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Discours de M. Thorvald Stoltenberg, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la 46ème session de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, le 22 février 1990

Discours et déclarations

Discours de M. Thorvald Stoltenberg, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la 46ème session de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, le 22 février 1990

22 Février 1990
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Le 22 février 1990

Madame la Présidente, Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Les bouleversements récents en Europe et les progrès constants ailleurs en Afrique australe et en Amérique latine, régions qui ont été au centre de l'attention de la Commission dans le passé - ont conduit à un niveau sans précédent de confiance et de coopération où régnaient auparavant l'antagonisme et la crainte. Ces développements insufflent une énergie nouvelle pour résoudre d'autres problèmes humanitaires. Certains d'entre eux ont pris une telle ampleur que seule une coopération résolue et globale peut conduire à leur solution. La situation internationale des réfugiés est un reflet de la santé politique du monde. L'aptitude de la communauté internationale à surmonter le problème des réfugiés est un reflet de sa santé morale. Le monde compte aujourd'hui 14 millions de réfugiés et leurs histoires, tant individuelles que collectives, témoignent d'une incidence inquiétante des violations des droits de l'homme, de conflits politiques et ethniques, d'un déséquilibre économique et d'un désastre écologique. Tant au plan de ses causes qu'au plan de son impact, le problème des réfugiés a de multiples facettes et ne peut être dissocié d'autres grands défis politiques que doit relever notre monde. En prendre conscience c'est comprendre également la nécessité d'adapter l'action à l'ampleur de la tâche qui consiste à traiter efficacement des questions de réfugiés en gardant au centre des préoccupations les droits et les aspirations des personnes concernées.

Madame la Présidente, si nous entendons ainsi traiter des questions de réfugiés de façon humaine et efficace, notre action doit prendre en considération tout l'éventail des facteurs qui empêchent les gens de quitter leur pays. La persécution est à cet égard fondamentale, mais il y a d'autres facteurs qui seuls, ou plus souvent conjugués, agissent parallèlement. Les conflits ou les catastrophes causées par l'homme, l'absence de conditions de vie décentes ou de tout autre perspective économique ainsi que la destruction de l'environnement sont d'une importance clé à cet égard. En outre, les mouvements de réfugiés ont leur propre impact et peuvent devenir en soi une source d'instabilité et de frictions internationales. Ils peuvent exacerber les problèmes environnementaux et mettre à rude épreuve des économies nationales déjà fragiles et lourdement grevées. Le réalisme implique que tous ces éléments soient reconnus même si - et permettez-moi d'insister là-dessus - l'aptitude de tout organe ou organisation, y compris le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, à élaborer une réponse complète est nécessairement limitée par son mandat, ses ressources, et son expérience dans ces domaines. Cela rend impérieux, à mon sens, que les ressources du système multilatéral dans son ensemble soient mobilisées de façon appropriée pour permettre une approche globale. C'est pour cette raison qu'il m'est apparu de la première importance de m'adresser à votre Commission dès le début de mon mandat.

Dans le cadre d'une approche globale de ce type, les institutions pour les droits de l'homme, d'une façon générale, et la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, en particulier, ont un rôle clé à jouer. Le traitement réservé aux êtres humains doit se fonder sur les droits de l'homme qu'il s'agisse de ressortissants ou de non nationaux. En tant que principal organe au sein du système des Nations Unies chargé de dresser l'inventaire de la situation des droits de l'homme dans le monde entier, de demander aux Etats des comptes en la matière, et de promouvoir de façon concertée un climat international plus modéré, plus sûr et plus juste, cette Commission et ses activités sont d'une importance considérable dans la recherche de solutions aux problèmes des réfugiés concernant leur prévention et leur solution lorsqu'ils se produisent. Les violations des droits de l'homme sont la principale cause des exodes de réfugiés, et dans les efforts qu'elle déploie pour les empêcher, cette Commission contribue également à la prévention des flux de réfugiés. Les violations des droits de l'homme créent également des problèmes complexes de protection dans les pays d'asile. Les droits fondamentaux de l'individu, vus sous l'angle de leur violation ou de leur défense, sont une composante clé de toute situation de réfugiés. Enfin, la restauration du respect des droits de l'homme dans les pays d'origine peut être le premier pas vers la solution de problèmes déjà anciens de réfugiés. Il est clair que les considérations relatives aux droits de l'homme sont au centre de la problématique des réfugiés, depuis le départ jusqu'à la mise en oeuvre d'une solution durable, en passant par le refuge.

