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Déclaration liminaire de M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, aux Consultations sur l'arrivée de personnes en quête d'asile et de réfugiés en Europe, (Genève, le 28-31 mai 1985)

Discours et déclarations

Déclaration liminaire de M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, aux Consultations sur l'arrivée de personnes en quête d'asile et de réfugiés en Europe, (Genève, le 28-31 mai 1985)

31 Mai 1985
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Excellences, Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter chaleureusement la bienvenue à ces Consultations. Je suis heureux de voir des représentants de si nombreux pays, européens et non européens ; je suis également heureux d'accueillir les représentants d'organisations qui ont toujours accordé un soutien précieux à l'oeuvre humanitaire.

En tant qu'institution des Nations Unies ayant vocation de s'occuper des problèmes de réfugiés, nos préoccupations doivent se situer au plan universel tant de par l'essence du problème des réfugiés que de par la nature de notre mandat. Cette dernière caractéristique ne nous a naturellement pas empêché dans le passé de nous occuper de problèmes de réfugiés au plan régional, lorsque le besoin s'en est fait sentir. Ces derniers temps, des réunions et des conférences ont eu lieu sur les situations de réfugiés, par exemple en Asie du Sud-est, en Afrique et en Amérique latine. A ces occasions, des gouvernements ont reconnu que les problèmes de groupes spécifiques de réfugiés constituaient une responsabilité internationale et sont convenus de la nécessité d'une action concertée pour les résoudre. En Europe, nous nous heurtons aujourd'hui à une situation difficile qui, tout en s'insérant de prime abord dans un cadre régional, réclame, en fait, une action d'envergure internationale. C'est pour cette raison que j'ai décidé de vous inviter à ces Consultations.

Point n'est besoin d'ajouter que la question des demandeurs d'asile et des réfugiés arrivant en Europe, qui sera au coeur de nos délibérations pendant les quatre jours à venir, n'est pas le seul problème préoccupant sur lequel mon Office et la communauté internationale doivent se pencher. En effet, il en est d'autres qui, pour différents qu'ils soient, n'en sont pas moins urgents en Afrique, en Asie, en Amérique latine, en Amérique centrale et ailleurs.

Ce mois de mai 1985 a été très riche en anniversaires qui ont incité le monde à jeter un regard rétrospectif sur les catastrophes qui ont jalonné notre époque. Permettez-moi également aujourd'hui de revenir en arrière pour partager avec vous quelques réflexions personnelles sur quatre décennies d'histoire des réfugiés en Europe. Je suis à cet égard dans la position avantageuse d'une personne qui a vécu cette période à travers diverses expériences personnelle, gouvernementale et internationale, et en tant que citoyen européen.

La tradition de l'Europe comme terre d'asile naturellement très ancienne. Ce n'est cependant pas un effet du hasard si l'histoire des réfugiés depuis la création des Nations Unies s'est faite sur les ruines de la guerre. Sur un continent dévasté, il a fallu rebâtir des sociétés, aider les victimes de la guerre et réaffirmer les valeurs humaines. Leur douloureuse expérience a démontré aux Etats européens l'importance de créer un meilleur cadre pour protéger l'être humain des forces qui tendent à sa destruction. Les Etats européens allaient donc tout naturellement jouer un rôle clé dans l'oeuvre accomplie en faveur des réfugiés.

Les Etats européens n'ont pas seulement pris part à l'établissement d'un cadre juridique pour la protection des réfugiés, notamment la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés, mais ont également été parmi les premiers à ratifier différents instruments, adoptant des législations nationales s'inspirant des textes internationaux relatifs aux réfugiés, et montrant l'exemple en les faisant entrer en vigueur. L'Europe dès lors n'a jamais cessé de soutenir la cause des réfugiés lors de réunions et de conférences, au Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire, à l'Assemblée générale des Nations Unies, et ailleurs. Au plan financier, les pays d'Europe ont toujours été parmi les plus généreux et les plus fidèles donateurs. Grâce à leurs efforts et à leur soutien sans faille, il a généralement été possible de sauver des vies humaines et d'ouvrir de nouveaux horizons. L'Europe peut, à juste titre, tirer fierté de sa contribution à l'établissement de normes concernant le traitement des réfugiés et à l'instauration du principe du 'partage international des charges et de la solidarité dans les activités au service des réfugiés. Lors de mes voyages à travers le monde, j'ai perçu à maintes reprises le respect et l'admiration que suscitent les valeurs humaines, les traditions et les réalisations du continent d'où je viens. Cela m'a beaucoup aidé dans l'exercice de mes fonctions.

Malheureusement je dois dire aujourd'hui tout le souci que m'inspirent les tendances qui se sont manifestées ces derniers temps en Europe. Des Etats qui se sont faits les avocats de la cause des droits de l'homme éprouvent aujourd'hui des difficultés à reconnaître aux personnes en quête d'asile certains de ces droits fondamentaux ; des peuples qui ont naguère ouvert leurs portes et leur coeur aux réfugiés se montrent aujourd'hui plus réticents, voire intolérants, vis-à-vis des personnes en quête d'asile et des réfugiés.

