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Questions/Réponses : 15 millions d'apatrides ont besoin d'aide à travers le monde

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Questions/Réponses : 15 millions d'apatrides ont besoin d'aide à travers le monde

Philippe Leclerc travaille pour l'UNHCR depuis 17 ans. Depuis ces trois dernières années, il est responsable de la petite Unité de l'apatridie. Selon Philippe Leclerc, ce sujet fascinant ne reçoit pas l'attention qu'il mérite, mais l'UNHCR contribue à trouver, peu à peu, des solutions pour les millions de personnes apatrides que compte la planète. Il a accepté d'en discuter avec nous.
18 Mai 2007 Egalement disponible ici :
Philippe Leclerc, chef de l'Unité de l'apatridie de l'UNHCR.

GENEVE, 18 mai (UNHCR) - Philippe Leclerc travaille pour l'UNHCR depuis 17 ans. Depuis ces trois dernières années, il est responsable de la petite Unité de l'apatridie. Selon Philippe Leclerc, ce sujet fascinant ne reçoit pas l'attention qu'il mérite, mais l'UNHCR contribue à trouver, peu à peu, des solutions pour les millions de personnes apatrides que compte la planète. Il a accepté d'en discuter avec les rédacteurs des sites Internet de l'agence, Haude Morel et Leo Dobbs. Voici quelques extraits de l'interview.

Quelle est la définition de l'apatridie ?

Est apatride toute personne qui n'est considérée comme son ressortissant par aucun Etat en vertu de son droit sur la nationalité ou de par sa constitution.

Comment devient-on apatride ?

Il existe de nombreuses causes à l'origine de l'apatridie. Une des plus connues est la dissolution d'un Etat qui se sépare en plusieurs Etats - c'est ce qu'on appelle la succession d'Etats. Je peux vous citer de nombreux exemples, comme la dissolution de l'Union soviétique, l'ex-Yougoslavie, la division de l'est et de l'ouest du Pakistan, mais aussi les processus de décolonisation, suite auxquels des individus ou des populations entières se sont retrouvés sans nationalité.

Il existe d'autres causes d'ordre plus technique, comme des conflits de lois : lorsque par exemple un individu est né d'un père et d'une mère de nationalités différentes, et que les législations régissant l'octroi de la nationalité des deux pays du père et de la mère divergent. La nationalité peut être octroyée par ce qu'on appelle le jus soli, la naissance sur le territoire, ou par le jus sanguinis, la filiation. Si les deux législations se contredisent, cela peut causer des cas d'apatridie.

Vous avez également la privation arbitraire de la nationalité, par certains Etats qui modifient leur lois sur la nationalité, ou qui décident - pour des raisons qui sont parfois en contradiction avec le droit international - qu'une personne ne sera plus un ressortissant de ce pays. Une autre raison est l'absence d'enregistrement systématique des naissances. De ce fait, les enfants ne sont pas enregistrés, ils n'ont pas de certificat de naissance et, plus tard, ils ne peuvent pas prouver leur nationalité.

Nombre d'Etats pratiquent encore une discrimination à l'encontre des femmes, qui ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants.... Beaucoup d'Etats sont en train de revoir leurs législations, de façon à ce que la mère et le père puissent de façon égale transmettre leur nationalité. Nous soutenons ce changement, afin que cette cause d'apatridie soit éliminée.

A quels problèmes sont confrontés les apatrides dans leur vie de tous les jours ?

La situation des apatrides varie énormément d'un pays à l'autre. Dans certains pays, ces personnes ont des droits, mais la plupart du temps elles n'en ont pas. La première chose qui manque aux apatrides est souvent tout simplement, d'avoir une identité ; cela peut avoir des conséquences dramatiques sur leur vie de tous les jours.

Dans certains Etats, un apatride ne pourra pas aller à l'école à cause de l'absence de preuve de son identité et ses parents ne pourront pas l'inscrire à l'école, même si la Convention relative aux droits de l'enfant stipule que tous les enfants ont droit à un enseignement primaire gratuit. L'apatridie peut empêcher certains individus de posséder des biens, de signer des contrats, d'obtenir un contrat d'embauche. Dans certains cas, ces personnes ne peuvent se marier sans autorisation spécifique.

Dans de nombreux pays qui sont nés après l'éclatement de l'ancienne Union soviétique, il est primordial non seulement d'avoir une nationalité, mais aussi une résidence habituelle officielle. Si vous ne disposez pas d'une nationalité et d'une résidence officiellement enregistrée, vous n'avez pas accès aux services de santé. Parfois, certaines personnes ne savent même pas qu'elles sont apatrides ... c'est seulement lorsque survient un problème de santé ou d'emploi que ces personnes découvrent qu'elles n'ont pas de nationalité et qu'elles n'ont pas droit à l'assurance maladie ou aux services de santé.

Combien d'apatrides y a-t-il dans le monde ?

On estime qu'il y a 15 millions de personnes apatrides dans le monde. Il est difficile de procéder à des estimations notamment parce qu'on ne peut pas identifier les apatrides dans les pays qui ne savent pas qui sont ou ne sont pas leurs ressortissants. Prenons le cas concret du Népal. Jusqu'à récemment, nous n'avons pas pu fournir d'estimation du nombre de personnes apatrides au Népal, même si nous savions que ce phénomène existait. Nous parlons aujourd'hui d'environ quatre millions de personnes apatrides et cette année - grâce à la mise en application du plan de paix [entre le Gouvernement et les anciens rebelles maoïstes] - plus de 2,2 millions de personnes au Népal ont déjà reçu des certificats de citoyenneté. L'UNHCR suit la situation et tâche de s'assurer que les autres apatrides ne soient pas oubliés et puissent aussi obtenir la citoyenneté.

