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Soixante-cinquième session du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire. Déclaration liminaire de M. António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.
Genève, 30 septembre 2014

Discours et déclarations

Soixante-cinquième session du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire. Déclaration liminaire de M. António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.
Genève, 30 septembre 2014

30 Septembre 2014

Tel que prononcé

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

En Grèce, il y a plus de deux mille ans, Euripide avait fait cette fameuse déclaration : « il n'existe de plus grande douleur au monde que la perte de sa terre natale ». Aujourd'hui, beaucoup de gens vivent cette douleur plus qu'à toute autre période depuis la naissance de bon nombre d'entre nous dans cette salle. À la fin de l'année 2013, plus de 51 millions de personnes étaient déplacées à cause des conflits et des persécutions. J'ai la certitude que d'ici la fin de cette année, le nombre sera même plus important.

Dans le monde, le nombre de déplacements forcés a considérablement augmenté au cours de ces dernières années. En 2011, environ 14 000 personnes étaient chaque jour obligées de fuir leurs maisons à cause de la violence ou de la guerre. En 2012, 23 000 et en 2013, 32 000. Il y a de plus en plus de conflits prolongés ayant entraîné une augmentation exponentielle des besoins humanitaires.

Outre le conflit en cours en Syrie, de nouveaux conflits en République centrafricaine, au Soudan du Sud, en Ukraine, et plus récemment en Iraq, ont causé de terribles souffrances et des déplacements massifs. La communauté d'acteurs humanitaires internationaux s'est efforcée de répondre aux besoins, mais avec chaque crise, nous nous rapprochons de nos limites, et il est évident que nous ne sommes plus en mesure d'agir comme il faut.

Dans le même temps, les crises prolongées - en Afghanistan, en République démocratique du Congo, au Mali et en Somalie - ainsi que les nombreux autres conflits « oubliés » à travers le monde continuent de nécessiter beaucoup d'attention et de ressources. Nous savons tous cependant qu'elles ne bénéficient pas suffisamment ni de l'un ni de l'autre des deux éléments.

La crise dure depuis trois ans et demi, et il y a plus de 3,2 millions de réfugiés syriens enregistrés, qui constituent la plus grande population de réfugiés dans le monde après les Palestiniens. L'ampleur de ce drame a profondément affecté les pays voisins qui accordent si généreusement la protection aux personnes fuyant de la Syrie. Au fur et à mesure que les combats perdurent, les communautés d'accueil sont gravement affectées à travers la région, et les réfugiés deviennent de plus en plus vulnérables. La réduction prochaine de l'aide alimentaire due au déficit de financement du PAM aura des effets dévastateurs sur des centaines de milliers de familles.

Il y a tout juste deux semaines, j'étais au Liban, et la situation des réfugiés dans ce pays a pris une dimension que je n'aurais jamais imaginée. Les communautés d'accueil et les services publics sont complètement débordés, car les Syriens représentent actuellement le quart de la population. Il en va de même pour la Jordanie où le simple fait de fournir de l'eau à tout le monde relève chaque jour du miracle.

La Turquie, qui a déjà dépensé 4 milliards de dollars de son budget sur l'assistance directe aux réfugiés, vient de connaître l'afflux le plus important de réfugiés. Au cours des 10 derniers jours, plus de 160 000 Kurdes syriens ont traversé la frontière dans la région de Sanliurfa.

Dans les pays d'accueil à travers le Moyen-Orient, les populations locales connaissent de plus en plus de difficultés financières à cause de la crise des réfugiés, car les loyers et les prix ont augmenté, des pressions sont exercées sur les salaires et la recherche d'un emploi devient de plus en plus difficile.

Au cours des derniers mois, l'impact déjà dramatique des combats en Syrie sur la région a davantage tourné au pire. Le conflit a totalement débordé sur l'Iraq, en sorte qu'il soit aujourd'hui difficile de distinguer les deux crises.

