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Allocution prononcée par M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : « Au-delà de l'humanitaire : la nécessité d'une volonté politique pour résoudre le problème actuel des réfugiés »

Discours et déclarations

Allocution prononcée par M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : « Au-delà de l'humanitaire : la nécessité d'une volonté politique pour résoudre le problème actuel des réfugiés »

27 Février 1987

Je suis heureux de saisir aujourd'hui cette occasion qui m'est donnée de partager avec vous certaines de mes réflexions au sujet du problème des réfugiés dans le monde contemporain.

Son ampleur et sa complexité nous incitent à jeter un regard neuf sur ce problème pour évaluer la portée des instruments normatifs dont nous disposons et, surtout, pour identifier des approches adéquates en matière de solutions. C'est là que les milieux universitaires peuvent jouer un rôle très constructif. Il est bien évident que l'émergence et le développement de textes critiques et indépendants embrassant les grands problèmes de notre temps seraient d'un grand secours tant à mon Office qu'à la communauté internationale dans la mesure où cette littérature ébaucherait de nouvelles orientations en matière de politique générale et de praxis. Ma présentation d'aujourd'hui tentera d'aller dans ce sens.

Permettez-moi maintenant de vous brosser un tableau général du problème des réfugiés tel qu'à mes yeux il se présente aujourd'hui.

En premier lieu, le monde compte aujourd'hui environ 12 millions de réfugiés. Cette tragédie que vivent des millions de femmes, d'hommes et d'enfants n'épargne aucune région. Ces être déracinés fuient les conflits armés et l'intolérance, ils cherchent un refuge temporaire en attendant des conditions propices à un retour chez eux dans la sécurité et la dignité, ou à défaut, la possibilité de refondre un foyer ailleurs et d'y commencer une nouvelle vie dans la paix retrouvée. Tant de par ses causes que de par ses aspects quantitatif et géographique, le problème des réfugiés revêt aujourd'hui une ampleur sans précédent, dont les retombées, si nous n'y prenons garde, pourraient être dramatiques dans le moyen et le long terme.

En deuxième lieu, plus de neuf millions, c'est-à-dire environ 80 pour cent de la population réfugiée, se concentrent dans des pays de développement du tiers monde qui sont le moins à même, en raison de leurs propres difficultés démographiques et économiques, d'assumer ce fardeau supplémentaire. Sachez, en effet, qu'il y a quelque trois millions de réfugiés au Pakistan, deux millions en République islamique d'Iran, plus d'un million au Soudan, des centaines de milliers en Somalie, près de 300 000 en Thaïlande et des dizaines de milliers dans plusieurs autres pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique centrale. Et cela, sans parler de la situation tragique des réfugiés palestiniens qui attendent depuis bientôt 40 ans une solution à leur problème. Le nombre des sans-patrie ne cesse de s'accroître à mesure que de nouvelles situations de réfugiés se font jour et alors même qu'aucune solution n'a été trouvée aux exodes antérieurs.

En troisième lieu, contrairement à ce qui se passait il y a quelque temps, au lieu de s'intégrer dans les communautés hôtes et d'en devenir des membres actifs et productifs, les réfugiés d'aujourd'hui se trouvent confinés dans des camps et des zones d'installation surpeuplés. Pour trop de gens, la condition de réfugié est entrée dans le cours normal des choses. Si elle se perpétue, cette condition porte un coup fatal à la dignité de l'homme et progressivement ne lui permet plus de s'assumer. Cette tragédie devrait peser lourd sur la conscience de l'humanité. Autre caractéristique du problème actuel, nous avons affaire à des communautés entières, qui se déplacent ensemble et pour lesquelles il n'y a pas de solutions individuelles mais une solution collective.

En quatrième lieu, les réfugiés d'aujourd'hui ne traversent pas simplement les frontières par voie terrestre, mais également par voie maritime et aérienne. Les mouvements spontanés d'un grand nombre de personnes en quête d'asile d'un continent à l'autre, surtout des pays en développement vers les pays industrialisés de l'ouest, grâce au développement du trafic aérien, ont fait naître des tensions et une hostilité croissantes à l'égard des réfugiés et des personnes en quête d'asile, réactions jusque-là peu répandues dans le monde occidental. Ces demandeurs d'asile viennent directement de leurs pays d'origine. Plus que tout autre chose au cours des dernières années, ces mouvements ont sévèrement bousculé le droit et les politiques d'accueil des réfugiés des pays occidentaux. Les gouvernements ont réagi en adoptant à l'égard des réfugiés des pratiques défensives, voire répressives.

