OBSERVATIONS ET PROPOSITIONS RELATIVES A LA CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : Exposé présenté par le Comité de coordination d'Organisations juives, Organisation non gouvernementale entretenant des relations aux
OBSERVATIONS ET PROPOSITIONS RELATIVES A LA CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : Exposé présenté par le Comité de coordination d'Organisations juives, Organisation non gouvernementale entretenant des relations aux
A/CONF.2/NGO.14
Le Secrétaire exécutif a reçu l'exposé suivant dont le texte est distribué conformément à l'article 27 du Règlement intérieur de la Conférence.
Date de la communication : 29 juin 1951
Date de la réception : 9 juillet 1951.
Observations et propositions relatives à la Conférence de plénipotentiaires sur le Statut des réfugiés et des apatrides le 29 juin 1951
Le Comité de coordination d'Organisations juives, qui sera par la suite désigné par les initiales « CBJO », a suivi avec un vif intérêt les travaux du Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes et désire présenter les observations suivantes à la Conférence de plénipotentiaires sur le Statut des réfugiés et des apatrides.
I
Le CBJO se rend bien compte des raisons qui ont amené le Comité spécial à concentrer ses efforts sur les mesures de protection des réfugiés et des apatrides et à laisser à la Commission de droit international le soin de résoudre le problème à long terme de la suppression de l'apatridie. Une solution de ce problème à long terme mettrait sans doute en jeu des considérations juridiques compliquées et obligerait de nombreux Etats à modifier leur législation et, à certains égards, les fondements mêmes de leur système juridique. Etant donné les difficultés auxquelles on s'est heurté à ce sujet antérieurement, et le manque de succès relatif des conventions antérieures, il semble justifié de séparer les problèmes exigeant une solution à court terme, tel que celui de la protection des réfugiés et des apatrides, des questions à long terme concernant la suppression de l'apatridie.
Le CBJO désire souligner de nouveau qu'à sa conviction, la suppression définitive de l'apatridie est un problème urgent qui mérite de retenir prochainement la complète attention des Nations Unies. Dans ses documents de base, le Secrétariat a indiqué rapidement les divers facteurs qui conduisent à l'apatridie. Dans certains cas, l'apatridie peut provenir du conflit de concepts juridiques (jus soli et jus sanguinis), dans d'autres cas, de la législation relative au mariage et, dans d'autres cas encore, de raisons politiques diverses. La découverte d'une solution complète et satisfaisante correspondant à toutes les situations pourra se révéler difficile et exigera une longue préparation. Une convention embrassant tous les aspects du problème peut ne pas être jugée acceptable par tous les Etats. Aussi le CBJO propose-t-il qu'un certain nombre de conventions distinctes soient préparées, chacune d'elles traitant d'un aspect particulier de l'apatridie.
La Commission de la condition de la femme s'occupe déjà de l'apatridie lorsque celle-ci résulte du conflit des lois relatives à la nationalité de la femme. Le Comité estime qu'une autre question exigeant une solution urgente est celle qui a trait à la création de l'apatridie à la naissance. Si une convention est rédigée de telle sorte qu'il soit impossible qu'un enfant naisse apatride, la difficulté essentielle du problème sera supprimée et un grand pas aura été fait vers la suppression de l'apatridie. La proposition du représentant du Danemark, qui est reproduite dans le Rapport du Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes (E/1618 et Corr.1, E/AC.32/5/Corr.1) ferait aussi avancer considérablement la solution de cet aspect du problème.
II
Le CBJO a examiné le projet de Convention relative au statut des réfugiés, ainsi que le projet de Protocole relatif au statut des apatrides ; il a été profondément impressionné par l'esprit généreux et véritablement libéral de ces deux textes. Le CBJO demande instamment à la Conférence de plénipotentiaires d'adopter dans le même esprit la convention et le protocole. Si le CBJO se permet toutefois de présenter des observations et suggestions au sujet du projet de convention, c'est uniquement en vue d'aider à projeter la lumière sur quelques points qui lui semblent appeler des précisions.
L'article 1 du projet de Convention dont le texte a été adopté par l'Assemblée générale par sa résolution du 14 décembre 1950, définit le terme « réfugié » aux fins de la Convention. Le paragraphe B de cet article énonce les conditions dans lesquelles un « réfugié » cesse d'avoir droit au statut dont il bénéficiait comme tel. Nous signalerons en particulier les alinéas où il est prévu qu'une personne ayant la qualité de réfugié perde le bénéfice du statut en question :
« 5. Si les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugié ayant cessé d'exister, elle ne peut plus invoquer d'autres motifs que de convenance personnelle pour continuer à se refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité - Des raisons de caractère purement économique ne peuvent être invoquées ; ou
« 6. S'agissant d'une personne qui n'a pas de nationalité, si les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle peut retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, et ne peut donc plus invoquer d'autres motifs que de convenance personnelle pour persister dans son refus d'y retourner ».