Les pays de la région, principalement la Turquie, la Jordanie et la Syrie, ont déjà enregistré plus de 175 000 nouveaux réfugiés iraquiens. Des réfugiés syriens en Iraq et des réfugiés iraquiens en Syrie - c'est l'un des paradoxes de notre temps.

Plus de 1,8 million d'Iraquiens ont été obligés de se mettre en sécurité dans d'autres régions du pays à cause des événements de cette année. La moitié d'entre eux sont dans la région du Kurdistan qui accueille également près de 215 000 Syriens et qui connaît de graves tensions budgétaires.

Bien évidemment, la Syrie et l'Iraq ne sont pas les seules crises de grande ampleur auxquelles nous faisons actuellement face. Hier lors du segment de haut niveau, je vous ai parlé de quelques-unes des principales crises de déplacement en Afrique, et je n'y reviendrai pas.

La situation en Ukraine continue à provoquer d'importants déplacements de populations, avec le nombre de déplacés internes enregistrés qui se situe aujourd'hui à plus de 295 000 personnes. Près de 95 % de ces populations proviennent de l'est de l'Ukraine. Le HCR fournit des articles de secours à certains des déplacés et personnes de retour les plus vulnérables. Parmi les centaines de milliers d'Ukrainiens ayant traversé la frontière pour entrer dans la Fédération de Russie, plus de 177 000 ont sollicité une certaine forme de protection juridique. Plus de 6 000 personnes en ont fait de même dans d'autres pays d'Europe.

Mesdames et Messieurs,

L'année dernière, les réponses d'urgence ont été au centre des priorités du HCR et, en fait, de l'ensemble de la communauté d'acteurs humanitaires. Depuis la dernière session du Comité exécutif, nous avons répondu à cinq crises de niveau 3 à l'échelle du système, à savoir la Syrie, les Philippines, la République centrafricaine, le Soudan du Sud et maintenant l'Iraq. Pour le HCR, comme pour la plupart de nos partenaires, la pression exercée par ces crises est sans précédent. Je peux très sincèrement, et avec fierté, dire que nous nous efforçons autant que nous le pouvons et au mieux de nos moyens. Toutefois, avec les crises mondiales actuelles, les limites des interventions humanitaires deviennent chaque jour malheureusement plus visibles.

Évidemment, il s'agit, à plusieurs égards, d'une question de financement. Je vais bientôt revenir sur cette question. Les multiples situations d'urgence ont aussi de graves effets sur nos ressources humaines.

Nous avons procédé au déploiement d'urgence de plus de 670 agents du HCR et des partenaires en 2013 et 2014, et publié les avis de vacance de 400 postes internationaux soumis à la procédure accélérée, afin d'assurer la continuité au-delà des réponses immédiates, et ce, en plus des deux compendiums annuels ordinaires pour les agents internationaux.

Chaque fois que survient une nouvelle crise, nous sortons des agents expérimentés des opérations à travers le monde pour les redéployer immédiatement. Toutefois, un problème résolu à un endroit risque de créer une faille dans un autre, et nous ne devons absolument pas permettre qu'une telle situation arrive. Notre nouvelle politique de recrutement, notamment le Programme de base pour l'action humanitaire et l'Initiative de renforcement des capacités, est primordiale à cet égard, ainsi que les efforts visant à rationaliser le processus d'affectation que nous sommes en train de mettre en place. Par ailleurs, nous déployons beaucoup d'efforts pour faire avancer les réformes nécessaires pour bâtir l'effectif du HCR pour l'avenir.

Je voudrais remercier notre personnel - y compris les Volontaires des Nations Unies et le personnel du Bureau des Nations Unies pour les services d'appui aux projets - pour le courage, le dévouement et le professionnalisme dont ils font preuve, souvent dans des circonstances très difficiles et dangereuses. Il est impératif d'assurer la sécurité du personnel, son bien-être et son épanouissement pour que nous puissions remplir nos missions, et nous continuerons à considérer cette question comme étant la priorité absolue de l'Organisation.

