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« L'oeuvre internationale d'assistance aux réfugiés ; ses incidences économiques et sociales » : allocution prononcée par M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés

Discours et déclarations

« L'oeuvre internationale d'assistance aux réfugiés ; ses incidences économiques et sociales » : allocution prononcée par M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés

1 Janvier 1962

Laissez-moi vous dire tout d'abord, Mesdames et Messieurs, tout le plaisir que j'éprouve à prendre aujourd'hui la parle devant une telle assistance, où se trouvent rassemblées des personnalités si averties des grands problèmes de l'heure. Ce privilège, auquel je suis, croyez-moi, extrêmement sensible, je le dois vous le savez à l'Institut pour l'étude des questions politiques internationales, que je voudrais ici remercier en la personne de son secrétaire général, M. le Professeur BASSANI.

Si j'ai choisi ce soir de vous parler des conséquences économiques et sociales de l'oeuvre d'assistance aux réfugiés, ce n'est pas seulement dans la pensée qu'il s'agit là d'un sujet qui trouvera auprès d'un auditoire tel que le vôtre un écho plus direct et plus familier. C'est aussi parce que cette oeuvre, si modeste qu'elle soit, rejoint en la circonstance ce qui constitue à mon avis la plus grande entreprise de notre temps - celle qui peut-être commande en définitive le destin même de l'espèce humaine - je veux dire la lutte contre la misère sous toutes ses formes, en passant par l'aide aux populations et aux pays insuffisamment développés.

Le problème des réfugiés est lui, vous le savez, aussi vieux que le monde. Les grandes invasions qui ont balayé jadis des contingents entiers, les guerres de religion, les guerres tout court avec leur cortège habituel de souffrances et les remaniements territoriaux auxquels elles donnent généralement lieu, tous ces événements qui tissent la trame de notre histoire ont donné naissance dans le passé à des mouvements de population de plus ou moins grande amplitude, et, partant, à des problèmes de réfugiés. Ce qu'il y a de nouveau, par contre, aujourd'hui, c'est la conscience que le monde a prise des drames qui en résultent pour des milliers d'êtres humains dans la détresse, et des obligations impératives qui dès lors en découlent pour la communauté des peuples de la terre. Chacun sur cette planète sait maintenant plus ou moins, et en tout cas sait chaque jour davantage, qu'il est en fait solidaire de son voisin ; que les maux qui aujourd'hui affectent l'un peuvent demain, sans rémission, atteindre l'autre. Ainsi la lutte contre la misère et la souffrance est-elle devenue une sorte de règle d'or de la condition humaine, l'objectif primordial de toute politique constructive à l'échelle mondiale.

Avant d'en venir au coeur même de mon sujet, il me faut cependant, je crois, Mesdames et Messieurs, vous dire en quelques mots ce qu'est le Haut Commissariat et quels objectifs il poursuit. Créé en décembre 1950 par l'Assemblée générale des Nations Unies, le Haut Commissariat a reçu pour mission d'assurer la protection internationale des réfugiés et de rechercher des solutions permanentes à leurs problèmes, soit en facilitant leur rapatriement librement consenti, soit en permettant leur assimilation complète et rapide dans de nouvelles communautés nationales.

Sa tâche en matière de protection peut se résumer d'un mot : il s'agit, en l'absence de la protection dont jouit normalement un étranger de la part des instances diplomatiques et consulaires de son pays, de garantir aux réfugiés l'exercice des droits essentiels, sans lesquels il n'est pas de liberté ni d'assimilation possible dans une communauté nouvelle. Par un curieux paradoxe en effet, la condition du réfugié est devenue de plus en plus précaire et difficile au fur et à mesure que progressaient les législations internes, dans le domaine économique et social. En même temps qu'elles apportaient aux nationaux de nouveaux avantages et de nouvelles sauvegardes, ces législations tendaient en effet à les protéger contre la concurrence des éléments étrangers. D'où les limites apportées au droit au travail et, par voie de conséquence, à l'admission à résidence des étrangers. Un mouvement en sens inverse, certes, se dessine à l'heure actuelle et s'est traduit déjà, sur le plan européen, par des mesures concrètes. Mais le problème néanmoins est loin encore, pour les réfugiés notamment, d'être entièrement résolu.

