1. Introduction

L'article 35 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention de 1951) dispose que "les Etats Contractants s'engagent à coopérer avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés... et en particulier à faciliter sa tâche de surveillance de l'application des dispositions" de la Convention. Afin de contribuer aux discussions actuelles sur des aspects importants de la politique et de la pratique en matière de réfugiés, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugies (HCR) a publié des documents d'information sur les accords de réadmission, la "protection ailleurs" et la politique d' asile en août 1994, ainsi que sur les procédures d'asile justes et rapides en novembre 1994. Ce document a pour but d'indiquer la position prise par le HCR sur l'interprétation de certains éléments de la définition du réfugié contenue dans l'article I de la Convention de 1951.

La complexité des situations qui engendrent des mouvements de personnes ayant besoin d'une protection internationale a soulevé des questions fondamentales relatives à l'interprétation de l'article I de la Convention de 1951. II semble ressortir clairement des travaux préparatoires et du contexte historique que les dispositions de la Convention étaient destinées à recevoir une interprétation conforme à l'esprit de générosité dans laquelle elles ont été élaborées. La définition du réfugie a été conçue dans un sens large plutôt que restrictif, conformément à objectif fondamental visant à fournir une protection internationale à tous ceux qui en ont besoin La définition du réfugié doit être appliquée de façon généreuse dans le cadre de procédures de détermination individuelle du statut de réfugié justes et efficaces. Le critère essentiel pour accorder une protection internationale est l'absence de protection nationale adéquate.

2. Principes fondamentaux

Les principes internationaux du droit des réfugiés émanent essentiellement de la Convention de l 951 et particulièrement de ses articles 1, 3, 31 et 33 ainsi que de l'Acte final de la Conférence de plénipotentiaires des Nations Unies de 1951 sur le statut des réfugiés et desapatrides, des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et du droit humanitaire. Le droit de chercher et de bénéficier de l'asile devant la persécution, dans d'autres pays est contenu dans l'article 14 1) de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Les autres textes de référence pour l'interprétation et l'application des principes fondamentaux du droit international des réfugiés sont contenus dans les résolutions de l'Assemblée Générale des Nations Unies, les conclusions du Comité éxécutif du Programme du Haut Commissaire et le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Guide du HCR).

Les travaux préparatoires ayant conduit à l'élaboration de la Convention de 1951 et à l'adoption du statut de l'Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés (résolution 428 (V) de l'Assemblée Générale du 14 décembre 1950) présentent également un intérêt pour l'interprétation de la Convention de 1951. Plus récemment, la Note sur la protection internationale, présentée par le Haut Commissaire en octobre 1994 à la quarante-cinquième session du Comité exécutif (A/AC.96/830), traite de façon approfondie le concept de la protection internationale dans son contexte actuel.

3. Interprétation de la définition du réfugié

La Convention de 1951 est un traité international au sens de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités et, en tant que tel, doit être interprétée de bonne foi et à la lumière de son objet et de son but. L'article 35 de la Convention de 1951 confie au Haut Commissaire la tâche de superviser l'application des dispositions de cette Convention. Au fil du temps, toutefois, les Etats parties à la Convention ont donné des interprétations divergentes des différentes dispositions de la Convention, y compris de l'article 1. Toutefois il convient de garder à l'esprit qu'une approche positive et humanitaire doit continuer à prévaloir pour les Etats dans l'application de la définition de la Convention de 1951, de façon tout à fait compatible avec l'objet et le but de la Convention et du Protocole. Les paragraphes suivants analysent certains des éléments de la définition du réfugié où certaines divergences d'interprétation ont été relevées par le HCR.

4. Motifs de persécution

Le HCR réaffirme que tous les motifs de persécution cités dans la Convention de 1951 restent pertinents et qu'il est indifférent que la persécution soit motivée par une seule de ces raisons ou par une combinaison de deux d'entre elles ou davantage. Le concept de race doit être entendu dans son acceptation la plus large, de façon à inclure tout type de groupes ethniques. Concernant la religion en tant que motif de persécution, il convient de garder à l'esprit que la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international sur les droits de l'homme proclament le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le terme de nationalité ne doit pas s'entendre exclusivement au sens de citoyenneté mais désigne aussi l'appartenance à un groupe ethnique ou linguistique et peut, dans ce cadre, chevaucher le terme de race. En ce qui concerne l'opinion politique, il n'est pas toujours nécessaire que des opinions aient été exprimées pour donner lieu à la persécution; l'opinion politique peut, à tort ou à raison, être attribuée à l'individu et conduire à la persécution. Les groupes sociaux peuvent être définis soit par des critères existants au préalable, soit par des caractéristiques communes à un groupe en situation de victime (illustrée par certaines formes de persécution liées à l'appartenance sexuelle).