Mesdames et Messieurs,

Au moment où le HCR fait face à d'énormes pressions, toutes nos actions dépendent de trois piliers centraux d'appui à la protection des réfugiés, à savoir les pays et les communautés d'accueil, les donateurs et les partenaires.

Tout d'abord, et cela est très important : en ce moment où les nouveaux déplacements battent leur plein, l'institution de l'asile - à quelques exceptions près - est encore largement préservée et respectée, et très remarquablement par les pays à moyens limités, quelquefois en fait à moyens très limités. Aujourd'hui, près de neuf réfugiés sur dix vivent dans les pays en développement, contre 70 % il y a 10 ans.

L'on pourrait voir en ces chiffres un écart toujours plus grand entre la richesse et l'hospitalité. Telle n'est cependant pas ma manière de voir.

Je voudrais que ces pays, dont la contribution est primordiale pour la protection des réfugiés, reçoivent l'appui dont ils ont besoin. Tel n'est cependant pas encore le cas, et les États d'accueil dans le monde en développement ont besoin de beaucoup plus de solidarité internationale et de partage de la charge.

Le deuxième pilier dont j'ai fait mention est l'appui solide des donateurs. L'année dernière, les contributions volontaires au HCR ont atteint des niveaux sans précédent, avec plus de 2,9 milliards de dollars en 2013 et des indices montrant actuellement qu'elles dépasseront 3 milliards de dollars en 2014. Nous sommes reconnaissants de la confiance et de la loyauté qui fondent cet engagement généreux, en particulier, de la part de nouveaux donateurs et du secteur privé.

Permettez-moi de rassurer les donateurs que nous poursuivrons nos efforts pour maximiser l'impact de leur financement. Nous surveillerons toujours nos coûts structurels de très près. Comme vous le savez, le Siège ne représente aujourd'hui que 6,5 % du total des dépenses, soit moins de la moitié de son pourcentage il y a dix ans. Nous sommes cependant aussi conscients du fait que l'accent doit aujourd'hui être mis sur un meilleur contrôle et l'obligation de rendre compte.

Le troisième élément dont j'ai fait mention, et sans lequel nous ne pourrions travailler, est la coopération exemplaire de nos partenaires. Le partenariat constitue une ressource énorme pour les opérations du HCR, et nous continuerons toujours à y consacrer des investissements.

Le point sur lequel nous mettons l'accent est le renforcement de la collaboration avec le PAM, l'UNICEF et la mise en oeuvre des recommandations du dialogue structuré avec les ONG et le mouvement de la Croix-Rouge/Croissant-Rouge. Nous avons également renforcé nos liens avec des partenaires confessionnels depuis le Dialogue sur la protection de 2012. Au moment où le monde est secoué par des luttes sectaires dans plusieurs régions, ils apportent une contribution indispensable pour que les sociétés deviennent plus tolérantes et plus inclusives.

Nous continuerons aussi à consacrer beaucoup d'investissements au partenariat avec les acteurs du développement pour qu'ils nous aident à trouver des solutions, afin que les actions humanitaires et de développement soient plus complémentaires, dès le début des déplacements.

La situation syrienne, en particulier, souligne l'urgence d'adapter nos méthodes de travail en commun. Les besoins massifs qui en découlent dépassent les ressources, l'expertise et les capacités des acteurs humanitaires. Nous travaillons étroitement avec le PNUD et la Banque mondiale pour trouver les moyens de combiner l'action humanitaire et l'aide au développement, afin de stabiliser la situation et de renforcer la résilience à long terme des communautés et des réfugiés. Telle est l'idée qui sous tend le Plan régional de résilience pour les réfugiés (3RP) devant réunir plus de 150 partenaires et les pays d'accueil, sous la coordination du HCR et du PNUD.

