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Exposé par M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, devant l'Assemblée Parlementaire, le 9 mai 1989

Discours et déclarations

Exposé par M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, devant l'Assemblée Parlementaire, le 9 mai 1989

9 Mai 1989

Le 9 mai 1989

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous dire que je suis heureux de me trouver parmi vous et que je vous remercie de m'avoir invité à participer à votre séance de ce matin consacrée aux réfugiés. Je tiens à remercier tout particulièrement tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cette journée. Le Président sortant Monsieur Louis Jung, le nouveau Président, Monsieur Anders Björck que je félicite de son élection, le Président de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, M. wilfried Böhm, le Président de la Sous-Commission des Réfugiés, Monsieur Alfons Cucó le Rapporteur, M. Bota à qui j'adresse mes plus vifs remerciements pour son excellent rapport et Monsieur Sorinas le Secrétaire de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie.

Si je suis heureux d'être parmi vous c'est également pour une raison très simple : parler des réfugiés dans cette enceinte du Conseil de l'Europe me donne des assurances d'être bien compris. En effet, le Conseil de l'Europe, fidèle en cela à sa tradition, a toujours su traiter des questions de réfugiés dans leur véritable perspective qui est celle de la protection des droits de l'homme. Trop souvent les discussions relatives aux réfugiés sont faussés dès le départ parce que basées sur une confusion regrettable entre immigration et réfugiés. Or cette confusion est une source de doutes qui provoquent des tensions inutiles dans la vie politique européenne.

Pour que le débat ne risque pas ainsi d'être détourné, il me paraît essentiel d'avoir le courage de reconnaître que l'Europe est aujourd'hui confrontée à des courants d'immigration. Il s'agit d'un problème séparé de celui des réfugiés et doit être résolu en tant que tel. A cet égard, je tiens à rappeler que le HCR n'est pas compétent en matière d'immigration. Les « réfugiés » et les « immigrés » constituent deux catégories juridiques distinctes obéissant à des lois propres. Les réfugiés sont des victimes des violations des droits de l'homme, des rescapés de la violence de l'homme contre l'homme.

Les réfugiés cherchent à préserver leur vie, leur liberté. Leur requête doit être traitée comme une demande d'assistance de personne en danger. L'abri qu'elle demande c'est la protection des droits élémentaires qu'un Etat de Droit n'esquive pas. Les grands principes de la philosophie juridique du « rule of law » font précisément partie des valeurs communes européennes qui sont à la base du Conseil de l'Europe et doivent orienter la construction de l'Europe. L'« harmonisation » ne peut se faire qu'en respectant la légalité européenne. L'unification est une chance pour l'Europe et un « droit de progrès » ne saurait s'accommoder d'un « droit en régression » pour les réfugiés.

Ainsi, j'aimerais que, premièrement nous envisagions le droit contemporain des réfugiés dans ses notions essentielles. En deuxième partie nous rappellerons que l'exercice des droits des réfugiés est assorti de garanties collectives.

Dans le droit des réfugiés il y a au fond deux notions essentielles qui répondent au même souci, au même objectif, qui est de protéger un étranger dont les droits fondamentaux sont menacés dans le pays d'origine. Cet étranger ayant vocation à être protégé, c'est le réfugié. La règle de droit interdisant la livraison d'une victime à ses bourreaux, à ses meurtriers, est le non-refoulement. Cet « interdit » du droit des réfugiés correspond d'ailleurs à l'obligation d'assister une personne en danger qui a été évoquée tout à l'heure.

Dans l'histoire cruelle et mouvementée de l'humanité ces deux notions fondamentales de « réfugié » et de « non-refoulement », ont toujours été évolutives. Il n'y a rien d'étonnant à cela. Seul un « droit mort » n'évolue pas. Or le droit des réfugiés est comme vous le savez un droit éminemment vivant qu'il faut continuellement adapter.

Dans cette évolution, la définition du terme réfugié contenue dans la Convention de 1951 a justement été saluée comme la première définition générale ayant un valeur normative universelle. En effet, est réfugiée toute personne qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Cette définition était elle-même le résultat d'une « codification », à la suite du constat de ce qui s'était produit auparavant pendant les années tragiques du Nazisme. Auparavant les définitions de réfugiés avaient été appliquées à certains groupes nationaux qui avaient été contraints de fuir leur pays à cause d'événements politiques. Il s'agissait de Russes, d'Arméniens, de Sarrois et d'Allemand. Chaque groupe national a fait l'objet d'un accord international spécifique codifiant ainsi l'approche de la communauté internationale à l'égard des réfugiés pendant l'entre-deux-guerres.

