Déclaration de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à l'occasion de la réunion de la Troisième Commission de la 43ème session de l'Assemblée Générale des Nations Unies
Déclaration de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à l'occasion de la réunion de la Troisième Commission de la 43ème session de l'Assemblée Générale des Nations Unies
Monsieur le Président,
Distingués Délégués,
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un grand honneur et un vif plaisir que de m'exprimer devant la Troisième Commission à un moment où l'impact du climat encourageant qui préside en cette année 1988 aux relations internationales influence la situation des réfugiés à travers le monde. Pour la première fois depuis de nombreuses années, nous pouvons nourrir l'espoir d'un dénouement positif pour près de la moitié de tous les réfugiés dont nous avons la charge. Nous sommes aujourd'hui en mesure de réaliser ce que nous attendions depuis si longtemps : non seulement de contenir les souffrances humaines mais encore y mettre un terme.
Pour les millions de réfugiés pour lesquels une solution immédiate n'est malheureusement pas envisageable, nous devons nous employer activement à trouver des approches novatrices à moyen et à long terme. Par conséquent, je suis convaincu que nos délibérations durant cette session ainsi que ses conclusions constitueront un catalogue des défis à relever. Je puis vous assurer que le HCR collabore avec une vigueur renouvelée aux efforts de paix inlassables de la famille des Nations Unies, et plus particulièrement à ceux que déploie le Secrétaire général avec succès et ténacité.
D'une manière générale, cette période exceptionnelle et, à maints égards, historique a été marquée par quatre facteurs importants :
- des progrès politiques qui offrent l'espoir de solutions pour des millions de réfugiés,
- la recherche de solutions durables à la situation dramatique de beaucoup de réfugiés,
- l'émergence regrettable de nouvelles situations de réfugiés,
- enfin, l'aggravation, dans certains cas, d'anciennes situations de réfugiés.
Ces récents événements ont engendré d'une part de nouvelles opportunités de solutions durables, de l'autre les tâches statutaires de protection, d'assistance et de recherche de solutions durables aux problèmes des réfugiés du HCR sont devenues de plus en plus difficiles et complexes. La charge de travail du HCR et l'éventail de ses responsabilités ont augmenté en volume et en intensité, de telle sorte que ses ressources ont été utilisées jusqu'à l'extrême. Il est donc clair que le mandat et les ressources de mon Office ont été mis à rude épreuve. Si nous n'y prenons pas garde, le bien-être de millions d'êtres humains déracinés pourrait s'en trouver hypothéqué.
Monsieur le Président, pour en venir précisément à ces développements importants, je crois nécessaire de le faire en mentionant quelques illustrations exemplaires. Elles nous permettront de mieux saisir la situation dans laquelle nous nous trouvons, et l'ampleur de la tâche qui nous attend. Nous souhaitons voir la communauté internationale obéir finalement à ses meilleurs instincts sous la forme de compromis et d'accords politiques qui permettront à des millions de réfugiés et de personnes déplacées de retrouver leur dignité. Malheureusement, force, sera aussi de constater la persistance d'actions hostiles et violentes, qui contraignent encore un grand nombre de personnes à dépendre de la protection et de l'assistance internationales pour leur survie.
Mesdames et Messieurs les Représentants, je voudrais tout d'abord attirer votre attention sur quelques initiatives encourageantes qui ont permis à de nombreux réfugiés de rentrer chez eux dans des conditions de sécurité et de dignité, ainsi que sur des solutions durables acquises durant cette année.
Sur le continent africain, des opérations de rapatriement organisées ou spontanées au Tchad, en Ethiopie, en Ouganda et au Zimbabwe se sont poursuivies au cours des 12 derniers mois. Le retour des Ougandais en provenance du sud du Soudan est en voie d'achèvement. Je pense qu'il est encourageant de voir que malgré les circonstances très difficiles, plus de 200 000 Ougandais sont partis du Soudan pour rentrer chez eux depuis 1986, dont 60 000 cette année. Cette opération de grande envergure est presque achevée. En outre, nous espérons tous que la reprise des opérations de rapatriement dans les deux sens entre l'Angola et le Zaïre pourra se faire dans les plus brefs délais.
