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Discours prononcé par M. Auguste R. Lindt, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors de la 105ème séance du Conseil du Comité intergouvernemental pour les migrations (CIME), Naples, Italie, le 6 mai 1960.

Discours et déclarations

Discours prononcé par M. Auguste R. Lindt, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors de la 105ème séance du Conseil du Comité intergouvernemental pour les migrations (CIME), Naples, Italie, le 6 mai 1960.

6 Mai 1960

Le 6 mai 1960.

1. Vous m'avez permis, Monsieur le Président, de prendre la parole devant l'organisme directeur du CIME, et je vous en suis vivement reconnaissant.

2. Messieurs, c'est ici même, à Naples, il y a bientôt neuf ans si j'ai bonne mémoire, que l'idée lancée par Mr. Walter, votre Président, a pour la première fois pris corps : il s'agit d'une idée qui s'est révélée éminemment féconde, d'une idée qui a conduit certains gouvernements librement associés à contribuer après la guerre au rétablissement de la stabilité sur tout un continent, et à aider des pays neufs à développer leur économie. Cette idée, formulée dans la résolution de Bruxelles et dans l'Acte constitutif de votre organisation, n'eût-elle pas été mise en pratique que les problèmes démographiques - y compris celui des réfugiés - nés de l'après-guerre ou de l'évolution plus récente de la situation, eussent pris de bien plus sérieuses proportions. J'attache pour ma part une valeur de symbole au fait que, d'ici quelques jours, le CIME sera en mesure d'annoncer le départ du millionième émigrant, et ce qui importe grandement, c'est que ce millionième émigrant soit, votre organisation nous en informe, un réfugié qui va pouvoir naître à une existence nouvelle à l'occasion de l'Année mondiale. Je rappellerai ici pour mémoire d'ailleurs que le CIME a transporté 470.000 réfugiés, dont 330.000 étaient placés sous le mandat du Haut Commissaire. C'est là un résultat en tous points magnifique.

3. Il importe, je crois, de souligner que le CIME ne se borne pas à transporter des émigrants et des réfugiés. Pour moi, c'est là la part la plus visible de son activité, mais non la seule. Il faut parler de tout ce qui s'y rattache : l'enregistrement des émigrants, la délivrance de documents, la présélection et les visites médicales, la préparation, si importante, des émigrants ou des réfugiés à ce qu'ils vont trouver dans leur nouvelle patrie, les cours de langues, l'aide si essentielle que le CIME fournit aux gouvernements pour qu'ils organisent, lorsque c'est nécessaire, l'accueil des réfugiés et facilitent leur placement, et enfin l'aide qu'il apporte aux réfugiés pour leur permettre d'apprendre les métiers où la main-d'oeuvre fait peut-être grandement défaut dans les pays d'immigration. C'est grâce seulement à ces autres activités du CIME que l'émigration parvient à constituer une solution tellement valable au problème des réfugiés. C'est grâce a elles qu'un réfugié, en arrivant dans un nouveau pays, ne peut être le jouer de la bonne et de la mauvaise fortune, et se trouve normalement assuré de pouvoir s'y installer de façon définitive.

4. J'ai déjà dit que le CIME ne transportait pas uniquement des réfugiés placés sous le mandat du Haut Commissaire. En fait, il donne à la notion de réfugié un sens plus large. Il me semble en effet que, pour le CIME, un réfugié est toute personne qui a quitté son pays et se trouve dans le besoin. J'approuve cette conception libérale parce qu'un réfugié, qu'il relève ou non du mandat du Haut Commissaire, pose souvent un problème social dans le pays de premier asile. Il est intéressant de noter que cette conception cette conception libérale, a été également adoptée l'Année mondiale du réfugié, dans le contexte de laquelle on considère comme méritant secours, non pas seulement les réfugiés qui relèvent de la compétence des Nations Unies, mais bien tous les réfugiés.