Le fait que la définition de 1951 soit la première définition générale, c'est-à-dire pouvant s'appliquer à tout individu quelle que soit sa nationalité, ne signifie nullement qu'il s'agisse du point d'aboutissement de la notion de réfugié. Bien au contraire, c'est ainsi que d'abord limitée dans le temps (« ... événements survenus avant le 1er janvier 1951 ... ») il a fallu l'intervention du Protocole de 1967 pour retirer cette limitation temporelle.

Par la « limitation géographique », la Convention peur ne s'appliquer qu'à des événements survenus en Europe. A l'époque de la rédaction de la Convention, dans l'immédiat après-Guerre, le phénomène réfugié était essentiellement européen. Or, depuis quelques années déjà, le centre de gravité du problème réfugié a cessé d'être en Europe. La majorité des réfugiés contemporains proviennent des régions les plus troublées du Tiers-Monde, aucun continent n'étant épargné. Ce caractère universel du problème réfugié est d'ailleurs reconnu par la quasi totalité des 106 Etats Parties à la Convention de 1951 ou au Protocole de 1967. Je voudrais signaler en passant que c'est avec beaucoup de satisfaction que nous avons accueilli l'adhésion de la Hongrie, devenue le 106ème Etat Partie à ces instruments. Seule une minorité d'Etats restreignent encore leurs obligations juridiques à la seule Europe. Votre Assemblée s'est souvent prononcée pour le retrait de cette « limitation géographique », encore maintenue par deux Etats Membres du Conseil de l'Europe : l'Italie et la Turquie. Les autorités compétentes italiennes examinent les mesures nécessaires au retrait de cette limitation. Je voudrais rappeler que mon Office demeure à leur disposition, comme à comme à celle des autorités turques, pour coopérer à la solution des difficultés qui pourraient se présenter à l'occasion d'un tel retrait.

L'évolution que nous avons brièvement retracée montre bien que le droit a « suivi » plutôt que précédé, les événements auxquels il devait s'appliquer. Dans le processus de formation du droit et de sa nécessaire codification, nous devons nous interroger sur l'adaptation de la définition de la Convention de 1951 aux événements mondiaux actuels. Comme je vous le disais, cette définition s'applique aux personnes « craignant avec raison d'être persécutées ». Or, l'interprétation de cette définition a connue une évolution négative. Les notions de « crainte fondée » de « persécution » sont devenues des éléments clefs d'une interprétation de plus en plus restrictive de la définition. Ainsi, il est généralement exigé que le demandeur prouve le fondement de ses craintes personnelles de persécution ainsi que les mesures de persécution pour les seules raisons prévues à l'article 1(A) 2 de la Convention de 1951.

Le critère « subjectif » relatif à l'élément « crainte » a été progressivement évincé au profit du critère « objectif » de « persécution », ce dernier critère étant d'ailleurs trop souvent subordonné à des moyens de preuve d'une exigence inappropriée au domaine des réfugiés. Le résultat est celui de l'interprétation restrictive de la définition de réfugié que nous connaissions et déplorons. En outre, ces tendances restrictives en Europe se produisaient à un moment où d'autres continents connaissaient des bouleversements politiques considérables, la décolonisation n'ayant malheureusement pas mis fin aux rivalités politiques. Les nouveaux courants de réfugiés sont ainsi apparus hors d'Europe. Les nouveaux réfugiés fuyaient la violence de la guerre, les massacres collectifs, les violence générales des droits de l'homme. La généralisation de la violence engendrait la généralisation de la peur. Ce n'est pas un hasard si c'est en Afrique, continent durement touché par ces nouvelles formes de terreur, que les Etats concernés ont dû adopter la définition de réfugié a leurs réalités.

C'est à la Convention de l'OUA, il y a 20 ans déjà, que revient le mérite de cette première adaptation de la définition de réfugié postérieure aux guerres de décolonisation. Encore une fois la nouvelle définition du réfugié était en retard d'une guerre ...

L'apport considérable de la définition de 1969 mérite que nous la relisions ensemble :

« Le terme « réfugié » s'applique également à toute personne qui, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre public dans un partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ».