Monsieur le Président, permettez-moi de faire référence à la récente Conférence internationale sur la situation tragique des réfugiés, rapatriés et personnes déplacées en Afrique australe (SARRED), elle constitue un exemple de la prise de conscience par la communauté internationale de la nécessité de soutenir l'effort des pays d'asile de la région. Nous espérons fermement que les objectifs de la Déclaration et du Plan d'action de la Conférence recevront l'attention soutenue qu'ils exigent, et que l'abolition du régime d'apartheid, la promotion de l'indépendance nationale et l'amélioration des conditions socio-économiques continueront d'être au centre des préoccupations de chacun. Pour sa part, le HCR continuera à se procurer et à fournir des ressources matérielles supplémentaires pour les secours d'urgence. De plus, il poursuivra ses efforts de promotion de l'autosuffisance dans le contexte du concept de l'aide aux réfugiés et de l'assistance au développement. J'ai bon espoir que les efforts déployés à cette fin par la famille des Nations Unies contribueront de manière décisive à surmonter les difficultés qui ont entravé le processus de la CIARA II. Comme je l'ai mentionné à l'occasion de la Conférence, seule une aide de ce type nous permettra de soutenir les Etats de la région qui continuent d'offrir une généreuse hospitalité aux réfugiés.
Toujours en Afrique australe, nous suivons de près le déroulement des négociations qui pourront conduire à l'application rapide de la résolution 435 du Conseil de sécurité et à l'indépendance de la Namibie. Les nouvelles de Genève, vous le savez, sont plus encourageantes. Le HCR a un rôle clair et spécifique à jouer pour assurer le rapatriement des Namibiens en temps voulu. Des représentants du personnel du HCR ont participé à la récente mission technique des Nations Unies en Namibie. Nous avons réexaminé nos plans, nous les avons réajustés selon les besoins, et nous sommes prêts à assumer entièrement nos responsabilités dans le cadre de l'exécution du Plan des Nations Unies qui, nous l'espérons, sera prochainement mis en oeuvre.
Je serais impardonnable de ne pas faire référence aux nouvelles émanant du Sahara occidental que nous accueillons également avec un grand intérêt.
Monsieur le Président, permettez-moi de mentionner maintenant un des faits les plus prometteurs et les plus marquants de cette année, à savoir la signature en avril de l'Accord bilatéral entre l'Afghanistan et le Pakistan. Cet accord mentionne spécifiquement le retour des réfugiés afghans et le râle du HCR dans cette opération. Cet accord représente le moment tant attendu par des millions de réfugiés afghans : rentrer chez eux de leur propre gré sous l'égide internationale.
Je me permets de vous rappeler qu'une mission d'évaluation du HCR s'était déjà rendue en Afghanistan au mois de février. En mars, un groupe d'intervention et une unité opérationnelle au siège ont été créés ; le 15 mai, date de l'entrée en vigueur des Accords de Genève, une présence était établie à Kaboul, par l'envoi d'une mission. Pour compléter ces efforts, nous nous attachons actuellement à accroître notre présence sur le terrain au Pakistan et en République islamique d'Iran.
En d'autres termes, je dirais que le HCR a agi promptement. Pour remplir sa fonction dans l'éventualité d'un retour massif, mon Office a entrepris d'importants préparatifs et une planification en cas d'imprévus. Conformément à son mandat de protection et au rôle qui lui est assigné par les Accords de Genève, y compris la définition des modalités générales d'assistance, le HCR a adopté un certain nombre de mesures afin de reconfirmer l'engagement de toutes les parties concernées à respecter le caractère volontaire du rapatriement, et d'intensifier ses activités de supervision sur le terrain.
