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« Nous pouvons mieux faire entendre notre voix. Mais il reste encore un long chemin à parcourir »

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« Nous pouvons mieux faire entendre notre voix. Mais il reste encore un long chemin à parcourir »

Juliette Murekeyisoni, du HCR, réfléchit aux progrès et aux revers pour les femmes et les jeunes filles déracinées, depuis une conférence historique en 1995.
6 Octobre 2020 Egalement disponible ici :
Juliette Murekeyisoni, coordinatrice principale du HCR sur le terrain, au travail à Lima, au Pérou.

Il y a vingt-cinq ans, à Pékin, des délégués gouvernementaux, des militants des droits humains et des dirigeants de la société civile, originaires du monde entier, se sont réunis lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes pour envisager puis planifier un avenir meilleur. Mais auraient-ils jamais pu imaginer 2020 ?

Nous sommes confrontés à une pandémie mondiale qui a déjà fait un million de victimes. Le virus a également anéanti des emplois, menacé d'aggraver la faim et interrompu l'éducation de plus de 1,5 milliard d'élèves - et beaucoup des plus pauvres, en particulier les jeunes filles, risquent de ne jamais retourner à l'école.

Le programme d'action de Pékin a défini douze domaines de préoccupation et fixé des objectifs d’ici 2030 pour réduire les inégalités entre les femmes, lutter contre la violence sexuelle et sexiste, améliorer l'accès des jeunes filles à l'éducation, entre autres. Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, s'est efforcé de faire de ces objectifs une réalité pour les femmes et les jeunes filles qu'il sert : les réfugiés, les déplacés internes et les apatrides (souvent en raison de lois nationales discriminatoires à l'égard des femmes ou de religions ou de groupes ethniques particuliers). Mais en quoi les femmes sont-elles mieux loties aujourd'hui ? Où avons-nous progressé et où avons-nous reculé ?

Nous avons évoqué ce sujet avec Juliette Murekeyisoni, responsable du HCR sur le terrain, pour connaître son point de vue. Née au Burundi en 1973 de parents réfugiés rwandais, Juliette a été témoin des conséquences du génocide rwandais de 1994 alors que les femmes et les enfants commençaient à affluer au Burundi. A peine sortie du lycée, elle s’est rendue sans sa famille au Rwanda, où elle a commencé ce qui allait devenir une vie entière de travail auprès des réfugiés - principalement des femmes et des enfants. Aujourd'hui responsable de terrain pour le HCR au Pérou, Juliette travaille avec des personnes qui ont fui la violence et l'instabilité au Venezuela. La pandémie de Covid-19 a rendu son travail plus difficile. La violence sexuelle et sexiste est en augmentation, les propriétaires expulsent les locataires et de nombreux réfugiés n'ont aucun moyen de gagner de l'argent. Mais Juliette affirme que les femmes et les jeunes filles sont mieux loties qu'il y a 25 ans.

Vous trouverez ci-dessous un extrait des conversations téléphoniques et des courriels entre Juliette et Sarah Schafer, rédactrice au HCR.

Pouvez-vous me parler de vous ?

Je suis née au Burundi et mes parents étaient des réfugiés. Ils ont fui la persécution et la violence ethnique au Rwanda en 1959. J'ai grandi dans des conditions difficiles. A 13 ans, je vendais des cacahuètes et ma mère cousait pour payer la nourriture et le loyer.

Nous avons construit une maison en terre, et je coupais régulièrement l'herbe pour la mettre sur le toit de la maison car, après quelque temps, elle était devenue prècaire et il pleuvait à l'intérieur. Je marchais pieds nus sur une distance de plus de deux kilomètres pour aller chercher de l'eau, jusqu'à ce qu'un couple de Suisses m'offre de l'eau de leur maison. Pour les remercier, nous les avons invités chez nous et nous avons préparé un petit dîner. Ce soir-là, il a plu et la nourriture était pleine d'eau. Peu après, ils ont dû quitter le pays et, quand je suis allée leur dire au revoir, ils m'ont donné de l'argent pour acheter un toit en tôle ondulée et c'est comme ça que nous avons eu un vrai toit. Plus besoin de couper l'herbe, Dieu merci. J'ai toujours travaillé dur, je suis reconnaissante et prête à trouver des solutions créatives.

En 1994, peu après votre diplôme d'études secondaires, le génocide rwandais a commencé, et vous vous avez ressenti le besoin d’aider. Pouvez-vous m'en parler ?