La définition élargie de l'OUA demeure toujours la seule ayant valeur contractuelle, mais sa valeur exemplaire s'est manifestée dans bien d'autres instances : l'Assemblée Générale des Nations Unies, le Comité Exécutif du HCR, dans la Déclaration de Carthagène.

En Europe, continent qui avait tellement oeuvré pour que la définition de 1951 soit générale, le sentiment que cette définition devenait de plus en plus partielle, fragmentaire s'est également manifesté avec force.

Vous avez été parmi les premiers dans cette Assemblée à faire état de cette inquiétude. La remarquable Recommendation 773 (1976) relative à la situation des réfugiés de facto fournit une excellente base pour les travaux à entreprendre.

En attendant, il faut bien constater que la définition en vigueur ne couvre pas toutes les personnes ayant besoin d'être protégées. Des victimes des droits de l'homme non couvertes par la définition ont dû, pour cette raison, avoir recours à d'autres systèmes de protection. En pratique, les « réfugiés de facto » ont pu bénéficier d'une certaine protection en Europe. En effet, il existe heureusement des normes en droit européen qui interdisent le retour des personnes vers la mort, vers la torture ou la privation de liberté. Alors que la définition de réfugié semblait se scléroser, le principe de non-refoulement voyait son application étendue. Parfois, c'est le « droit prétorien européen » qui est venu combler certaines lacunes des insuffisances du système de la protection des réfugiés découlant de la définition classique de la Convention de 1951. A cet égard, je voudrais rendre hommage à la remarquable jurisprudence relative à l'article 3 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, interdisant le retour forcé de personnes vers la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette prohibition du renvoi pour assurer le respect de certains droits de l'homme a d'ailleurs reçu une consécration « législative » internationale dans le domaine de la prévention de la torture grâce aux Conventions des Nations Unies et du Conseil de l'Europe.

A travers ces exemples, il apparaît que la garantie collective de certains droits menacés en cas de retour de « réfugiés de facto » est et doit être assumée d'une façon ou d'une autre. Alors que ces personnes sont en fait déjà protégées par des pratiques mêmes imparfaites, le moment n'est-il pas venu de « rattraper » les faits et de poursuivre de façon plus réaliste et satisfaisante le processus de formation du droit ?

Face au danger de fractionnement du droit de la protection internationale et par conséquent de son affaiblissement, de la négation des réalités et des solidarités internationales, ne faut-il pas mettre à jour et « codifier » le droit européen contemporain qui de surcroît se veut futuriste ? l'Europe ne doit pas être tentée par un certain « isolationnisme humanitaire » mais doit continuer à participer à garantir collectivement l'exercice des droits fondamentaux de la personne humaine.

J'en arrive maintenant à ma deuxième partie, qui, je vous rassure tout de suite, sera bien plus courte que la première.

Dans leur conception moderne les droits de l'homme sont des droits pour tous et pour lesquels nous sommes tous concernés. Les droits de l'homme sont des droits « erga omnes », à l'égard de tous. Les violations des droits de l'homme constituent un affront à l'humanité toute entière.

Le caractère international des droits de l'homme et de celui des réfugiés entraîne un certain nombre de conséquences sur lesquelles il apparaît nécessaire d'attirer l'attention.

Il ressort de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, dont nous venons de célébrer le quarantième anniversaire en décembre dernier, que toute personne a le droit de quitter le pays d'origine pour fuir là persécution. Or des obstacles ont été mis au libre exercice de ce droit. En effet des mesures prises dans le cadre de la prévention de l'immigration clandestine ont des incidences négatives pour les personnes qui voudraient tenter de fuir pour demander asile. Par l'imposition de visas et de sanctions contre les transporteurs, un certain nombre d'Etats rendent encore plus difficile la fuite de personnes voulant échapper aux violations des droits de l'homme. De l'Europe déchirée par la guerre, nous gardons le souvenir de certains trains, parfois les derniers à partir, qui ont été la seule planche de salut. Pour beaucoup de victimes d'aujourd'hui ce sont des avions aux couleurs de l'Europe qui assurent de véritables vols de la liberté....

A la différence des immigrants, les barrages de contrôle de ces vols ne peur pas se faire avant le départ en fuite pour les réfugiés parce que le danger est trop grand qu'il n'y ait pas d'après.... Je ne dis pas qu'il ne doit pas y avoir de contrôles pour les demandeurs d'asile. Je dis simplement que ces contrôles doivent s'effectuer de façon à ne pas mettre en péril ces demandeurs d'asile ni d'ailleurs les principes de droit qui nous gouvernent.