Ce tableau que je viens de brosser devant vous ne donne à mon sens qu'une image imparfaite des principaux problèmes d'aujourd'hui. Il est désormais établi que la population mondiale s'accroît au rythme de plus d'un million de personnes tous les cinq jours et que cet accroissement intéresse pour les 9/10 les pays les plus pauvres du tiers monde. Cette démographie galopante met à rude épreuve leurs ressources naturelles rares, leurs économies et leurs structures sociales. Le taux de chômage s'accroît rapidement, ce qui donne lieu à des migrations intérieurs, puis à des mouvements vers l'étranger. Avec leurs économies à bout de souffle, et l'accumulation de la dette extérieure, les pays en développement sont toujours aux prises avec le sous-développement, et ne sont pas en mesure de satisfaire les besoins et les aspirations de leur population toujours plus nombreuse.

La conjonction de ces facteurs constitue un terrain on ne peut plus propice aux tensions et à l'agitation sociales. Les dissensions intérieures qui peuvent en résulter constituent à leur tour un bouillon de culture favorable au développement de tensions internationales, aux conflits armés et parfois à la menace extérieure, argument que l'on brandit ensuite pour justifier une répression intérieure qui se traduit par une violation des droits de l'homme qui, à son tour, provoque un exode de réfugiés. Cette réaction en chaîne a singulièrement tendance à se perpétuer.

Il apparaît donc clairement que les principaux problèmes du monde d'aujourd'hui sont liés, et nécessitent de ce fait une approche globale ; ils requièrent les efforts conjugués de tous les pays, riches et pauvres, du nord et du sud, de l'est et de l'ouest. Il ne faut plus considérer le problème des réfugiés isolément, mais dans le contexte d'une stratégie internationale qui englobe tous les facteurs déterminants. Aussi serait-il vain de continuer à se pencher sur les situations de réfugiés uniquement dans le contexte du cadre juridique existant, car ce dernier ne permet pas toujours d'apprécier toutes les données du problème.

Permettez-moi de m'appesantir quelque peu sur ce dernier point. Lorsque le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés fut créé en 1951, il y avait comme toile de fond les mouvements de réfugiés en provenance d'Europe de l'Est. ces réfugiés étaient reçus, intégrés et réinstallés principalement dans les pays occidentaux industrialisés. La vague de sympathie et les affinités ethniques et culturelles entre les populations des pays hôtes et ces réfugiés européens rendaient leur accueil et leur intégration relativement aisés. Ces circonstances ont conduit à l'élaboration et à l'adoption de normes internationales selon lesquelles les réfugiés devaient être traités. Ces normes sont consignées dans la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.

Dans les années soixante, l'attention s'est déplacée vers le tiers monde, la décolonisation et les guerres de libération nationale. La fraternité, soudée par les expérience et les souffrances communes, particulièrement sur le continent africain, ainsi que l'assistance humanitaire généreuse de la communauté internationale dans son ensemble, ont grandement facilité l'accueil et la prise en charge de ces centaines de milliers de réfugiés. En outre, dès l'accession à l'indépendance de leur pays, le Haut Commissariat a pu relativement aisément aider des réfugiés à regagner leur foyer pour y recommencer une nouvelle vie. L'adoption de la Convention de l'OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique est une excellente illustration d'une approche régionale visant à élaborer des normes concernant le traitement des réfugiés dans le contexte des années 60, c'est-à-dire de l'après-indépendance, ponctuées par tant de violence et caractérisées par des populations entières jetées sur les routes de l'exil.

Dans les années soixante-dix, les mouvements de réfugiés sont devenus de plus en plus complexes. Tout d'abord, le nombre de personnes en cause était beaucoup plus important qu'auparavant. Qui peut oublier les casse-tête qu'ont constitué en 1971 les 10 millions de réfugiés du Pakistan oriental arrivés en quelques jours en Inde! Deuxièmement, les mouvements étaient principalement provoqués par des conflits politiques et armés dans des Etats-nations déjà indépendants.

