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Un réfugié au service des autres grâce à la musique

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Un réfugié au service des autres grâce à la musique

Après avoir fui les violences sévissant dans l'est de la République démocratique du Congo, Museveni a mis sur pied une école de musique à Nairobi, au Kenya, accueillant d'autres réfugiés attirés, comme lui, par la mélodie d'un avenir meilleur.
23 Octobre 2019
Museveni Eric Rugambwa, 29 ans, un réfugié de la République démocratique du Congo, a formé un groupe de musique avec d'autres réfugiés près de chez lui, dans le quartier de Kasarani à Nairobi, au Kenya.

Il y a quatre ans, Eric Museveni Rugambwa, un jeune Congolais de RDC, se réfugiait dans l’urgence à Nairobi. Il y dirige aujourd’hui une école de musique.


L'école n'est qu’un minuscule local d’à peine deux mètres sur trois, ouvert sur la rue. Mais des tonnes d’énergie s’en dégagent. En ce froid matin de juillet, une dizaine d’hommes s’agglutine autour d’une batterie, de deux guitares et d’un clavier électronique, réchauffant l’atmosphère de cette rue tranquille de Kasarani, un quartier de la périphérie de Nairobi, au Kenya. Leur point commun n’est pas seulement d’être des réfugiés. Mais surtout d’aimer la musique, et de pouvoir la pratiquer grâce à Eric Museveni Rugambwa.

« Ça c’est une musique du Rwanda !, explique en souriant ce dernier, un grand jeune homme en jean et chemise rayée blanche et bleue, poursuivant quelques minutes plus tard : « Et maintenant nous venons de passer à une chanson congolaise en lingala. Ici, nous jouons tous les sons, tous les styles ! » Ce congolais de 29 ans a créé de toutes pièces l’école de musique Bortopra (pour « Born to praise », « Né pour s’élever »), ainsi qu’un groupe de musiciens confirmés (parmi lesquels des professeurs et des anciens élèves) qui se produit dans le quartier.

Rien ne l’avait pourtant destiné à cette aventure lancée en 2016, soit un an seulement après son arrivée dans la capitale kényane.

« Museveni », comme l’appellent ses amis, a grandi au Sud-Kivu, une région de l’Est de la RD Congo, où des combats sporadiques ont fait fuir des milliers de personnes, même après la fin de la guerre civile en 2013. À 25 ans, le jeune homme veut entrer à l’université pour étudier « le maintien de la paix et la résolution des conflits », une thématique qui le passionne. Cette ambition le mène en 2014 à quitter son village et à embarquer dans un taxi collectif direction Goma, la grande ville de l’Est congolais.

« Nous savions que si nous restions là, nous allions être torturés et tués. »

Mais, sur la route, le véhicule est stoppé par un groupe armé. « Ils nous ont fait descendre de la voiture et ont laissé les autres partir, raconte-t-il, en alternant anglais et français. Il explique qu'ils ont été pris pour cible car ils appartenaient au groupe ethnique Banyamulenge. Avec un autre jeune homme, nous savions que si nous restions là, nous allions être torturés et tués. On s’est dit : au lieu de mourir, échappons-nous. Nous avons couru, couru, ils nous ont tiré dessus mais grâce à Dieu ils ne nous ont pas touchés. » Par chance, ils parviennent à atteindre Goma.

Mais la violence s’y déchaîne aussi. Où aller ? Le compagnon d’infortune d’Eric a des connaissances à Nairobi. Ils prennent donc tous deux la route du Kenya, clandestinement, et y arrivent début 2015. « Nairobi est une grande ville, l’arrivée ici a été difficile, se souvient-il. Au Kenya, on peut trouver du travail, être qualifié pour le job, mais il faut des papiers… J’ai perdu beaucoup de jobs pour cette raison car je n’avais que le statut de demandeur d’asile. Mais j’ai une grande capacité d’adaptation et je suis très sociable ! »

Eric décroche un emploi sur un chantier. Il doit déplacer de lourdes pierres, préparer du ciment. Un labeur qu’il accepte afin « de pouvoir manger et payer la chambre » à la fin du mois. Rapidement, ce n’est pas suffisant. « La vie, selon moi, c’est comme des escaliers, dit-il en mimant des marches de ses longues mains. Aujourd’hui je peux être là, et si je suis bien, je vais y rester. Mais si je pense que je peux aller plus loin… Or, moi je savais que je ne devrais pas être là, que j’avais du talent. »

Arrivé au Kenya en janvier 2015, Museveni s'est lié d'amitié avec un Kenyan qui l'a aidé à mener à bien ses projets.