Dans d'autres pays, en particulier en Afrique et en Asie, il est difficile pour certains Etats de mener un recensement de la population, soit parce que le pays sort tout juste d'une guerre civile ... ou parce que de récents mouvements de réfugiés y rendent impossible l'enregistrement des naissances ou de la nationalité. Définir le nombre et la proportion d'apatrides est l'un des problèmes que nous essayons de résoudre.

Dans quels pays se trouvent principalement les apatrides ?

Une forte concentration d'apatrides se trouve en Asie, notamment en Thaïlande, au Népal, au Myanmar. Vous avez aussi de nombreux apatrides au Moyen-Orient : les Bidoon au Koweït, aux Emirats arabes unis, quelques groupes en Arabie saoudite et des Kurdes en Syrie.

En Afrique, de nombreuses personnes établies en Côte d'Ivoire ne sont les ressortissants d'aucun pays. Il y a aussi des risques d'apatridie au Zimbabwe. Il s'ajoute les nomades africains. Pendant très longtemps, il n'était pas important pour ces personnes d'avoir une nationalité mais maintenant, avec le combat contre le terrorisme et l'insécurité, il leur est beaucoup plus difficile de voyager s'ils n'ont pas de nationalité ou qu'ils ne peuvent pas prouver qu'ils en ont une.

Dans les Amériques, il n'y a généralement pas de problème d'apatridie car la loi du sol s'applique (jus soli). L'une des exceptions est la situation difficile des personnes d'origine haïtienne en République dominicaine, où l'enregistrement des naissances ne se fait pas systématiquement pour des personnes qui sont pourtant présentes dans ce pays - pour beaucoup - depuis des générations. Et en Europe, vous avez des cas d'apatridie liés à la dissolution de l'Union soviétique.

Dans les Balkans ... seules les personnes qui ne pouvaient prouver leur lien à aucune des anciennes républiques [de l'ex-Fédération yougoslave] qui sont confrontées au problème d'apatridie. C'est pourquoi de nombreux Roms originaires de diverses parties de la Yougoslavie n'ont pas pu prouver leur citoyenneté et restent apatrides. Un certain nombre de personnes présentes en Slovénie qui étaient ressortissants de l'ancienne Yougoslavie n'ont pas pu régulariser leur citoyenneté en Slovénie.

Les apatrides sont-ils tous des réfugiés ?

Non, seule une très petite minorité d'entre eux sont des réfugiés. Je faisais précédemment référence aux personnes qui sont apatrides car elles ont été arbitrairement privées de leur nationalité. Ceci peut être une raison pour une personne d'être un réfugié et en même temps un apatride.

Mais, habituellement, les personnes qui sont apatrides ne sont pas des réfugiés. Ils restent souvent dans leur pays de résidence habituelle et n'ont pas été déplacés par la guerre, la persécution. C'est pourquoi nombre d'entre eux ne sont pas connus des médias internationaux, des agences internationales et, même parfois, des Etats eux-mêmes, car il n'y a pas de recensements de population.

Quelle est l'action de l'UNHCR au sujet de l'apatridie ?

L'UNHCR ne fait pas assez. En 1974, l'Assemblée générale des Nations Unies a désigné l'UNHCR comme l'organisation des Nations Unies chargée de participer à la prévention, à la réduction de l'apatridie et à la protection des personnes apatrides. Récemment, l'UNHCR s'est attaqué à la dimension légale de ce problème, au niveau légal, principalement en fournissant des conseils sur les législations nationales pour essayer d'éviter les cas d'apatridie résultant de la mise en oeuvre de législations nationales sur la nationalité ou de situations de succession d'Etats, particulièrement en Europe.

Toutefois, ce n'est pas seulement via la révision des législations sur la nationalité que la situation va changer. C'est en assistant les Etats à intégrer de larges populations qui sont habituellement résidentes sur leur territoire via des programmes d'assistance. C'est aussi en comprenant les raisons pour lesquelles des individus ou des groupes importants de personnes restent sans nationalité dans ces pays et en créant des stratégies avec ces Etats pour que ces personnes puissent obtenir une nationalité.

C'est quelque chose que l'UNHCR - et les Etats qui soutiennent l'agence - essaie maintenant de faire ... avec les autres agences des Nations Unies, comme l'UNICEF sur l'enregistrement des naissances, comme le bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme sur la lutte contre la privation arbitraire de nationalité. Avec l'UNFPA [Fonds des Nations Unies pour la population] en développant des recensements de population qui permettent aux Etats d'identifier les populations apatrides et de répondre à ces situations efficacement.

Nous avons obtenu de bons résultats au Sri Lanka, où des centaines de milliers de Tamouls travaillant dans les plantations de thé ont reçu la nationalité sri lankaise ces dernières années. Une coopération prometteuse est en cours au Viet Nam. Si tout va bien, nous pourrons citer de nombreux autres exemples dans les années à venir.

Pensez-vous qu'un jour il n'y aura plus d'apatrides ?

La communauté internationale a, dans le passé, pensé à adopter un instrument appelé la Convention sur l'élimination de l'Apatridie. A ce moment-là, dans les années 60, ils s'étaient mis d'accord sur le fait que c'était peut-être un objectif trop ambitieux, alors ils ont créé la Convention sur la réduction des cas d'apatridie. Mais si les Etats mettent réellement en oeuvre les traités sur les droits de l'homme auxquels ils sont signataires, et si l'enregistrement des naissances est pratiqué de façon plus systématique, le niveau de l'apatridie pourra être réduit de façon importante, si ce n'est totalement éliminé.