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« Vous devez trouver en vous les ressources nécessaires pour survivre »

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« Vous devez trouver en vous les ressources nécessaires pour survivre »

A l'occasion de la Journée mondiale 2010 de l'aide humanitaire, un responsable du HCR évoque son enlèvement et ses conditions de détention en Tchétchénie en 1998.
19 Août 2010 Egalement disponible ici :

GENÈVE, Suisse, 19 août (HCR) - Une nuit de janvier 1998, Vincent Cochetel, alors chef du bureau du HCR à Vladikavkaz dans le Nord- Caucase, est rentré chez lui le soir et des hommes armés l'attendaient devant son appartement. Ils l'ont forcé sous la menace d'une arme à se mettre à genou. « Je croyais qu'il y avait un contrat sur ma tête », a-t-il indiqué. A partir de ce soir-là, et durant 317 jours, il a été retenu en otage, souvent enchaîné à une pièce métallique d'un lit, à l'isolement et dans le noir. Son vécu souligne les risques encourus par les travailleurs humanitaires dans certains lieux d'affectation, et pourquoi ils les prennent. A l'occasion de la Journée mondiale 2010 de l'aide humanitaire, Adrian Edwards, directeur des relations avec les médias au HCR, s'est entretenu avec Vincent Cochetel.

Adrian Edwards : Puis-je commencer par le jour de votre enlèvement, le 29 janvier 1998. Quels sont vos souvenirs de cette journée-là ?

Vincent Cochetel : Nous vivions dans des appartements sécurisés, avec plusieurs serrures et des boutons d'alarme à la porte d'entrée entre autres mécanismes de sécurité. Je suis arrivé chez moi. J'ai essayé d'ouvrir la porte d'entrée et il y avait trois hommes cagoulés, armés de silencieux qui m'attendaient. Ils ont pris la clé et le contrôle de la situation. Le garde du corps n'a rien pu faire. Je veux dire, s'il avait tenté de faire quelque chose, nous aurions été tués, tous les deux.

Adrian Edwards : Que s'est-il passé ensuite ?

Vincent Cochetel : Ensuite, ils nous ont fait entrer dans l'appartement et ils nous ont séparés et fouillés. Ils m'ont demandé de m'agenouiller, ils ont posé un revolver sur ma nuque, et j'ai senti le métal froid de l'arme. J'ai pensé que ma fin était proche et qu'il s'agissait d'un contrat sur ma tête parce que, là-bas, c'est une pratique courante. Je pouvais entendre dans la pièce voisine qu'ils immobilisaient le garde du corps avec du ruban adhésif. Ils l'ont battu. Et après de longues minutes, ils sont venus me chercher et m'ont menotté les mains dans le dos. Ils m'ont mis un sac sur la tête, pour que je ne voie plus rien. Nous avons descendu les escaliers, six étages. Je suis tombé à plusieurs reprises. Ils me poussaient dans les escaliers vers le bas. Ensuite, ils m'ont mis dans le coffre d'une voiture, puis j'ai été transféré de voiture en voiture pendant trois jours. J'ai passé trois jours dans le coffre de plusieurs voitures. Trois jours avant d'être transféré en Tchétchénie.

Adrian Edwards : Vous étiez détenu seul, si je comprends bien, pendant la plupart de votre captivité. Quelles ont été vos conditions de détention ?

Vincent Cochetel : A l'exception des trois premiers jours, j'étais dans une cave. Une cave sombre, menotté, avec une main attachée à une barre métallique du lit. J'avais à peine 10 à 15 minutes de lumière par jour pour le repas.

Adrian Edwards : Et pendant combien de temps ?

Vincent Cochetel : Plus de 300 jours. Alors ... la chose la plus difficile à décrire, c'est la profonde solitude dans laquelle vous vous trouvez. Parce que rien ne se passe dans le noir. Et à décrire, c'est difficile, parce qu'à part 15 minutes de lumière par jour, le reste, vous êtes juste tout seul. Alors vous vous efforcez de ne pas trop penser, autrement, vous deviendriez fou, mais vous devez vous occuper l'esprit. Pour cela, il y a toutes sortes de jeux et d'activités. Et vous essayez aussi de faire un peu d'exercice physique.