5. L'Année mondiale a déjà produit bien des résultats, mais je me contenterai, si vous le permettez, d'évoquer surtout l'influence qu'elle a eue sur l'émigration des réfugiés, et je voudrais à ce propos appeler votre attention sur une nouveauté sans précédent. Il existait jusqu'ici, dans tous les groupes de réfugiés, une catégorie d'individus catalogués « inaptes à l'émigration ». Cette étiquette qui leur était donnée faisait l'effet d'une tare, dont souffrait non seulement l'intéressé, mais aussi toute sa famille. Celle-ci ne pouvait pas comme les autres, émigrer, et le pays qui lui offrait asile devait de ce fait supporter de très lourdes charges. Très souvent aussi, on constatait que la famille ainsi marquée se sentait quelque peu rejetée par la société de ses semblables, les « normaux ». L'Année mondiale a modifie et privé de sa rigueur ce concept d' « inaptitude à l'émigration ». Cela s'explique, non seulement par l'influence psychologique qu'elle a exercé sur les foules, non seulement par une influence que l'on pouvait jusqu'à un certain point attribuer à l'opinion mondiale, mais encore par deux faits concrets : en premier lieu, les réfugiés handicapés, d'ordinaire aussi tenus pour inaptes à l'émigration, ont montré qu'ils pouvaient s'adapter à un nouveau pays. En second lieu, les gens ont compris que, grâce aux derniers progrès de la médecine et aux méthodes modernes de rééducation, les personnes que l'on eût considérées comme inutiles il y a cinquante ans ou davantage, ne l'étaient désormais plus. Les pays d'Europe n'ont pratiquement jamais connu la notion d'« inapte à l'émigration » et, de plus en plus l'an dernier, sous l'impulsion notamment des pays scandinaves et de la Suède en particulier, ils ont accueilli chez eux des réfugiés gravement handicapés et prouvé que ceux-ci pouvaient constituer un très précieux apport pour les pays qui leur offraient l'hospitalité. Dans le cadre de l'Année mondiale du réfugié, il s'est ouvert il y a une semaine, en Suède, un cycle d'étude sur les réfugiés, qui devait mettre l'accent sur l'intégration des handicapés. A l'action des pays scandinaves sont associées la Belgique, la France et la Suisse.

6. Les pays d'outre-mer, eux aussi, ont insensiblement adopté une attitude assez différente. Je n'ai pas l'intention de citer ici des chiffres ni de parler des différents programmes, et j'aimerais seulement essayer d'expliquer les tendances qui se manifestent à l'heure actuelle. Il est un fait certain que les programmes spécialement établis à l'occasion de l'Année mondiale ont déjà permis de réinstaller plusieurs milliers de réfugiés handicapés. Et peut-être conviendrait-il ici d'envisager le problème dans la perspective de l'individu, dans la perspective de la famille. Certains de ces réfugiés, nous le savions, avaient vu leurs espoirs déçus quatre ou cinq fois. Ils avaient peine à croire qu'on leur offrait enfin la possibilité de partir pour un autre pays. Or, le succès de ces programmes - auxquels ont participé la Nouvelle-Zélande l'Australie et le Canada - a été tel que, sans exception, tous les pays qui avaient appliqué des programmes spéciaux en faveur des réfugiés handicapés, ont fait, savoir qu'ils étaient prêts a renouveler l'expérience. Cette deuxième série de programmes s'adresse à des contingents plus nombreux et tend vers un nouvel assouplissement des critères d'admission. Il vous intéressera de savoir qu'un gouvernement a reproché aux deux organisations chargées d'exécuter le programme, c'est-à-dire le Haut Commissariat et le CIME, de lui avoir envoyé des réfugiés « qui n'étaient pas suffisamment handicapés ». Sous l'influence de l'opinion publique, nombreux sont les pays qui sont aujourd'hui enclins à penser qu'ils se doivent non seulement d'accueillir les réfugiés handicapés qui pourront se réadapter par la suite, mais aussi qu'ils sont moralement tenus, au nom de la solidarité internationale, d'ouvrir leurs portes aux réfugiés quasi irrécupérables, et d'assumer ainsi leur part du fardeau. Le Canada reprend de la sorte son programme d'assistance aux réfugiés tuberculeux. Lorsqu'il a mis le Parlement au courant de cette décision du gouvernement, Mr. Green, Ministre des Affaires étrangères du Canada, a déclaré que le Haut Commissaire l'avait mal informe ; je lui avais dit en effet, à propos du premier programme, qu'il ne fallait pas se faire d'illusions sur les difficultés qu'à mon avis ne manquerait pas de. présenter la réinstallation de familles de réfugiés tuberculeux dont la plupart avaient vécu des années dans des camps. Je pensais qu'il faudrait peut-être leur venir en aide pendant encore bien des années. Or, Mr. Green a pu déclarer que la plupart de ces réfugiés, soignés dans des sanatoriums aux frais du Gouvernement canadien, avaient déjà recouvré la santé et que ces familles avaient fait preuve d'une faculté d'adaptation surprenante. Le Canada avait rarement accueilli des personnes aussi reconnaissantes, animées d'un tel désir de réussite, sachant bien que l'occasion qui leur était offerte était leur unique chance.