J'espère que les leçons que nous tirons aujourd'hui au Moyen-Orient pourront être exploitées dans d'autres crises et permettre l'établissement plus tôt de liens entre les actions de secours et les actions de développement dans toutes les réponses aux déplacements forcés.

Mesdames et Messieurs,

Les nombreux défis auxquels nous, en tant que communauté mondiale d'acteurs humanitaires, faisons face depuis un ou deux ans, nous ont rapprochés. Nous sommes liés par notre devoir commun envers les populations que nous servons et auxquelles nous devons fournir protection, assistance et solutions. C'est la raison pour laquelle une bonne coordination est indispensable, c'est-à-dire une coordination adéquate, légère et efficace.

Dans ce contexte, le HCR est très fortement engagé pour la mise en oeuvre sur le terrain de l'Agenda transformatif, menée avec persévérance et enthousiasme par le Coordonnateur des secours d'urgence.

Je me réjouis du fait que la communauté d'acteurs humanitaires comprend de plus en plus que la coordination doit toujours être le moyen pour atteindre une fin et non une fin en soi. Ce qui importe réellement c'est de produire des résultats.

Telle est l'idée qui nous animait lorsqu'à la fin de l'année dernière, nous définissions le Modèle de coordination pour les réfugiés afin de mieux expliquer l'approche intégrale mais distincte du HCR. Ce modèle vise à fournir aux pays d'accueil et aux partenaires un repère direct, systématique et inclusif. Il permet la souplesse dans les situations mixtes impliquant à la fois les réfugiés et les déplacés internes, comme le montre l'exemple des arrangements récemment arrêtés pour l'Iraq.

Dans ce contexte, nous apprécions vivement notre coopération avec le Bureau de la coordination des affaires humanitaires et le Coordonnateur des secours d'urgence. Au début de cette année, j'ai organisé une réunion bilatérale de haut niveau à laquelle nous nous sommes accordés sur un certain nombre de mesures pratiques pour veiller à ce que nous soyons en mesure d'améliorer davantage notre collaboration.

Mesdames et Messieurs,

Il y a beaucoup à dire au sujet de la mission de protection du HCR. Permettez-moi de commencer par la question qui a gagné plus de visibilité au cours de ces derniers mois, à savoir l'apatridie, cet anachronisme du XXIe siècle qui continue à toucher au moins 10 millions de personnes à travers le monde.

Au moment où nous célébrons le soixantième anniversaire de la Convention de 1954, il est encourageant de voir comment le monde a commencé à changer la manière dont il traite l'apatridie. Depuis 2011, un niveau record de 40 adhésions aux deux conventions a été atteint. De plus en plus de pays changent de lois sur la nationalité pour mettre fin à l'apatridie. Le Forum mondial, tenu à La Haye il a deux semaines, a créé de nouveaux partenariats importants pour aider à soutenir cet élan positif. Toutefois, beaucoup reste à faire, et j'encourage les États ayant fait des promesses lors de l'événement ministériel il y a trois ans à les exécuter.

L'apatridie est une grave violation des droits individuels. Il serait profondément immoral de maintenir les souffrances qu'elle cause alors que des solutions sont nettement possibles. C'est la raison pour laquelle je vais lancer en novembre la campagne mondiale pour l'éradication de l'apatridie, afin de mettre un terme à cette souffrance inutile dans dix ans - un objectif ambitieux, mais possible. Je compte sur l'appui solide de tous les États pour faire en sorte que cette ambition devienne une réalité.

Évidemment, l'autre priorité actuelle est la protection en mer. Chaque semaine, des centaines de personnes désespérées et en quête de protection mettent leurs vies entre les mains de passeurs pour essayer de traverser la Méditerranée, le golfe d'Aden ou la baie du Bengale à bord de bateaux dangereux et surpeuplés. Pour moi, il est totalement insupportable de voir les réfugiés, qui ont déjà tout perdu et dont je suis supposé faire tout ce qui est possible pour assurer la protection, se noyer en mer avec leurs enfants parce qu'ils n'ont pas trouvé d'autres moyens de se mettre en sécurité.