5. Absence de protection nationale

II est généralement admis par les Etats, et leur pratique le confirme, qu'une demande de statut de réfugié au titre de l'article I de la Convention de 1951 peut recevoir une réponse favorable si l'Etat est l'agent de cette persécution. Cela est également le cas lorsque des personnes sont exposées à la persécution par des entités non gouvernementales ayant une forme de lien avec l'Etat ou dont les activités sont encouragées ou tolérées par l'Etat.

Toutefois, la persécution peut également émaner d'entités pour lesquelles aucun lien avec l'Etat ne peut être établi et que l'Etat est incapable de contrôler. La question essentielle pour établir la base et la justification d'une protection internationale est l'absence de protection nationale contre la persécution, que cette déficience puisse ou non être attribuée à une intention délibérée de nuire de la part de l'Etat. Toutefois, la persécution qui n'implique par la complicité de l'Etat n'en reste pas moins une persécution. Dans ces cas, il convient de conclure que l'Etat n'est pas en position d'accorder une protection efficace à son ressortissant qui a une crainte fondée de persécution, et que la protection internationale est la seule option possible pour la personne concernée.

II est clair que l'esprit et le but de la Convention de 1951 ne seraient pas respectés et que le système de protection internationale des réfugiés serait rendu moins efficace si l'on était amené à avancer qu'un demandeur d'asile devrait se voir refuser la protection à moins qu'un Etat ne puisse être tenu pour responsable de la violation de ses droits fondamentaux par un acteur non-gouvernemental. II est essentiel que la protection internationale soit accordée à ces réfugiés et que le principe du non refoulement soit pleinement respecté.

6. Possibilité de s'établir ailleurs dans le pays d'origine

L'hypothèse sous-jacente à cette possibilité est l'impossibilité pour un Etat de protéger ses citoyens contre la persécution, localisée à une région. Dans de telles circonstances, il est assuré que les autorités de l'Etat veulent protéger une personne de la persécution provenant d'agents non-étatiques mais qu'elles en ont été empêchées ou -tutelles sont, pour d'autres raisons, incapables d'assurer cette protection dans certaines régions du pays. En conséquence, cette notion ne doit pas en principe être appliquée aux situations où la personne fuit la persécution des autorités de l'Etat, même si ces autorités s'abstiennent de persécutions dans d'autres régions du pays.

Une décision concernant l'existence d'une possibilité de s'établir ailleurs dans le pays d'origine doit être fondée sur une connaissance et une évaluation approfondies des conditions sociales, politiques et de sécurité prévalant dans cette région du pays. Une possibilité de s'établir ailleurs dans le pays d'origine ne peut exister que lorsque les conditions correspondent aux normes découlant de la Convention de 1951 et d'autres principaux instruments des droits de l'homme. Surtout, il faut que cette autre portion du territoire lui soit accessible en toute sécurité et que la stabilité et la sécurité y soient garanties de façon durable. La possibilité de trouver la sécurité dans d'autres régions du pays doit avoir existe au moment de la fuite et continuer d'exister lorsque la décision d'éligibilité est prise et lorsque le retour vers le pays d'origine est mis en oeuvre.

En raison de la complexité des questions traitées, le concept de l'option de fuite intérieure ne doit pas être appliqué dans le cadre de procédures accélérées.

7. Traitement des insoumis et des déserteurs

L'objection de conscience, I'insoumission et la désertion peuvent donner lieu à des situations de persécution au sens de l'article I de la Convention de 1951. Traditionnellement, le HCR a estimé qu'il y avait persécution lorsqu'un insoumis ou un déserteur aurait à subir un châtiment disproportionné pour des raisons tenant à sa race, sa religion, sa nationalité, son opinion politique où son appartenance à un groupe social particulier, ou lorsque l'accomplissement du le service militaire serait contraire aux convictions politiques, religieuses ou morales du demandeur. Le HCR estime en outre que les insoumis et les déserteurs peuvent également être des réfugiés au sens de la Convention de 1951 s'ils en viennent à être punis pour leur refus de participer à une action militaire condamnée par la communauté internationale ou caractérisée par des violations graves et systématiques du droit international humanitaire.