7. Aux Etats-Unis, le Sénat est maintenant saisi d'un projet de loi dû à l'initiative de Mr. Walter qui l'a déjà fait voter par la Chambre des Représentants. Cette loi, qui doit s'inscrire tout particulièrement dans l'effort général déployé à l'occasion de l'Année mondiale, prévoit l'admission des réfugiés aux Etats-Unis sans qu'ils aient à satisfaire à des critères sanitaires spéciaux. L'intérêt capital de ce projet est qu'il envisage d'étendre la « formule proportionnelle » aux mouvements de réfugiés ; les Etats-Unis seraient ainsi disposés à accueillir 25 pour cent du contingent total des réfugiés qualifiés qui seraient acceptés par d'autres pays au cours d'une période donnée.

8. Votre organisation et le Haut Commissariat collaborent étroitement, à tous les échelons, à l'exécution des programmes de réinstallation des réfugiés, et des instructions communes sont adressées à nos représentants locaux. Nous devons bien entendu nous appuyer, comme dans tout ce que nous entreprenons au bénéfice des réfugiés, sur ces collaborateurs fidèles, ces auxiliaires précieux que sont les sociétés bénévoles. Et ce même esprit de coopération existe également avec le Programme américain en faveur des évadés (USEP). Nous avons parfois réussi à organiser nos programmes de façon à les rendre profitables pour des pays auxquels la présence de réfugiés imposait, du fait de leurs possibilités économiques, un lourd sacrifice. Nous avons de la sorte aidé l'Italie et, dans une certaine mesure, la Grèce.

9. L'Année mondiale a également donné une impulsion considérable aux programmes d'émigration des réfugiés ordinaires. L'Australie a très rapidement appliqué certaines mesures qui, je crois, avaient été préconisées au sein du Conseil du CIME : ainsi, les réfugiés peuvent désormais obtenir un visa gratuitement, les parents âgés ou autrement à charge peuvent émigrer en même temps que les enfants dont dépend leur subsistance, sans attendre que ces derniers soient installés. Les limites d'âge ont été reculées et les réfugiés pourront être patronnés par leurs parents ou amis établis en Australie.

10. L'Australie compte accueillir cette année 14.000 réfugiés ; en 1959, elle en avait accueilli 9.000, ce qui représentait déjà le contingent le plus élevé qu'ait admis un pays.

11. Le Canada poursuit l'exécution de programmes visant à recruter de la main-d'oeuvre parmi les réfugiés d'Europe sans se soucier, ce qui est très important, des qualifications professionnelles. Il a notamment entrepris un programme en faveur des réfugiés d'Italie, dont doivent bénéficier près de 500 personnes.