Au moment où, à travers le monde, de plus en plus de personnes sont obligées de fuir, l'augmentation correspondante des mouvements maritimes irréguliers pose des problèmes complexes de protection. Ces problèmes comprennent le secours et le débarquement, les conditions appropriées de réception, le traitement équitable des demandes de protection et la nécessité d'une plus grande coopération régionale et du partage de la charge entre les États touchés. J'attends de pouvoir en parler avec vous tous et avec d'autres parties prenantes lors du Dialogue de décembre.

L'autre grande priorité dont je voudrais parler est la protection des femmes et des enfants, qui fait l'objet de l'engagement du HCR. Le nombre d'enfants réfugiés a terriblement augmenté au cours de ces dernières années. Nous n'avons jamais enregistré autant de mineurs non accompagnés et séparés demandant l'asile.

La moitié des réfugiés à travers le monde sont aujourd'hui âgés de moins de 18 ans. Nous devons déployer plus d'efforts pour les protéger de l'exploitation sexuelle et des abus, du recrutement, du travail des enfants et du mariage précoce, et veiller à ce que leurs droits soient respectés. Sont particulièrement importants, l'enregistrement à la naissance, l'accès à l'éducation de qualité, aux soins psychosociaux, ainsi que l'appui ciblé aux enfants ayant des besoins spécifiques. De plus en plus, nous consacrons nos efforts à la protection et à l'éducation de l'enfant, à la prévention des violences sexuelles et de genre ainsi qu'à la lutte contre ce fléau, car aucun de ces problèmes ne peut être résolu efficacement d'une manière isolée.

Les violences sexuelles et de genre continueront d'être au centre des activités de protection du HCR. Nous avons accompli d'importants progrès avec la mise en oeuvre de la stratégie globale visant à renforcer nos interventions. L'élan et le soutien créés par les initiatives comme Safe from the Start du Bureau des populations, des réfugiés et des migrations, Call to Action de DFID et le sommet de Londres sur le thème « Mettre fin aux violences sexuelles dans les conflits », coprésidé par l'Envoyée spéciale du HCR, Angelina Jolie, sont indispensables dans ce domaine. Malgré ces efforts, il est désolant de constater que nous n'en faisons pas assez, concernant en particulier la lutte contre l'impunité et l'appui aux victimes.

Enfin, à la suite du Dialogue de l'année dernière sur la protection, permettez-moi de dire quelques mots sur le déplacement interne qui, touchant plus de 33 millions de personnes, est à son niveau le plus élevé jamais atteint. En décembre dernier, nous nous sommes convenus que cette question méritait plus d'attention de la part de la communauté internationale, surtout pour réaffirmer la responsabilité primordiale des États, renforcer le cadre institutionnel des Nations Unies, mettre plus d'accent sur les solutions et renforcer les partenariats avec les autorités locales et la société civile.

Depuis lors, nous avons adopté bon nombre de recommandations du Dialogue et revu notre politique afin de mieux orienter le personnel et les partenaires sur l'engagement du HCR en matière de coordination et de services aux déplacés internes.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de me pencher sur les solutions durables qui constituent probablement le volet le plus difficile du mandat du HCR. L'année dernière, les nouveaux déplacements de réfugiés ont dépassé les solutions dans une proportion d'environ 4 à 1, et plus de 6 millions de personnes dans le monde demeurent en exil prolongé.

Cette situation souligne clairement l'urgence d'une attention plus accrue, et le HCR déploie beaucoup d'efforts pour progresser dans ce domaine. Par exemple, nous soutenons 19 opérations à travers le monde au moyen de fonds non affectés, mis de côté pour des interventions ciblées dans le cadre de l'initiative Seeds for Solutions.