Autre paradoxe qui ne serait pas moins surprenant si nous n'étions habitués à ce genre de choses dans un monde qui, hélas, ne parvient pas toujours à suivre les progrès de la technique : alors que quelques heures suffisent maintenant pour franchir les océans et passer d'un continent à un autre, jamais, dans le passé, la circulation des hommes et des biens n'a connu autant d'entraves administratives. Nul n'ignore que le passeport, avec ou sans visa préalable, est sinon une invention récente, du moins cet indispensable « Sésame » dont l'usage généralisé ne remonte pas au-delà de l'avant dernière guerre. Le temps est fini donc où nos pères pouvaient circuler de par le monde sans papiers d'identité ou presque, et sans autre embarras que ceux résultent de la lenteur de moyens de transport aujourd'hui considérés comme désuets. Or ce qui, pour l'homme normal, n'est au fond qu'un inconvénient mineur se traduisant seulement par une perte de temps, représente pour le réfugié un tout autre handicap : il lui faut en effet franchir parfois une ou plusieurs frontières sans autorisation, et obtenir ensuite le droit de séjourner dans le pays où il a cherché asile, puis, s'il n'est pas admis a s'y fixer, attendre de longs mois, sinon des années, le visa pour un autre pays.

Ce sont ces difficultés que le Haut Commissariat a pour tâche d'aplanir, autant qu'il le peut. Les réfugiés ne bénéficiant pas des conventions d'établissement ou autres accords bilatéraux qui garantissent aux ressortissants des différents Etats certains avantages mutuels, il lui faut faire appel à la bonne volonté, à la compréhension des gouvernements, en soulignant l'intérêt humain et les raisons de tous ordres qui militent an faveur de l'extension de ces avantages aux réfugiés qu'on ne peut maintenir dans la situation d'éternels déclassés.

La protection proprement dite mise à part, dont l'un des objectifs essentiels est la mise en application dans le plus grand nombre possible de pays de la Convention du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, les efforts du Haut Commissariat se déploient essentiellement dans le sens qu'exprime la trilogie maintenant familière : rapatriement librement consenti ; intégration dans le pays d'asile ; émigration dans d'autres pays. Mais il est un fait que l'expérience a mis très rapidement en évidence : c'est qu'aucun de ces objectifs fondamentaux ne peut pratiquement être atteint si l'instance internationale chargée de leur mise en oeuvre ne dispose, en dehors du prestige que lui confère sa vocation humanitaire, de quelques moyens financiers lui permettant d'aider les réfugiés, notamment les plus déshérités d'entre eux, à se sortir de l'impasse dans laquelle ils se trouvent, et d'aider aussi parfois les pas d'accueil à faire face aux charges immédiates qu'ils ont à supporter du fait d'un afflux de réfugiés dépassant leurs capacités d'absorption. Ainsi le Haut Commissariat a-t-il été autorisé en octobre 1954 à recueillir et à gérer les fonds qui lui parviendraient de source politique et privée de en vue de l'assistance aux réfugiés. N'ayant pas lui-même la possibilité d'agir directement, il est habilité à mettre ces fonds à la disposition des organismes qui lui paraissent les plus qualifiés pour la mise en oeuvre des projets élaborés sur son initiative et sous son contrôle, et sous celui aussi du Comité exécutif, actuellement composée des représentants de 25 pays plus spécialement intéressée au problème des réfugiés, dont bien entendu l'Italie.

Tels sont donc, Mesdames et Messieurs, très brièvement esquissés, les buts assignés au Haut Commissariat, et le cadre dans lequel il se meut. Pour vous donner maintenant une idée plus précise de l'ampleur relative de son action dans le domaine de l'assistance matérielle, je vous dirai que les sommes recueillies par lui depuis 1955 jusqu'au 31 décembre 1961 pour la mise en oeuvre de ses programmes réguliers d'assistance s'élèvent au total à 36 millions de dollars des Etats-Unis. Si l'on y ajoute les contributions d'appoint qu'en règle générale les pays de résidence des réfugiés sont tenus de fournir, le coût global de ces programmes s'élève à environ 32 millions de dollars.

A ces chiffres il y a lieu d'ajouter 11.200.000 dollars dépensés pour les réfugiés du Moyen-Orient, et les dépenses afférentes à l'oeuvre d'assistance aux réfugiés d'Algérie en Tunisie et au Maroc, qui se sont élevées à 7 millions de dollars en 1961, le budget prévu pour 1962 s'établissant à 8 millions de dollars. En outre le HCR a reçu pendant la même période quelque 2 millions de dollars pour des réfugiés qui ne relevaient pas de sa compétence directe, et qu'il s'est borné à transmettre aux instances s'occupant de ces réfugiés.

Si l'on considère maintenant la répartition des dépenses à l'intérieur de ce budget global de 36 millions de dollars, les principaux chapitres où elles s'inscrivent et leur pourcentage par rapport à l'ensemble sont les suivants :

  • construction de logements
  • autres dépenses pour faciliter l'intégration sur place
  • placement dans des institutions ou allocation de pensions
  • aider à l'émigration

Ce dernier chapitre, je le souligne, ne comprend évidemment qu'une faible fraction des sommes dépensées pour l'émigration des réfugiés, la part de beaucoup la plus importante, qui concerne les transports, étant à la charge du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes.