12. Qu'il me soit permis de parler ici, spécialement, de l'initiative exceptionnelle prise par le Royaume-Uni et le Canada : ces deux pays ont en effet autorisé des collectivités, des groupements et des particuliers à faciliter l'immigration de réfugiés, si handicapés soient-ils, et ce en nombre illimité.

13. En cette Année mondiale du réfugié, nos deux organisations poursuivent et resserrent leur coopération déjà étroite, afin de tirer le meilleur parti possible des facilités qui nous sont offertes à cette occasion. L'Année mondiale a pour seul objectif, non pas tant de permettre une oeuvre qui aurait été accomplie de toute façon, mais plutôt de rechercher de nouvelles possibilités de réinstallation et de recueillir un surcroît de fonds, pour aider un plus grand nombre de réfugiés.

14. Je n'ai pas, et ne saurais avoir, de secrets pour l'instance supérieure d'une organisation avec laquelle nous coopérons si étroitement et dont l'action complète si bien la nôtre. En cette Année mondiale du réfugié, le Haut Commissaire s'est fixé pour objectif un programme dont le coût s'élèverait à 12 millions de dollars ; or, on nous a versé, annoncé ou promis à ce jour 6,123.000 dollars. Il y a là en un sens de quoi être déçu, car nous nous trouvons donc pour le moment avec un découvert, sinon un déficit, de l'ordre de 5.800.000 dollars. Mais nous n'en restons pas moins persuadés que si nous faisons appel à toutes les bonnes volontés, nous pourrons encore, sans doute au prix de grands efforts, augmenter le montant des ressources mises à notre disposition.

15. Toutefois, nous pouvons d'ores et déjà nous faire une idée plus précise et . plus nette de la façon dont se répartiront les fonds recueillis au titre de L'Année mondiale. Chaque pays, chaque comité national pour l'Année mondiale a, vous ne l'ignorez pas, toute latitude de désigner les groupes de réfugiés, et les réfugiés, quel que soit le pays où ils se trouvent, auxquels ils veulent voir affecter leurs contributions. Or, on s'est intéressé beaucoup plus au sort des réfugiés hors d'Europe. C'est ainsi que les réfugiés chinois de Hong Kong, auxquels, pendant longtemps, l'opinion publique est restée indifférente, sont très reconnaissants de voir que le monde s'intéresse maintenant beaucoup plus à leur sort.

16. J'ai accepté comme toujours et je continuerai d'accepter avec reconnaissance les fonds versés par les gouvernements ou les comités nationaux, et destinés au CIME qui doit les employer pour le transport des réfugiés relevant du mandat du Haut Commissaire. Dans certains cas, ces fonds nous sont confiés non pas sous condition absolue que nous les remettrons au CIME, mais à condition que nous le fassions au cas où le transport des réfugiés relevant du mandat du Haut Commissaire se trouverait compromis faute de ressources. Lorsque le Haut Commissariat a reçu pour instruction de remettre les fonds au CIME si les opérations de transport de ce dernier accusent un déficit, je vous remettrai les fonds dès le moment où l'existence de ce déficit sera établie.

17. Je suis tout disposé aussi, comme je l'ai toujours été, à soutenir dans toute la mesure de mes moyens, les initiatives prises dans le domaine des appels de fonds par le Directeur de votre organisation, comme aussi bien à appeler l'attention des gouvernements, des institutions privées et de l'opinion publique sur les très importants besoins que le transport des réfugiés impose au CIME. l'intérêt que le Haut Commissariat porte aux besoins du CM constitue à mon avis une forme d'égoïsme éclairé car nous considérons l'émigration, parallèlement aux autres solutions permanentes que sont le rapatriement volontaire ou l'intégration, comme l'une des solutions les plus importantes au problème des réfugiés et nous savons aussi qu'il est fort difficile d'imaginer comment accomplir notre tâche sans le concours de votre organisation.

18. L'Année mondiale du réfugié a permis à nos deux organisations de resserrer encore leurs liens de collaboration, et j'espère que cette collaboration se poursuivra pour le plus grand profit et du CIME et du Haut Commissariat, unis dans un commun effort.