Il est également de plus en plus évident que les initiatives globales ont les meilleures chances de succès. Hier lors du segment de haut niveau, j'ai parlé de quelques-unes des initiatives africaines, et salué l'annonce faite par la Tanzanie de la mise en oeuvre du programme de naturalisation des réfugiés burundais résidant depuis longtemps sur son territoire.

La Stratégie de solutions pour les réfugiés afghans en Asie du Sud-Ouest constitue un autre exemple important d'une approche holistique. Les Gouvernements des Républiques islamiques du Pakistan et d'Iran ont déployé beaucoup d'efforts dans le cadre de cette stratégie, avec notamment l'extension pour 1,5 million de réfugiés afghans au Pakistan de la preuve des cartes d'enregistrement jusqu'à la fin de l'année prochaine, ainsi que l'amélioration de l'accès à l'éducation et le permis de travail pour les réfugiés afghans enregistrés en Iran. J'espère que la Stratégie de solutions deviendra l'une des principales priorités du nouveau Gouvernement d'unité nationale afghan, afin que soit plus attractif et plus durable le rapatriement volontaire dans des zones plus sûres.

Dans les Amériques, nous mettons en oeuvre avec des partenaires une Initiative globale de solutions pour les réfugiés colombiens en Équateur, qui combine l'amélioration des moyens d'existence, la réinstallation et l'appui à la mobilité de la main-d'oeuvre dans la région. Par ailleurs, nous espérons que le dialogue de paix en cours réussira finalement à mettre un terme au conflit qui dure en Colombie depuis un demi-siècle.

Beaucoup d'investissements ont été consacrés au processus de commémoration du trentième anniversaire de la Déclaration de Carthagène. J'attends avec intérêt l'événement ministériel de Carthagène +30 qui aura lieu en décembre au Brésil, ainsi que le Plan d'action qui sera adopté pour renforcer la protection et les solutions en Amérique latine.

D'une manière plus générale, la création cette année de l'Alliance pour les solutions regroupant de nombreux gouvernements, des organismes humanitaires et de développement, la société civile et d'autres parties prenantes est une étape encourageante vers des approches novatrices. Nous accorderons notre soutien total à cette alliance, et aux structures nationales déjà créées pour la Somalie et la Zambie.

Le renforcement de l'autonomie des réfugiés et des moyens d'existence durables est indispensable pour réaliser des solutions durables. Le HCR a augmenté son budget d'activités concernant les moyens d'existence de plus de 40 % au cours des trois dernières années. Ce niveau demeure cependant très insuffisant. Nous avons besoin que les partenaires au développement, les gouvernements et le secteur privé complètent nos programmes dont la portée est limitée.

Mesdames et Messieurs,

Au moment où nous essayons d'être de moins en moins une organisation de « soins et entretien », nous devons mieux nous adapter aux réalités changeantes. L'innovation est un volet important de nos efforts en vue de faire du HCR une organisation du XXIe siècle.

Par exemple, nous fournissons actuellement de l'assistance en espèces pour plus de 220 millions de dollars dans 94 opérations à travers le monde. Nous permettons ainsi aux réfugiés de faire leurs choix tout en soutenant les économies locales. L'assistance en espèces, j'en suis sûr, sera de plus en plus pratique dans nos futures activités.

Dans le cadre de la stratégie globale du HCR pour l'accès sûr au carburant et à l'énergie, nous utilisons le financement pour le carbone au Rwanda et le biogaz au Bangladesh. En Amérique latine, nous développons les outils de communication SMS pour atteindre les réfugiés et améliorer la collecte des données. Je peux énumérer beaucoup d'autres initiatives de ce genre, comme les nouveaux abris que vous pouvez voir dehors dans le hall.