Ce rapide bilan est, je crois édifiant. Il en résulte que 83% des dépenses effectuées par le Haut Commissariat au titre de ses programmes réguliers d'assistance sont des dépenses , puisqu'elles ont eu pour objet de résoudre, aussi complètement que possible, la problème des réfugiés en faisant en sorte que ces derniers redeviennent des citoyens actifs, participent utilement à la vie économique de leur pays d'adoption. Il est inutile de souligner la place que tient, dans cet effort, la construction de logements qui constitue, pour les pays intéressés, une source d'enrichissement immédiat.

Plus de 100.000 réfugiés ont été assistés comme définitivement établis. Du 1er janvier 1955 au 1er janvier 1962 le nombre des réfugiées non établis en Europe et relevant du mandat de mon office a été ainsi ramené de 250.000 à 58.000 le nombre ceux d'entre eux qui étaient hébergés dans des camps étant lui-même passé de 85.000 à 9.000. les efforts les plus vigoureux se poursuivent actuellement pour en finir avec ce problème des camps. Le programme d'évacuation que nous nous sommes tracé, programme dont le financement est d'ores et déjà assuré et qui a permis jusqu'à présent la fermeture de 70 camps en Europe dont en effet être mené à son terme au cours des deux années à venir.

Une telle oeuvre humanitaire, dans la mesure où elle permet effectivement de soulager des misères humaines, porte en elle sa propre justification. Point ne serait besoin donc, a priori, de la défendre ou de la justifier par un exposé des bienfaits qu'elle peut directement ou indirectement comporter pour d'autres que ceux auxquels elle est initialement destinée. Il se trouve cependant que la charité des hommes et l'esprit de solidarité des peuples trouvent en la circonstance une autre récompense que celle que l'on tire communément du simple devoir accompli. Comme il arrive parfois, le bienfait profite en l'espèce au bienfaiteur lui-même ; et la devise chère à Fridtjof Nansen : « L'amour des hommes est la seules politique réaliste » se trouve une fois de plus vérifiée. Car la générosité des pays où sont accueillis les réfugiés se traduit pour eux par un enrichissement sur le plan économique, social et culturel, enrichissement qui vient très rapidement compenser, et fort au-delà, l'effort financier qu'ils ont dû en général consentir au moment où ces réfugiés ont été admis sur leur territoire.

Tous nous avons présent à la mémoire l'exemple des Huguenots qui après avoir quitté la France par centaines de milliers lors de la révocation de l'Edit de Nantes, allèrent chercher refuge dans des pays voisins, la Hollande, l'Allemagne, l'Angleterre, la Suisse, Berlin vit ainsi sa population passer rapidement de 6.000 à 10.000 habitants par suite de l'arrivée des soldats, bijoutiers, gantiers, planteurs de tabac, fabricants de draps et de chapeaux.... Ce fut pour le Brandebourg, nous dit un témoignage du temps, une « autre ville et une autre vie ». Bâle et Zurich bénéficièrent elles aussi de ce précieux apport qui marqua une étape importante dans leur développement industriel. Ainsi retrouve-t-on aujourd'hui encore, en de nombreux pays d'Europe, et jusqu'outre atlantique où ils émigrèrent par la suite, des noms aux consommances françaises, des familles qui se sont perpétuées et dont certaines tiennent une place éminente dans l'industrie ou le commerce de ces pays, où ils apportèrent tous les bienfaits de leurs techniques et de leur culture.

Pour revenir aux temps présents, le premier exemple qui vienne à l'esprit d'un européen lorsque l'on évoque les incidences économiques favorables d'un éventuel afflux de réfugiés, est évidemment celui de l'Allemagne fédérale. Il n'en est de plus éloquent en effet. Tout le monde réalise les sacrifices inouïs, l'extraordinaire effort financier et d'organisation qu'a imposé à un pays ruiné, dévasté par la guerre, l'arrivée de 13 millions de Volksdeutche ou habitants de l'Allemagne de l'Est. or on sait aujourd'hui le rôle que ceux-ci jouèrent dans la résurrection de l'économie allemande, la place qu'ils tiennent dans ce « miracle allemand » qui continue de s'accomplir sous nos yeux.