Le CBJO ne conteste pas l'intérêt que présentent les dispositions ci-dessus ; il tient toutefois à faire remarquer que, dans leur texte actuel, elles peuvent créer des situations pénibles que n'ont pas voulues les rédacteurs du projet de convention. Le représentant de la France s'est exprimé en ces termes à la 33ème séance du Comité spécial (E/AC.32/SR.33, p. 8) : « On a tenu également à ce que figurent dans la Convention des clauses de sortie de l'état de réfugié, non pas, bien entendu, que l'on veuille obliger les victimes des persécutions racistes retourner dans le pays qui les persécute, mais de façon à ne pas faire bénéficier du statut de réfugiés des personnes qui ne sont plus, en fait, des réfugiés et qui n'ont plus aucune raison de se prévaloir de cette situation. » Le CBJO se range volontiers à cette manière de voir ; il craint cependant que, dans leur texte actuel, les alinéas 5 et 6 du paragraphe B ne s'appliquent également à des personnes qui n'ont pas cessé de mériter d'être traitées en réfugiés de bonne foi ; il se permettra donc de donner deux exemples qui feront comprendre les doutes qu'il a conçus sur ce point.
(1) Une famille juive s'est enfuie d'Allemagne occidentale pendant la période de la persécution nazie et a gagné un pays où la naturalisation est difficilement accordée. Les enfants ont grandi et ont acquis la nationalité du pays d'accueil, soit par mariage, soit pour avoir servi dans l'armée. Les parents sont âgés et à la charge de leurs enfants. Les persécutions contre les juifs ont, à ce qu'on prétend, cessé en Allemagne occidentale. Peut-on priver les parents du bénéfice du statut de réfugiés parce que leur désir de ne pas quitter le pays de refuge est fondé sur des motifs de convenance personnelle et sur des raisons de caractère économique : ne pas se séparer de leurs enfants, qui assument la charge financière de leur entretien ?
(2) Une femme juive, sans enfants, a réussi à quitter l'Autriche après 1938. Tous les membres de sa famille, restés en Autriche, ont été exterminés par les Nazis. On prétend maintenant que les persécutions ont cessé en Autriche. Peut-on demander à cette femme, qui a trouvé un travail lui permettant de subvenir à ses propres besoins et dont les seuls parents et amis survivants résident dans le pays de réfuge, de retourner dans le pays où sa famille a été anéantie et considérera-t-on son refus d'y revenir comme reposant sur des motifs de convenance personnelle ?
Le CBJO propose donc de faire suivre les paragraphes 3, 5 et 6 d'une phrase où il serait précisé que l'expression « convenance personnelle » ne couvre pas les cas où soit des liens de famille, soit des considérations de sentiment moralement fondées, soit d'autres circonstances feraient du retour au pays de la nationalité ou au pays de la résidence antérieure une épreuve pénible et injustifiée.
De l'avis du CBJO, cela pourrait se faire en ajoutant aux paragraphes 5 et 6 une disposition telle que la suivante :
« Ne seront pas considérés comme motifs de convenance personnelle les liens de famille avec des personnes résidant dans le pays que le réfugié désire ne pas quitter ou le fait que ce qui lui est arrivé dans le pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré est de nature à lui laisser des souvenirs si pénibles qu'il ne tient pas à y retourner ; toutefois, les indications qui viennent d'être données sur les motifs qui ne sont pas considérés comme des convenances personnelles ne sont pas limitatives ».
Article 5 : Dispense des mesures exceptionnelles.
Le CBJO a noté que, lors des débats du Comité spécial, des doutes se sont faits jour sur le point de savoir si cet article, sous sa forme actuelle, pourrait être accepté par tous les gouvernements. Le CBJO insiste respectueusement auprès de la Conférence de plénipotentiaires pour qu'elle dissipe les doutes qui peuvent subsister quant au maintien de cet article.
Soumettre des êtres humains qui ont dû fuir la persécution à des mesures dirigées contre leurs persécuteurs, pour la simple raison que les persécutés gardent juridiquement la nationalité du pays où ont eu lieu ces persécutions, serait un acte inhumain. L'alinéa 2 fournit toutes les garanties nécessaires contre les abus possibles en temps de crise. Toute mesure autre que celles qui sont prévues à l'alinéa 2, qui serait prise contre un réfugié uniquement en considération de la nationalité qui est juridiquement la sienne - ne saurait servir les intérêts véritables du pays qui lui a donné asile. Le CBJO se permet donc de faire appel aux plénipotentiaires en leur demandant de ne pas affaiblir la portée de cet article, qui assure aux réfugiés de bonne foi une protection vraiment nécessaire.
Article 7
L'article relatif au statut personnel des réfugiés a fait l'objet, au sein du Comité spécial, de débats prolongés au cours desquels de nombreuses difficultés d'ordre juridique ont apparu. Il semble douteux que le texte finalement adopté ait résolu toutes ces difficultés.
