Avant l'arrivée au Tchad, 90 jours de marche en quête de sécurité
Avant l'arrivée au Tchad, 90 jours de marche en quête de sécurité
BEKONINGA, Tchad, 11 juillet (HCR) - Les violences intercommunautaires et religieuses en République centrafricaine poussent des milliers de personnes à fuir l'insécurité et les violations des droits humains vers les pays voisins, notamment le Cameroun et le Tchad.
Un groupe de 610 réfugiés nouvellement arrivés au Tchad via le point de passage frontière de Bekoninga, au sud du pays, raconte avoir parcouru des centaines de kilomètres à pied à travers la brousse pour fuir les exactions de milices armées anti-balaka.
Ces réfugiés appartiennent à la minorité ethnique des Peuls. On compte parmi eux en majorité des femmes (52%) et des enfants de moins de cinq ans (27%). La plupart présentaient des signes d'épuisement et de famine. Une douzaine d'enfants et d'adultes souffraient d'une malnutrition sévère.
La route vers l'exil est longue. Les réfugiés marchent trois à quatre mois sans nourriture ni eau ni médicaments pour les malades, et encore moins de repos. « On n'avait rien à manger. On ne mangeait que des ignames sauvages, des feuilles d'arbres. Beaucoup sont tombés malades. Certains sont décédés à cause de la fatigue, de maladies ou de la famine», raconte Moussa*.
Selon leurs témoignages, ces réfugiés fuient des attaques commises par des anti-balaka contre les villages de Boda et de Bogere. Des centaines de personnes ont été tuées durant ces attaques. Des maisons ont été brûlées et des biens ont été volés, en particulier le bétail.
« Les anti-balaka sont arrivés dans notre village vers 4h du matin ; ils ont tiré plusieurs coups de feu et ont commencé à bruler nos maisons. C'était un vendredi, ils ont tué 80 personnes dont mon petit frère, tué par balles, et ma fille de deux ans découpée à la machette », raconte Moussa*, 48 ans, qui habitait le village de Bogere, tout près de Boda. Fofana, 35 ans, lui a perdu son fils de 4 ans, tué à l'arme blanche. Saleh lui-même présente plusieurs impacts de balles au bras droit, dans l'abdomen et au dos.
Ces réfugiés ont enduré beaucoup de souffrances et n'hésitent pas à témoigner l'ampleur de la cruauté subie de la part de ceux qu'ils considéraient jusque-là comme des frères. Aboubacar (50 ans) a vu, depuis sa cachette, ses jumelles de quatre ans se faire tailler à la machette. Son fils de six ans et son grand frère ont été tués par balles. Cet ancien éleveur dit avoir perdu 120 boeufs durant sa longue marche vers l'exil.
A côté de lui se trouve Fatoumata, 18 ans. Elle a fui alors enceinte de six mois. Fatoumata était séparée de son premier mari dont elle avait eu un garçon, Hassan Youssouf, aujourd'hui âgé de quatre ans. Elle s'était remariée et était enceinte de son deuxième mari quand leur village (Boda) a été attaqué.
« Les anti-balaka sont venus un certain vendredi, ils ont attaqué mon village, ils ont tué plusieurs personnes dont le père de mon fils. Puis ils sont encore revenus le dimanche. Ils sont arrivés chez nous et ont tiré sur mon mari. Mon fils et moi sommes alors sortis par la porte de derrière et nous avons fui », raconte Fatoumata*, tenant dans ses bras son bébé qu'elle a mis au monde lors de sa fuite, dans la brousse.
Pratiquement aucun réfugié n'a envie de rentrer en République centrafricaine pour le moment. « Après les horreurs que nous avons vécues : des enfants découpés à la machette, des femmes éventrées, des personnes brulées vives, comment avoir envie de retourner là-bas ? » s'interroge Youssouf Kaïgue.
Le HCR a transféré ces réfugiés au camp de Dosseye et les y a enregistrés afin qu'ils puissent accéder aux différents programmes et services offerts par le HCR via ses partenaires dont le FLM (Fondation luthérienne mondiale), le PAM (Programme alimentaire mondial) et le CSSI (Centre de Support en Santé international). A ce jour, 1 663 réfugiés centrafricains sont entrés au Tchad par le poste frontalier de Bekoninga, l'un des nombreux points d'entrée dans le sud du pays.
En 2014, le HCR a transféré au camp de Dosseye quelque 4 200 réfugiés centrafricains (soit 1 500 familles) parmi les 14 000 personnes déjà enregistrées cette année. Le camp de Dosseye abrite une population de près de 20 000 personnes (soit plus de 5 000 familles). Environ 91 000 réfugiés centrafricains vivent actuellement au Tchad.
*Noms fictifs pour des raisons de protection