On peut, dans le même ordre d'idées, citer le cas de Hong Kong, ce port florissant dont l'activité, longtemps consacrée exclusivement au commerce, s'est enrichie au cours des vingt dernières années d'industries de transformation, dont les produits sont maintenant connus et vendus dans le monde entier. Là aussi l'on eut à faire face à des difficultés sans nombre, d'une acuité et d'une ampleur extrême, lorsque, comme le disait une récente étude du « Manchester Guardian », on réalisa que les centaines de milliers de réfugiés arrivés de Chine étaient destinés à rester là, et qu'il fallait leur donner un abri et du travail. Certes, tous les problèmes sociaux soulevés par cet afflux massif de réfugiés dans un territoire aussi exige n'ont-ils pas, il s'en faut, été résolus ; mais cet afflux n'en a pas moins été générateur de développement et de progrès.

En vérité, il n'est pas de cas où l'admission dans un pays de réfugiés ne se sont traduite d'une manière ou d'une autre par un enrichissement économique, qu'il s'agisse de l'accroissement de la production dans certaines branches, de la création d'industries nouvelles, de l'ouverture de nouveaux marchés, ou de l'apparition de modes de production jusqu'alors inédits dans le pays en cause.

Les exemples fourmillent, et ceux que fournissent les grands pays d'immigration sont évidemment parmi les plus patents. Qu'il s'agisse des Etats-Unis, du Canada ou de l'Australie, les statistiques démontrent que l'accroissement de leur potentiel économique est directement t lié à l'arrivée des immigrants, parmi lesquels les réfugiés. S'il est évidemment difficile d'isoler la part exacte qui, dans ce spectaculaire développement, revient à ces derniers, on peut certainement tenir pour acquis que cette part est extrêmement substantielle, voire essentielle en de nombreux domaines, en ce qui concerne les sciences notamment.

Mais venons-en maintenant, si vous le voulez bien, aux projets mis an oeuvre dans le cadre du programme d'assistance élaboré et financé, au moins partiellement, par le Haut Commissariat.

Peut-être certains d'entre vous, Mesdames et Messieurs, ont-ils entendu perler déjà du projet qui, en accord avec le Gouvernement italien et sur l'initiative de l'acteur américain Bon Murray, a été mis sur pied en Sardaigne pour le reclassement de réfugiés dans l'agriculture. Choisies parmi celles qui séjournaient depuis de longues années dans les camps et qui, en raison de divers handicaps, n'avaient pu émigrer, quinze familles s'efforcent aujourd'hui, au prix de beaucoup d'initiative et de persévérance tant de leur part que de celle des organisateurs, de s'implanter sur des terres jusqu'alors incultes, non loin de la petites ville d'Oristano. Après que l'on eût construit les maisons, défriché puis irrigué ces terres avec le concours actif de Bon Murray qui participe lui-même aux travaux, on a maintenant semé et planté: orangers, citronniers, artichauts et autres légumes qui se vendent aisément sur le marché local. Des activités annexes, de caractère artisanal, sont nées dans l'enceinte de cette petite communauté, organisée sous forme de coopérative : élevage de poulets, fabrique de parpaings que l'on utilise pour la construction de maisons et pour celle aussi de digues ou barrages nécessaires à l'irrigation. Certes il reste des difficultés à vaincre avant que l'on puisse juger définitivement du succès de cette entreprise, à laquelle on espère adjoindre, dans un proche avenir, deux ou trois familles supplémentaires, dont certaines ne comptent pas moins de 8 à 10 personnes. Celle tentative, quoi qu'il en avait s'inscrit dans le cadre général du plan de développement établi par le Gouvernement italien. Mis à part un apport substantiel, aussi bien financier qu'en nature (tracteurs, équipement, cheptel) en provenance de l'extérieur, il y a tout lieu de penser donc qu'elle aura sur l'ensemble un effet stimulant qui sera loin d'être négligeable.

Une expérience plus ou moins identique se développe actuellement en France. Sur l'initiative et sous l'impulsion d'hommes désintéressés et qui assistaient avec tristesse au dépeuplement progressif de la Haute Provence, une association s'est constituée qui porte le nom de « Villages ouverts » et qui se propose de redonner vie à des villages agonisants. Un contact ayant été pris, au hasard des circonstances, avec l'un des fondateurs de cette association, celui-ci s'est immédiatement enthousiasmé à l'idée de faire profiter des réfugiés de son entreprise. Un premier groupe de 29 réfugiés albanais, appartenant tous à une même famille, s'est ainsi installée, il y a trois mois à peine, dans une ferme abandonnée achetée à leur intention. Fort occupés actuellement à la remise en état des bâtiment en partie délabrés, ces réfugiés attendent l'arrivée de la belle saison pour commencer l'exploitation de leurs terres. Une vache est à l'étable dont le lait nourrit les nombreux enfants que compte cette grande famille. Onze réfugiés supplémentaires, groupés en trois familles, sont attendus prochainement, ce qui portera à 40 le nombre des habitants de cette petite communauté nouvelle.