Depuis sa nomination, le 11 mai, par le Secrétaire général, du Prince Sadruddin Aga Khan en tant que Coordonnateur des programmes d'assistance économique et humanitaire des Nations Unies en faveur des populations afghanes, le HCR entretient une concertation étroite et suivie avec le Prince Sadruddin. L'appel lancé en juin par le Secrétaire général, au titre d'une assistance à l'Afghanistan, prévoit 387 millions de dollars EU, soit presque un tiers du total, pour couvrir les besoins des rapatriés.
Du fait de notre active participation au processus de coordination des Nations Unies, nous avons renforcé le dialogue avec les principaux acteurs concernés. En outre, près de 14 millions de dollars Eu ont été alloués à la couverture des besoins immédiats, soit la constitution de stocks d'articles de secours et l'élaboration de projets pilotes dans les domaines de la santé et de l'agriculture à petite échelle, ainsi que la mise sur pied d'un dispositif logistique élaboré avec le PAM. Le 12 octobre dernier, nous avons confirmé le besoin pour le HCR et le PAM de recevoir encore 35 millions de dollars pour compléter notre dispositif commun d'ici la fin du premier trimestre de 1989. Nous sommes encouragés par les résultats de la Conférence d'annonces de contributions qui s'est tenue le 12 octobre et je suis convaincu que des contributions seront versées prochainement pour couvrir ces besoins.
Quoiqu'il en soit, comme il est difficile de prévoir l'évolution de la situation en Afghanistan, le Haut Commissariat a l'intention de poursuivre ses programmes d'assistance en République islamique d'Iran et au Pakistan jusqu'à ce que le besoin d'ajustements apparaisse à l'évidence.
Monsieur le Président, je voudrais maintenant vous parler d'un autre accord très important conclu dans une région voisine, le sous-continent indien. Cet accord a permis au HCR d'établir une présence au Sri Lanka à la fin de l'année dernière, et ce faisant, d'aider quelque 25 000 Tamouls sri-lankais, qui se trouvaient en Inde, à rentrer chez eux au Sri Lanka. Le HCR a enregistré le caractère volontaire du rapatriement et mon Office est devenu tout à fait opérationnel. En outre, nous espérons que l'expérience acquise au cours des dix derniers mois nous permettra de planifier et de mettre en oeuvre le moment venu le rapatriement librement consenti des 100 000 Tamouls qui se trouvent aujourd'hui encore en Inde. De plus, la combinaison de divers facteurs, tels que l'entrée en vigueur de l'Accord entre l'Inde et Sri Lanka, la stabilisation des conditions de sécurité et la confiance engendrée par les programmes en cours, devraient faciliter considérablement le retour spontané des Sri-Lankais provenant d'autres régions du monde, dès que les circonstances le permettront.
Monsieur le Président, je vous ai indiqué l'année dernière que le rapatriement librement consenti des réfugiés en Amérique centrale avait commencé à prendre forme et que les perspectives d'avenir semblaient prometteuses. J'avais également mentionné l'espoir que la baisse des tensions dans la région, engendrée par l'Accord de paix d'Esquipulas Il, permettrait au HCR d'étudier toutes les possibilités de solutions humanitaires en faveur des réfugiés. à cet égard, j'avais également attiré l'attention du Comité sur les efforts entrepris pour convoquer une Conférence internationale chargée de faciliter la recherche de solutions concrètes. J'ai le plaisir de vous informer aujourd'hui que des progrès considérables ont été accomplis tant en ce qui concerne la poursuite du rapatriement librement consenti que la convocation de cette Conférence. Concernant le premier point, quelque 13 000 personnes sont rentrées chez elles de plein gré pendant les huit premiers mois de l'année avec l'assistance du HCR. Ce chiffre est déjà plus élevé que celui de 1987, 11 000 personnes seulement ayant alors regagné leur foyer.