Je disais toujours : « Je vais rentrer chez moi [au Rwanda]. Je ne mourrai pas en tant que réfugiée ». Pendant le génocide, j'ai vu des réfugiés rwandais affluer au Burundi, beaucoup d'entre eux avec des blessures à la machette, et j'ai décidé que je devais aller aider. Sans le dire à ma famille, je suis partie au milieu de la nuit et j'ai traversé la frontière vers le Rwanda. Des volontaires aidaient dans les hôpitaux et d'autres cherchaient des personnes encore vivantes. Je les ai rejoints. L'endroit était horrible. Des cadavres massacrés couvraient le sol, et la puanteur de la mort était partout. Le souvenir de cette odeur ne me quittera jamais. Qu'est-ce que vous faites ? Vous vous asseyez et vous pleurez ? Non. On n'a pas le temps pour ça.

« Pendant le génocide, j'ai vu les réfugiés rwandais affluer au Burundi, beaucoup d'entre eux avec des blessures à la machette, et j'ai décidé que je devais aller les aider. »

En 1995, lors de la conférence de Pékin sur les femmes, les participants se sont engagés à abolir l'inégalité, à réduire la violence sexiste et bien davantage encore. Pensez-vous que nous avons fait assez de chemin en 25 ans ?

Il y a un mouvement positif. Par exemple, je suis très fière de dire que le Rwanda est le premier pays au monde où une majorité de postes de haut niveau au Parlement sont occupés par des femmes (environ 60%). Les femmes progressent et les jeunes filles vont à l'école.

Nous voyons des femmes devenir présidentes et aller dans l'espace. Mais toutes les jeunes filles n'ont pas les mêmes chances. L'autre jour, j'ai rencontré une réfugiée vénézuélienne qui étudie pour devenir esthéticienne, mais elle voulait devenir pilote. Cette petite fille devrait avoir la possibilité de réaliser ses rêves et de suivre l'éducation dont elle a besoin pour donner le meilleur d’elle-même. C'est pourquoi nous devons continuer à travailler avec les gouvernements, les communautés et les agences des Nations Unies pour combler les écarts qui marginalisent les jeunes filles partout dans le monde.

Vous avez travaillé pour le HCR au Yémen en 2008. Pouvez-vous me dire ce que vous y avez fait et en particulier votre travail avec les femmes et les jeunes filles ?

A Sanaa, j'étais responsable des services communautaires et je travaillais auprès des réfugiés somaliens et leur communauté d'accueil. Les réfugiés vivaient en ville et non dans un camp de réfugiés, ce qui rendait plus difficile de les atteindre et de les aider. Nous avons mis en place un programme de travailleurs de proximité et nous nous sommes assurés que les femmes étaient incluses.

Il était très important que le plus grand nombre possible de femmes travaillent en tant que leaders de la communauté, parce que vous ne verriez que des hommes comme leaders. Bientôt, les hommes et les femmes ont travaillé ensemble. C'est l'une des réalisations qui m'a rendu très fière car vous pouviez réellement voir le changement.

Quelles actions avez-vous menées au Yémen qui étaient nouvelles ou différentes à l'époque ?

Nous avons d'abord créé des associations de femmes et de jeunes. Nous avons organisé de nombreuses formations sur la violence sexuelle et sexiste (SGBV) avec des femmes et des jeunes filles, mais j'ai pensé que nous devions également former ceux qui pourraient commettre ce type de violence, principalement des hommes. Nous avons commencé des formations avec l'association de jeunes et les travailleurs de proximité, où les jeunes hommes et femmes travaillaient déjà ensemble. Bien sûr, vous pouvez imaginer, parler d'une telle chose avec les hommes était à l'époque un tabou. Au début, ils étaient gênés mais, peu à peu, ils se sont intéressés et se sont investis dans le sujet. Plus tard, nous avons également organisé des formations avec des hommes leaders de la communauté. C'était un grand risque. Je n'étais même pas sûre qu'ils me reparleraient un jour. Au lieu de cela, ils ont demandé une formation supplémentaire sur le sujet. Bientôt, les stagiaires ont commencé à sensibiliser leurs communautés.

Pouvez-vous m'en dire plus sur votre travail sur les questions liées à la violence sexuelle et sexiste ?

Lorsque j'étais au Yémen, j'ai rencontré plusieurs femmes qui avaient vraiment des difficultés, ou qui allaient développer une maladie, à cause des mutilations génitales féminines. Mon équipe et moi nous réunissions régulièrement autour d'un thé avec des femmes et des jeunes. La plupart étaient contre cette procédure mais estimaient qu'elles ne pouvaient pas l'empêcher. Certaines nous ont même dit : « Oh, j'ai laissé ma fille chez la grand-mère et je suis revenue, et elle a été excisée ». Je me suis dit : « Quoi ?! »

Je les ai soutenues pour qu'elles puissent trouver la force de tenir tête à la génération précédente et à ses traditions. J'ai également rencontré trois femmes âgées qui pratiquaient ces mutilations. Elles ont fini par avouer que c'était leur seul revenu. Nous les avons donc incluses dans notre programme (du HCR) sur les moyens de subsistance. Les travailleurs sociaux les ont suivies de près pour s'assurer qu'elles ne faisaient plus les mutilations. Cela n'a pas été facile. Mais même si vous sauvez une seule jeune fille, vous changez déjà les choses.

