgées ou en mauvais état de santé et en partie des cas dont la réinstallation aussi bien que l'intégration présentent de sérieuses difficultés, comme par exemple des familles trop nombreuses pour que le père de famille puisse, à lui seul, subvenir aux besoins de tous. La plupart se trouvent en Autriche, en Allemagne, en France, en Grèce et en Italie. Des projets spéciaux ont été conçus à leur intention et constituent la partie essentielle des programmes ordinaires annuels du HCR qui depuis 1959 ont pris la place de l'ancien programme de l'UNREF.
41. Il reste également un problème de réfugiés non installés Extrême-Orient. Il s'agit là des réfugiés qui, venant de Russie, s'étaient établis en Chine après la première guerre mondiale. La plupart d'entre eux ont pu émigrer par suite de l'action conjuguée du Haut Commissariat et du Comité des Migrations. Quelques milliers encore attendent le moment de se rendre à Hong Kong afin d'y recevoir un visa d'admission pour le pas où ils pourront s'installer de manière définitive.
42. Enfin, comme je l'ai signalé au début de mon exposé une aide d'urgence est prévue par Statut du HCR ainsi que par les résolutions de l'Assemblée générale et pour les cas les plus nécessiteux. Cette aide peut se donner sous forme de dons modiques, de vêtements ou d'assistance médicale. Dans le cadre des programmes ordinaires du HCR elle est accordée aux réfugiés indigents, mais toujours à titre temporaire c'est-à-dire en attendant qu'une solution permanente appropriée puisse être trouvée à leurs problèmes.
43. Cette forme d'assistance prend toute son importance dans le cas d'un afflux massif de réfugiés comme par exemple l'arrivée des réfugiés hongrois en Autriche en 1956 et en 1957. A ce moment-là, l'aide matérielle organisée sur place par les autorités et les organisations bénévoles spécialisées telles que le Comité international de la Croix-Rouge et la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge comporte l'hébergement, provisoire, des réfugiés et la distribution de rations alimentaires, de vêtements et de couvertures.
44. Un terme a pu être mis assez rapidement à cette aide puisque la majorité des réfugiés hongrois a été accueillie dans un très bref délai par d'autres pays.
45. Le problème se pose en des termes différents en ce qui concerne les réfugiés d'Algérie qui, depuis 1958, ont afflué vers le Maroc et la Tunisie. L'action de secours organisée à leur intention par le Haut Commissariat et la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge a dû être poursuivie jusqu'à ce jour afin d'assurer la subsistance de près de 300.000 personnes démunies de ressources.
46. Il s'agit là encore d'un problème strictement humanitaire ; dès qu'il s'est posé, l'aide du Haut Commissariat a été sollicitée et en vertu des résolutions que l'Assemblée générale a adoptées à ses treizième, quatorzième et quinzième sessions, il s'est efforcé de recueillir les fonds nécessaires afin de pourvoir, de concert avec la Ligue, aux besoins élémentaires des réfugiés jusqu'à ce que ceux-ci puissent rentrer dans leur foyer.
47. D'autres problèmes de réfugiés se posent dans le monde - je pense - notamment aux groupes de réfugiés qui ne relèvent pas de la compétence des Nations Unies et pour lesquels le Haut Commissariat est habilité à faire usage de ses bons offices, qu'il s'agisse des réfugiés chinois à Hong Kong et à Macao, ou encore par exemple de réfugiés au Cambodge ou de Tibétains au Népal.
48. L'aide qu'ils requièrent sort du cadre juridique applicable aux problèmes des anciens réfugiés. Par contre, une assistance économique appropriée est indispensable pour permettre aux gouvernements des pays qui accueillent ces réfugiés de supporter le fardeau créé par leur afflux.
V. ROLE DU HAUT COMMISSARIAT POUR LES REFUGIES
49. Quel doit en conclusion être au juste le rôle du Haut Commissariat dans l'oeuvre d'assistance aux réfugiés ?
50. Le Haut Commissariat fait partie intégrante de l'Organisation des Nations Unies, Il est toutefois directement responsable devant le Conseil économique et social et l'Assemblée générale des Nations Unies. Son activité doit correspondre aux désirs et aux objectifs de la communauté internationale dans le sens le plus large du terme.
51. Le Haut Commissariat n'a pas été conçu comme un organe d'exécution. Les fonds nécessaires pour les projets d'assistance matérielle doivent être obtenus grâce à des contributions bénévoles de sources gouvernementales ou privées. L'exécution de ces projets est confiée aux agences bénévoles ou aux autorités. C'est d'ailleurs au gouvernement du pays de résidence qu'incombe au premier chef la responsabilité de l'assistance aux réfugiés se trouvant sur son territoire.
52. Le rôle du Haut Commissariat consiste donc essentiellement à stimuler et à coordonner les activités des gouvernements et des autres organisations, à obtenir tous les concours et à encourager toutes les initiatives susceptibles de contribuer à l'aide aux réfugiés. Il assure une affectation et une utilisation aussi rationnelles que possible des ressources disponibles. Compte tenu des besoins des réfugiés et de la situation économique des pays où ils se trouvent.
53. Le succès de l'Année mondiale du réfugié a mis en lumière les résultats qui peuvent être obtenus grâce à une telle coordination de tous les efforts et de toutes les bonnes volontés dans le monde entier. Maintenir cet élan de solidarité internationale, c'est là, je crois, la mission principale de l'organisation internationale chargée de l'aide aux réfugiés et la condition dont dépend sa réussite.
54. Si l'on considère l'activité du Haut Commissariat et les résultats de ses entreprises au cours des années passées, on se rend compte qu'il s'agit là d'une forme de coopération qui a donné des résultats très tangibles.
55. Lorsqu'on envisage le problème des réfugiés il faut avoir en vue ce qui reste à faire et non pas seulement ce qui a été déjà fait. Mais un retour en arrière est utile pour se rendre compte de l'efficacité des méthodes utilisées dans le passé. Or l'expérience prouve que cette forme de coopération internationale en faveur des réfugiés instituée par la S. D. N, et reprise ensuite par les Nations Unies, est féconde.
56. En ce qui concerne la philosophie de cette action, je dirai que le problème qui se pose en un tel domaine, n'est pas d'essayer de mettre un terme à des controverses mais de trouver un terrain d'entente et de coopération basé sur des principes et des buts universellement admis. Il s'agit donc là d'un secteur de la coopération internationale qui ne consiste pas à résoudre des questions litigieuses mais où le Haut Commissariat est appelé à être l'instrument de la communauté internationale et l'élément cataliseur dans la poursuite d'objectifs non sujets à contestation.
57. Si cette coopération est couronnée de succès elle peut, d'une manière pratique et modeste à la fois, contribuer à renforcer l'idée même d'une coopération internationale fructueuse en se concentrant dans un domaine où elle est effectivement possible et efficace. C'est dire que si le Haut Commissariat parvient à faire oeuvre utile en faveur des réfugiés, c'est la cause même des Nations Unies qu'il servira par la même occasion.