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Que ressent-on quand on doit fuir en courant pour préserver sa vie ?

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Que ressent-on quand on doit fuir en courant pour préserver sa vie ?

La course a permis à la réfugiée Rose Nathike Lokonyen d'échapper à d'atroces violences au Soudan du Sud avant de parvenir jusqu'aux Jeux olympiques.
7 Avril 2021
Rose Nathike Lokonyen, réfugiée sud-soudanaise, dans l'épreuve du 800 mètres pour l'équipe olympique d'athlètes réfugiés à Rio de Janeiro, en 2016.

À l'âge de huit ans, Rose Nathike Lokonyen et les siens ont assisté au massacre de leurs voisins par des soldats. Une fois la nuit tombée, ses parents ont fui avec elle et ses jeunes frères et sœurs en quête de sécurité. Rose, l'aînée, les suivait de près. La famille a réussi à atteindre la frontière entre le Soudan du Sud et le Kenya. C'est là qu'ils ont embarqué dans des camions du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, qui les ont conduits jusqu’au camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord-ouest du Kenya. Établi en 1992, ce camp est le plus grand d'Afrique, avec près de 200 000 réfugiés. De nombreux réfugiés, comme Rose, sont originaires du Soudan du Sud où la guerre et les conflits tribaux ont contraint près de 2,2 millions de personnes à fuir en quête de sécurité dans d'autres pays. Environ 1,6 million de ceux qui ont fui leurs foyers sont toujours déplacés dans d'autres régions du Soudan du Sud.

Quand en 2015, le Comité international olympique (CIO) a organisé des épreuves à Kakuma en vue de la constitution de l’équipe olympique d’athlètes réfugiés, un enseignant a proposé la participation de Rose. Rose a gagné l'épreuve des 10 000 mètres qu'elle a courue pieds nus. Son entraînement a débuté presqu’immédiatement et, en 2016, elle défilait dans le stade Maracanã à Rio de Janeiro, en tant que porte-drapeau de la toute première équipe olympique d'athlètes réfugiés.

Intervention de Rose à la réunion de constitution du plan régional de réponse en faveur des réfugiés du Soudan du Sud, tenue à Nairobi en 2018 ; à ses côtés, Yiech Pur Biel, autre membre de l'équipe olympique d'athlètes réfugiés et sympathisant du HCR.

Rose est depuis lors devenue une sympathisante du HCR et a souvent partagé son histoire personnelle chaque fois qu'elle plaide pour l’ouverture de possibilités sportives aux enfants réfugiés. Selon elle, le sport « peut transformer la vie des gens. » Aujourd'hui âgée de 28 ans, Rose continue de s'entraîner avec les autres membres de son équipe à Kakuma — bien que ce ne soit pas toujours ensemble du fait des restrictions imposées par le Covid-19 — dans l'espoir de concourir cette année aux Jeux de Tokyo.

Elle poursuit également son action de plaidoyer, y compris en participant tout récemment à la réalisation d'une vidéo diffusée ce jour par le HCR, « Le voyage », qui présente l’histoire fictive d’une femme qui échappe au conflit avant de finalement se retrouver sur les starting-blocks, illustrant combien le sport est porteur d'espoir et peut transformer la vie de toutes les personnes qui ont été forcées de fuir. Diffusée à l'occasion de la Journée internationale du sport au service du développement et de la paix, la vidéo s'inscrit dans une campagne mondiale destinée à soutenir les équipes olympiques et paralympiques d'athlètes réfugiés.

« L'histoire racontée dans la vidéo « Le voyage » est similaire à la mienne et à celle des autres athlètes réfugiés, » explique Rose. « J'espère que les gens soutiendront les équipes olympiques et paralympiques d’athlètes réfugiés. »

Sarah Schafer, du HCR, a interviewé Rose depuis le Centre Tegla Loroupe d'entraînement des athlètes réfugiés situé à Ngong, à proximité de Nairobi ; elles ont parlé de course à pied, d'amis d'enfance et de football, la deuxième passion de Rose. Voici un extrait de leurs échanges.

Rose, en 2016, peu de temps après les Jeux olympiques de Rio. À l'époque, elle avait déclaré « Je sais qu'être réfugié n'empêche pas de faire ce que les autres font. »

Où commence ton histoire ?

Alors peut-être que je peux commencer au Soudan du Sud. Deux tribus se faisaient la guerre, la mienne et une autre. Ils ont essayé de nous attaquer. Ils ont brûlé toutes les maisons, puis ils se sont mis à massacrer les voisins. Mais pendant la nuit, mes parents et moi avons au moins réussi à nous échapper.

Comment tu t'en es sortie dans ta nouvelle vie à Kakuma ? Vous aviez quasiment tout abandonné derrière vous.

Je n'avais que huit ans. Pour moi, c'était un endroit nouveau et je ne savais même pas avec qui jouer parce que j'avais laissé tous mes amis au Soudan du Sud. Il y avait aussi la barrière de la langue. Je ne parlais ni l'arabe, ni l'anglais, ni le swahili. Je me suis finalement fait des amis parce qu'il y avait beaucoup de nationalités différentes dans le camp. On ne nous disait pas « il faut que tu ailles avec ceux de ta tribu et que tu y restes. » Non. On nous mélangeait tous ensemble pour qu'on s'habitue les uns aux autres.