La notion juridique de « domicile » n'est pas la même dans tous les pays., dans certains pays, un réfugié est réputé avoir son domicile légal dans le pays d'où il a fui, jusqu'à ce qu'il soit considéré comme un nouveau domicile dans le pays de refuge. Aussi, conformément au paragraphe 1 dans les pays où prévaut cette notion, le statut personnel d'un réfugié peut encore être régi par la loi de son pays d'origine jusqu'à ce qu'un nouveau domicile lui soit reconnu. L'autre formule, qui veut que le statut personnel du réfugié soit régi par la loi du pays de sa résidence habituelle ne serait pas applicable, à moins que le texte ne soit amendé de façon à stipuler qu'un réfugié, accepté comme tel, perd ipso facto le domicile de son pays d'origine aux fins de l'application de la Convention. L'adjonction, au paragraphe 1, d'une phrase dans ce sens permettrait d'éviter que le statut d'un réfugié ne continue à être régi par la loi d'un pays d'où il a fui. Conformément au paragraphe 1, dans sa rédaction actuelle, les réfugiés allemands ayant fui les persécutions nazies auraient pu être considérés comme soumis aux lois discriminatoires de Nuremberg tant qu'un nouveau domicile ne leur avait pas été reconnu ou, tout au moins, tant qu'il n'avait pas été décidé qu'ils avaient perdu leur domicile antérieur.
Article 8-21, 24
Pour la définition du statut des réfugiés dans les articles de 8 à 21 et l'article 24 l'on a pris des normes différentes selon qu'il s'agit de tels ou tels droits. Dans certains cas, les réfugiés doivent être traités comme des ressortissants du pays, dans d'autres cas, on leur accordera « le traitement le plus favorable possible et, de toute façon, un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qui est accordé dans les mêmes circonstances aux étrangers en général », dans d'autres cas encore ils seront soumis à la réglementation « applicable généralement aux étrangers dans les mêmes circonstances ».
On comprend bien qu'on ne puisse s'attendre qu'un Etat place des réfugiés sur le même plan que ses nationaux, à tous égards. Le CBJO a relevé avec satisfaction que le Comité spécial s'est prononcé en faveur de l'octroi aux réfugiés de ce statut privilégié dans un certain nombre d'articles (9, 11, 15, 17(1), 18, 19, 24) et exprime l'espoir que la Conférence de plénipotentiaires acceptera les propositions du Comité. En ce qui concerne le reste des articles en question, il a été proposé au Comité spécial qu'en principe, les étrangers devraient bénéficier « du traitement le plus favorable accordé aux ressortissants d'un pays étranger », et que cette disposition serait soumise à des réserves individuelles.
Un certain nombre de délégués ont toutefois estimé qu'il y a certaines occasions où un Etat peut souhaiter faire bénéficier certaines catégories déterminées d'étrangers d'un traitement préférentiel qu'il ne désire pas accorder à tous les réfugiés. C'est ce dernier point de vue qui a prévalu et le principe d'un système différent selon qu'il s'agit de tel ou tel article a été adopté. Le CBJO émet respectueusement l'opinion que tout le problème soit examiné de nouveau eu égard à l'importance du principe oui est en cause pour les personnes infortunées dont les droits seront régis par la Convention.
Article 26 à 28
Les articles 26 à 28 protègent, dans une certaine mesure, les réfugiés contre une expulsion, et, donnent aussi une certaine sécurité aux réfugiés qui sont entrés sans autorisation dans un pays. Toutefois, ces articles n'instituent pas un droit d'asile qui ferait que l'admission dans un pays ne puisse être refusée à un réfugié fuyant les persécutions. Le CBJO exprime toutefois l'espoir que ce droit d'asile sera prochainement institué par une convention spéciale et que la Conférence de plénipotentiaires formulera une recommandation à cet effet.
Le CBJO exprime l'espoir que la Conférence de plénipotentiaires adoptera les articles 26, 27, 28 sans modifications importantes. Toutefois, pour des raisons techniques le CBJO suggère que le paragraphe 2 de l'article 27 soit scindé en deux paragraphes, la deuxième phrase du deuxième paragraphe actuel devenant le paragraphe 3 et, le paragraphe 3 du texte actuel devenant le paragraphe 4. Les débats au sein du Comité spécial ont prouvé que certains Etats peuvent tenir à faire des réserves relativement au paragraphe 2 actuel, étant donné que la réglementation proposée dans la seconde phrase peut ne pas être compatible avec les usages administratifs de ces Etats. Aucune objection sérieuse n'a été soulevée contre la première phrase du deuxième paragraphe. La division du paragraphe permettrait de réunir toutes les réserves dans le nouveau paragraphe 3.
Article 36
Le CBJO note avec satisfaction que des réserves ne pourront être faites en ce qui concerne certains articles de la Convention. Le Comité émet toutefois l'opinion que les articles 5 et 7 soient ajoutés à cette liste, d'autant que ces articles renferment déjà des clauses, qui permettent de légères dérogations, dans certaines éventualités.