Discours de Mme. Sadako Ogata, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors du déjeuner offert aux « Amis du HCR à Genève »
Discours de Mme. Sadako Ogata, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors du déjeuner offert aux « Amis du HCR à Genève »
Genève, le 31 mars 1998
Chers amis, Mesdames et Messieurs,
Soyez les bienvenus au siège du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
C'est avec le plus grand plaisir que je vous reçois aujourd'hui au nom de mes cinq mille quatre cent collègues qui - à Genève et dans les cent vingt-deux autres pays du monde où le HCR est présent - oeuvrent en faveur des vingt-deux millions de personnes réfugiées, déplacées ou récemment rapatriées. Et c'est un honneur pour moi que vous ayez accepté notre invitation à faire partie du groupe de soutien au HCR que je souhaite constituer.
L'ensemble que vous formez représente, dans des domaines très différents, tout ce que Genève exprime de plus positif et dynamique - de la diplomatie à la politique, de l'entraide sociale à la culture, de la finance à la banque, des entreprises au commerce. Que vous soyez issus d'une ancienne famille genevoise, que vous ayez passé ici des nombreuses années en raison de vos activités professionnelles, ou que cette ville vous ait accueilli un jour comme réfugié, vous partagez tous des liens très étroits avec Genève.
Ces liens, nous, le personnel du HCR et moi-même, les partageons avec vous. Il sont notre dénominateur commun, et c'est la raison pour laquelle je me réjouis d'être avec vous aujourd'hui. Au moment de la création du Haut Commissariat pour les réfugiés, en 1951, les Nations Unies décidèrent d'en établir le siège à Genève. Depuis quarante-sept ans, cette ville héberge l'organisme auquel la communauté internationale a donné pour mandat d'assurer la protection des réfugiés dans le monde - une organisation dont les effectifs sont passés de quelques dizaines à plusieurs milliers, et dont le budget annuel de trois cent mille dollars, établi en 1951, a atteint au début de notre décennie le milliard de dollars.
Le HCR a largement bénéficié de la tradition cosmopolite et humanitaire de cette ville. La présence à Genève du siège européen des Nations Unies, du Haut Commissariat pour les droits de l'homme, du Bureau International du Travail, de l'Organisation Mondiale de la Santé, et de bien d'autres organismes internationaux, facilite les échanges d'idées et d'informations dont nous avons besoin. Notre proximité avec le Comité International de la Croix-Rouge n'est pas seulement géographique. Nous partageons avec cette grande institution, genevoise dans l'âme et internationale dans sa vocation, l'intérêt pour les problèmes humanitaires et la volonté d'y apporter des solutions concrètes et durables.
Cette relation n'est pas à sens unique. Par sa présence, le HCR, tout comme les autres organismes, concourt au rayonnement international de Genève, et plus particulièrement à sa réputation de berceau de l'humanitaire. La Fondation pour Genève, en nous décernant son prix en septembre dernier, a souhaité reconnaître publiquement cette contribution.
Cependant, malgré tout ce qui nous unit, des distances persistent. Je ne pense pas qu'un « fossé » sépare Genève des organisations internationales, comme on le lit parfois dans la presse. Mais il est vrai que, pour beaucoup de raisons, notre connaissance réciproque est parfois quelque peu superficielle. Pour ce qui est du HCR, j'estime qu'après presque cinquante ans de vie en commun, le temps est venu pour que nous nous connaissions mieux et pour que - grâce à des contacts plus étroits et réguliers - nous arrivions à mieux nous comprendre.
A travers la collaboration que je souhaite vous proposer, j'aimerais que vous nous aidiez à faire du HCR une organisation mieux connue dans la ville qui l'héberge, et à familiariser la communauté genevoise avec son travail, mais aussi avec les problèmes et les difficultés qu'il doit affronter quotidiennement. Et finalement, j'espère qu'un des fruits de notre collaboration sera une meilleure compréhension, de la part de Genève et de ses habitants, de ce qu'est un « réfugié ».
