CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA SEIZIEME SEANCE
CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA SEIZIEME SEANCE
A/CONF.2/SR.16
Présents :
Président : M. LARSEN
Membres : | |
Australie | M. BURBAGE |
Autriche | M. FRITZER |
Belgique | M. HERMENT |
Brésil | M. de OLIVEIRA |
Canada | M. CHANCE |
Danemark | M. HOEG |
Egypte | MOSTAFA Bey |
Etats-Unis d'Amérique | M. WARREN |
France | M. ROCHEFORT |
Grèce | M. PAPAYANNIS |
Israël | M. ROBINSON |
Italie | M. del DRAGO |
M. THEODOLI | |
Luxembourg | M. STURM |
Norvège | M. ANKER |
Pays-Bas | Baron van BOETZELAER |
République fédérale allemande | M. von TRÜTZSCHLER |
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord | M. HOARE |
Saint-Siège | Mgr COMTE |
Suède | M. PETREN |
Suisse (et Liechtenstein) | M. ZUTTER |
Turquie | M. MIRAS |
Venezuela | M. MONTOYA |
Yougoslavie | M. MAKIEDO |
Observateur : | |
Iran | M. KAFAI |
Haut-Commissaire pour les réfugiés | M. van HEUVEN GOEDHART |
Représentants d'institutions spécialisées et autres organisations intergouvernementales | |
Organisation internationale du Travail | M. WOLF |
Organisation internationale pour les réfugiés | M. SCHNITZER |
Représentants d'organisations non gouvernementales Catégorie A | |
Union interparlementaire | M. ROBINET de CLERY |
Catégorie B et Registre | |
Caritas Internationalis | M. BRAUN |
M. METTERNICH | |
Comité de coordination d'organisations juives | M. WARBURG |
Congrès juif mondial | M. RIEGNER |
Conseil consultatif d'organisations juives | M. MEYROWITZ |
Conseil international des femmes | Mme GIROD |
Fédération internationale des amies de la jeune fille | Mme FIECHTER |
Union catholique internationale de service social | Mlle de ROMER. |
Union internationale des Ligues féminines catholiques | Mlle de ROMER |
Secrétariat | |
M. Humphrey | Secrétaire exécutif |
Mlle Kitchen | Secrétaire exécutive adjointe |
EXAMEN DU PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES (Point 5 a) de l'ordre du jour) (A/CONF.2/1 et Corr.1, A/CONF.2/5) (suite) :
i) Article 28 - Défense d'expulsion et de refoulement sur les frontières des territoires où la vie ou la liberté du réfugié est menacée (A/CONF.2/69, A/CONF.2/70)
Le PRESIDENT attire l'attention de la Conférence sur l'amendement de la Suède (A/CONF.2/70) et sur l'amendement commun de la France et du Royaume-Uni (A/CONF.2/69), à l'article 28. Il propose que la Conférence étudie d'abord le premier paragraphe de l'amendement de la Suède en même temps que le texte original de l'article 28 et qu'elle passe ensuite au second paragraphe de l'amendement de la Suède et à l'amendement commun France - Royaume-Uni, qui ont tous deux pour objet de prévoir une exception au principe général énoncé dans l'article 28.
M. PETREN (Suède) expose que la première partie du premier paragraphe de l'article 28, amendé par la délégation suédoise jusqu'aux mots « ou de leurs opinions politiques » est étroitement liée à l'article 1 du projet de Convention. Il croit donc qu'il serait préférable d'ajourner l'examen de cette partie de l'article 28 jusqu'au moment où l'article 1 viendra en discussion. Le reste du paragraphe 1 de l'article 28, tel qu'il est amendé par la délégation suédoise, vise le cas où les réfugiés seraient expulsés à destination d'un pays où leur vie ne serait pas directement en danger mais où ils seraient exposés au risque d'être expulsés à nouveau dans un pays où ils seraient effectivement en danger.
