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Conseil de sécurité des Nations Unies
(7394e réunion). Séance d'information publique sur la situation humanitaire en Syrie.
Allocution de M. António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
New York, 26 février 2015

Discours et déclarations

Conseil de sécurité des Nations Unies
(7394e réunion). Séance d'information publique sur la situation humanitaire en Syrie.
Allocution de M. António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
New York, 26 février 2015

26 Février 2015

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

M'adressant à ce Conseil en 2013, j'ai dit que la guerre en Syrie, non seulement avait engendré la pire crise humanitaire de notre époque, mais faisait également planer une grave menace sur la stabilité régionale ainsi que sur la paix et la sécurité mondiales.

C'est la réalité à laquelle nous faisons face aujourd'hui.

L'Iraq a connu l'extension la plus effroyable et la plus complète, de l'histoire récente, d'un conflit interne dans les pays voisins. Le Liban a été en état d'alerte presque permanente, et la Jordanie a de plus en plus fait face à des menaces au cours des derniers mois. Depuis 2011, jusqu'à 20 000 combattants étrangers issus de plus de 50 pays se seraient rendus en Syrie et en Iraq, leur nombre ayant presque doublé l'année dernière.

Entre-temps, la crise des réfugiés syriens dépasse les capacités de réponse existantes, avec 3,8 millions de réfugiés enregistrés dans les pays voisins.

Le Liban et la Jordanie ont vu leur population croître en l'espace de quelques années jusqu'au point qu'ils ne s'attendaient à atteindre qu'en plusieurs décennies. Aujourd'hui, un tiers de la population libanaise est constitué de Palestiniens ou de Syriens. La Jordanie est confrontée à un défi similaire tandis que la Turquie est devenue le pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés dans le monde.

Par ailleurs, plus de 2 millions d'Iraquiens étaient des déplacés internes en 2014, et environ 220 000 se sont réfugiés dans d'autres pays.

L'augmentation continue des déplacements est vertigineuse alors que la nature de la crise de réfugiés change. Compte tenu du fait que le niveau de désespoir augmente et que l'espace de protection disponible se rétrécit, nous nous rapprochons d'un tournant dangereux.

Après des années d'exil, les ressources des réfugiés se sont depuis longtemps épuisées et leurs conditions de vie se détériorent d'une manière drastique. J'ai rencontré des familles de classe moyenne avec des enfants, qui survivent à peine dans les rues et qui prient pour pouvoir passer l'hiver. Plus de la moitié des réfugiés syriens au Liban vivent dans des demeures précaires, alors qu'ils n'étaient qu'un tiers l'année dernière. Une étude réalisée sur 40 000 familles syriennes en Jordanie a montré que les deux tiers vivaient en dessous du seuil de pauvreté absolue. Un homme, père de quatre enfants, a comparé la vie des réfugiés à la situation d'une personne prise au piège dans du sable mouvant et qui s'enfonce davantage chaque fois qu'elle essaie de se déplacer. Étant donné que les financements reçus à la suite de l'appel à l'aide humanitaire sont systématiquement insuffisants, les réfugiés syriens ne peuvent pas bénéficier de l'assistance, comme il se doit.

Dans le même temps, les communautés d'accueil sont gravement débordées. L'afflux des réfugiés a eu de graves répercussions sur les économies et les sociétés, surtout au Liban, en Jordanie et au nord de l'Iraq, exerçant d'énormes pressions sur les services sociaux, les infrastructures et les ressources publiques. L'appui international est loin de suivre le rythme d'accroissement des besoins.

Étant donné que les pays d'accueil sont exposés à des risques croissants en matière de sécurité à cause de la régionalisation du conflit et ne bénéficient pas de l'aide dont ils ont besoin pour faire face à l'afflux des réfugiés, il devient de plus en plus difficile aux Syriens de se mettre en sécurité. Les chiffres du HCR concernant l'enregistrement mensuel au Liban ont chuté de près de 80 % par rapport à leur niveau au début de 2014 et le nombre de ceux qui entrent en Jordanie a également diminué d'une manière substantielle.

Il est par ailleurs important de souligner le fait que les réfugiés continuent à franchir la frontière pour se rendre en Turquie en grand nombre. Le Gouvernement turc a déjà dépensé environ 6 milliards de dollars dans l'assistance directe aux réfugiés syriens. Par une décision historique prise l'année dernière, la Turquie a accordé à ces réfugiés, dans le cadre de la protection temporaire, l'accès au marché du travail ainsi que la gratuité de l'enseignement et des soins de santé.

Toutefois, dans le contexte mondial que je viens de décrire, il n'est pas surprenant que l'accroissement du désespoir oblige davantage de réfugiés syriens à aller de plus en plus loin. La situation dramatique observée en Méditerranée illustre ce phénomène, les Syriens représentant un tiers des près de 220 000 arrivées par bateau l'année dernière.

Excellences,

Avec la situation des réfugiés qui devient de plus en plus prolongée et désespérée, près de 2 millions de réfugiés syriens âgés de moins de 18 ans risquent de devenir une génération perdue. Bon nombre d'enfants réfugiés nés en exil, dont le nombre dépasse 100 000, pourraient être apatrides. Si cette crise qui se dessine n'est pas bien gérée, elle pourrait avoir d'énormes conséquences pour l'avenir, non seulement de la Syrie, mais de l'ensemble de la région.