8. Réfugiés de la guerre civile

En raison du nombre croissant de demandeurs d'asile fuyant les pays en proie à une guerre civile ou à un conflit intérieur, la question de savoir si l'article I doit s'appliquer à ces personnes a pris beaucoup d'importance. Les personnes fuyant ou restant à l'extérieur d'un pays pour des raisons tenant au statut de réfugié doivent être considérées comme réfugiées au sens de la définition de la Convention de 1951, indépendamment du fait que ces raisons surviennent dans un contexte de guerre civile, de conflit arme international ou en temps de paix. II n'y a rien dans la définition elle-même qui exclurait de son champ d'application les personnes prises dans un contexte de guerre civile.

Le HCR partage l'opinion selon laquelle les demandeurs d'asile dont les motifs de fuite se fondent exclusivement sur le fait que leur lieu de résidence est menacé par la guerre ne sont pas couverts par la Convention de 1951. II reste toutefois que bon nombre de conflits éclatent dans un contexte politique qui peut impliquer de graves violations des droits de l'homme visant, entre autres, des groupes ethniques ou religieux particuliers. Dans une situation de conflit intérieur armé, les objectifs des parties en guerre, y compris la nécessité du gouvernement de se protéger' ne justifient pas le recours à des bombardements indiscriminés, des tortures ou des châtiments arbitraires contre certains groupes de la population. De tels actes peuvent donc être considéras comme donnant lieu au statut de réfugié aux termes de la Convention de 1951. La détermination du statut de réfugié nécessitera un examen scrupuleux des circonstances spécifiques dans lesquelles la demande a été déposée, y compris une évaluation de la nature du conflit.

9. Clauses de cessation et d'exclusion

L'article I C) couvre les cas où la protection de la Convention de 1951 n'est plus nécessaire et l'article I F) concerne l'exclusion de certains réfugiés de la protection en raison de leur conduite dans des circonstances bien définies.

Le fondement de l'application des clauses de cessation contenues dans l'article I (C) est exposé dans la conclusion 69 (XLIII) du Comité exécutif ( 1992). En particulier, il est souligne que lorsque la cessation est invoquée suite à un changement de circonstances dans le pays d'origine, les Etats doivent évaluer avec précaution le caractère fondamental des changements dans le pays de nationalité ou d'origine, y compris la situation générale en matière de droits de I'homme ainsi que la cause particulière de la crainte de persécutions, afin de s'assurer de façon objective et vérifiable que la situation qui justifiait l'octroi du statut de réfugié a cessé d'exister. Le Comité exécutif a souligné qu'un élément crucial de ces évaluations est le caractère fondamental, stable et durable des changements. En prenant des décisions de cessation, les Etats doivent, dans tous les cas, aborder de façon humaine les conséquences pour les personnes ou les groupes touchés. Les pays d'asile et les pays d'origine doivent faciliter ensemble le retour pour veiller à ce qu 'il s'effectue dans la justice et la dignité. En outre, il est rappelé qu'il existe une exception expresse à l'application de la clause de cessation; cette clause ne doit pas s'appliquer aux personnes qui ont des raisons impérieuses, découlant d'une persécution antérieure. de refuser de bénéficier à nouveau de la protection de leur pays.

Vu les conséquences négatives de l'application des articles I C) et 1 F), ces deux articles doivent-être interprétés de façon restrictive. Dans l'application de l'article I F) b) concernant les personnes qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiées, le HCR a toujours souligné l'importance de trouver un équilibre entre la nature du crime présumé commis par le demandeur d'asile et le degré de persécution qu'il craint de subir.

10 . Normes relatives à la preuve et évaluation de la crédibilité

Comme il a déjà été souligné, l''évaluation du besoin de protection internationale varie considérablement selon la pratique de l'Etat. Alors que le demandeur doit fournir les faits pertinents relatifs à son cas, la nature même des circonstances qui conduisent à fuir la persécution est telle que la demande de preuves ne doit pas être trop strictement appliquée. Alors que la charge de la preuve incombe au demandeur, le HCR prie instamment les Etats d'appliquer généreusement le principe du bénéfice du doute lorsque la crédibilité générale du demandeur a été établie.

 

UNHCR, Genève,
Mars 1995