Nous avons aussi récemment adopté une politique sur les alternatives aux camps, qui élargit les principaux objectifs de notre politique à l'égard des réfugiés urbains à tous les contextes opérationnels. Si les réfugiés sont en mesure de faire des choix judicieux et de vivre normalement, avec plus de dignité et d'indépendance, ils pourront mieux contribuer aux économies locales et au développement de leurs communautés.

Certes, la mise en oeuvre de la nouvelle politique sera définie par les lois et les politiques nationales, mais nous estimons que l'exploration de telles initiatives avec nos partenaires peut conduire à de meilleurs résultats pour les réfugiés et pour les pays d'asile.

Toutefois, lorsque nous parlons de la nécessité de nous adapter aux réalités changeantes afin de mieux répondre aux crises humanitaires, tout le monde doit être impliqué et non tout simplement le HCR. Le Sommet mondial sur l'action humanitaire en 2016 doit être une réelle plateforme permettant de relever les défis auxquels nous faisons actuellement face. J'espère que cette occasion permettra de travailler en vue de trouver une approche vraiment universelle pour l'expression des valeurs et principes humanitaires, et de garantir le respect de l'espace humanitaire.

Excellences,

Distingués Délégués,

Je pourrais passer le reste de la journée à vous parler de la manière dont nous essayons de répondre aujourd'hui aux nombreuses crises de déplacement dans le monde. Je veux plutôt prendre un peu de recul pour jeter un regard sur le contexte mondial.

Au cours des dernières années, des conflits se sont déclenchés ou se sont aggravés dans beaucoup d'endroits, et ces crises deviennent de plus en plus imprévisibles et liées les unes aux autres. Dans le même temps, les anciens conflits n'ont jamais semblé sur le point d'être réglés. Nous sommes obligés de continuer à dépenser les fonds d'aide humanitaire sur l'assistance aux réfugiés qui, depuis 15, 20 ou 30 ans, vivent toujours sans solution effective.

Au niveau mondial, il n'y a jamais eu de système efficace de gouvernance, et encore moins de système démocratique. Toutefois, il y avait par le passé des relations de pouvoir claires. Aujourd'hui, non seulement nous continuons à manquer de système efficace de gouvernance, les relations de pouvoir ne sont plus claires, et la capacité de la communauté internationale de prévenir et de régler les conflits a été gravement réduite. L'imprévisibilité et l'impunité sont maintenant les règles du jeu. Tant qu'il n'y aura pas au niveau international une détermination générale et réelle à mettre un terme à cette situation, tout un chacun pourrait déclencher la guerre.

Dans le monde moderne, les conflits ne sont pas les seuls facteurs de déplacement forcé. Un certain nombre de tendances mondiales comme la croissance démographique, l'urbanisation, la pauvreté, l'insécurité alimentaire et la rareté de l'eau ont ensemble pour effet de pousser des centaines de milliers de gens à se déplacer. Le changement climatique est le principal facteur d'aggravation de l'impact de toutes ces tendances. Dans le contexte du débat actuel sur le changement climatique et les déplacements, je ne peux que mettre l'accent sur l'importance des efforts tournés vers l'avenir comme l'Initiative Nansen.

Très probablement, tous ces facteurs entraîneront dans les années à venir l'augmentation considérable des besoins humanitaires, qui remet clairement en question la suffisance et la durabilité des ressources disponibles pour les interventions humanitaires. Déjà aujourd'hui, avec l'augmentation exponentielle des besoins que nous avons connue au cours des trois dernières années, le système de financement de l'aide humanitaire est presque en faillite.

Cette situation est paradoxale, car en 2013, le financement de l'aide humanitaire dans le monde était à son niveau le plus élevé jamais atteint, avec environ 22 milliards de dollars. Toutefois les besoins ont augmenté beaucoup plus vite, et les financements sont de plus en plus sollicités. À moins que les choses évoluent, la communauté humanitaire ne sera bientôt plus en mesure d'assurer les interventions, mêmes minimales.