Tu te rappelles de ta première amie au camp ?

Elle s'appelait Adieu et venait d'une autre tribu sud-soudanaise. On a commencé à jouer au football à l'école primaire et on jouait généralement ensemble toutes les deux. Pendant les vacances scolaires, on travaillait souvent ensemble et on s'amusait aussi avec certains de nos autres camarades.

Est-ce que tu la vois encore ?

Non, plus maintenant, j'espère la rencontrer de nouveau un jour. Mais je ne serais même pas capable de la reconnaître !

Rose en pleine course dans une plantation de café durant un entraînement à Nairobi, Kenya, en 2017.

Je crois savoir que ta famille t’apporte un grand soutien. De quelle façon ?

Je suis l'aînée de la famille. Nous sommes 10 enfants, trois filles suivies de sept garçons. La plupart de mes frères et sœurs vivent au camp de réfugiés de Kakuma, avec mes parents et certains de mes cousins aussi. Lorsque je vivais à Kakuma où je m'occupais de mes frères et sœurs, ils me disaient toujours « n'abandonne jamais, tu as beaucoup à faire et tu dois te donner tout entière à ton travail… Tu surmontes de multiples difficultés parce que ça fait partie de la vie. Il faut que tu continues. »

Leur arrive-t-il de courir avec toi ?

Les plus jeunes couraient avec moi avant. Je m'entraîne généralement avec mon frère.

Mais ils ne sont pas aussi rapides que toi, n'est-ce pas ?

C'est sûr, en général ils jouent au football. Il y a des terrains et des activités sportives à Kakuma. Nous avons un club de football et nous pouvons également jouer au basket-ball et au volley-ball, tous les jeux de ce genre.

As-tu le temps de jouer au football ?

Avant d'intégrer l'équipe des athlètes réfugiés du HCR, je jouais au football. Quand je fais un petit entraînement facile le soir, je vais souvent regarder un match de football après. S’ils jouent ou s’ils s'entraînent, j'aime me joindre à eux.

Si ce n'était pas la course à pied, quel autre sport pratiquerais-tu ?

Le football, bien sûr ! J'adore jouer au foot.

Rose en 2020, au centre d'entraînement en altitude d'Iten, Kenya.

Quelles matières aimais-tu à l'école ?

Quand j'étais au lycée, ma matière préférée était la géographie… Quand on regarde une carte, il faut s'intéresser aux détails et ça permet d'en apprendre beaucoup sur les pays du monde. Comme je vivais dans un camp de réfugiés, je ne savais pas où il se trouvait dans le monde. Parfois, j'entendais parler de Nairobi. Mais comme aujourd'hui je voyage beaucoup, la géographie me vient souvent en tête et elle a tenu une place très importante pour moi. Au moins, je peux lire une carte et suivre des indications. Je suis allée en Suède, en Suisse, en Argentine, au Royaume-Uni… dans tellement de pays.

Lesquels as-tu appréciés ?

Je dirais le Royaume-Uni parce que la plupart de mes camarades de lycée vivent au Royaume-Uni. En 2017, j'y suis allée pour les championnats du monde d'athlétisme.

Est-ce que tu as eu le temps de prendre quelques loisirs ?

Nous avons eu du temps après les championnats. Nous sommes allés au stade du club de football de Chelsea où nous avons pu rencontrer certains responsables. Ils nous ont fait visiter les vestiaires et nous ont fait faire le tour du stade.

Tu es allée à Rio. J'ai lu que c'était toi qui portais le drapeau de l'équipe olympique d'athlètes réfugiés et je me suis demandé ce qui t'avait traversé l'esprit à ce moment-là ?

En tant que porte-drapeau de la bannière aux anneaux olympiques, Rose défile en tête de l'équipe olympique d'athlètes réfugiés dans le stade de Maracanã durant la cérémonie d'ouverture des Jeux de Rio 2016.

J'étais un peu nerveuse. Tu sais, les gens nous ont fait une magnifique ovation, ils applaudissaient et nous acclamaient. Toutes les nationalités nous ont acclamés. Nous nous sommes vraiment sentis humains. Tant que l’on donne aux réfugiés la chance de démontrer leurs talents au monde, je pense qu'ils sont capables de transformer leur existence par le sport. Un jour peut-être quelqu'un viendra leur demander de mettre leurs talents ou leurs connaissances au service de la reconstruction de leur pays et d’encourager les jeunes générations. Le sport rassemble les êtres humains.

Je sais que c'est un aspect important de ton message. Qu'est-ce que tu aimerais conseiller aux gens, quelque chose qu'ils pourraient faire tout de suite pour améliorer la vie des réfugiés ?

Ils peuvent soutenir les réfugiés en créant des programmes sportifs, surtout pour les jeunes, garçons et filles. Ils peuvent aussi s'exprimer pour encourager les réfugiés et défendre leur cause dans le monde. Je pense qu'ils peuvent transformer l'existence d'autrui. Il y a tellement de réfugiés à travers le monde. Tant qu'on les soutient, ils peuvent soutenir leurs familles ainsi que les jeunes générations.

Lire également cette tribune de l'athlète olympique réfugié Yiech Pur Biel.