M. ROCHEFORT (France) éprouve certaines craintes quant aux répercussions possibles de la deuxième des deux modifications apportées par l'amendement suédois à l'article 28, à savoir l'adjonction des mots « ou sur lesquels ils seraient exposés au risque d'être envoyés dans un territoire où ... ». En premier lieu, elle appelle, de la part des Etats contractants, une décision nécessairement subjective. En second lieu - et la chose est plus importante - si les pays limitrophes d'un Etat contractant ne sont pas parties à la Convention et décident, comme ce pourrait être le cas, de n'accorder le droit de séjour à aucun réfugié, cet Etat contractant risquerait de se trouver dans une situation très difficile car l'amendement suédois ne lui permettrait pas alors d'expulser les réfugiés.
L'amendement de la Suède exige une étude attentive et la délégation française n'est pas en mesure de l'accepter sur le champ.
M. PETREN (Suède) déclare qu'il serait extrêmement important de prévoir une disposition du genre de celle à laquelle le représentant de la France présente des objections, à moins qu'un très grand nombre d'Etats ne ratifient la convention. Il est disposé, toutefois, à envisager certaines modifications de forme.
M. HOARE (Royaume-Uni) indique que son attitude est très voisine de celle du représentant de la France. Il reconnaît la force des arguments du représentant de la Suède et la validité de son amendement, mais il estime que ce dernier est conçu dans des termes si généraux qu'il risque de créer des difficultés aux Etats contractants. L'ensemble du problème exige une étude plus approfondie.
Mgr. COMTE (Saint-Siège) considère que l'article 28 a une extrême importance.
L'amendement présenté par la Suède s'inspire de motifs certainement honorables, mais les mots « à titre exceptionnel » qui figurent au deuxième paragraphe de cet amendement pourraient donner lieu à des abus. Cette expression est très vague et peut exposer les réfugiés à certains risques.
Le représentant du Saint-Siège préfère l'amendement présenté conjointement par les délégations de la France et du Royaume-Uni, qui offre aux réfugiés plus de garanties.
Il semble cependant que le texte initial de l'article 28 doive suffire à assurer ces garanties, car il ne prévoit par de cas d'exception. Un Etat peut toujours se protéger contre les réfugiés qui constituent un danger pour la sécurité nationale ou l'ordre public.
Le PRESIDENT demande si les représentants ont d'autres observations à formuler sur le principe général énoncé dans l'article 28.
M. HOARE (Royaume-Uni) propose de renvoyer l'examen de la seconde partie du premier paragraphe de l'amendement de la Suède, car certains représentants ne sont pas en mesure de se prononcer nettement à ce sujet. La Conférence pourrait alors passer au second paragraphe de l'amendement de la Suède et à l'amendement commun France-Royaume-Uni.
M. ZUTTER (Suisse) déclare que le Gouvernement fédéral suisse ne voit pas l'inconvénient à accepter l'article 28 sous sa forme actuelle, car cet article est nécessaire. Il pense toutefois que la rédaction de l'article laisse place à diverses interprétations en ce qui concerne notamment le sens des mots expulsion et refoulement. D'après la conception du Gouvernement suisse, le terme « expulsion » s'applique à un réfugié déjà admis sur le territoire d'un pays. Le terme « refoulement » a un sens plus vague, mais ne peut pas s'appliquer à un réfugié qui n'a pas encore pénétré sur le territoire d'un pays L'expression employée dans le texte anglais « to return » indique bien cette idée. L'article 28 implique cependant l'existence de deux catégories de réfugiés : les réfugiés susceptibles d'être expulsés et les réfugiés susceptibles d'être refoulés. En tout état de cause, la question du sens qu'il convient de donner au mot « refoulement » exige que les Etats représentés à la Conférence prennent, sur ce point, une position nette. Le Gouvernement suisse estime qu'il s'agit uniquement ici de réfugiés qui ont déjà pénétré dans un pays, mais qui n'y ont pas encore leur résidence. Selon cette interprétation, les Etats ne sont pas obligés d'admettre à franchir leur frontière des groupes considérables de personnes réclamant le statut des réfugiés. Le représentant de la Suisse serait heureux de savoir si l'interprétation qu'il a donnée des deux termes en question est acceptée par les Etats représentés à la Conférence. Dans ce cas, la Suisse n'éprouvera aucune difficulté à accepter l'article 28 sur lequel, conformément à l'article 36 du projet de convention, les Etats ne peuvent formuler aucune réserve.