Permettez-moi de dire sans ambage que nous ne pensons évidemment pas que tous les réfugiés en provenance des pays en développement, ou même la plupart d'entre eux, devraient s'installer dans les pays industrialisés. Des solutions peuvent et doivent, lorsque c'est possible, être trouvées dans la région d'origine des réfugiés. C'est bien sûr ce qui se passe, en fait, dans la plupart des cas. La grande majorité des réfugiés du monde restent dans leur propre région. Ils y sont accueillis avec hospitalité, ils s'intègrent dans leur nouvelle société ou ils retournent de leur plein gré dans leur pays d'origine. En réalité, moins de 3 pour cent des réfugiés du monde cherchent et requièrent une solution durable dans le monde industrialisé.

Est-ce trop demander de vouloir que ce petit nombre de personnes, qui cherchent asile en toute bonne foi et qui, n'ayant peut-être aucune solution dans leur région d'origine, se tournent vers le monde industrialisé pour y chercher des perspectives d'avenir, soit accueilli et traité conformément à ces instruments internationaux et à ces traditions humanitaires dont ce continent est le berceau ? En effet, les valeurs humanitaires de l'Europe ne constituent-elles pas un pôle d'attraction ? Les pays européens ont toujours prôné et défendu ces mêmes valeurs dans de nombreuses enceintes internationales. Quel choc cela doit être alors pour une personne en quête d'asile d'arriver ici et de se heurter parfois à une réalité très différente.

Il est entendu que le mouvement des personnes en quête d'asile vers l'Europe coïncide souvent avec des mouvements de migrants ordinaires ; c'est un problème qui cause des difficultés particulières, tant aux pays européens qu'à leur opinion publique. Permettez-moi de dire, tout d'abord, que mon Office ne considère en aucun cas que des personnes qui quittent leur pays d'origine pour des raisons purement économiques doivent être traitées en tant que réfugiés. Par ailleurs, nous sommes aujourd'hui en présence de groupes importants qui sont contraints de quitter leur pays d'origine en quête de protection à la suite de troubles intérieurs graves ou de conflits armés mettant leur vie ou leur liberté en danger. Comme vous le savez, j'ai été prié par l'Assemblée générale d'offrir protection et assistance aux personnes qui se trouvent dans cette situation, même si certaines d'entre elles ne sont pas nécessairement dans la position de personnes « craignant avec raison d'être persécutées », au sens de la définition du réfugié consignée dans la Convention des Nations Unies de 1951 et le Protocole de 1967. Je ne considère pas, et j'entends ici l'affirmer, que les personnes qui tombent dans cette catégorie « élargie » ont droit au même statut juridique que les réfugiés aux termes de la définition traditionnelle. Cependant, il faut s'assurer que ces personnes ne soient pas renvoyées de force dans le pays où elles sont en danger et que leurs besoins humains essentiels soient satisfaits en attendant d'avoir des éclaircissements sur les conditions qui prévalent dans leur pays d'origine. A ce propos, il est très gratifiant de constater que la législation de presque tous les pays d'Europe parties à la Convention offre la possibilité de faire face à ces situations dans un esprit humanitaire.

Dans le cadre des travaux préparatoires aux Consultations, nous avons diffusé une Note exposant les problèmes qui, à notre sens, requièrent une étude approfondie. Nous avons essayé d'esquisser certaines des difficultés auxquelles se heurtent les gouvernements dans la situation actuelle et de montrer comment ces mêmes difficultés peuvent avoir des répercussions néfastes pour les réfugiés et les personnes en quête d'asile. Pour certains, cette Note va peut-être trop loin, pour d'autres elle ne va peut-être pas assez loin. L'objectif commun est de protéger la personne en quête d'asile et le réfugié bona fide et pour ce faire, il nous faut sauvegarder et défendre les principes de protection internationale et les normes humanitaires applicables aux réfugiés en Europe - et en l'occurrence partout ailleurs. Dans le même temps, il est évident que sans le soutien des gouvernements, notre fonction de protection internationale ne peut être assumée correctement. A travers notre approche, nous avons essayé de faire la part des choses entre les véritables problèmes des personnes en quête d'asile et les préoccupations légitimes des Etats.

Puis-je, au risque de schématiser, essayer de résumer ces problèmes et préoccupations. Pour la personne en quête d'asile, il est question d'être accueillie et traitée de façon décente et humaine, eu égard à son statut spécial et conformément aux normes et pratiques établies. Pour les Etats. il s'agit de veiller à ce que les structures de la protection et de l'assistance répondent aux besoins authentiques de ceux qui méritent une considération spéciale et un statut particulier.