Adrian Edwards : Avez-vous subi des violences au cours de votre captivité ?

Vincent Cochetel : Les douze premiers jours, il y a eu des violences visant à me soustraire des informations. Alors, c'était 45 minutes d'interrogatoire avec une musique forte pour couvrir le bruit. Puis cela s'est arrêté. Cela s'est arrêté d'une manière intéressante. Je voudrais décrire ce moment qui m'a beaucoup appris.

La personne qui m'interrogeait s'appelait "Ruslan", un homme très violent souvent sous l'influence de l'alcool - un homme très violent. La nuit, ou le jour avant (au début, j'avais des difficultés à savoir si c'était la nuit ou le jour), j'ai entendu des bruits au-dessus de ma tête, des enfants qui pleuraient et qui vomissaient, des gens courant à gauche et à droite.

Je lui ai demandé avant que l'interrogatoire ne commence : « Puis-je vous poser une question, Ruslan ? » Il a dit : « Oui. » J'ai dit : « Votre fils est malade ? » Il m'a regardé, choqué, et il m'a dit : « Qui vous a dit que j'avais un fils ? » J'ai dit : « Je suppose que vous avez un fils, car j'ai entendu un bébé qui pleure, une voix de jeune enfant ... » « Qui vous a dit que j'avais un fils ? » et j'ai dit « Non, non, personne ne m'a dit que vous aviez un fils, je viens de comprendre que vous aviez des enfants et je sais ce que c'est que d'avoir des enfants malades à la maison. J'ai pensé qu'il a environ deux ou trois ans. » Et il m'a dit :« Qui vous a dit son âge ? » et j'ai dit « Personne ne m'a dit son âge, je l'ai juste deviné. » Puis il m'a dit : « Oui, il est malade, il vomit, nous ne savons pas pourquoi il vomit. » Et puis nous avons commencé à discuter sur la santé des enfants, combien il est difficile d'acheter des médicaments en Tchétchénie, où il pourrait en acheter en Ingouchie, quelles ONG [organisations non gouvernementales] sont encore présentes dans la région. Et nous avons parlé pendant 45 minutes de la santé des enfants, de l'éducation des enfants. Puis je n'ai plus jamais revu cet homme. Il ne m'a plus jamais touché. Ce fut la fin de la phase d'interrogatoire.

Pour moi, la leçon que j'en ai tiré, c'est que même si vous rencontrez des gens de la pire espèce, vous devez toujours essayer de faire l'effort d'en tirer le meilleur. Si vous faites cet effort, vous pouvez modifier l'équilibre des forces. Mais si vous n'essayez pas, alors n'attendez rien. Pour moi, cela s'est révélé être une bonne leçon, car j'ai réalisé que je pourrais utiliser cette tactique avec d'autres gardes. Ça a marché avec quelques-uns, cela n'a pas fonctionné avec d'autres. Mais, au moins, vous avez fait l'effort d'essayer. Je ne savais pas à cette époque qu'on finit par surmonter la violence.... aussi parce qu'ils avaient intérêt à me garder si ce n'était en forme, mais au moins en vie. L'isolement, personne n'y est jamais prêt, vous devez trouver en vous les ressources pour y faire face.

Adrian Edwards : Comment vous sentiez-vous à ce moment-là ? Vous aviez mille raisons de vous questionner sur votre travail, pourquoi en êtes-vous arrivé à travailler pour le HCR, ce que vous faisiez là ?

Vincent Cochetel : Vous vous posez de nombreuses questions existentielles. Vous tentez de justifier votre travail dans cette région. Mais encore une fois, en regardant en arrière, si je devais le refaire, je pense que le HCR se devait d'être là. Nous apportions des vivres à un demi-million de personnes, nous remettions en état les systèmes de distribution d'eau pour tout le pays, nous assistions des personnes déplacées internes à rentrer chez elles, nous reconstruisions des écoles, des infrastructures sociales, nous apportions notre aide à des personnes. Nous avions de bonnes raisons d'être là.

Adrian Edwards : Puis-je passer au jour de votre libération ? Vous avez été libéré, c'était à la frontière entre la Tchétchénie et l'Ingouchie. Que s'est-il passé ce jour-là ?