M. ROCHEFORT (France) partage le point de vue du représentant de la Suisse, il faut retenir seulement « l'expulsion ».
Pour ce qui est de l'amendement présenté conjointement par les délégations de la France et du Royaume-Uni (A/CONF.2/69), il convient d'observer qu'il ressort du texte du projet de convention que l'on admet le principe qu'un Etat peut refuser le droit d'asile. Il est donc légitime que les pays qui accordent ce droit puissent le retirer dans certaines circonstances. S'il n'en était pas ainsi, ils regarderaient à deux fois avant d'accorder un droit inconditionnel.
Certes, le droit d'asile est sacré, mais il ne faut pas qu'on puisse en abuser. C'est pour permettre aux Etats de sanctionner les atteintes portées, au nom de ce droit, à la sécurité nationale ou les menaces à la communauté du pays que la France et le Royaume-Uni ont présenté leur amendement. Mais la France et le Royaume-Uni n'ont nullement l'intention d'opposer au droit d'asile des raisons fondées sur l'indigence. Seules peuvent être invoquées contre ce droit des raisons telles que la sécurité du pays.
Le droit d'asile repose sur des considérations morales et humanitaires librement reconnues par le pays d'accueil mais il comporte des limitations nécessaires. Un pays ne peut contracter une obligation inconditionnelle à l'égard de personnes sur lesquelles il est difficile d'exercer un contrôle et parmi lesquelles peuvent se glisser des éléments indésirables. Le problème est d'ordre moral et psychologique et, pour le résoudre, il faut tenir compte des réactions possibles de l'opinion publique.
Mgr. COMTE (Saint-Siège) a été vivement intéressé par les déclarations que vient de faire le représentant de la France. Le Saint-Siège comprend fort bien que les Etats doivent se protéger contre les abus possibles du droit d'asile et, à ce point de vue, l'amendement de la France et du Royaume-Uni peut être pris en considération.
Quant à l'article 28, il convient de faire une remarque d'ordre rédactionnel. L'amendement de la Suède ajoute, aux raisons mentionnées dans l'article 28 et pour lesquelles la Suède ajoute, aux raisons mentionnées dans l'article 28 et pour lesquelles la vie et la liberté des réfugiés peuvent être menacées, la raison d'une appartenance à certains groupes sociaux. On pourrait encore trouver d'autres raisons de cet ordre mais on entrerait ainsi dans une énumération qui pourrait être dangereuse. Pour éviter cette éventualité, il semble qu'il serait préférable de dire dans l'article 28 « où leur liberté serait menacée pour les raisons qui les ont obligés à chercher refuge ».
En ce qui concerne l'amendement conjoint de la France et du Royaume-Uni, il est bien difficile d'éviter des exceptions à une règle. Qu'entend-on par les mots « raisons sérieuses » ? Il semble qu'il serait préférable de dire : « ne pourra toutefois être invoquée par un réfugié qui constitue un danger pour la sécurité du pays ».
M. HOARE (Royaume-Uni) s'associe aux observations formulées par le représentant de la France qui a longuement exposé les raisons pour lesquelles un Etat peut être fondé à apporter des exceptions à l'application générale de l'article 28. Les auteurs de l'amendement commun ont cherché à en limiter la portée, afin de ne pas nuire à l'efficacité de l'article dans son ensemble. Il faut laisser aux Etats la faculté de décider eux-mêmes si le danger que l'expulsion fait courir aux réfugiés l'emporter sur la menace à la sécurité publique qu'ils constitueraient s'ils étaient autorisés à rester dans le pays. Sans une telle disposition, certains gouvernements pourraient trouver difficile d'accepter l'article 28 à propos duquel, comme on l'a déjà fait remarquer, des réserves ne peuvent être formulées. Il ne faut par oublier que le sentiment général a changé depuis la rédaction de l'article 28 et que chaque gouvernement se rend plus nettement compte des dangers que court sa sécurité nationale. Il est inévitable qu'il se trouve, dans la grande masse des réfugiés, quelques personnes qui soient tentées d'entreprendre, pour le compte d'une puissance étrangère, certaines activités dirigées contre leur pays d'asile, et il serait déraisonnable de penser que ce dernier accepte de ne pas chercher à se garantir cintre une telle éventualité. Condamner ces personnes à un emprisonnement à vie, à supposer que cela soit possible, ne constituerait pas une solution plus satisfaisante.