Quels sont alors les buts de ces Consultations ? Tout d'abord, elles doivent permettre d'arriver à une meilleure compréhension des problèmes auxquels nous sommes confrontés et de la situation qui en découle. Ensuite, elles doivent tenter d'engager la discussion sur les moyens de résoudre ces problèmes. Dans notre Note, nous avons essayé de proposer un certain nombre de solutions que les participants pourraient souhaiter examiner. Ce n'est en aucun cas une liste exhaustive, et toute suggestion serait à cet égard la bienvenue. Je voudrais néanmoins souligner que c'est en dernier ressort aux gouvernements, et non pas au HCR, qu'il incombe de créer les conditions essentielles permettant de résoudre les problèmes existants et d'éviter de nouvelles difficultés. Les efforts du HCR ne peuvent se substituer à la volonté et à la détermination des gouvernements de trouver des solutions à ces différents problèmes. C'est sur cette toile de fond que doivent être examinées les solutions possibles que nous avons proposées dans la Note. Je serais très heureux d'entendre vos vues à ce sujet.

Au cours du débat, les gouvernements auront le loisir d'exprimer les préoccupations qui sont les leurs. Je suis convaincu que cela contribuera à notre compréhension mutuelle. Nous devons, cependant, franchir une étape de plus et dépasser le stade de l'exposé des positions et des difficultés connues. Notre réaction face à ces problèmes ne doit pas simplement refléter les préoccupations et les angoisses nationales. En effet, les problèmes qui nous préoccupent aujourd'hui revêtent une ampleur internationale et exigent que chaque pays - en Europe ou ailleurs, - assume sa juste part des responsabilités humanitaires. L'Europe a à son actif une tradition de coopération constructive dans de nombreux domaines, notamment dans celui des réfugiés. Une coopération de ce type est également essentielle dans la situation actuelle des personnes en quête d'asile qui arrivent en Europe. Faute d'une action concertée, constructive et imaginative, les problèmes ne feront que s'internationaliser encore davantage. On n'aboutira qu'à transférer les problèmes de frontières à frontières.

Pour mieux appréhender les problèmes, il faut bien comprendre la situation unique des personnes en quête d'asile par rapport à la catégorie plus large des migrants économiques. Il ne faut jamais oublier qu'une personne en quête d'asile a dû prendre la décision la plus dramatique et la plus douloureuse qui soit, c'est-à-dire de quitter son pays d'origine. Elle a été contrainte de partir et, partant, elle ne doit pas être contrainte de revenir. L'une des affiches publiées par mon Office reproduit le graffiti suivant : « Refugee go home ». Le commentaire du HCR est simple : « Il le ferait s'il le pouvait ».

Le cadre confortable où nous nous trouvons ne doit pas nous faire oublier non plus certaines des tragédies humaines qui se cachent derrière les problèmes dont nous discutons. Il serait cynique d'établir des degrés dans la souffrance humaine. Chaque réfugié, qu'il soit dans un camp de réfugiés en Afrique ou dans un centre urbain en Europe, mérite notre compassion et notre aide. Le drame des réfugiés de la mer et l'exode tragique de milliers de réfugiés au Soudan ont fait la une des journaux. Pendant ce temps, il y a de petits groupes de réfugiés qui passent des semaines dans des aérogares en Europe, renvoyés d'un aéroport à l'autre comme des balles de ping-pong, mis en orbite. Si leur histoire est souvent passée sous silence, ils n'en méritent pas moins notre attention et notre assistance.

J'espère que nos discussions seront franches et axées sur les mesures pratiques que nous pouvons et devons prendre. Ces Consultations n'ont pas pour but de discuter et d'adopter des résolutions. Dans le résumé que je ferai vendredi, je tenterai de refléter l'opinion générale et j'essaierai d'esquisser les lignes directrices de notre action future. Il est évident que ces Consultations ne constitueront pas une panacée. Pour atteindre leur but, elles devront marquer une étape importante dans notre quête inlassable de solutions. A cet égard, je suis convaincu qu'elles constitueront aussi une contribution à l'étude en cours sur les mouvements irréguliers de personnes en quête d'asile et de réfugiés que l'on m'a demandé de présenter à la prochaine session du Comité exécutif.

Avant de conclure, permettez-moi de partager avec vous une expérience que j'ai vécue lors de ma récente mission en Chine. J'ai été très encouragé de voir comment des centaines de milliers de réfugiés ont eu la chance et les moyens de s'intégrer dans ce pays. On apprend toujours quelque chose lors de ces missions : c'est ainsi qu'en entretenant l'un de mes hôtes des crises de réfugiés que le HCR connaît dans le monde, on m'a dit qu'en chinois, l'idéogramme traduisant le mot crise était composé de deux caractères, l'un signifiant le danger, l'autre, la possibilité. Je crois pouvoir dire qu'en Europe aujourd'hui nous sommes confrontés à une crise.' D'une part, la structure de protection des réfugiés, laborieusement établie au fil des ans et reprise de par le monde, est en danger. D'autre part, ces Consultations nous donnent la possibilité de montrer que cette structure est aussi solide et précieuse que jamais, et que la communauté internationale a la volonté et la capacité de la défendre et de la renforcer.

Je vous remercie.