« J'espère que nous pourrons continuer à travailler pour l'égalité des sexes au sein des Nations Unies afin d'être un exemple pour les autres. »

Comment la pandémie de coronavirus a-t-elle affecté les progrès concernant les problèmes endurés par les femmes ? Par exemple, la violence sexuelle et sexiste a tendance à augmenter dans des situations comme celle-ci. Avez-vous observé cela au Pérou également ?

Oh mon Dieu, oui. Depuis l’arrivée de la pandémie, les féminicides ont augmenté au Pérou. Le HCR a été informé par les autorités locales qu'elles ont reçu 50% d'appels d'urgence en plus de la part de femmes exposées à la violence sexiste depuis le mois de mars.

C'est pourquoi le HCR loue des lieux sûrs où nous pouvons héberger des victimes de violences sexuelles et à l’encontre des femmes durant quelques jours. Après cela, nous pouvons les placer dans un foyer sûr, afin qu'elles ne soient pas forcées de retourner chez leur partenaire. Le personnel du HCR les suit pour leur apporter un soutien psychosocial et travailler sur une solution plus durable comme, par exemple, leur fournir de l'argent pour le loyer et de la nourriture pendant quelques mois.

Est-il difficile pour ces femmes, et pour d'autres, de gagner leur vie pendant la pandémie ?

Au Pérou, plus de 90% des réfugiés et des migrants vénézuéliens travaillent dans le secteur informel et gagnent leur vie quotidiennement. Ils ont ressenti un fort impact de la pandémie qui, dans de nombreux cas, leur a fait perdre non seulement leur emploi mais aussi leur foyer. Beaucoup ont été expulsés, faisant de l'aide humanitaire du HCR une bouée de sauvetage pour de nombreux réfugiés au Pérou.

Pensez-vous que les femmes à travers le monde sont mieux loties aujourd'hui qu'il y a 25 ans ?

Mon Dieu, oui à 100%. Maintenant, nous pouvons faire entendre notre voix. Avant, ce n’était pas possible. Mais il reste encore un long chemin à parcourir. Par exemple, au HCR, où je travaille, je peux constater un changement, certaines femmes occupent des postes de direction de haut niveau, mais les femmes restent sous-représentées. J'espère que nous pourrons continuer à travailler pour l'égalité des sexes au sein des Nations Unies afin de servir d'exemple aux autres.

Ma principale préoccupation est l'éducation. Aujourd'hui, nous voyons davantage de jeunes filles à l'école alors qu'il y a 25 ans, elles étaient surtout à la maison pour les tâches ménagères. Ce n'est toujours pas suffisant. Je voudrais que 100% des enfants, filles et garçons, soient scolarisés, qu'ils soient dans des camps de réfugiés ou non. Peu importe que nous soyons riches ou pauvres, nous devons nous concentrer sur l'éducation.

« Nous devons accélérer les progrès dans la lutte contre le mariage des enfants. Sinon, d'ici 2030, plus de 120 millions de jeunes filles se marieront avant l’âge de 18 ans. »

Quelle tendance aimeriez-vous observer dans l'année à venir, voire dans cinq ans, pour les réfugiés et les déplacés internes que vous aidez ?

En 2011, quand je travaillais en Éthiopie, j'ai été invité à un mariage dans le camp de réfugiés de Kobe et j'ai été choquée de voir que c'était entre une jeune fille de 13 ans et un homme de 65 ans. La mère m'a expliqué que comme l'homme était un chef, il serait bon que la fille l'épouse. Je me suis dit : « Comment puis-je arrêter cela ? » J'ai fait de mon mieux, mais j'ai échoué. Ce qui est arrivé à cette jeune fille m’a hantée durant des mois et des mois.

Je pense que nous devons accélérer les progrès dans la lutte contre le mariage des enfants. Sinon, d'ici 2030, plus de 120 millions de filles se marieront avant l’âge de 18 ans. Lorsque les jeunes filles se marient si jeunes, elles ont moins de chances de rester à l'école et risquent davantage de subir des violences domestiques.

J'aimerais également voir que davantage de femmes déracinées peuvent faire entendre leur voix, accéder à l'éducation et réaliser leurs rêves dans tous les domaines de travail, que ce soit dans le domaine de l’aide humanitaire, au sein d’un gouvernement ou pour devenir pilote d’avion.