Un autre projet similaire, qui intéressera également 40 réfugiés venant cette fois des camps d'Italie, est actuellement en cours de réalisation, grâce au concours financier d'un citoyen américain et de l'Aide suisse à l'étranger. Indépendamment des travaux agricoles qui constitueront l'essentiel de leurs activités, ces réfugiés pourront en outre, soit en permanente, soit pendant la saison d'hiver, trouver dans les petites industries des ceux villes voisines un travail rémunérateur.

La Grèce, elle aussi, a vu naître une entreprise du même ordre avec le projet d'établissement dans l'agriculture de cent familles de réfugiés. Situé à Vigla, dans le Nord-Est de la Grèce, ce projet fait partie intégrante du plan de mise en valeur de la vallée de l'Arta, région actuellement aride où vit une population clairsemée. A la date du 31 décembre 1960, 389 réfugiés étaient établis déjà grâce au projet patronné par le Haut Commissariat, et environ 100 places étaient créés dans le centre communautaire du village où l'on prodigue une formation professionnelle accélérée et facilite l'établissement des contacts avec la population autochtone. En plus des quelque 300.000 dollars alloués par le Haut Commissariat, ce projet a bénéficié de nombreux concours extérieurs aussi bien sous forme de dons en nature que de la participation de groupes de travailleurs volontaires qui viennent de divers pays apporter leur soutien matériel et moral à ces nouveaux colons.

Les travaux d'irrigation entrepris ont permis d'effectuer, l'automne passé, les premières récoltes. Bien que celles-ci aient été satisfaisantes, il apparaît nécessaire de développer encore certaines activités complémentaires, de caractère artisanal, afin d'assurer à chaque famille des revenus suffisants. Mais d'ores et déjà, le projet de Vigla s'avère plein de promesse et contribuera, sans nul doute, de la manière la plus positive, au programme plus vaste que s'est tracé le gouvernement grec pour la mise en exploitation de régions aujourd'hui quasi désertiques.

Ce sont là des exemples de contributions immédiates et concrètes apportées par le programme du HCR à l'économie des pays intéressés. Mais ce programme a eu aussi en certains cas des effets indirects, dont le plus spectaculaire est celui sans doute que l'on a enregistré en Autriche à propos du plan d'évacuation des camps. Entraîné par l'exemple, et soucieux de trouver pour ses nationaux hébergés dans des camps, des solutions identiques à celles qui étaient en cours d'exécution pour les réfugiés étrangers, le Gouvernement autrichien a décidé de mettre sur pied un programme parallèle pour le financement duquel le HCR a été heureux de pouvoir prêter ses bons offices.

Notre programme d'assistance ayant ou essentiellement pour cadre l'Europe, et plus précisément l'Allemagne, l'Autriche, la France, l'Italie et la Grèce, c'est tout naturellement dans quelques-uns de ces pays que j'ai puisé en premier lieu des exemples qui n'ont paru particulièrement caractéristiques des objectifs que s'est assigné ce programme et de ses effets sur le plan économique et social. Mais l'assistance du Haut Commissariat, si elle a bénéficié le plus souvent, jusqu'à une date récente, à des européens, n'a pas été pour autant limitée à l'Europe. C'est ainsi que nous avons été amenés à participer au financement de la réinstallation au Brésil d'un groupe de 500 réfugiés d'origine européenne appartenant à la secte religieuse des « Vieux Croyants » et provenant du Sinkiang où ils s'étaient établis après la révolution russe. Non seulement ces hommes aux moeurs patriarcales, profondément attachés à leurs croyances et à leur mode de vie semi-communautaire, se sont parfaitement adaptés dans la province du Parana où ils ont été implantés avec le concours actif d'une agence bénévole et des autorités locales, main ils y ont apporté un tel élément d'initiative, de compétence et de productivité que le gouverneur de la province souhaite maintenant voir renouveler cette expérience fructueuse.

Il est enfin un continent qui, depuis peu, est en train, en raison des vastes bouleversements dont il est le théâtre, de faire à son tour la triste expérience des problèmes de réfugiés. Ce continent, vous l'avez deviné, c'est l'Afrique, plusieurs pays, le Congo, le Togo et le Tanganyika notamment, viennent, après la Tunisie et la Maroc, de faire appel au concours du Haut Commissariat pour les aider à faire face à une situation critique née de l'afflux d'un nombre parfois considérable de réfugiés sur leur territoire : près de 200.000 réfugiés au Congo, dont 140.000 venus d'Angola et 40.000 du Ruanda, 3.500 en provenance de ce dernier pays au Tanganyika et 10.000 réfugiés au Togo sur lesquels notre attention a été également appelée et dont nous avons commencé à nous occuper.