Le représentant du Saint-Siège a soulevé certaines objections à l'égard des mots « raisons sérieuses ». C'est M. Hoare lui-même qui a suggéré d'insérer ces mots dans l'amendement ; c'est donc à lui qu'il incombe d'expliquer la raison pour laquelle il l'a fait ; à son avis, il faut laisser aux Etats la faculté de déterminer eux-mêmes s'il existe des raisons suffisantes pour qu'un réfugié puisse être considéré comme constituant un danger pour la sécurité du pays.
M. CHANCE (Canada) s'associe aux observations des représentants de la France et du Royaume-Uni, et appuie l'amendement qu'ils ont déposé conjointement. Il rappelle à la Conférence que le Comité spécial pour les réfugiés et les apatrides a considéré l'article 28 comme étant d'une importance fondamentale pour la Convention dans son ensemble. En le rédigeant, les membres de ce Comité ont été animés d'idéalisme, sans pour cela méconnaître les réalités. Mais, depuis lors, la situation internationale a empiré et il faut reconnaître, bien qu'à regret, qu'il serait difficile à l'heure actuelle, pour de nombreux gouvernements, d'accepter sans condition le principe qui est énoncé à l'article 28.
M. PETREN (Suède), se référant aux objections soulevées par le représentant du Saint-Siège à l'égard de son amendement, affirme à nouveau que la première partie du premier paragraphe de l'amendement suédois devrait être discutée en même temps que l'article premier. L'amendement proposé par Mgr Comte ne couvrirait pas le cas de réfugiés expulsés à destination d'un Etat qui pourrait les renvoyer de force dans leur pays d'origine.
Le représentant de la Suède serait heureux de recevoir des éclaircissements sur la portée précise de l'article 28. Cet article pourrait-il être invoqué, par exemple, dans le cas d'un réfugié se trouvant, soit sur le territoire d'un pays qui, sans menacer directement la sécurité de ce réfugié, serait disposé à donner suite à une demande d'extradition vers le pays où le réfugié était persécuté, soit sur le territoire d'un pays qui, sans être disposé à extrader des réfugiés, serait, toutefois, enclin à les expulser pour des raisons qui lui seraient propres ? Si ces deux cas sont, en fait, couverts par les dispositions de l'article 28 tel qu'il est actuellement rédigé, la deuxième partie du premier paragraphe de l'amendement suédois est inutile.
Le deuxième paragraphe de l'amendement suédois a été proposé pour des raisons sensiblement analogues à celles qui ont amené les délégations française et britannique à déposer leur amendement commun. Il prévoit le cas de réfugiés se livrant à des activités subversives qui menacent la sécurité de leur pays d'asile, ainsi que le cas de réfugiés qui, après avoir été acceptés comme résidents, se révéleraient être des personnes recherchées par la justice de leur pays d'origine, et, enfin, le cas de réfugiés qui ne respectent pas les conditions fixées pour leur résidence. Il serait peut-être possible d'arriver à un texte de compromis pour le second paragraphe en se fondant sur les deux amendements dont la Conférence est saisie.
Le PRESIDENT déclare qu'il n'est pas compétent pour fournir les éclaircissements demandés par le représentant de la Suède et fait observer que l'interprétation de l'expression « ou sur lesquels ils seraient exposés au risque ... », dans l'amendement suédois, soulève certaines difficultés. Un gouvernement qui expulse un réfugié à destination du territoire d'un autre Etat, ne peut pas prévoir comment celui-ci agira. Le Gouvernement danois considère que, si cette expulsion risque d'avoir pour conséquence un retour forcé dans le pays d'origine, la vie et la liberté du réfugié en question sont en danger. Mais, c'est au gouvernement intéressé qu'il appartient de décider quelle est l'importance relative des diverses considérations en cause.