A propos de la Conférence, j'ai le grand plaisir de vous annoncer qu'il y a quelques semaines à peine, le Comité intergouvernemental composé des Gouvernements du Costa Rica, d'El Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Mexique et du Nicaragua ainsi que du HCR, est parvenu à un accord sur des questions fondamentales. Tout d'abord, il a été convenu que la Conférence aurait lieu au Guatemala au début du mais de mai 1989. Les pays parrainant la Conférence se sont également mis d'accord sur un autre point capital, le maintien de son caractère humanitaire et apolitique. Ceci permettra d'évaluer l'ampleur des problèmes qui touchent les populations réfugiées, rapatriées et les catégories apparentées en Amérique centrale ; de définir des stratégies pour traiter leurs problèmes ; et d'élaborer un plan d'action pour trouver des solutions liées aux programmes de développement, qui tiendront compte des réfugiés, rapatriés et personnes déplacées, ainsi que le prévoit le Plan spécial de coopération économique des Nations Unies pour l'Amérique centrale. A propos de ce plan, une mission technique du HCR s'est rendue récemment dans la région afin de définir les dispositions à prendre en vue d'un élargissement de la coopération avec le Programme des Nations Unies pour le développement et d'autres institutions.
Pour en revenir à la Conférence, les travaux techniques et de programmation ont commencé et le Haut Commissariat ne ménagera aucun effort pour contribuer de son mieux au succès de la Conférence.
Monsieur le Président, j'aimerais attirer votre attention sur une autre région, à savoir l'Asie du Sud-Est, pour illustrer une fois de plus nos efforts orientés vers la recherche de solutions à des problèmes qui semblaient de prime abord insolubles. Je rappelle que depuis 1975, plus de 1,1 million d'Indochinois ont été réinstallés dans des pays tiers. Néanmoins, l'afflux incessant de demandeurs d'asile indochinois, qui a duré 13 ans, a causé des frustrations inévitables parmi les pays d'asile de la région. La bonne foi de ces demandeurs d'asile est souvent mise en doute et les problèmes qu'ils provoquent sont encore avivés par les difficultés rencontrées aujourd'hui par la communauté internationale pour les réinstaller. En conséquence, les gouvernements de la région ont pris ou envisagé de prendre des mesures pour dissuader les nouveaux arrivants. De telles mesures ont eu pour conséquences tragiques et inacceptables la mort et la souffrance de beaucoup d'êtres humains. Il en est résulté une détérioration du principe humanitaire de l'asile dans la région, ce qui a sapé le consensus obtenu au cours de la Conférence sur les réfugiés indochinois de 1979.
Bien avant cette crise, le HCR avait initié des consultations afin de dégager un nouveau consensus international. Cette initiative nécessite non seulement de nouvelles idées pour renforcer la structure de 1979, mais également une prise de conscience de toutes les parties concernées pour s'accorder sur de nouvelles réponses à donner au phénomène persistant des demandeurs d'asile dans la région. En avril de cette année, les représentants de certains pays de réinstallation importants sont parvenus à un accord sur les éléments d'un nouvel ensemble de directives qui pourraient constituer le cadre d'un nouveau dialogue. En juillet, les Ministres des affaires étrangères de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) ont fait une déclaration sur le thème des réfugiés indochinois, aux termes de laquelle ils demandent la convocation d'une Conférence internationale pour traiter cette question. Ils ont également fait savoir qu'à leur sens, la résolution des problèmes humanitaires dans la région constituait un pion important sur l'échiquier de la recherche de la paix dans cette partie du monde.
Le Gouvernement de la Répuplique socialiste du Viet Nam a pour sa part confirmé qu'il était disposé à oeuvrer, dans le cadre d'un dialogue avec les autres parties concernées, a la recherche de solutions au problème des départs illégaux. Des discussions bilatérales ont eu lieu ultérieurement entre la République socialiste du Viet Nam, la Malaisie, les autorités de Hong Kong/Royaume Uni et le HCR. Des consultations sont actuellement en cours entre toutes les parties concernées ; la première s'est tenue à Bangkok fin octobre afin de jeter les bases d'une Conférence constructive, l'année prochaine, orientée vers la recherche de solutions. Ces préparatifs devraient conduire à un nouveau consensus qui regrouperait l'asile, la réinstallation et le rapatriement librement consenti. Je souhaite que la résolution qui vous est proposée à cet effet soit adoptée sans délai.