L'objectif est simple : prodiguer à ses réfugiés l'assistance immédiate qui leur est indispensable et faire en sorte qu'ils puissent travailler et subvenir dès que possible à leurs propres besoins.

Au Togo par exemple, nous avons suggéré que la Croix-Rouge locale, avec l'appui de la Ligue des Sociétés de Croix-Rouge, organise sans tarder les secours les plus urgents, cependant que le Gouvernement étudie lui-même, en liaison avec les services de l'Assistance technique et toutes les autres instances qualifiées ou intéressées réunies en un petit groupe de travail, l'élaboration d'un plan de développement économique et social d'une région actuellement déshéritée du Togo, où les réfugiés pourraient être aisément intégrés.

Dans ce pays comme dans presque tous les pays africains il existe en effet des terres incultes, cependant que les réfugiés sont eux-mêmes, pour la plupart, accoutumés aux travaux agricoles. Il peut suffire donc d'amorcer la solution grâce à quelques initiatives opportunes et A une action concertée, pour qu'elle ne tarde pas à prendre corps. C'est à quoi nous nous employons, en accord avec les gouvernements, et avec le concours actif d'organisations comme la Ligue des Sociétés de Croix-Rouge ou d'autres agences bénévoles, sans parler bien entendu des instances spécialisées des Nations Unies telles que la FAO ou l'UNICEF.

Ainsi peut-on espérer écarter petit à petit le spectre de la misère dont ces réfugiés donnent trop souvent aujourd'hui la hideuse et angoissante image, tout en leur fournissant l'occasion de participer à une oeuvre constructive qui parfois peut-être n'eût pas vu si tôt le jour, n'eût été l'acuité du problème qui s'est trouvé posé du fait de leur arrivée. C'est là, vous en conviendrez, une oeuvre non seulement d'humanité mais de justice, tant vis-à-vis des réfugiés que des populations qui, si généreusement, les ont accueillis, partageant avec eux leur demeure et leurs maigres ressources.

Vous seriez surpris je pense, Mesdames et Messieurs, que j'en termine avec ce tour d'horizon international sans avoir évoqué rapidement la façon dont se pose actuellement le problème des réfugiés en Italie.

L'un des principes constants de la politique italienne est, vous le savez, qu'étant hors d'état d'absorber les réfugiés que généreusement il accueille, ce pays peut seulement leur offrir un asile temporaire. La règle donc est que les réfugiés étrangers doivent émigrer, dans le plus courts délais possibles. Telle est en fait la solution qui intervient pour la plupart d'entre eux, et tous nos efforts, conjugués avec ceux du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes, sont orientés en ce sens. Le fait est cependant - et il n'est bien sûr pas particulier à l'Italie - que l'émigration s'avère parfois difficile sinon impossible à réaliser lorsqu'il s'agit de réfugiés appartenant à l'une des diverses catégories de handicapés, physiques ou sociaux. Ainsi a-t-on assisté pendant de nombreuses années à l'accumulation progressive dans les camps d'Italie de réfugiés qui, las de se voir refuser l'accès de pays d'asile définitif, sombrèrent peu à peu dans une morne apathie, à moins que ce ne soit dans l'amertume ou le désespoir.

Grâce aux efforts déployés par le Haut Commissariat, efforts puissamment secondés, je dois le dire, par la vague de sympathie soulevée en de nombreux pays par l'Année mondiale du réfugiés, cette plaie est en train, peu à peu, de se refermer. Les grands pays d'immigration ont compris notamment que les critères stricts appliqués à la sélection d'immigrants nationaux ne permettaient pas de résoudre comme il convient le problème des réfugiés. Et ils ont pris une conscience plus claire et plus précise de leur devoir de solidarité vis-à-vis des pays de premier accueil.

Aujourd'hui donc par le groupe résiduel les réfugiés handicapés est en voie de résorption. Certains sont encore là cependant, et il s'agit bien entendu de ceux qui sont atteints des plus graves handicaps. La tentation en vérité serait grande de considérer que ce sont la des cas désespérés et que mieux vaudrait renoncer à chercher pour eux d'impossibles solution. Mais, quoi renoncer lorsqu'il s'agit d'être humains comme ceux dont vous avez pu voir, dans la salle voisine, les éloquentes et émouvantes photographies ? On ne renonce pas à l'espérance, lorsque celle-ci notamment s'appuie sur de solides exemples comme celui des réfugiés tuberculeux admis au Canada et en Suède. Sur les 1.600 tuberculeux accueillis au coure des années passées par de dernier pays, une cinquantaine seulement, aux dernières nouvelles, n'ont pu être encore fermement rétablis. Quant au Canada, la facilité et la rapidité avec lesquelles ces mêmes réfugiés tuberculeux se sont réadaptés et remis au travail a été, pour les autorités elles-mêmes, une surprise et a fait leur admiration. Pendant de longues années, cependant, ces cas avaient, eux aussi, été considérés comme plus ou moine désespérés.