M. ROCHEFORT (France) fait observer qu'un Etat n'a pas le droit de renvoyer sans visa un réfugié dans un pays autre que son pays d'origine, ou celui où il a sa résidence régulière. Certes, cela se pratique parfois mais cette pratique est illégale.
L'amendement de la Suède n'indique pas qu'il s'agit de pays ne pratiquant pas le droit d'asile. Ces pays, en effet, ne sont pas nécessairement des pays de persécution. Si les pays envisagés sont signataires de la Convention, la question ne se posera pas, car on ne renverra pas un réfugié dans un pays où il risque d'être persécuté.
M. HERMENT (Belgique) fait remarquer que l'article 28 ne prévoit aucune des hypothèses envisagées par le représentant de la Suède.
Pour ce qui est de l'amendement présenté conjointement par la France et le Royaume-Uni, M. Herment voudrait savoir ce qu'on entend par « régulièrement condamné ». Cet adverbe signifie-t-il que la juridiction qui a condamné le réfugié doit offrir toutes les garanties légales ? Ou signifie-t-il que la condamnation doit être définitive ? Si le réfugié a été condamné par un tribunal en première instance, pourra-t-il néanmoins invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 28 ?
M. HOEG (Danemark) déclare que le Gouvernement danois est prêt à accepter le texte original de l'article 28 ; mais comme certaines délégations semblent être désireuses d'y incorporer certains amendements, il ne votera pas contre ces amendements.
Si un pays d'origine, qui peut être une grande puissance, demande de lui renvoyer un réfugié, un refus peut provoquer une crise politique. Le représentant du Danemark ne pense pas que l'emploi des mots « raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il réside » dans l'amendement franco-britannique, et des mots « où la présence d'un réfugié ... constituerait un danger à la sécurité nationale ou à l'ordre public », dans l'amendement suédois, soit destiné à prévoir un tel cas ; mais il voudrait être certain qu'il n'y a aucune possibilité d'interpréter ces deux textes dans ce sens.
M. van BOETZELAER (Pays-Bas) souscrit aux observations du représentant de la Suisse. Il se rend parfaitement compte de l'importance des principes fondamentaux sur lesquels repose l'article 28, mais, en tant que pays limitrophe d'autres pays, les Pays-Bas hésitent quelque peu à accepter sans conditions des obligations lorsqu'il s'agit d'afflux massifs de réfugiés, à moins que la collaboration internationale ne soit suffisamment organisée pour faire face à une telle situation. Il rappelle qu'au cours de la discussion générale à la troisième à la troisième séance, le représentant de la Suisse a déjà mentionné la question de la collaboration internationale.
M. THEODOLI (Italie) s'associe aux déclarations des représentants de la Suisse et des Pays-Bas.
Il voudrait obtenir certaines précisions sur les mots « n'expulsera ou ne refoulera ». D'après l'article 28, aucun des Etats contractants ne devra expulser ni refouler des réfugiés sur les frontières d'un territoire où leur vie ou leur liberté serait menacée. D'autre part, le représentant de l'Italie estime qu'un Etat ne peut s'engager à ne pas expulser ni refouler des groupes importants de réfugiés qui se présenteraient à la frontière de son territoire et qui pourraient constituer un danger pour la sécurité publique. La délégation italienne réserve donc sa position quant à cet article, jusqu'à ce qu'elle ait obtenu une explication satisfaisante.
M. PETREN (Suède) se déclare également d'accord avec les représentants de la Suisse, des Pays-Bas et de l'Italie. Bien que certains représentants aient parlé en faveur de la deuxième phrase ajoutée dans le premier paragraphe de son amendement, l'opinion générale de la Conférence semble lui être opposée. Il retire donc cette partie de son amendement, en soulignant toutefois comme le Président l'a également demandé, que le fond de l'article doit être interprété comme courant au moins certaines des situations envisagées dans cette partie de l'amendement.
M. von TRÜTZSCHLER (République fédérale allemande) appuie l'observation formulée par le représentant des Pays-Bas à propos des pays qui sont appelés à recevoir un important afflux de réfugiés.