Monsieur le Président, comme je l'ai mentionné au début de ma déclaration, ces initiatives et ces réalisations ont malheureusement été contrebalancées par des développements inquiétants dans de nombreuses régions du monde. Les situations d'urgence nouvelles, alliées à l'exacerbation ou à la complication de problèmes anciens, nous lancent des défis exceptionnels sur plusieurs fronts.
L'Afrique est la région la plus touchée par les nouveaux afflux de réfugiés. Il est indéniable que la situation globale des réfugiés en Afrique s'est considérablement détériorée au cours des 12 derniers mois. Quelque 900 000 réfugiés sont venus s'ajouter à la population réfugiée du continent, pourtant déjà stupéfiante.
Les arrivées massives de réfugiés se poursuivent, notamment en provenance du Mozambique vers les pays voisins, le plus grand nombre de réfugiés se trouvant au Malawi, où leur total dépasse aujourd'hui 650 000, et également en provenance du sud du Soudan vers l'ouest de l'Ethiopie, où leur total dépasse aujourd'hui 320 000. Au cours de la deuxième moitié de cette année, selon les autorités éthiopiennes, plus de 300 000 réfugiés en provenance du nord-ouest de la Somalie sont arrivés dans l'est de l'Ethiopie. En août et septembre dernier, plus de 50 000 réfugiés du Burundi sont arrivés au Rwanda. Des efforts sont actuellement déployés pour faciliter le rapatriement librement consenti de ce groupe. Si nous sommes en mesure de dire que nous contrôlons les opérations d'urgence menées à bien au Malawi et au Rwanda, il n'en est pas encore de même en Ethiopie malgré les efforts déployés par le Gouvernement, le HCR et nos partenaires d'exécution. En effet, en raison du manque de ressources naturelles, et particulièrement d'eau dans les sites à l'est de l'Ethiopie, de l'état de malnutrition très grave dans lequel se trouvent la plupart des nouveaux arrivants à l'ouest du pays et des difficultés considérables en matière de logistique et d'approvisionnement, les progrès réalisés ont été très lents. Pour parvenir à assurer le contrôle de la situation, il nous faut déployer de nouveaux efforts de toute urgence. Puisse l'annonce hier d'un cessez-le-feu au Soudan faciliter immédiatement les efforts humanitaires en cours et soulager des souffrances atroces endurées par les populations.
Mesdames, Messieurs, vous le savez, le HCR s'occupe de situations engendrées par les actes de l'homme, cause première de l'exode de ceux qui relèvent de la compétence du Haut Commissariat. Tant que le HCR devra lutter contre les conséquences humaines de ces actes, nous ne pourrons jamais insister suffisamment sur le besoin, pour la communauté internationale, de s'attaquer aux causes profondes et de mobiliser un appui toujours plus grand aux pays d'asile du tiers monde. Il est primordial d'éviter de pénaliser ceux dont la richesse est synonyme de générosité en ignorant ou en minimisant leurs contributions ou leurs besoins.
Le HCR prend en compte ces réalités. Il cherche, pour sa part, à y faire face d'une manière concrète conformément aux termes de son mandat. Premièrement, nos Programmes généraux en Afrique représentent cette année plus du double (180 millions de dollars) de ceux d'il y a deux ans (87 millions de dollars). Deuxièmement, le HCR ne cesse de souligner le lien entre l'aide aux réfugiés et le développement des infrastructures des pays d'asile du tiers mode. Le HCR a multiplié les initiatives auprès de diverses agences de développement. Ce faisant, nous nous limitons à jouer un rôle de catalyseur par l'identification rapide des besoins d'infrastructure liés à la présence de réfugiés et qui requiert l'entrée en scène des agences de développement du système des Nations Unies. Le mois dernier, le Comité exécutif a réaffirmé le rôle de mon Office dans ce domaine.