Il s'ensuit que la toile de fond adéquate pour traiter des questions de réfugiés est leur contexte humanitaire et celui des droits de l'homme. Cette affirmation peut faire figure de la palissade dans cette enceinte. Il n'empêche qu'elle n'est pas toujours acceptée ou approuvée. L'une des plus grandes difficultés que nous rencontrons aujourd'hui est la confusion dans les esprits entre les réfugiés cherchant asile et les entrées clandestines en tous genres, y compris les moins désirables. Sous cet angle, les arrivées de réfugiés sont assimilées à un problème d'immigration irrégulière qui relève de l'immigration et du contrôle aux frontières. Les réfugiés ne sont pourtant en aucun cas des migrants ayant choisi de leur plein gré de partir. Le problème des réfugiés ne peut être considéré comme un flux migratoire. Il convient de chercher les racines du problème dans les conditions existants dans les pays d'origine ayant motivé le départ. Si l'on entend résoudre les problèmes des réfugiés, la solution doit être conçue sur ces bases. Cela signifie que la communauté internationale doit se pencher de toute urgence sur ces causes profondes.

Le strict respect des droits civils et politiques mais également économiques, sociaux et culturels est fondamental à cet égard. Les droits de l'homme ne peuvent plus être assimilés aux libertés personnelles ou aux conditions minimales nécessaires à la dignité humaine mais recouvrent tous les ingrédients nécessaires à l'épanouissement de l'homme. Sans vouloir entrer dans le débat sur le développement et les droits de l'homme, il est néanmoins clair, ne serait - ce qu'au vu des statistiques - la grande majorité des réfugiés du monde vivant et venant des pays en voie de développement - qu'une composante importante du développement est au centre des solutions aux problèmes des réfugiés. Dans le dialogue et les politiques en matière de développement et par le truchement de l'aide au développement, il y a , à mon sens, un potentiel énorme de promotion active des droits de l'homme contribuant grandement à améliorer le sort de ces personnes et à permettre à ceux qui ont dû quitter leur pays d'y retourner volontairement. Je me permets de suggérer que ces questions soient inscrites à l'ordre du jour de cette Commission et débattues plus avant au cours de la discussion sur l'alerte précoce, les causes et la prévention, dans le contexte de cet échange de vues sur le lien entre les violations des droits de l'homme et les d'exodes massifs. Ce sont également des questions qui pourraient bien être examinées par le Groupe de travail sur les solutions et la protection qui se tiendra dans les mois à venir à la demande du Comité exécutif du HCR afin d'examiner d'une manière globale les solutions et la protection des réfugiés.

Les conditions de séjour dans des pays d'asile sont la conséquence du problème de base qui est le départ forcé. Néanmoins, le droit de chercher et de trouver asile reste un droit de l'homme fondamental. Le déni de ce droit peut avoir des conséquences graves pour les personnes concernées. Parmi les nombreux problèmes de protection auxquels mon Office est aux prises, la problématique de l'asile constitue l'un des domaines où un examen attentif de la Commission serait le bienvenu dans le contexte des droits de l'homme. Cette problématique recouvre principalement la pratique par certains Etats de l'expulsion et du refoulement des réfugiés, du rejet aux frontières, de la détention injustifiée, parfois dans des conditions tout à fait inacceptables, et des menaces graves à la sécurité des réfugiés dans les pays d'asile, y compris sous forme d'attaques militaires ou armées contre les camps ou sous forme d'enrôlement forcé des réfugiés dans des forces armées. Les droits sociaux et économiques des réfugiés ne sont pas non plus toujours garantis. En outre, les femmes et les enfants réfugiés rencontrent des difficultés particulières que mon Office s'efforce de surmonter par le biais de politiques et de programmes adéquats mais leurs droits sont particulièrement faciles à bafouer et méritent une attention spécifique sous l'angle des droits de l'homme. C'est l'approche qu'a suivie cette Commission, par exemple dans le cadre des négociations touchant à l'élaboration de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant.