Ce mot, dans notre société, est malheureusement chargé de connotations négatives - les réfugiés sont des criminels, ils sont nourris et logés pendant bien trop longtemps aux frais des contribuables, ils occupent des places de travail.... Par votre biais, je voudrais que Genève, « cité de refuge », qui doit son prestige et sa prospérité, entre autres, aux réfugiés qu'elle a accueillis pendant des siècles, puisse se démarquer de la tendance à politiser la problématique des réfugiés, qui aboutit inévitablement à la xénophobie, à la discrimination et parfois à la violence. Je voudrais que l'attitude du public genevois envers les réfugiés ne soit pas seulement plus humaine, mais aussi mieux informée, car pour remettre le concept même de « réfugié » à la place qui est la sienne - dans le contexte humanitaire - les déclarations ne suffisent pas. Il faut aussi faire connaître au public les initiatives concrètes que nous soutenons pour aider les réfugiés d'un côté, et les communautés qui les hébergent de l'autre.
A cette fin, j'aimerais pouvoir dire que le HCR a le soutien non seulement des institutions, mais également des femmes et des hommes de la ville où il a son siège. J'ai donc décidé de faire appel à un petit groupe de personnes qui pourra, je l'espère, me fournir l'appui et les conseils dont j'ai besoin pour que cette initiative réussisse. Je vous propose de réfléchir à la possibilité d'articuler notre collaboration sur trois niveaux.
Tout d'abord, j'aurai besoin de votre avis concernant nos relations avec Genève. Il est important, pour nous, de comprendre ce que la communauté genevoise pense du HCR, comment elle perçoit notre organisation, ce qu'elle connaît de notre rôle et de notre travail dans les grandes crises humanitaires, par exemple l'ex-Yougoslavie ou la région des Grands Lacs africains, mais aussi par rapport à la situation des réfugiés en Europe occidentale, et particulièrement en Suisse.
Deuxièmement, je souhaiterais avoir vos conseils quant aux moyens pratiques d'améliorer cette compréhension et cette perception. Par exemple - comment pouvons-nous attirer davantage l'attention des médias genevois sur les problèmes des réfugiés ? Quels sont les groupes sur lesquels nous devons concentrer nos activités de sensibilisation, pour mieux informer l'opinion publique dans son ensemble ? Où sommes-nous déficitaires par rapport à notre image vis-à-vis du public genevois ? Quels sont les qualités et les défauts du HCR, tels que les perçoivent les genevois ?
Finalement, j'aimerais que ceux d'entre vous qui en auront la possibilité s'engagent à former un groupe informel de soutien à notre organisation, que je me permettrai de baptiser (si vous êtes d'accord!) « Les amis du HCR à Genève ». Je sais bien que votre emploi du temps est extrêmement chargé. Par conséquent, je ne vous propose pas la constitution d'une association formellement structurée. Je souhaite néanmoins pouvoir compter sur ce petit noyau d'amis pour organiser, une fois par an - ce n'est qu'un exemple - un événement destiné à promouvoir la compréhension des idéaux et des activités du HCR à Genève.
Je ne vous ferai pas tout de suite des suggestions spécifiques. Tout à l'heure, après le déjeuner, nous aurons l'occasion d'écouter vos idées et de les discuter ensemble. N'oubliez pas, cependant, que nos moyens sont assez réduits. Plus encore, notre capacité d'organiser des initiatives publiques - spectacles, concerts, manifestations sportives - est très limitée.
Avant de terminer cette brève introduction j'aimerais remercier Monsieur Olivier Vodoz, ancien Président du Conseil d'Etat de Genève, qui a bien voulu accepter ma proposition d'être l'« animateur » de ce groupe, malgré la multiplicité des engagements qui ont suivi son retrait de la vie politique. Les liens de Monsieur Vodoz avec le HCR sont anciens. C'est avec lui qu'il y a trois ans j'ai inauguré le bâtiment dans lequel nous nous trouvons. Ayant toujours apprécié ses sentiments humanitaires, et connaissant son soutien de longue date au HCR, c'est un plaisir et un honneur pour moi de lui confier cette tâche tout à fait informelle, que nous nous efforcerons de rendre légère et agréable.
En conclusion, je voudrais que ce jour marque le début de notre collaboration et du travail des « Amis du HCR à Genève ». Si notre initiative réussit, j'aurai atteint grâce à vous tous un objectif que je poursuis depuis longtemps - celui de rendre le HCR plus sensible à son environnement immédiat, sa présence à Genève plus significative pour ses habitants, et cette initiative une contribution à la cause des réfugiés dans le monde.
Avant de donner la parole à Monsieur Vodoz, j'aimerais souhaiter la bienvenue à Monsieur Guy-Olivier Segond, Conseiller d'Etat.
Monsieur Segond, voulez-vous, s'il vous plaît, nous dire quelques mots d'introduction ?