À cette période cruciale, nous devons explorer toutes les voies possibles de nous préparer à un accroissement des besoins dans l'avenir. J'aimerais mettre l'accent sur deux éléments clés de financement et de prévention.

Le niveau actuel de financement de l'aide humanitaire ne sera nullement suffisant. Évidemment, des améliorations peuvent être apportées au système actuel. Nous devons investir davantage - et nous sommes en train de le faire - dans les partenariats avec les nouveaux donateurs pour élargir la base des ressources disponibles, et tirer le meilleur parti du secteur privé.

Nous devons également changer d'une manière plus radicale le mode de financement de l'aide humanitaire, et revoir les relations entre le financement de l'action humanitaire et le financement du développement.

L'ensemble des budgets d'aide humanitaire internationale représente environ un dixième du montant disponible dans le monde pour l'assistance au développement. Toutefois, les approches de l'assistance au développement ne sont pas adaptées au contexte mondial actuel caractérisé par la multiplication des conflits. Alors que les fonds d'assistance au développement arrivent lentement, les acteurs humanitaires sont de plus en plus obligés d'intervenir pour pallier l'absence d'assistance structurelle. Si l'aide humanitaire ne bénéficie que d'une petite fraction des ressources, elle est sollicitée pour des actions ne relevant pas de son domaine.

Nous, acteurs humanitaires, devons mieux nous préparer à l'impact de nos interventions d'urgence dans l'avenir. Il doit y avoir plus de souplesse et de complémentarité entre les interventions à court et à long terme. Les organismes de développement, les donateurs et les institutions financières internationales ont tous un rôle important à jouer à cet égard. Ils doivent intervenir sur le terrain et commencer à agir plus tôt, et ce, dès le début des crises. L'expression « combler le fossé » ne doit pas être un simple slogan. La traduire en réalité concrète est dans notre intérêt commun, et cette responsabilité doit être assumée d'une manière collective.

Il est également indispensable de sortir des sentiers battus et d'être plus créatif dans le financement des interventions d'urgence. Par exemple, j'ai récemment proposé au Conseil économique et social la création d'un « Super fonds central d'intervention d'urgence » pour les crises de niveau 3, basé sur des quotes-parts, comparable au dispositif prévu pour les missions de maintien de la paix. Tel serait le moyen de réduire l'écart qui augmente considérablement entre les besoins et les ressources disponibles dans les réponses humanitaires.

Mesdames et Messieurs,

La prévention et la résolution des conflits sont même plus importantes que le financement. Hier, lors des débats sur l'Afrique, j'ai eu l'occasion de m'étendre sur la manière d'améliorer la prévention. La question va au-delà de l'action humanitaire et touche essentiellement la volonté politique internationale de s'attaquer aux causes profondes des déplacements.

Dans ce contexte, permettez-moi de faire une remarque personnelle : je continue d'être profondément choqué par l'indifférence de ceux qui sont politiquement responsables du déracinement de millions de personnes obligées de fuir leurs maisons. Ils acceptent le déplacement forcé avec les graves effets sur les individus, les pays, les communautés et des régions entières, comme étant les dommages collatéraux normaux des guerres qu'ils mènent. Ils agissent en étant convaincus que les acteurs humanitaires viendront recoller les morceaux. Toutefois, permettez-moi d'être très clair : nous, acteurs humanitaires, ne pouvons plus réparer les dégâts. Des actions doivent être entreprises au départ pour les empêcher.

La plupart des grands défis auxquels la société humaine fait face aujourd'hui - que ce soit les conflits, le changement climatique ou la propagation de l'épidémie d'Ebola - ne peuvent être relevés que si la communauté internationale laisse réellement ses différences et ses contradictions pour s'engager sérieusement à travailler ensemble. L'action humanitaire ne suffit pas. Nul ne saurait traiter la pneumonie avec de l'aspirine. La solution véritable, comme toujours, ne peut être qu'une solution politique.

Je vous remercie.