Contrairement à l'époque de la décolonisation, les perspectives de solutions politiques et d'éradication des causes profondes de la fuite sont alors devenues problématiques. Le problème des réfugiés du Pakistan oriental a connu un dénouement heureux grâce à la création du Bangladesh et au retour des réfugiés dans leur Etat nouvellement indépendant ; mais le problème d'autres groupes de réfugiés importants tels que ceux des pays d'Indochine ne sont pas encore résolus. Dix ans après, le problème des réfugiés indochinois n'a pas beaucoup perdu de son acuité bien que 1,2 million de personnes aient été réinstallées dans des pays tiers. Troisièmement, les problèmes qui sont aujourd'hui à l'origine des mouvements de réfugiés ont été encore compliqués par les facteurs socio-économiques auxquels j'ai fait référence.

Depuis le début de cette décennie, la situation n'a cessé de se détériorer, non seulement en raison de l'augmentation considérable du nombre des réfugiés et des personnes en quête d'asile dans le monde en développement, mais aussi en raison du mouvement de plus en plus net des personnes en quête d'asile du tiers monde vers les pays industrialisés et développés du monde occidental. Les politiques d'asile libérales, ancrées dans les traditions, ont été bousculées par l'arrivée de personnes en quête d'asile venant directement de pays lointains grâce à l'essor des transports aériens. Aux gens qui, dans les années 70, prenaient le bateau, se sont substitués ceux qui, dans les années 80, prennent l'avion. Les pays occidentaux ont de plus en plus l'impression que la générosité dont ils font preuve en accueillant non seulement les réfugiés de leur propre région mais aussi un grand nombre de ceux qui viennent d'autres régions, est par trop mise à contribution, voire dans certains cas abusée par des aventuriers ordinaires.

Cette dégradation de l'attitude à l'égard des réfugiés et des personnes en quête d'asile peut parfois être compréhensible ; il n'en reste pas moi s qu'elle est très préoccupante pour tous ceux qui croient aux valeurs qui sous-tendent nos démocraties. Si ce système de valeurs est utilisé à la carte, l'action humanitaire sera gravement remise en question.

Je suis très inquiet de voir les réticences de plus en plus marquées de la population occidentale vis-à-vis des réfugiés et des demandeurs d'asile du tiers monde. Bien des gouvernements à l'ouest s'en sont servi pour adopter des pratiques restrictives qui ont tendance à se propager comme une épidémie. Les principes humanitaires tant choyés en Occident au cours des dernières décennies sont menacés. Le niveau des normes fondamentales est abaissé. Au plan national, le sort des réfugiés fait l'objet d'une récupération politique dans les luttes partisanes. Dans ce processus, les principes d'humanité qui servaient de fondement à toute activité humanitaire sont dévalués. Il faut enrayer cette érosion des valeurs, et je suis sûr que l'on peut y arriver si les Etats font preuve de la volonté politique nécessaire, en prenant conscience du danger mortel qu'ils courent à agir différemment. A mon avis, le premier impératif consiste à reconnaître que les circonstances de la plupart des problèmes actuels des réfugiés exigent un regard neuf.

Ma première prémisse est donc que le problème des réfugiés est un phénomène mondial et qu'il est inextricablement lié à d'autres grands problèmes internationaux de notre époque. D'où la nécessité d'une approche globale commune. Les problèmes de réfugiés ne connaissent pas de frontières et il est dans l'intérêt politique de tous les gouvernements et de tous les peuples de leur trouver une solution.

Ma deuxième prémisse est que le droit relatif au problème actuel des réfugiés doit dépasser le stade de la protection et du statut juridique des réfugiés ; il doit embrasser le problème des réfugiés dans son ensemble. Il doit accorder le problème des réfugiés dans son ensemble. Il doit accorder la primauté au réfugié ou au demandeur d'asile, c'est-à-dire à la victime de la persécution ou de la violence. C'est ce que j'appelle une approche orientée vers la victime. Les besoins de la victime doivent guider la recherche de solutions appropriées.