M. HERMENT (Belgique) attire l'attention de la Conférence sur le fait que, dans l'article 28, l'interdiction de refoulement peut Etre comprise comme s'appliquant aux particuliers mais non à des groupes considérables. C'est ainsi que l'interprète le Gouvernement belge.
M. ROCHEFORT (France) fait observer que l'amendement commun de la France et du Royaume-Uni parle du pays où réside le réfugié. Il n'est donc pas possible d'envisager l'hypothèse d'un afflux de réfugiés.
Le PRESIDENT demande aux auteurs de l'amendement commun d'exposer la raison pour laquelle ils ont inséré les mots « du pays où il réside ». Il rappelle que l'article 28 doit s'appliquer aussi bien aux réfugiés qui sont entrés dans le pays d'asile irrégulièrement (article 26), qu'à ceux qui sont entrés régulièrement (article 27).
Il ressort, semble-t-il, du texte de l'amendement commun que seul le pays où réside le réfugié à la faculté de l'expulser, le cas échéant, mais que les pays qu'il traverse en se rendant dans le pays de refuge n'ont pas cette même faculté. Il se demande si l'expression « où il réside » doit être interprétée dans son sens le plus large, c'est-à-dire « où il se trouve ».
M. HOARE (Royaume-Uni) répond que l'interprétation donnée par le Président est exacte, en ce qui concerne le texte anglais. Il serait assez rare qu'il fût nécessaire de renvoyer presque immédiatement le réfugié dans son pays d'origine. Toutefois, l'amendement portera généralement sur les personnes qui résidaient dans le pays depuis longtemps ; c'est pour cette raison que le mot « réside » a été employé.
En ce qui concerne l'observation précédente du représentant de la Belgique, M. Hoare reconnaît qu'on pourrait supprimer le mot « régulièrement ». En fait, c'est de la condamnation définitive qu'il s'agit, c'est-à-dire après que l'intéressé aura interjeté appel ou aura laissé expirer le délai d'appel. Il y a certaines divergences entre le texte anglais et le texte français. Le texte français parle de « crimes ou délits » tandis que le texte anglais se contente du mot « crimes ».
M. Hoare considère que le point soulevé par le représentant du Danemark, à savoir que le fait de refuser le refoulement d'un réfugié pourrait entraîner des complications d'ordre politique, ne rentre pas dans le cadre de l'article 28. La question des traités d'extradition entre pays refuge et pays de persécution ne relève pas de la Convention. La plupart des traités de ce genre spécifient que non seulement les faits doivent être établis avec preuve suffisante à la satisfaction du pays qui reçoit la demande d'extradition, mais encore que le délit pour lequel on demande le refoulement ne doit pas avoir un caractère politique ; tel est, du moins, le cas en ce qui concerne les traités d'extradition signés par le Royaume-Uni. La plupart de ces traités prévoient en outre que, si une personne est ainsi refoulée, elle ne peut être condamnée ou emprisonnée pour un autre délit avant qu'on ne lui ait donné l'occasion de quitter le pays.
Le PRESIDENT estime qu'en rédigeant l'article 28, le Comité spécial a peut-être établi une norme qu'il n'est pas possible d'accepter. Comme on peut s'en rendre compte d'après le rapport du Comité spécial sur sa deuxième session, les membres de ce Comité ont estimé que le principe inhérent à l'article 28 est un principe essentiel et qu'on ne saurait envisager d'exceptions à cet article.
Le Président estime que l'Arrangement provisoire concernant le statut des réfugiés provenant d'Allemagne, signé à Genève le 4 juillet 1936, (voir « Une étude sur l'apatride », doc. E/112 et Add.1, page 99), serrait susceptible d'intéresser la Conférence ; on y voit, en effet, de quelle manière une conférence a déjà traité d'une situation analogue. Le paragraphe 3 de l'article 4 de cet instrument se lit comme suit :
« Même dans le cas sus-indiqué, les gouvernements s'engagent à ne refouler des réfugiés sur le Reich qu'après avertissement et s'ils ont refusé de prendre les dispositions nécessaires pour se rendre dans un autre pays ou de profiter des arrangements pris pour se rendre dans un autre pays ou de profiter des arrangements pris pour eux à cet effet. »
M. ROCHEFORT (France) fait observer que cette précaution est prévue à l'article 27 du projet de Convention. Le problème ne se pose pas en 1951 dans les mêmes conditions qu'en 1936.