Madame la Présidente, ces problèmes ont été soulevés lors des dernières sessions de cette Commission par le Directeur du droit des réfugiés et de la doctrine. Il suffit ici de souligner qu'ils restent une source de préoccupation constante et qu'un examen plus approfondi dans cette enceinte serait bénéfique. Il se peut par exemple qu'ils donnent matière à des résolutions appropriées. Ils peuvent également relever plus directement des procédures et mécanismes d'établissement de rapports suivis par cette Commission.

Aux termes de la définition juridique du réfugié universellement acceptée, le statut de réfugié est accordé à ceux qui se trouvent hors de leur pays et qui, en raison d'une crainte fondée de persécution, ne veulent ou ne peuvent être protégés par les autorités de leur pays. Comme je l'ai déjà mentionné, cependant, un nombre substantiel de ceux qui fuient leur pays ne le font pas en raison d'une persécution mais en raison de troubles ethniques ou sociaux. Nombre d'entre eux ne répondent pas à cette définition juridique du réfugié mais sont également déracinés et ont besoin de protection. Leurs problèmes n'en méritent pas moins une réponse humanitaire et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a jugé nécessaire de leur accorder cette protection humanitaire. Leur situation est particulièrement précaire car ils ne relèvent pas de la définition internationale du réfugié et sont en marge des mandats institutionnels. Je crois qu'il y a là matière à une action multilatérale dans le cadre des droits de l'homme, tant en ce qui concerne leur protection à l'extérieur de leur pays qu'en ce qui concerne leur situation lorsqu'ils rentrent chez eux.

Les progrès importants réalisés dans le domaine des droits de l'homme, dont cette Commission est pleinement consciente, doivent être résolument mis à profit au cours des mois à venir, à mesure que la détente internationale se généralisera et que le processus de changement vers des régimes politiques fondés sur le respect des droits individuels se consolidera. Dans ce contexte, sous l'angle de la problématique des réfugiés, la promotion des principes de protection des réfugiés et l'adhésion globale aux instruments revêtent une importance accrue pour le Haut Commissariat. En outre, il y a largement matière à renforcer la coopération fructueuse existant entre le HCR et les organes chargés des droits de l'homme, en particulier le Centre pour les droits de l'homme, afin de promouvoir des approches positives à l'égard des problèmes de réfugiés en général ainsi que la compatibilité entre les procédures et politiques nationales et les normes internationales des droits de l'homme et du droit des réfugiés.

Je suis intimement convaincu que les organisations non gouvernementales, dont certaines sont représentées ici aujourd'hui, ont également un rôle indispensable à jouer dans la promotion de la protection des réfugiés. Le HCR compte sur la coopération des ONG à bien des égards, y compris en tant que partenaires d'exécution, en tant que donateurs et agents mobilisateurs de l'appui et de l'assistance de la communauté. La Haut Commissariat continuera à explorer de nouvelles modalités de coopération adaptées aux circonstances.

En conclusion, Madame la Présidente, la coopération internationale et la responsabilité internationale touchant à la promotion et à la protection des droits individuels constituent les fondements de l'application adéquate des droits de l'homme et du droit des réfugiés. Mon Office continuera de consacrer toute son énergie et ses ressources à la protection des réfugiés et à la recherche de solutions durables à leurs problèmes. La communauté internationale nous a donné pour mandat d'assumer ces responsabilités au mieux de nos possibilités. Toutefois, je le répète, le problème sous toutes ses facettes dépasse le cadre du mandat du HCR et de nos compétences. Il est de plus en plus urgent, dans un monde de plus en plus interdépendant d'adopter une approche novatrice capable de tirer le meilleur parti des ressources de l'ensemble du système des Nations Unies. Cette Commission a une importante contribution à faire dans la promotion d'un monde plus humain, tant pour les ressortissants que pour les non ressortissants d'un pays. Dans un sens, le réfugié est, pour ses Etats, le révélateur de leur propre politique en matière de droits de l'homme. Les individus ne pouvant se réclamer des structures d'appui nationales n'ont guère d'autre recours que la législation internationale sur les droits de l'homme - et j'y inclus le droit des réfugiés - pour déposer leur demande d'asile. Le principes des droits de l'homme et de la protection des réfugiés, et non les obligations au niveau national, doivent dicter la réponse ; dans ce sens, il y va de la crédibilité d'un Etat ayant pris des engagement en matière d respect des droits de l'homme.

Merci Madame la Président.