Ma troisième prémisse est que le problème des réfugiés ne concerne pas seulement des hommes ou des femmes dans leurs relations avec les Etats mais également des Etats dans leurs relations entre eux. Tant que l'accent sera mis sur ce premier aspect, le problème des réfugiés sera condamné à rester marginal et sans solution digne de ce nom. Le problème actuel des réfugiés exige qu'on le replace dans le contexte international afin de polariser l'attention sur les solutions, qu'elles soient trouvées dans le pays de destination finale, le pays intermédiaire ou le pays d'origine. Une telle approche permet aux pays d'origine de s'associer aux efforts déployés pour trouver des solutions d'ensemble, plus particulièrement concernant l'établissement de conditions propices au rapatriement librement consenti et l'atténuation des causes des mouvements de réfugiés. Les interventions humanitaires auprès des gouvernements ne suffisent plus s'il n'est pas fait spécifiquement référence aux situations politiques qui sont à l'origine de la fuite. Les objectifs humanitaires et la volonté politique des gouvernements de déceler les causes profondes des mouvements de réfugiés doivent converger. Les Etats doivent être prêts à adopter une approche collective et responsable face à tous les problèmes de réfugiés. Le Haut Commissariat, qui n'existe que de par la volonté des Etats, ne peut accomplir son mandat qu'avec la peine coopération de ces mêmes Etats. Le temps n'est plus où les gouvernements pouvaient apaiser leur conscience en contribuant financièrement aux activités humanitaires du Haut Commissariat. Aujourd'hui, il en faut davantage : outre leur soutien humanitaire, le Haut Commissaire a besoin de leur volonté collective de trouver des solutions aux situations de réfugiés. Si le Haut Commissaire doit se charger de l'action humanitaire nécessaire, les Etats doivent quant à eux explorer toutes les voies politiques possibles.

Permettez-moi maintenant de préciser quelque peu les prémisses que je viens d'énoncer. Qu'entendons-nous par approche globale ?

Comme je l'ai déjà dit, le problème actuel des réfugiés touche toutes les régions. On trouve les mêmes groupes de réfugiés dans le monde entier. Par exemple, les Afghans, les Iraniens et les Tamouls sri-lankais ont cherché asile non seulement dans les pays voisins de leur région d'origine mais aussi dans différents pays occidentaux. Les réactions motivées par un intérêt national égoïste et des considérations strictement intérieures ne font que renvoyer le problème d'un pays à l'autre. Si ces réactions servent, à court terme, les objectifs des partis politiques, elles ne constituent aucunement des solutions aux problèmes humanitaires de fond. Ce qu'il faut, c'est une approche globale et coordonnée pour s'attaquer au problème sous toutes ses formes. Dans un premier temps, l'adoption d'une telle politique pourrait signifier que, face à des problèmes de réfugiés similaires, les Etats se consultant, en incluant le HCR, et suivent une approche qui prenne pleinement en considération tous les aspects politiques, économiques, socio-culturels d'une situation de réfugiés donnée, ses implications pour les différents Etats touchés, et les moyens de lui trouver une solution grâce à une action concertée. J'ai trouvé particulièrement gratifiant de voir la volonté de coopération qu'ont manifestée un certain nombre de gouvernements occidentaux à l'occasion des consultations organisées par le Haut Commissariat à Genève ces derniers mois, par exemple sur le problème des Tamouls ou des Iraniens. Une telle approche, globale et coordonnée, devrait également être invoquée concernant les causes profondes des mouvements de réfugiés sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure.

Et maintenant qu'entendons-nous par approche orientée vers la victime ?

Je crois que le principe de base qui doit guider toutes les activités humanitaires est le principe d'humanité. En ce qui nous concerne, cela veut dire que les intérêts du réfugié ou du demandeur d'asile en tant qu'être humain doivent avoir la primauté sur les intérêts éventuellement conflictuels des Etats ; ce faisant, ces derniers redécouvriront que c'est par ce biais qu'ils préserveront leur intérêt politique au sens plein du terme. Vu la complexité des circonstances qui donnent lieu aujourd'hui aux mouvements de réfugiés, les gouvernements ne peuvent dénier un traitement humanitaire pour la simple raison qu'une personne ou un groupe de personnes ne répond pas aux critères définis dans la Convention de 1951. Ce serait une approche légaliste et statique, doctrinaire plutôt que doctrinale. Si les personnes concernées ne sont pas en mesure d'invoquer une crainte fondée de persécution, comme l'exige la Convention de 1951, pour avoir droit au statut de réfugié, mais si elles éprouvent néanmoins des craintes fondées à l'idée de regagner leur foyer, elles doivent alors bénéficier, à tout le moins, d'un asile temporaire et d'un traitement humain. La responsabilité des gouvernements à leur égard ne s'arrête que lorsqu'elles peuvent retourner dans leur pays. a mon sens, il y a aujourd'hui un nombre très important de demandeurs d'asile qui tombent dans ce que j'appelle une zone grise - c'est-à-dire ceux qui ne répondent pas entièrement aux définitions consignées dans les instruments juridiques internationaux, mais qui, à l'évidence, ont besoin d'une protection internationale. Je les qualifierais de « réfugiés hors Convention ». c'est-à-dire qu'ils n'ont peut-être pas droit au statut prévu aux termes de la Convention de 1951, mais qu'ils doivent absolument recevoir un traitement humanitaire le temps qu'un effort international concerté aboutisse à une solution humaine, y compris la possibilité de rentrer chez eux dans la sécurité et la dignité.