Au moment où les ressources pour l'aide humanitaire diminuent, abandonner les réfugiés au désespoir ne peut que les exposer à une plus grande souffrance, à l'exploitation et à des abus dangereux. Abandonner ceux qui les accueillent pour qu'ils gèrent la situation par leurs propres moyens pourrait entraîner une grave déstabilisation de la région et accentuer les problèmes de sécurité dans d'autres régions du monde.

Il est évident que, pour prévenir cette situation et préserver l'espace de protection dans la région, les réfugiés et les pays d'accueil ont besoin d'un appui international massif. Le Plan régional réfugiés et résilience (3RP) vise à conjuguer les efforts humanitaires et à long terme des États d'accueil et de plus de 200 partenaires ONG et des Nations Unies. Ses programmes devront être financés non seulement par les budgets d'aide humanitaire, mais de plus en plus par des budgets de coopération pour le développement.

J'espère que la prochaine Conférence de Koweït III jouera un rôle déterminant pour la stabilisation de la situation dans les pays accueillant les réfugiés. Au-delà des priorités humanitaires immédiates, il est important que les acteurs du développement financent le pilier de résilience du 3RP et les plans des États d'accueil. Les pays comme le Liban et la Jordanie ont besoin de beaucoup plus d'assistance financière, non seulement pour les communautés locales accueillant les réfugiés, mais également pour l'appui au budget de l'État en vue des investissements structurels nécessaires dans les systèmes de santé, l'éducation, l'approvisionnement en eau et en électricité et d'autres infrastructures publiques subissant d'énormes pressions.

Comme il avait été dit lors des longues discussions ayant eu lieu pendant la Conférence de Berlin, la situation syrienne illustre la dangereuse inadéquation des politiques actuelles de coopération pour le développement dans un contexte où les conflits se multiplient. Pour faire face à cette situation, les donateurs bilatéraux et multilatéraux ainsi que les institutions financières internationales devraient revoir les priorités et les critères existants. Par exemple, il est absurde que le Liban ou la Jordanie n'ait pas accès aux subventions de la Banque mondiale au motif qu'ils sont des pays à revenus intermédiaires.

Excellences,

En tant que Haut Commissaire pour les réfugiés, j'ai le coeur brisé de voir des familles syriennes, fuyant une guerre horrible, être obligées de risquer une fois de plus leurs vies à bord de bateaux dangereux, à la recherche de la protection en Europe. Depuis le début de l'année 2015, plus de 370 personnes sont mortes en essayant de traverser la Méditerranée, soit une personne noyée contre 20 ayant réussi la traversée. L'opération italienne Mare Nostrum a pris fin, et l'initiative Triton de l'Union européenne est limitée en termes de mandat et de ressources. L'Europe doit augmenter sa capacité à sauver des vies, avec une opération solide de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, sinon des milliers d'autres personnes, y compris un grand nombre de Syriens, périront.

Pour, en premier lieu, réduire le nombre de personnes qui embarquent à bord de bateaux, il faudrait davantage de moyens légaux permettant aux Syriens de rechercher la protection dans les pays tiers. Si plusieurs États ont prévu des programmes de réinstallation et d'admission pour des motifs humanitaires, les besoins dépassent de loin les espaces disponibles. Nous estimons qu'un dixième des réfugiés syriens auraient besoin de la réinstallation en tant que solution adéquate pour leur protection. Des politiques souples en matière de visa, le regroupement de la famille élargie, les bourses académiques et les systèmes de parrainage privé doivent compléter ces mesures. Suivant les exemples des pays comme l'Allemagne et la Suède, d'autres États d'Europe et du Golfe devraient voir dans quelle mesure accorder l'accès légal avec plus de possibilités, afin de réduire quelque peu la pression que subissent les voisins de la Syrie, et de donner à davantage de réfugiés d'autres moyens de se mettre en sécurité.

Sans ces moyens, le nombre de personnes qui prennent la mer continuera à augmenter. Aux mains des passeurs et des trafiquants, ces personnes ne font pas uniquement face à de graves violations de leurs droits humains. Aujourd'hui, nous voyons également des groupes armés menacer d'entrer dans l'activité du trafic d'êtres humains pour leurs propres fins consistant à semer la peur.

Cette situation devrait nous rappeler que la protection des réfugiés exige également de s'attaquer au racisme et à la xénophobie. Dans le climat d'aujourd'hui de plus en plus marqué par la panique, je suis profondément préoccupé par le fait que les réfugiés sont associés aux problèmes de sécurité et font face à l'hostilité aux endroits où ils pensaient être en sécurité. Dans plusieurs débats publics, ils sont devenus des boucs émissaires pour toutes sortes de problèmes, allant du terrorisme aux difficultés économiques, et sont considérés comme une menace au mode de vie des communautés d'accueil. Toutefois, nous devons nous rappeler que les réfugiés sont, non pas la source mais l'objet de la menace principale.

Les Syriens constituent actuellement la population de réfugiés la plus importante placée sous le mandat du HCR. Au fur et à mesure que leur nombre augmente et qu'ils deviennent de plus en plus vulnérables, les graves répercussions que cette situation entraîne à travers la région ne peuvent que souligner l'évidence, à savoir la nécessité pour la communauté internationale de réunir de toute urgence tous les principaux acteurs pour mettre fin au conflit. Il n'y a pas de gagnant dans cette guerre, tout le monde est perdant. Toutefois, le prix le plus fort est payé par les réfugiés et d'autres victimes innocentes à l'intérieur du pays.

Je vous remercie beaucoup.