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Apatride à Douchanbé : une femme lutte pour retrouver sa nationalité

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Apatride à Douchanbé : une femme lutte pour retrouver sa nationalité

Mukhabbat a collecté de nombreux documents au cours de sa longue quête pour retrouver sa nationalité en Asie centrale. Elle s'est adressée au HCR pour obtenir une aide.
11 Décembre 2009
Des femmes travaillent dans les champs au Tadjikistan. Mukhabbat tente de retrouver sa nationale tadjike.

DOUCHANBÉ, Tadjikistan, 11 décembre (HCR) - Mukhabbat* transporte avec elle un épais dossier contenant les documents qu'elle a rassemblés ces deux dernières années dans un effort sans relâche pour retrouver une nationalité. « Je ne peux me souvenir combien cela m'a coûté, mais j'ai passé beaucoup de temps à collecter ces documents », a indiqué Mukhabbat, qui a récemment pris contact avec le bureau du HCR au Tadjikistan pour demander une aide dans la recherche d'une solution.

Le problème auquel est confronté cette femme âgée de 50 ans, ainsi que des dizaines de milliers d'autres personnes abandonnées dans un vide juridique en Asie centrale après l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, a fait l'objet d'une conférence régionale sur l'apatridie cette semaine à Achgabat, la capitale du Turkménistan.

La conférence, financée par l'Union européenne et organisée par le HCR et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, a fait suite à une série de séminaires qui se sont déroulés au niveau national au Kirghizistan, au Kazakhstan, au Turkménistan et au Tadjikistan. Elle a pour objectif de faire naître une réponse collective visant à combler les insuffisances des législations et des procédures.

Mukhabbat est née dans le nord de la province de Sughd au Tadjikistan en 1959, lorsque cette région était connue sous le nom de Lenibabad et qu'elle faisait partie de l'Union soviétique. Ses problèmes ont commencé un an après l'indépendance en 1991, lorsqu'elle a fui vers l'Ouzbékistan voisin après l'éruption de la guerre civile au Tadjikistan qui a duré de 1992 à 1997.

Elle a vécu durant 17 ans en Ouzbékistan au côté d'un citoyen ouzbek dans un mariage malheureux et sans enfant, finalement rompu en 2007. Elle a décidé de rentrer chez elle et elle a été choquée de découvrir qu'elle avait perdu sa nationalité tadjike et qu'elle était apatride. A ce jour, elle vit dans la maison d'un ami à Douchanbé, vivant de charité en recevant des vêtements d'occasion et des choses sans valeur de la part de personnes qui l'aident à survivre.

Mukhabbat n'est plus qu'une donnée statistique - elle fait partie des 12 millions d'apatrides dans le monde, y compris 40 000 apatrides sans documents d'identité dans les anciennes républiques soviétiques. Ces personnes n'ont pas de nationalité et ne bénéficient pas d'avantages juridiques. De ce fait, ils sont souvent incapables d'avoir une vie normale que d'aucun considère comme acquise, et d'entreprendre des démarches comme enregistrer une naissance, voyager, aller à l'école, accéder aux soins de santé, ouvrir un compte bancaire et posséder des biens.

Parmi ses nombreux documents, Mukhabbat possède une photocopie de son ancien passeport soviétique datant de 1983. Elle dispose également d'un certificat périmé d'apatridie obtenu en Ouzbékistan, qui a été émis après son mariage en 1995 et qui est la preuve de ses tentatives précédentes pour obtenir un document d'identité valide. Elle montre également au visiteur du HCR de vieux cahiers de notes provenant des archives de l'Etat, dont elle espère qu'ils seront utiles pour obtenir une nationalité.

Toutefois il lui manque toujours deux documents essentiels : une confirmation écrite selon laquelle elle n'est pas ressortissante ouzbèke et un certificat prouvant que l'Ouzbékistan a été son dernier lieu de résidence enregistrée. Pour recevoir une confirmation écrite, ou spravka, cela peut prendre des années et coûter beaucoup d'argent.

A la question de savoir comment elle s'est retrouvée apatride, Mukhabbat indique qu'elle savait qu'elle devait alors obtenir de nouveaux documents pour remplacer son passeport soviétique, mais la complexité de cette procédure et sa situation personnelle à ce moment-là ne lui ont pas permis d'entamer ces démarches.

« J'ai compris que lorsqu'il n'y avait plus d'Union soviétique, j'aurais besoin d'obtenir des documents, quels qu'ils soient. Toutefois lorsque j'ai quitté l'Ouzbékistan, il n'y avait pas encore de passeport tadjik », a-t-elle indiqué, ajoutant : « En Ouzbékistan, je ne savais pas vraiment ce qu'était un passeport, un permis de résidence, un certificat d'apatridie…. Il y avait juste trop de documents et c'était difficile à comprendre. »

Mukhabbat a indiqué qu'en 1995 ou 1996, elle avait entendu dire « qu'il y avait des pourparlers avec des personnes comme moi originaires du Tadjikistan qui pourraient recevoir des passeports ouzbèkes. Toutefois je n'ai pas pu en obtenir un car je bougeais tout le temps à cette époque ; mon mari m'avait mise dehors et je vivais dans des trains, je dormais dans des gares et dans des champs de coton. »

Depuis son retour au Tadjikistan, elle a fait la navette entre l'Ouzbékistan et son pays de naissance en quête d'une citoyenneté. « Je me suis même rendue à l'ambassade russe en Ouzbékistan pour demander la nationalité. J'ai reçu une longue liste de documents et de spravkas à soumettre, et j'ai dû payer de l'argent que je n'avais pas », a-t-elle expliqué.

Sans nationalité, elle ne peut pas avoir accès aux soins médicaux pour ses problèmes de dos. Elle ne peut pas non plus vivre dans l'appartement de Douchanbé qui lui a été affecté par l'usine dans laquelle elle travaillait quand elle était jeune.

Il y a deux mois, c'est une Mukhabbat frustrée qui s'est rendue au bureau des Nations Unies à Douchanbé pour obtenir une aide. Son cas a été transmis au HCR, dont les partenaires ONG l'aide à suivre la procédure, à demander des documents et à payer des frais consulaires à l'ambassade ouzbèke pour des demandes de spravkas.

Ghulam Shermamed, qui travaille pour un partenaire du HCR dans le domaine de l'aide juridique, Society and Law, a indiqué que Mukhabbat avait récemment eu un entretien à l'ambassade ouzbèke et qu'elle devrait recevoir ses papiers d'ici un mois. Shermamed, un juriste, a indiqué que Mukkhabat vérifie sa candidature deux fois par semaine alors que lui-même appelle l'ambassade chaque jour pour vérifier que la demande de documents suit son cours. « Il est important que ces personnes voient que nous suivons cette candidature avec sérieux », a-t-il expliqué.

Parallèlement, Mukhabbat est confrontée à un risque quotidien d'être arrêtée et questionnée par les autorités de son propre pays d'origine. « Elle peut être arrêtée à tout moment pour un contrôle de document, mais elle n'en a aucun », a expliqué Ghulam Shermamed, « Elle n'est enregistrée nulle part et vivre sans document d'identité est ici considéré comme un crime », a-t-il ajouté.

* Noms fictifs pour des raisons de protection

Par Ariane Rummery à Douchanbé, Tadjikistan