Comme nous l'avons déjà vu, l'immense majorité des réfugiés et des personnes en quête d'asile qui se trouvent aujourd'hui dans les pays en développement du tiers monde n'obéit pas toujours à la définition formelle du réfugié énoncée dans la Convention de 1951. En d'autres termes, ils ne sont pas tous victimes de persécutions du fait de la race, la religion, la nationalité ou l'opinion politique. Ils appartiennent à cette catégorie plus large de personnes qui quittent leur pays car leur vie et leur sécurité y sont en danger du fait de conflits armés ou d'autres formes graves de violence ou de danger. La communauté internationale a attesté le besoin de ces personnes en matière de protection internationale en adoptant différentes résolutions dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations Unies et en soutenant les efforts du Haut Commissariat en leur faveur. Elles continuent de relever de la compétence de la communauté internationale jusqu'à ce que des solutions appropriées soient trouvées à leur sort. Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures, et autant d'ensembles de normes que de régions. Le principal critère engageant la responsabilité du Haut Commissaire et des Etats doit être l'existence d'un besoin de protection internationale.

J'espère donc de toutes mes forces que nous ne nous laisserons pas enfermer dans la controverse sur la définition de « qui est » ou de « qui n'est pas » un réfugié « authentique » dans les circonstances actuelles. Reconnaissons ensemble que la définition consignée dans la Convention du 1951, et fondée sur le concept de la persécution individuelle, n'est plus à même de refléter toutes les facettes du problème des réfugiés contemporains. Elle n'a pas été conçue pour le type d'afflux massifs auquel nous avons notamment affaire aujourd'hui. Par ailleurs, c'est un instrument destiné à faciliter une installation durable ou permanente dans un pays extérieur au pays d'origine, alors que, dans bien des exodes massifs contemporains, la seule issue est d'axer nos efforts sur le rapatriement librement consenti dans des conditions appropriées. C'est pourquoi je pense que les Etats doivent tout naturellement accorder à ceux qui répondent aux critères établis le traitement prévu par la Convention ; je crois qu'ils doivent également prendre en charge ceux qui relèvent de la catégorie « hors Convention » jusqu'à ce qu'une solution idoine soit trouvée à leurs problèmes grâce à l'appui actif de la communauté internationale.

Toutefois, compte tenu des tendances restrictives qui prévalent actuellement, je ne pense pas qu'il soit judicieux d'évoquer pour l'heure l'établissement d'un régime juridique formel pour cette catégorie. Par ailleurs, les Etats doivent également comprendre qu'il n'existe pas d'issue juridique à la situation difficile où ils se trouvent. On ne peut empêcher les gens qui ont des raisons impérieuses de quitter leur pays de fuir vers un autre pays pour y chercher refuge. Il faut étudier les raisons qui les ont poussés à fuir. Entretemps, les gouvernements, le HCR et ses partenaires doivent conjuguer leurs efforts pour mettre au point des pratiques à la fois humaines et socialement responsables. Une fois qu'elles seront uniformément appliquées, ces pratiques se transformeront en une doctrine acceptée. Au bout de quelque temps, cette doctrine permettra d'adapter le droit en vigueur. C'est à mon sens, la façon la plus naturelle de faire évoluer le droit humanitaire.

J'en viens à ma troisième prémisse. Qu'entendons-nous par volonté politique des Etats de s'attaquer aux causes profondes ?

Comme je l'ai dit plus tôt, le problème actuel des réfugiés ne peut plus être considéré sous l'angle exclusif de l'assistance humanitaire. Pour ce grand nombre de personnes qui appartiennent à la catégorie dite hors Convention, la seule solution réside dans le traitement des causes profondes, tout d'abord pour éradiquer les motifs d'exodes ultérieurs, si cette éventualité existe, puis pour inverser le sens du mouvement en créant les conditions favorables un rapatriement librement consenti de ceux qui sont déjà partis. Je comprends bien que ce n'est pas chose facile et que le succès ne sera pas toujours au rendez-vous, mais il faut faire un effort et prendre des initiatives, tant il est vrai que là comme ailleurs, les causes d'un problème et sa solution sont indissociables.

