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Discours de Mme. Sadako Ogata, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors de la remise du prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix

Discours et déclarations

Discours de Mme. Sadako Ogata, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors de la remise du prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix

5 Juin 1996

Paris, le 5 juin 1996

Monsieur le Président de la République du Sénégal,
Monsieur le Président de la République de Côte d'Ivoire,
Monsieur le Secrétaire d'Etat à l'Action humanitaire,
Monsieur le Secrétaire Général de l'OUA,
Monsieur le Directeur Général de l'UNESCO,
Monsieur le Représentant du Premier Ministre du Japon,
Mesdames et Messieurs les membres du Jury,
Excellences, Mesdames, Messieurs.

C'est un grand privilège et un insigne honneur pour le HCR et pour moi-même de recevoir aujourd'hui le prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la Paix. Par cette distinction et par votre éminente présence, vous honorez le dévouement et le courage de plus de cinq mille hommes et femmes qui travaillent aux quatre coins du monde pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ainsi que tous ceux qui aident et protègent les réfugiés.

Plus encore, vous exprimez votre solidarité avec ving sept millions de réfugiés et de personnes déplacées, victimes de conflits ainsi que de violations massives des droits de l'homme. Ce geste est dirigé vers ceux et celles dont les vies ont été bouleversées par la fuite devant le danger et la persécution.

Le phénomène des réfugiés n'est pas nouveau, l'histoire en porte témoignage. Rarement dans les temps modernes, il a connu une telle ampleur. Les causes majeures de cette situation sont connues : l'éclatement du monde bipolaire et l'explosion de tensions jusque-là contenues. Ce sont les soubresauts d'un monde à la recherche d'un nouvel ordre.

Dans cette difficile démarche, il faut nous souvenir que le principe et la finalité doit rester le service de l'homme. La sécurité collective ne pourra être durablement assurée si elle n'adopte pas pour objectif principal de garantir la sécurité des personnes au-delà de la sécurité des Etats. En termes concrets, cela signifie le droit pour tout être humain de vivre chez lui en paix et de jouir d'un certain nombre de droits fondamentaux. Car, le déplacement massif et forcé de populations civiles, cette indignité que l'humanité s'impose à elle-même, tient à deux causes principales. D'un côté les conflits à caractère de plus en plus interne et de l'autre, les atteintes aux droits de l'homme et à ceux de groupes ethniques ou religieux.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

La cérémonie qui nous réunit aujourd'hui évoque intensément pour moi l'idéal de paix que nous partageons tous et qui a été le principe fondateur du prix qui nous honore aujourd'hui. Qui d'autre que son initiateur, le Président Félix Houphouët-Boigny, peut nous aider dans notre difficile chemin vers la recherche de la paix. Dans son ineffable sagesse, il avait coutume de dire : « La paix n'est pas un mot, c'est un comportement ». Dans un rare exemple d'accord entre les mots et les actes, il a réussi à faire de son pays, en dépit des difficultés, une terre de paix et de relative prospérité dans une région où les conflits entraînent dévastation et misère. Il a su transcender les tensions pour développer, sur la base de la vieille sagesse africaine, les forces de la tolérance et du dialogue.

Saviez-vous que le Président Houphouët-Boigny n'aimait pas le mot « réfugié » ? Il préférait les appeler des frères dans le besoin et il a, d'ailleurs, généreusement ouvert les portes de son pays à tous ceux qui cherchaient un asile. Aujourd'hui encore, la Côte d'Ivoire, donne au monde l'exemple d'un pays qui reçoit près de quatre cent mille réfugiés sans avoir installé un seul camp sur son territoire. Quelle leçon pour nous tous... !

Cette hospitalité constitue cependant un fardeau difficilement supportable pour les ressources limitées et l'environnement déjà menacé des pays d'accueil.

Malgré ces problèmes et en dépit du contexte économique souvent difficile, l'Afrique est restée une terre d'accueil pour les réfugiés, et j'aimerais saisir cette occasion pour en remercier ses dirigeants et ses peuples de tout mon coeur. Dans le même temps, je ne peux pas cacher mon souci face à une attitude de plus en plus négative vis-à-vis des réfugiés. L'exemple de telles politiques restrictives vient souvent d'ailleurs. Aujourd'hui, j'exhorte tous les Africains à rester fiers de leur tradition d'hospitalité.

Mais pour maintenir et promouvoir l'asile, deux notions fondamentales doivent être établies. D'abord, les gouvernements ainsi que les réfugiés eux-mêmes doivent respecter le caractère humanitaire et neutre de l'asile. Les réfugiés qui fuient un conflit ne devraient pas en causer un autre, ni dans leur pays d'origine et encore moins dans leur pays d'accueil.

Ensuite, la communauté internationale se doit de préserver et même d'accroître sa solidarité envers les pays en voie de développement qui accueillent les réfugiés. Cette solidarité est plus que jamais vitale. Sa défense et sa promotion sont, à mon avis, une des tâches principales de l'ONU, face aux préoccupations nationales, à l'isolationisme et à l'indifférence. Aider ces pays n'est pas seulement un impératif moral, c'est aussi une manière de partager leur fardeau. C'est enfin un acte de justice qui favorise la paix, la stabilité et le développement.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Protéger et aider les victimes, promouvoir des solutions sont des aspects cruciaux de la recherche de la paix. Mais ce ne sont pas les seuls. La recherche de la paix, c'est aussi une action déterminée pour prévenir ou mettre fin aux conflits, pour réconcilier les antagonistes d'hier et pour reconstruire des sociétés en ruine. L'Afrique est aujourd'hui la région du monde où l'on trouve le plus grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées, résultat de conflits dont la solution reste encore hors portée.