Ces contrôles vont de toute façon s'exercer dans le cadre des procédures de reconnaissance du statut de réfugié qui caractérisent la législation de nombreux Etats soucieux de mettre en oeuvre la Convention de 1951.

Le droit de demander l'asile et le statut de réfugié, comporte nécessairement le droit d'entrer provisoirement sur le territoire d'un Etat à partir duquel pourra être amorcé le processus de reconnaissance du statut de réfugié. Ce droit de frapper à la porte, d'être admis sur le seuil d'un abri, il faut l'affirmer clairement. Ce « droit d'entrée provisoire » sur le territoire d'un Etat ne veut pas nécessairement dire que l'Etat en question aura la responsabilité d'examiner au fond la demande d'asile. Dans ce domaine également je suis heureux de faire référence aux travaux du Conseil de L'Europe et en particulier aux efforts du CAHAR (le Comité Ad Hoc d'Experts sur les Aspects Juridiques de l'Asile Territorial, des Réfugiés et des Apatrides) destinés à identifier l'Etat compétent pour traiter une demande d'asile.

L'existence de procédures également ouvertes à tous afin de garantir l'exercice effectif de droits fondamentaux est également un des attributs de l'Etat de Droit qui fondent la philosophie politique de l'Europe.

La formulation d'une demande doit conduire à une réponse rapide de l'Administration compétente. La rapidité et le bien-fondé de cette réponse est de l'intérêt de tous y compris des Administrations concernées qui pourront effectuer légalement les contrôles dont elles sont chargées et que nous avons évoqués tout à l'heure.

Une autre règle fondamentale de la justice en Europe, du contentieux administratif notamment, exige que toute décision administrative affectant un droit fondamental puisse faire l'objet d'un recours, d'un appel devant une instance appropriée. Parfois en Europe, ce principe simple en lui-même, est mis en oeuvre par une multiplicité de voies de recours qui finalement nuisent à la bonne Administration de la Justice, par sa complexité et par sa longueur. La rapidité et la simplicité sont des qualités essentielles de la justice. La cour Européenne des Droit de l'Homme ne l'a-t-elle pas récemment rappelé en se prononçant contre la « justice escargot ». L'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme résume parfaitement nos préoccupations. En effet : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».

A tout ceci je voudrais ajouter que dans l'expérience du Haut Commissariat, les considérations que nous venons d'évoquer ont beaucoup plus de chance de se réaliser dans le cadre de procédures spécifiques, spécialisées et exclusivement consacrées à la détermination du statut de réfugié. Notamment dans le cadre des efforts d'harmonisation des législations des Etat européens, je ne peux que souhaiter un rapprochement des systèmes de détermination afin qu'ils présentent tous les garanties que votre Assemblée Parlementaire et notre COMEX ont établi.

Le dernier point que je voudrais aborder concerne les solutions durables qui doivent être recherchées pour toutes les catégories de réfugiés.

La meilleure des solutions durables est évidemment le retour vers le pays d'origine. Cette solution qu'il faut rechercher en priorité, en favorisant les conditions nécessaires, est également significative de la différence essentielle entre « réfugié » et « immigré ».

Le « réfugié » ne souhaite que de pouvoir vivre dans son pays. L'Europe peut et doit jouer un rôle pour l'y aider. Bien entendu en participant aux grands programmes de rapatriement et de réinsertions des réfugiés mais également en contribuant aux actions préventives visant a empêcher les exodes de demandeurs d'asile.

La nécessité se fait sentir d'une approche globale de l'Europe toute entière pour résoudre les problèmes contemporains des réfugiés. Pour cela et pour définir une telle approche, une telle politique, il est nécessaire d'instaurer un grand débat ouvert, public, imaginatif et généreux. Cette discussion devra être représentative et il faudra associer à cette réflexion tous les secteurs de l'opinion publique européenne. La générosité de l'Europe s'est souvent manifestée par ses ONG et je voudrais qu'elles aient la possibilité de s'exprimer également sur la vision de notre avenir commun comme l'a fait par exemple la Consultation Européenne sur les Réfugiés et les Exilés.

Ainsi, je voudrais terminer mon intervention en lançant devant vous l'idée de former un « Comité des Sages » qui aura pour tâche de conduire une réflexion en profondeur sur l'avenir de la politique européenne à l'égard des réfugiés.

Je vous remercie de votre attention et reste à votre disposition pour toutes les questions que vous souhaiteriez me poser.