Lorsque je parle de m'attaquer aux causes profondes, je veux dire que c'est à la communauté des Etats qu'il appartient au premier chef de prendre des initiatives en la matière. Le HCR est prêt à jouer le rôle que les gouvernements souhaiteront lui confier en vue de faciliter ces initiatives.

Une analyse des causes profondes des grands mouvements de réfugiés contemporains révèlerait l'existence de deux facteurs principaux : les conflits armés ou les troubles intérieurs graves et les violations des droits de l'homme, eux-mêmes trop souvent causés par des disparités qui, depuis 1945, ont conduit, aujourd'hui, à certaines impasses dans les échanges commerciaux mondiaux et le système financier international.

En ce qui concerne les conflits armés et les troubles intérieurs graves, je crois qu'une approche collective de la communauté internationale peut avoir un impact décisif. De même, toute approche internationale vis-à-vis d'une solution durable ou permanente doit également englober une action visant à améliorer la situation relative aux droits de l'homme dans le pays d'origine et à s'assurer que l'Etat accepte d'assumer les responsabilités qui sont les siennes. Il me semble préoccupant que, dans le domaine du droit des réfugiés, la notion de responsabilité de l'Etat n'ait pas été développée au plan juridique. C'est un domaine précis qui exige davantage d'attention de la part de la communauté internationale. Le concept de responsabilité de l'Etat amènera le pays d'origine à participer de façon plus active à la recherche internationale de solutions.

L'approche dite des causes profondes ne doit pas seulement s'appliquer aux pays d'origine mais également aux pays intermédiaires. Nous avons souvent affaire aujourd'hui à ce que l'on pourrait appeler « des mouvements de réfugiés à deux étapes ». Ce sont des réfugiés qui se dirigent d'abord vers un pays voisin de la région et qui, par la suite, insatisfaits des conditions qui y prévalent, partent vers un autre pays, généralement à l'extérieur de la région, où les conditions sont jugées plus satisfaisantes. Dans ces circonstances, il est tout aussi crucial que les Etats fassent preuve d'une volonté politique pour permettre à un pays de premier asile de continuer d'être à même, sur le plan économique et financier, d'offrir un asile temporaire aux réfugiés.

Concernant le rôle du HCR vis-à-vis des cause profondes des mouvements de réfugiés, Il y a deux écoles de pensée. Certains estiment que si le HCR entend s'atteler avec efficacité aux problèmes des réfugiés et leur trouver des solutions appropriées, il doit s'intéresser de près à tous les grands problèmes de notre époque qui peuvent provoquer des mouvements de réfugiés transfrontières, et doit essayer de contribuer à leurs solutions. D'autres craignent que cette ligne de conduite n'entraîne le HCR dans des controverses politiques et ne paralyse son oeuvre humanitaire.

Sans contester en aucune façon la valeur de ces deux écoles de pensée, je pense qu'il est possible d'emprunter une voie intermédiaire. Le HCR est naturellement lié par la disposition statutaire qui fait de lui une organisation « humanitaire et apolitique »; mais où s'arrête l'humanitaire, et où commence le politique ? On trace parfois un peu facilement le trait entre les deux en qualifiant d'humanitaire l'action visant à faire face aux conséquences de la situation dans des pays d'asile, et de politique l'action visant à s'attaquer aux causes de la situation dans le pays d'origine. Pour ma part, je rejette l'établissement d'une telle distinction. A mon sens, toute action dictée par le souci du bien-être d'hommes et de femmes est humanitaire, qu'elle ait pour cadre le pays d'asile ou le pays d'origine.

Ceci dit, le HCR doit naturellement se garder de mener une action qui pourrait être perçue comme incompatible avec son mandat strictement apolitique et humanitaire. Le HCR ne doit pas prendre parti dans des différends ou s'engager dans des controverses, qu'elles soient de nature politique, raciale, religieuse ou idéologique. Par ailleurs, le HCR doit s'attacher à déterminer les causes profondes des mouvements de réfugiés pour pouvoir trouver des solutions adéquates. En outre, et tout en préservant son caractère apolitique et humanitaire, le HCR doit encourager les gouvernements à s'attaquer plus résolument aux causes profondes des mouvements de réfugiés.