Les leaders politiques sont responsables du sort des peuples qu'ils gouvernent. C'est en assurant leur bien-être qu'ils peuvent mériter leur confiance. Cette responsabilité implique une volonté de surmonter les divergences par les voies du dialogue et de la réconciliation. Je salue le courage des leaders de l'Afrique du Sud, du Mozambique, du Mali, de l'Ethiopie, de Djibouti, de l'Angola et du Togo qui ont su mettre un terme aux affrontements. Cette attitude a permis à des centaines de milliers de réfugié communauté internationale a un rôle essentiel à jouer pour faciliter l'élaboration de solutions à ces conflits. L'intérêt humanitaire pour les victimes est légitime et souhaitable, mais il doit aussi être accompagné de volonté politique de s'attaquer aux causes des conflits ainsi que d'aider à la mise en oeuvre des solutions. Lorsque des hommes, des femmes et des enfants meurent et souffrent, leur besoin d'humanité est le même où qu'ils soient. L'attention de la Communauté internationale doit être dépendante des besoins des victimes et non de leur localisation géographique ou de leur présence sur les écrans de télévision.

Dans bien des cas, la prolongation du séjour des réfugiés peut constituer un facteur d'aggravation des conflits par la radicalisation des oppositions qu'elle peut entraîner. Il ne peut y avoir de paix durable sans le retour et la réintégration des réfugiés dans la communauté nationale. Les négociations politiques destinées à mettre fin aux conflits devraient donc impérativement englober des discussions à caractère humanitaire portant sur le retour des réfugiés et des personnes déplacées.

Le HCR est disposé à jouer son rôle de promoteur impartial du dialogue entre les parties afin que la solution des problèmes humanitaires puisse contribuer à l'instauration de la paix. En étroite collaboration avec l'OUA, il a notamment aidé à l'élaboration du Plan d'Action de Bujumbura, qui constitue une structure de dialogue et de négociation pour le traitement des questions humanitaires dans la Région des Grands Lacs. Dans d'autres régions du monde, mon Office assiste activement à la réintégration des populations déplacées. Nous négocions des garanties de sécurité et nous accompagnons leur mise en oeuvre sur le terrain. Nous fournissons des abris, des outils et des semences. Nous aidons à la réhabilitation des communautés détruites. En un mot, nous essayons de contribuer au rétablissement de la confiance entre les rapatriés, leur gouvernement et leurs compatriotes qui sont restés au pays.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Tous ces efforts sont louables et indispensables. Mais ne faut-il pas aussi, et d'abord, tenter de prévenir l'arrivée ou la répétition des drames humains dont nous sommes les témoins parfois impuissants ? Pour cela, il y a deux conditions nécessaires, sinon suffisantes, qui doivent être remplies : le respect des droits fondamentaux de la personne humaine et l'éradication de la misère. Ce n'est pas un hasard à mes yeux, que nous soyons réunis aujourd'hui à l'UNESCO qui est à l'avant-garde de la lutte pour la promotion des droits de l'homme. C'est par une action persévérante dans le domaine de l'éducation que les valeurs de tolérance et d'acceptation de l'autre permettront de privilégier la co-existence plutôt que l'affrontement.

C'est pour cette raison que j'ai décidé d'utiliser le prix que nous venons de recevoir pour établir un Fonds spécial pour l'Education dont bénéficieront les enfants réfugiés en Afrique, principalement au niveau secondaire.

C'est aussi par une plus équitable distribution des richesses que le monde deviendra un endroit plus paisible. La multiplication des besoins humanitaires ne doit pas faire oublier l'impérieuse nécessité de contribuer au développement par des politiques d'aide et de coopération avisées. L'action multilatérale et l'action bilatérale, doivent oeuvrer en synergie pour établir les bases d'un développement équilibré, garant de conditions de vie décentes et, en conséquence, de la paix civile.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Il va de soi qu'un monde dans lequel le déplacement forcé est en augmentation n'est pas un monde en paix. Ce n'est qu'à partir du moment où le nombre des rapatriés dépassera celui des réfugiés que nous progresserons vers la paix. En attribuant ce Prix prestigieux au HCR vous avez tenu à souligner la contribution réelle que nous nous efforçons de faire dans le domaine de la recherche de la paix. Je vous remercie au nom de tous mes collègues : nous avons, plus que jamais, besoin de vos encouragements.

Plus d'une fois durant mes voyages, j'ai pu lire l'extrême détresse dans les yeux de ceux qui avaient tout perdu et se trouvaient face à un futur incertain. Le monde de paix à la construction duquel le Président Houphouët-Boigny a dédié ses efforts ne doit plus tolérer cette misère créée par l'homme. Je suis confiante, qu'ensemble, nous arriverons à faire renaître le sourire de l'espoir sur le visage de l'enfant traumatisé par la peur et l'exil et que, grâce à nos efforts, il pourra vivre et se développer dans un monde un peu plus accueillant.