C'est pour en avoir le coeur net, et pour avoir savoir comment orienter nos efforts, que nous avons demandé récemment à un éminent spécialiste, le Dr. Jansen attaché à la mission australienne à Rome, de procéder à un examen systématique de tous les réfugiés se trouvant dans les camps en Italie et que l'on n'est pas parvenu jusqu'à présent à reclasser ou à faire émigrer. Il s'agit de 400 personnes environ, dont 300 sont comprises déjà dans notre programme d'évacuation des camps. Un dossier médical et social complet a été établi pour chacun d'eux. Or les premières conclusions du rapport du Dr. Jansen nous incitent là encore à un optimisme raisonnable. Déjà, grâce à son travail, l'on a bon espoir de faire admettre prochainement en Suède et en Norvège un certain nombre de ces réfugiés qui vont être examinés incessamment par les missions envoyées par chacun de ces deux pays, dans le cadre de leur programme en faveur des réfugiés handicapés. D'avance néanmoins nous savons qu'une partie d'entre eux ne pourra pas être acceptée, les pays intéressés ne disposant pas eux-mêmes d'institutions appropriées, où ces réfugiés puissent être utilement admis et traités.

D'où l'idée de créer, en Italie même, un centre où les quelque 100 à 200 réfugiés qui probablement resteront, pourraient être regroupés et installés dans une atmosphère autre que celle d'un camp ordinaire. Ainsi naquit le projet de communauté protégée de San Antonio aux environs de Salerno. Sa conception participe d'expériences déjà effectuées en France et en Allemagne avec les ateliers protégés, où des réfugiés particulièrement handicapés font l'objet d'une réadaptation systématique et progressive qui permet à une partie d'entre eux d'être finalement reclassés dans l'industrie privée, tandis que les plus atteints sont appelés à demeurer dans l'atelier, où ils perçoivent, grâce aux subventions de l'Etat, le salaire minimum professionnel garanti, auquel vient éventuellement s'ajouter une part des bénéfices réalisés par l'entreprise. Chaque famille sera, à San Antonio, dotée d'un logement séparé et continuera à bénéficier de la présence d'assistants sociaux ainsi que d'une surveillance psychiatrique appropriés. On s'efforcera de remettre peu à peu ces réfugiés au travail, grâce à l'installation d'ateliers reliés à des industries locales, et de les reclasser ensuite, chaque fois que cela apparaîtra possible, dans le secteur privé. Le coût de ce projet en cours d'élaboration s'élève à 250 millions de lires, dont 95 millions sont fournies par le Haut Commissariat.

Mais, me direz-vous, si l'on aperçoit clairement les objectifs humanitaires d'entreprises de ce genre, quelle peut bien être leur incidence sur le plan économique et social, et quel profit l'Italie, ou tel autre pays, peut-il escompter en tirer ? Ce profit certes n'est ni direct ni immédiat. Le projet implique en effet, dans le présent, une dépense d'investissement, et, dans le futur, des frais de fonctionnement non négligeables. Encore faut-il cependant tenir compta, s'il s'agit notamment du projet de San Antonio, des dépenses qu'en tout état de cause l'Italie sût dû supporter pour l'entretien indéfini de ces réfugiés dans un camp. Au lieu de la solution de facilité et de paresse et des dépenses totalement improductives qu'elle sût Impliqué, l'Italie a préféré la solution humaine, tellement plus conforme à son génie, qui fait appel à un effort d'imagination et de création. Et l'on peut penser que, comme cela est pratiquement le cas chaque fois que l'on a le courage d'innover, elle ne tardera pas à en recevoir le bénéfice sous les formes les plus diverses, et souvent les plus inattendues. L'effet stimulant de telles expériences est tel en effet qu'elles servent le plus souvent de modèles ou sont en tout cas le point de départ d'expériences du même ordre, appelées, celles-là, à bénéficier aux nationaux eux-mêmes.

Quelles conclusions pratiques tirer, Mesdames et Messieurs, de ce rapide examen, où je me suis efforcé de mettre en lumière, à partir de quelques exemples concrets, ce qu'est, dans ses grandes lignes, l'oeuvre d'assistance aux réfugiés et ce qu'elle représente en fait, pour les pays bénéficiaires, vus sous l'angle de ses incidences économiques et sociales ?