Monsieur le Président, je voudrais maintenant aborder une autre situation complexe et en évolution, celle qui prévaut en Europe et en Amérique du Nord. Vous le savez certainement, les changements de procédures et de législations nationales qui touchent les demandeurs d'asile et les réfugiés s'accompagnent d'efforts qui visent l'harmonisation de ces procédures au sein de groupes régionaux ou d'institutions intergouvernementales. Dans ce contexte, je dois réaffirmer que le HCR attache une grande importance au processus de consultations avec les gouvernements en Europe qui a commencé en 1985. Bien qu'elles aient été marquées par certaines tensions et quelques divergences à leur début, ces consultations englobent aujourd'hui des groupes de travail où les problèmes spécifiques à l'Europe et à l'Amérique du Nord sont discutés de manière constructive et orientée vers la recherche de solutions. Cette coopération positive a permis d'identifier des solutions valables en offrant un asile durable ou temporaire aux demandeurs d'asile en quête de protection et en contribuant à créer dans les pays d'origine des conditions qui permettraient le moment venu le rapatriement librement consenti. Au-delà de ces efforts constructifs subsistent néanmoins des ombres préoccupantes. Je ne peux que réitérer ici le souci constant du HCR de contribuer à la définition et la mise en oeuvre de procédures justes et efficaces d'octroi de l'asile, accessibles sans restriction aux personnes en quête de protection. Aussi longtemps que cet accès n'est pas pleinement garanti, les droits des réfugiés restent en péril grave. Pour y parvenir, la meilleure approche reste un dialogue franc et ouvert entre les gouvernements et les organisations humanitaires directement concernées en d'autres termes, un effort collectif vers des solutions justes et durables.
Ainsi que les récents événements nous l'ont appris, l'asile peut se révéler temporaire. Les différentes initiatives de paix en cours dans le monde et les bienfaits réels ou potentiels que les réfugiés peuvent en attendre, corroborent cette constatation. C'est dans cette recherche patiente de règlements pacifiques que l'Europe et l'Amérique du Nord se doivent par l'octroi de l'asile durable ou temporaire de partager le fardeau avec le tiers monde qui, il faut le héberge les 9/10ème des réfugiés.
Monsieur le Président, j'ai dit à maintes reprises que la protection internationale restait la fonction primordiale du Haut Commissariat. Puis-je rappeler une fois encore que l'action quotidienne que nous menons dans tous les domaines se fonde sur cette considération fondamentale. Toutes nos fonctions, y compris la recherche de solutions, sont directement liées à notre fonction de protection internationale. Par conséquent, les questions de protection auxquelles est confronté le Haut Commissariat doivent être étudiées avec le plus grand sérieux.
La protection idéale est l'acquisition d'une nouvelle nationalité ou le retour à la protection d'une nationalité antérieure. La proximité de la solution détermine, par conséquent, la durée de la protection internationale. La protection n'est donc pas une fin en soi, mais une garantie essentielle du respect des droits fondamentaux de l'homme jusqu'à ce qu'un Etat assume ce rôle.
Mesdames et Messieurs les représentants, vous ne le savez que trop, le lien entre les droits de l'homme et le problème des réfugiés est fondamental et mérite d'être particulièrement souligné cette année où l'on commémore le quarantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. La philosophie et les objectifs de cette déclaration : font partie intégrante de l'oeuvre du HCR. Les réfugiés naissent des violations - spécifiques ou générales - des droits fondamentaux de l'homme et les structures de protection internationale ont pour but de les protéger contre de nouvelles violations de leurs droits pendant la durée de l'exil. Il y a quatre décennies, la communauté internationale a estimé que les droits fondamentaux de cette minorité vulnérable devaient être confiés à la communauté internationale par le biais de l'institution du HCR. Ces jalons historiques - le quarantième anniversaire de la Déclaration universelle, suivi, l'année prochaine, par le vingtième anniversaire de la Convention sur les réfugiés de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), ainsi que du premier traité international sur l'asile, le Traité sur le droit pénal international signé il y a un siècle à Montevideo - doivent servir à nous rappeler l'ampleur de cette entreprise et ses dimensions historiques.