Vincent Cochetel : J'ai été sorti du lit très tôt dans la nuit. Poussé contre le mur, il y avait une brutalité un peu injustifiée. Les mains menottées dans le dos, j'ai été emmené dans une voiture, il y avait un long convoi de voitures, environ cinq ou six 4x4, tout neufs, avec des gardes armés partout. A un moment, on m'a sorti de la voiture et transféré vers une autre voiture. Ces personnes ne me parlaient pas. Et à nouveau, on m'a demandé de baisser la tête. Il y avait quatre personnes dans la voiture, avec la voiture roulant doucement sur la route. Je pouvais sentir que quelque chose ne se passait pas bien. Et c'était comme dans un mauvais film, il y avait des tirs de partout. J'ai senti qu'un homme m'était tombé dessus sur ma gauche. A droite, il n'y avait plus de garde du corps du tout. On entendait des tirs de tous les côtés. Je pouvais entendre des ordres confus en russe et en tchétchène. On m'a demandé à nouveau de m'agenouiller, ce que j'ai fait avec difficulté, en demandant pitié car je ne comprenais vraiment pas ce qui se passait. Quatre jours auparavant, quatre otages avaient été décapités dans un autre lieu, j'en avais eu connaissance, et je savais aussi qu'il y avait eu d'autres otages qui avaient été tués. Je ne connaissais rien des circonstances mais j'étais au courant. Et soudain, j'ai été tiré par un ou deux hommes et jeté dans une autre voiture. Ils m'ont jeté comme un sac de pommes de terre sur le sol d'une de ces voitures. Ensuite, on m'a mis un casque sur la tête lorsque j'ai été poussé dans cette voiture. Lorsque j'ai senti le casque, j'ai su que j'étais avec des forces régulières. Ensuite, nous avons fait de la route et j'ai été amené dans un lieu sûr.

Adrian Edwards : Vous travaillez toujours pour le HCR. Pourquoi poursuivez-vous votre travail pour une organisation qui a mis votre vie en danger et dans laquelle vous pourriez de nouveau courir un risque ?

Vincent Cochetel : Bon nombre de personnes m'ont questionné à ce propos juste après, me disant « n'en avez-vous pas assez ? ». Si j'avais arrêté de travailler pour le HCR à ce moment-là, cela aurait voulu dire qu'ils m'avaient pris quelque chose. Et ces types auraient gagné. Il était capital pour moi de continuer, de me prouver que j'étais capable de travailler et même d'agir concrètement pour aider des réfugiés. Plusieurs années après, je peux dire que ce que j'ai vécu m'a rapproché des épreuves subies par les réfugiés. Je ne savais pas ce qu'était la torture. Je ne savais pas ce que signifiait « être à l'isolement », maintenant, je peux en parler. Je peux reconnaître ces stigmates quand des réfugiés en parlent. Alors je pense que cela m'a au moins donné une capacité d'écoute. Si je peux apporter un peu de cette expérience dans le système via la formation de mes collègues, la formation d'autres travailleurs humanitaires ou celle de collègues qui rencontrent des réfugiés ou des demandeurs d'asile pour les interviewer, cela peut être considéré, après tout, comme une expérience utile.

Adrian Edwards : Qu'avez-vous appris sur vous-même ?

Vincent Cochetel : Forces et faiblesses. Je connais la frontière ténue entre la folie et la raison. J'ai exploré les confins de la solitude connus seulement de quelques-uns. Mais vous finissez toujours par trouver des ressources. C'est ce qui fait la beauté de l'humanité.

Adrian Edwards : Et vous trouvez encore que c'est utile d'être un travailleur humanitaire, malgré cette épreuve que vous avez traversée ?

Vincent Cochetel : Oh oui, car aussi longtemps que vous pensez pouvoir agir concrètement de quelque manière que ce soit au bénéfice des réfugiés, cela vaut le coup. J'ai passé de nombreuses années de ma vie dans cette organisation, cela aurait pu être une autre organisation, mais j'ai choisi celle-ci. Je ne pense pas que cette année [1998] lorsque j'étais absent de l'organisation, en captivité, cela a été une année inutile. Je pense que j'ai beaucoup appris, et si je peux partager un peu de cette expérience avec les collègues, c'est une valeur ajoutée pour toute l'organisation et les collègues qui servent dans des lieux d'affectation aussi dangereux.