Eric, qui a appris à jouer de la batterie au Congo, trouve un emploi de batteur dans une église et se fait connaître en tant que musicien. À Kasarani, où vivent beaucoup de réfugiés congolais, on commence à lui réclamer des cours, notamment pour les enfants. « J’ai réalisé qu’il y avait un besoin dans la communauté. Alors j’ai commencé à réfléchir à l’école. »

Le projet est lancé. Avec les moyens du bord, en l’occurrence chez un ami qui possède une batterie. Mais ce dernier obtient quelques temps plus tard un visa pour les Etats-Unis. « Alors j’ai installé des bassines et des sceaux chez moi pour faire office d’instruments ! C’était une école de musique mais sans matériel !, rigole-t-il. Mais les enfants venaient. J’avais trois élèves, entre 11 et 14 ans, extrêmement passionnés. Ils arrivaient très tôt le matin, je n’étais même pas levé ! » Le professeur demande une participation de 2 000 shillings par mois (20 dollars) mais adapte ce montant en fonction des moyens de chacun. Une règle qu’il applique toujours aujourd’hui.

Un jour, Eric a été sélectionné pour participer à un programme mené par le Conseil danois pour les réfugiés, en partenariat avec le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, qui soutient les artistes. Cette étape, en 2016, est clé. D’abord parce que le célèbre rappeur kényan Octopizzo, qui participe au programme, sera touché par son récit et lui offrira une guitare acoustique – aujourd’hui encore le plus bel instrument de l’école. Ensuite parce que le réfugié y obtient une bourse de 50 000 shillings (500 dollars). « Dès que j’ai reçu l’argent, je suis parti immédiatement en ville pour acheter une batterie. À partir de là, j’étais très confiant sur le fait que l’école allait marcher ! »

« Je veux contribuer à ce que le monde change de perception sur les réfugiés. »

L’école a marché, et accueille actuellement 12 élèves. Une bulle d’air pour ces recrues, des réfugiés pour la plupart. « Quand je suis arrivé au Kenya, raconte Fred, un congolais de 17 ans, je m’ennuyais beaucoup, je regardais des films toute la journée. Un, jour je suis passé devant Bortopra et j’ai rencontré Museveni. C’était dur pour moi de payer les frais mais il m’a dit de venir quand même, qu’il ne s’agissait pas d’argent mais de talent. Pour moi, l’école a tout changé. »

Bortopra n’est pas rentable (pour gagner sa vie, Eric a parallèlement monté un studio photo, qui propose ses services dans les baptêmes et les mariages ainsi que des formations) mais elle l’a aidé à s’accomplir. Loin de chez lui, et en partant de zéro. Elle lui permet aussi de porter un message qui lui tient à cœur : « Je veux contribuer à ce que le monde change de perception sur les réfugiés, dit-il, car beaucoup croient que nous sommes seulement des gens qui réclament de l’argent. Moi, je peux montrer que tout ce que j’ai, ça vient de mes efforts ! J’ai des compétences, je travaille ! » Il a un autre message : « Je veux aussi que les réfugiés changent d’état d’esprit sur eux-mêmes, qu’ils sachent qu’ils sont des gens résilients, qui ont des rêves pour leur pays. »

Celui qui ne s’est pas encore marié et n’a pas eu d’enfants pour se « consacrer à (ses) projets » rêve de pouvoir rentrer un jour au Congo, où, dit-il, la situation est pour le moment encore pire qu’à son départ. Là-bas, dans le Sud-Kivu, il construirait… une école de musique afin, dit-il, « d’amener chez moi toutes les bonnes choses que j’ai apprises ici. »

Ecrit par Jules Marin