En même temps, il est important de reconnaître que la protection des réfugiés comporte un impératif moral. En dernier ressort, cette protection ne dépend pas seulement des conventions internationales et des structures juridiques nationales mais surtout de la conscience collective de la communauté des Nations. C'est cette dimension morale qui donne à l'oeuvre du Haut Commissariat son caractère unique parmi les organisations internationales, et qui, en même temps, rend souvent notre tâche extrêmement difficile. Nous devons empoigner cette tâche résolument, car nous l'entreprenons en votre nom - au nom de tous les Etats Membres des Nations Unies.
J'ai souvent indiqué que, dans l'accomplissement de cette fonction, ma préférence va à la persuasion discrète plutôt qu'aux déclarations publiques, car les domaines que nous touchons sont particulièrement délicats. Il se peut néanmoins que l'impératif moral de notre responsabilité de protection exige que nous utilisions tous les moyens à notre disposition pour protéger effectivement les réfugiés pour qui nous sommes le dernier recours. Certes, nous devons nous garder d'adopter des positions rigides et irréalistes, loin des réalités politiques d'un monde souvent dur. La recherche de solutions doit s'inscrire dans le cadre fondamental du droit naturel et des normes acceptées pour la protection d'un des groupes les plus vulnérables qui soit : les réfugiés. Ces normes internationales transcendent les préoccupations nationales. Il doit en être ainsi. En invoquant la protection des réfugiés, nous en appelons au respect de ces traditions depuis longtemps établies, nous en appelons à la conscience des Nations. Je suis sur que c'est un appel auquel tous les Etats souscriront sans réserve.
Monsieur le Président, c'est dans ce contexte de tâches toujours plus nombreuses que le Haut Commissariat doit poursuivre son oeuvre. Les complexités grandissantes de nos activités pour répondre aux besoins cruciaux et urgents des réfugiés ou pour lancer la recherche de solutions, requièrent un appui international encore plus déterminé.
Tout d'abord, le Haut Commissariat aura besoin des ressources nécessaires pour répondre aux besoins constants. Comme vous le savez, les nouvelles sollicitations dont le HCR fait l'objet ont exigé une révision en hausse de quelque 42,6 millions de dollars EU de l'objectif pour les Programmes généraux de 1988, qui passe ainsi de 377,5 millions de dollars EU, montant approuvé en 1987, à 420,1 millions de dollars EU. Ce budget révisé n'a été établi qu'après un examen approfondi des besoins et économies réalisables. L'approbation récente par le Comité exécutif de ces objectifs ne reflète pas simplement une acceptation internationale de la tâche à accomplir, mais atteste aussi l'ampleur des besoins des réfugiés. Je tiens à dire ici combien je suis reconnaissant aux donateurs d'avoir, tout au long de ces périodes difficiles, appuyé l'oeuvre du Haut Commissariat et mis à disposition des ressources suffisantes. Toutefois, j'occulterais la vérité si je vous disais que la situation financière du Haut Commissariat n'est pas préoccupante. Nous comprenons tous parfaitement que si le dévouement et l'engagement des gouvernements sont infinis, leurs ressources financières ont des limites évidentes. Nous aurons à relever un sérieux défi l'année prochaine : l'objectif actuellement estimé à 429 millions de dollars E.U. au titre des Programmes généraux de 1989. Et à ceci s'ajoutent des ressources insuffisantes en cette fin d'année en raison du niveau élevé du taux d'exécution en 1988. Au moment où je vous parle, il nous manque quelque 70 millions de dollars E.U. pour atteindre l'objectif révisé de 420 millions pour 1988. Nous estimons à ce stade que de ce montant, 30 à 40 millions de dollars sont liés à des dépenses de première importance, et qu'il s'agit là donc d'une somme dont le HCR a un besoin impérieux. J'en appelle, une fois de plus, à la générosité des gouvernements pour annoncer de nouvelles contributions pour 1988. La disponibilité des fonds requis est une source de préoccupation, mais je n'en reste pas moins convaincu que nous pouvons compter sur le soutien vigoureux des donateurs qui s'exprimera lors de la Conférence d'annonces de contributions le 21 novembre. Le HCR a besoin d'un montant minimum de 100 millions de dollars E.U. sous forme d'annonces fermes de contributions pour signer des accords avec ses partenaires opérationnels et assurer la continuité de l'exécution des programmes en 1989.