Dans toutes les situations de réfugiés, et particulièrement en cas d'afflux massifs, je crois que la communauté internationale doit entreprendre, dès le début, deux actions parallèles et simultanées. L'une, d'ordre humanitaire, vise essentiellement à alléger les souffrances humaines et à offrir une protection. Il faut souligner ici qu'au tire de l'assistance, le marché humanitaire oscille annuellement entre un et trois milliards de dollars. Cela n'est certes pas négligeable pour tant d'entreprises à la recherche de contrats! L'autre, d'ordre politique, à principalement pour but d'atténuer les causes profondes et de fournir des solutions. S'il appartient au HCR de se charger de l'humanitaire, c'est à la communauté des Etats qu'il incombe d'agir dans le domaine politique. Ces deux actions doivent aller de pair et se compléter.

Dans bon nombre d'afflux massifs contemporains, le rapatriement librement consenti constitue la seule solution réaliste, puisque l'autre terme de l'alternative est une dépendance sans fin. C'est donc vers cette solution que doivent s'orienter les efforts des Etats. Leur objectif sera de parvenir à une amélioration générale de la situation dans le pays d'origine afin de créer les conditions propices au rapatriement librement consenti des réfugiés. C'est une dimension que les programmes de développement ne prennent guère en compte. Les milliards que j'ai cités tout à l'heure auraient un impact déterminant dans la mise en oeuvre de solutions durables. Je sais bien qu'il n'existe pas, à cet égard, de formule magique. En règle générale, les rapatriements massifs s'opèrent dans le sillage de changements radicaux dans le pays d'origine des réfugiés, c'est-à-dire la mise en place d'un nouveau régime, la fin de conflits armés, le retrait d'une puissance coloniale ou d'une occupation étrangère, pour n'en citer que quelques-uns. Il n'en reste pas moins que les efforts coordonnés de la communauté internationale peuvent aussi porter leurs fruits dans d'autres types de situation. La volonté collective des Etats et l'influence politique qu'ils peuvent exercer sont certainement des facteurs dont l'importance ne saurait être ignorée.

Il convient aussi de reconnaître que les efforts consentis pour mettre en oeuvre un rapatriement volontaire, même à une échelle modeste dans un premier temps, peuvent en soi favoriser des conditions propices à une solution plus ambitieuse. Si, par exemple, le pays d'origine et le pays d'asile peuvent, en dépit de leur contentieux politique, s'entendre sur le rapatriement librement consenti, disons des groupes les plus vulnérables tels que les personnes âgées, les handicapés, les enfants séparés de leur famille, cet accord démontrera en termes politiques que, malgré la poursuite du conflit, les deux Etats sont convenus, pour ainsi dire, d'isoler le problème. Une telle mesure d'exception peut à son tour contribuer à améliorer la situation, restaurer la confiance et ouvrir la voie à un rapatriement éventuel du groupe tout entier.

Cet exemple permet aussi d'approfondir une réflexion qui ne s'applique pas qu'au rapatriement librement consenti mais aussi à l'approche nécessaire à l'égard des problèmes de réfugiés en général. Il faut reconnaître que plus un problème de réfugiés s'éternise, plus il sera difficile de lui trouver une solution. Nombre de situations de réfugiés ont montré à l'évidence qu'au bout d'un certain temps les réfugiés eux-mêmes font partie intégrante du problème politique global et qu'ils deviennent ainsi un obstacle supplémentaire. Si les problèmes humains ne sont pas résolus, les tensions politiques risquent dort d'en être exacerbées.

Il en ressort qu'un approche constructive aux problèmes des réfugiés exige des efforts simultanés pour traiter à la fois l'humanitaire et le politique. Leur interdépendance indiscutable explique que les succès enregistrés dans un domaine rejaillissent forcément sur l'autre.

Mesdames et Messieurs, si dans mon exposé d'aujourd'hui je me suis concentré sur les causes des mouvements de réfugiés et leurs solutions, c'est parce que je crois que la protection internationale des réfugiés, c'est-à-dire la raison d'être de mon Office, ne peut plus être perçue indépendamment de ces facteurs. Les principes humanitaires établis pour le traitement des réfugiés, ainsi que les mécanismes régissant leur application, sont des réalisations dont le monde civilisé tout entier peut, à juste titre, tirer fierté. Mais si nous voulons préserver ces acquis, nous devons aller au-delà de l'humanitaire et trouver la volonté politique de résoudre les problèmes actuels de réfugiés.

Je vous remercie.