Le PRESIDENT ne saurait partager le point de vue de représentant de la France ; l'article 27 ne traite, en effet, que des réfugiés qui ont été admis régulièrement.
En réponse à une observation de M. ROBINSON (Israël), M. HOARE (Royaume-Uni) rappelle qu'il a accepté que le mot « régulièrement »
Soit supprimé dans le texte anglais de l'amendement commun. Le mot « condamné » peut être maintenu car il implique la condamnation définitive, parfois après appel ou après expiration du délai d'appel. Il n'a pas d'objection à formuler contre une addition au texte, destinée à monter sans ambiguïté qu'il s'agit d'une condamnation définitive ; il accueillera volontiers les suggestions que les autres représentants pourraient présenter en matière de rédaction. Il ajoute qu'il y aurait lieu de supprimer les mots « or offences » du texte anglais.
M. ROCHEFORT (France) et M. HERMENT (Belgique) demandent au Président des éclaircissements sur le sens de la réponse qu'il a faite au représentant de la France concernant l'arrangement de 1936.
Le ROCHEFORT (France) se référant à l'exemple des réfugiés en transit cité par le Président, fait observer que la meilleure solution serait, en pareil cas, d'accélérer le transit des réfugiés.
M. HERMENT (Belgique) revenant au texte de l'amendement commun, dit qu'il semble que l'accord se soit fait sur le remplacement des mots « où il réside » par les mots « où il se trouve » et sur le remplacement du mot « régulièrement » par le mot « définitivement ». Mais il estime préférable de maintenir dans le texte français les deux mots crimes et délits.
M. HOARE (Royaume-Uni) fait observer que le mot « crimes » est suffisant dans le texte anglais ; peut-être, toutefois, serait-il nécessaire de conserver les mots « crimes ou délits » dans le texte français.
Le PRESIDENT souligne que le texte anglais et le texte français ne sont pas destinés seulement aux pays de langue française et de langue anglaise, respectivement ; il se pourrait qu'ils soient ultérieurement traduits dans d'autres langues, notamment le chinois, le russe et l'espagnol, ainsi que le prévoit l'article 40. Du projet de Convention. D'autres pays pourraient interpréter de manière différente les mots « crimes ou délits ». Puisque ces mots ont un sens général dans tous les pays, chaque système juridique devra les interpréter comme il l'entendra.
M. ROCHEFORT (France) suggère, pour simplifier la question, de remplacer l'expression « condamné pour des crimes ou délits particulièrement graves » par les mots condamné pour des faits particulièrement graves ».
M. HERMENT (Belgique) ne peut accepter ces termes, qui sont susceptibles de prêter à une interprétation arbitraire.
Selon M. ROBINSON (Israël) la Conférence devrait, pour le moment, ne s'occuper que du texte français et du texte anglais.
C'est ainsi qu'en Danemark, la Convention devra être traduite en danois ; or, les tribunaux danois éprouveront peut-être certaines difficultés à interpréter le texte français et le texte anglais de l'article 28, puisque le premier parle de « crimes ou délits » alors que le second ne mentionne que les « crimes ». A son avis, lorsque la première lecture sera achevée, le Comité de style devrait faire concorder les deux textes. Il serait bon, en ce cas, que ce Comité présentât un rapport, qui pourrait servir de document interprétatif de base aux autorités qui auront à appliquer les dispositions de la convention. Sans aucun doute, l'amendement commun est destiné à être appliqué, selon sa législation nationale, par un pays déterminé, sous réserve qu'un réfugié condamné ait été condamné pour un acte grave. L'orateur s'étonne quelque peu que le représentant de la France ait suggéré de réduire l'expression au mot « faits », car un fait n'est criminel que s'il a été qualifié comme tel juridiquement.