Nous sommes également conscients que pour atteindre nos objectifs, nous devons constamment gagner votre confiance et qu'il ne suffit pas de vous présenter des objectifs financiers ou des chiffres, quel que soit le sérieux que l'on ait mis à cette fin. Le Haut Commissariat doit faire la preuve d'une gestion saine de ses ressources humaines et matérielles. J'ai naturellement accordé la plus haute priorité à cette question depuis que je suis entré en fonction il y a presque trois ans. On m'a donné pour mandat de réviser et d'améliorer les méthodes de gestion et la rentabilité du HCR. Je me suis attelé à cette tâche avec le plus grand sérieux. Cet effort était tout particulièrement nécessaire au vu de l'évolution rapide de la situation des réfugiés dans le monde. La réorganisation du Haut Commissariat en 1986 s'est fondée sur l'idée selon laquelle la rationalisation des ressources humaines, la réduction des dépenses d'appui et la modernisation du contrôle et de l'exécution des programmes insuffleraient un dynamisme plus grand au HCR. Afin d'y parvenir, des mesures ont été prises sur une grande échelle et commencent à porter leurs fruits. Bien que beaucoup reste à faire, il ne fait aucun doute que, à l'issue de nos efforts conjugués, des améliorations substantielles ont été apportées au processus d'évaluation des besoins ; à la qualité et à la portée de la planification financière et de la budgétisation et à la précision de l'examen et du contrôle des programmes. Ce sont désormais des caractéristiques permanentes de nos activités.
En même temps, nous devons nous assurer d'un niveau adéquat de ressources humaines pour mener valablement nos opérations en faveur des réfugiés nouveaux ou anciens. Plus particulièrement lorsque la protection des réfugiés est en jeu, le HCR doit disposer du personnel nécessaire sur une base temporaire pour assumer pleinement son mandat. Ce dernier ne peut être confié à quiconque d'autre. À cet égard, le soutien exprimé le mois dernier par le Comité exécutif est une source d'encouragement dont nous sommes particulièrement reconnaissants.
Cela ne signifie pas que nous ayons relégué la nécessité de rationaliser nos effectifs et de réduire nos dépenses d'appui à l'arrière-plan. Conformément aux recommandations du Groupe des 18 et aux voeux du Comité exécutif, le Haut Commissariat honorera ses engagements afin de réduire ses effectifs et de limiter les dépenses.
Je voudrais vous assurer que nous ne ménagerons aucun effort pour continuer de cheminer le long de cette route à plusieurs voies : répondre aux besoins actuels et imprévus en matière d'assistance ; accorder une protection tout en cherchant des solutions durables pour les réfugiés, réaménager et rationaliser l'Organisation. Bien que le point d'équilibre soit souvent difficile à atteindre, il ne saurait être question de rebrousser chemin.
Monsieur le Président, ainsi que je l'ai relevé au début de mon intervention, nous sommes confrontés à une situation unique : des nouvelles occasions d'agir s'offrent à nous, des défis considérables qui doivent être relevés. Je viens d'indiquer les chemins que nous nous proposons d'emprunter pour y faire face. En même temps, nous devons reconnaître que la paix et l'espoir exigent un niveau d'engagement considérable, du moins temporaire. Nous savons tous le prix tragique qui serait à payer si nous refusions de franchir l'obstacle. Le choix est donc clair : nous ne pouvons hésiter, ni succomber à des intérêts étroits.
On a souvent parlé des années quatre-vingts comme celles des déshérités et des indigents. Cependant, alors que nous approchons de la fin de cette décennie, nous nous trouvons dans une position unique pour tenter de réparer les dommages de ces années de turbulence et de désespoir pour tant d'innocents. Puisse-t-on dire un jour que pour des millions de ces réfugiés la roue du destin a tourné. Nous leur devons cet engagement.
Monsieur le Président, je vous remercie.