Ces conclusions sont à mon avis de deux ordres. Il est clair tout d'abord que, pour être efficace et atteindre pleinement son but, l'assistance aux réfugiés doit prendre place dans le cadre plus vaste et plus général du développement économique et social des pays en cause. Pas plus qu'on ne bâtit sur le sable, on ne peut imaginer de solution constructive à un problème humanitaire comme celui des réfugiés hors du contexte qui lui est propre, sans tenir compte de la structure et des besoins de la communauté où il se situe. Ce postulat, qui vaut pour l'Europe, s'impose avec infiniment plus de force dans des pays économiquement arriérés où l'assistance que mon office peut prodiguer à certains groupes de réfugiés prend immédiatement un relief et revêt une importance qu'elle ne saurait avoir dans les pays européens par exemple.

De même ne peut-on, sur un plan strictement humain, isoler les réfugiés des populations au milieu desquelles ils vivent. Dans certains des pays dont je viens de parler où la malnutrition sévit à l'état endémique, on ne saurait porter secours aux uns sans se préoccuper aussi des autres. C'est ainsi qu'au Congo l'UNICEF, en collaboration avec la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge, distribue du lait aux enfants congolais en mêmes au Togo lorsque nous essayons, comme je le disais tout à l'heure, de provoquer et de faciliter la mise sur pied d'un plan de mise en valeur d'une région aujourd'hui quasi désertique, plan qui profiterait au pays et à ses habitants en même temps qu'il permettrait l'intégration de réfugiés qui vivent aujourd'hui de la seule charité des populations locales.

C'est sur les pays sous-développés, donc, vous en êtes à coup sûr conscients, Mesdames et Messieurs, qu'il nous faut aujourd'hui mettre l'accent, quelques préoccupations que nous puissions avoir par ailleurs, du fait notamment de l'existence de groupes encore relativement importants de réfugiés. Car ces pays, dans leur ensemble, désirent ardemment à leur tour s'engager dans la voie du progrès économique et social ; ils aspirent à un mieux être qui ne saurait leur être indéfiniment refusé. Quant aux charges que leur impose la venue de dizaines, voire de centaines de milliers de réfugiés, elles dépassent, et de fort loin, est-il besoin de le dire, leurs propres possibilités économiques et financières.

Ainsi le devoir de la Communauté internationale, et celui de l'Europe en particulier, apparaît-il tout tracé. Car notre vieille et toujours jeune Europe ne saurait oublier qu'elle doit elle-même, dans une large mesure, son actuelle prospérité à l'aide extérieure qui lui fut généreusement prodiguée après la dernière guerre et qui lui permit alors de surmonter les terribles désastres qu'elle venait de subir. Elle ne saurait davantage oublier, sans se renier elle-même, l'assistance qu'elle a reçu et qu'elle reçoit encore pour l'aider à faire face à ses propres problèmes de réfugiés. Car telle est la règle intangible, la règle sacrée qui gouverne tout effort de solidarité internationale, qui commande tout progrès de l'esprit de solidarité dont je saluais, au début de cet exposé, le récent et heureux avènement, en même temps que j'en soulignais l'exceptionnelle importance. La solidarité internationale, comme toute autre forme de solidarité, se nourrit de réciprocité. Elle ne saurait, par nature être à sens unique, les une étant appelés à donner, les autre à recevoir. Et c'est là pourquoi je me fais un tel devoir d'insister en toute occasion pour que les pays qui eux-mêmes bénéficient de l'oeuvre d'assistance aux réfugiés sachent accomplir, en temps utile, et dans la limite bien sûr de leurs moyens, ce geste généreux et spontané qui témoigne de la claire conscience qu'ils ont, eux-aussi, des bienfaits de la solidarité à l'échelle humaine, à l'échelle mondiale.

Le monde, a dit le Secrétaire général des Nations Unies dans son message du Nouvel-An, le monde ne survivre que par la coopération. C'est là un propos que nous ne saurions trop méditer. Si chacun de nous pouvait s'en inspirer dans ses pensées et dans ses actes, peut-être serait-il plus aisé aujourd'hui aux gouvernements - car demain ne sera-t-il pas trop tard ? - d'instaurer dans le monde cette paix, cette harmonie profonde et véritable à laquelle nous aspirons tous.

Laissez-moi, en terminant, Mesdames et Messieurs, vous remercier encore de l'esprit qui a présidé à l'organisation de cette réunion, dans cette sympathique ville de Milan, si impressionnante par son dynamisme et son rayonnement qui dépasse largement, vous le savez, les frontières de ce pays, et vous remercier plus encore de l'aimable attention que vous avez bien voulu m'accorder.