M. ZUTTER (Suisse) pense que, si l'on conserve les deux mots « crimes » dans le texte français et qu'on ne conserve que le mot « crimes » dans le texte anglais une interprétation sera nécessaire. Le représentant de la France a proposé de substituer aux deux mots « crimes et délits » le mot « faits ». Les représentants d'Israël et de la Belgique ont indiqué que cette substitution pourrait soulever des difficultés. Il semblerait néanmoins préférable de retenir la proposition française, en raison des difficultés soulevées par la traduction des mots « crimes » et « délits ». Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Sans doute, le mot « faits » n'est pas parfait mais, en l'employant, on évitera les difficultés invoquées.
M. ROCHEFORT (France), répondant au représentant d'Israël, lui dit qu'il ne doit pas s'étonner de la proposition de la France. L'accent est mis sur la condamnation et l'on est toujours condamné pour des faits.
M. van BOETZELAER (Pays-Bas) déclare que le même problème s'est posé récemment à propos de la révision de la Convention de la Croix-Rouge. La solution a consisté à utiliser le mot « offence » en anglais et le mot « infraction » en français.
M. ROBINSON (Israël) croit que la Commission pourrait se prononcer immédiatement sur l'amendement commun, le point en litige pouvant être laissé à l'examen ultérieur du Comité de style.
M. THEODOLI (Italie) suggère d'introduire dans le texte de l'amendement commun les mots « ou convaincu d'être un récidiviste » immédiatement après les mots « particulièrement graves » afin de prévoir le cas des récidivistes.
M. HOARE (Royaume-Uni) espère que la portée de l'amendement commun ne serra pas indûment étendue. Tout en comprenant le mobile auquel le représentant de l'Italie a obéi en formulant se suggestion, il tient à souligner que, pour que les tribunaux qualifient quelqu'un de criminel endurci ou de récidiviste, il faut que l'intéressé ait commis soit des crimes, soit des délits graves ou ait accumulé de petits délits. L'amendement commun traite du premier cas ; pour le deuxième, M. Hoare acceptera volontiers qu'il ne soit pas prévu par la disposition en question.
M. PETREN (Suède) retire le deuxième paragraphe de son amendement (A/CONF.2/70) et propose de supprimer les mots « dans ce même pays » dans l'amendement commun.
Le PRESIDENT propose de renvoyer pour examen ultérieur, à l'occasion de la définition du mot réfugié » (article 1), l'allusion, contenue dans l'amendement de la Suède, à l'appartenance à des groupes sociaux. La délégation de la Suède s'est, semble-t-il, réservé le droit de revenir sur ce point lorsque la Conférence étudiera l'article premier.
Il en est ainsi décidé.
Le PRESIDENT met aux voix la proposition du représentant de la Suède tendant à supprimer, dans l'amendement commun de la France et du Royaume-Uni, les mots « dans ce même pays ».
Par 6 voix contre 4, avec 12 abstentions, la proposition suédoise est adoptée.
Par 19 voix contre zéro, avec 3 abstentions, l'amendement commun de la France et du Royaume-Uni (A/CONF.2/69), ainsi amendé, est adopté.
En réponse à une question de M. ZUTTER (Suisse), le PRESIDENT déclare que, dans son esprit, les auteurs de l'amendement commun ont accepté de remplacer les mots « où il réside » par les mots « où il se trouve », et le mot « régulièrement » par le mot « définitivement ». Il a été également convenu que le Comité de style s'efforcera de trouver une autre expression qui pourrait être recevable pour tous les systèmes juridiques en remplacement des mots « crimes ou délits ».
Par 19 voix contre zéro, avec 3 abstentions, l'article 28 ainsi amendé est adopté.
ii) Article 29 - Naturalisation
M. THEODOLI (Italie) désire réserver la position du gouvernement italien sur l'article 29.
Selon M. HOARE (Royaume-Uni), l'article 29 devrait être considéré plutôt comme une recommandation que comme une obligation juridique liant les pays, étant donné notamment l'emploi des expressions « dans toute la mesure du possible » et « s'efforceront ».
Par 20 voix contre zéro, avec une abstention, l'article 29 est adopté.
La séance est levée à 17 heures.