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Questions/Réponses : une goutte d'eau dans l'océan des besoins humanitaires

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Questions/Réponses : une goutte d'eau dans l'océan des besoins humanitaires

Titouan Lamazou est un navigateur et un artiste. Il a été champion du monde entre 1986 et 1991 et il a gagné en 1990 le premier Vendée Globe, une course à la voile autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. En 1993, il a abandonné la compétition à la voile et il a repris ses pinceaux et son appareil photo pour continuer à voyager dans le monde entier et réaliser des portraits de femmes.
27 Février 2009 Egalement disponible ici :

Titouan Lamazou est un navigateur et un artiste. Il a été champion du monde entre 1986 et 1991 et il a gagné en 1990 le premier Vendée Globe, une course à la voile autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. En 1993, il a abandonné la compétition à la voile et il a repris ses pinceaux et son appareil photo pour continuer à voyager dans le monde entier et réaliser des portraits de femmes. Il a rencontré des femmes déplacées ou réfugiées, souvent par le biais de femmes responsables d'associations d'aide locale. En 2006, il a créé une association à but non lucratif en France, Lysistrata, pour financer des projets mis en place par ces associations locales, notamment au Kivu en RDC, dans le Putumayo en Colombie ou dans les favelas du Brésil. Il a présenté son projet à l'équipe WLL « Women Leading for Livelihoods », une initiative du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) visant à promouvoir l'indépendance économique et sociale des femmes et des filles réfugiées à travers le monde. Haude Morel, éditeur du site Internet francophone du HCR, l'a rencontré à Genève au siège du HCR.

Pourquoi avez-vous décidé en 1993 de voyager avec des crayons, des pinceaux et un appareil photo plutôt qu'en bateau ?

Il y a un dénominateur commun dans ma vie, c'est le voyage qui permet de regarder ce qu'il y a derrière les horizons. Dès le départ, j'étais un artiste. J'ai abandonné mes études, comme dit joliment Garcia Marquez « pour partir à l'école ». Je ne connaissais rien, ou très peu, du monde marin. Les horizons maritimes m'attiraient et je suis parti en bateau-stop notamment aux Antilles. Pour mon service militaire, j'ai navigué durant deux ans avec Eric Tabarly, le célèbre navigateur français et vainqueur de nombreuses courses au large, qui avait le privilège de se voir confier par la Marine nationale quatre appelés à son service.

Lorsque j'ai remporté le titre du champion du monde et à peu près toutes les courses [dont le premier Vendée Globe en 1990], le besoin d'exister par le risque et l'envie de compétition m'ont complètement abandonné et j'ai repris les pinceaux.

En 2005, vous avez fait don au HCR d'une série de photos pour une exposition itinérante visant à la sensibilisation sur les femmes réfugiées dans les écoles à travers la France. Comment a commencé votre partenariat avec le HCR ?

Petit à petit, j'ai fait ces carnets de voyage dans les pays que j'ai traversés. Mon travail est devenu plus militant sur le fond et il s'est éloigné, sur la forme, du carnet de voyage. Mon atelier, c'est le monde entier. L'aspect militant m'a amené à côtoyer sur le terrain des équipes du HCR, du PAM et d'ONG comme Amnesty International.

J'ai rencontré le HCR grâce à un ami basé à Addis Abeba qui dirigeait des camps des réfugiés à la frontière somalienne. Cela m'intéressait de faire des portraits de femmes ayant des destinées d'immigration pas forcément voulues. J'ai présenté mon projet à l'UNESCO qui m'a nommé Artiste pour la paix mais je ne travaille pas seulement sur des projets avec l'ONU.

Avec le HCR en Colombie, j'ai pu accéder à la région de Putumayo dans le sud de la Colombie à Mocoa et à Puerto Asís. J'y ai réalisé des portraits de femmes déplacées internes.

Le HCR m'a aussi aidé en Afghanistan, à Djalalabad, ainsi que pour le chemin des réfugiés que j'ai fait en Afrique, depuis le Tchad vers Rumbek au Sud-Soudan pour faire des portraits. J'étais à Nairobi le jour où la paix a été signée au Sud-Soudan par John Garang en janvier 2005. Je suis aussi passé en Ouganda où il y a plusieurs camps de réfugiés originaires de l'Ituri, puis j'ai traversé les Kivus jusqu'à Bukavu. J'ai fait un travail sur les réfugiés tutsis et hutus en Ouganda, ainsi que dans la zone de Gulu où sévit la LRA (Armée de résistance du Seigneur, un groupe rebelle ougandais).

Vous avez publié des carnets de voyage, vous faites des expositions. Comment choisissez-vous les femmes que vous peignez ou que vous prenez en photo ?

Les façons de rencontrer ces femmes sont aussi multiples que la diversité de mes portraits. Il m'arrive même de les rencontrer par hasard dans la rue ! Lors de mes voyages dans des pays dits sensibles, j'ai reçu l'aide et j'ai bénéficié de l'expérience de nombreux expatriés sur le terrain (issus du PAM, du HCR, de l'UNICEF, de l'UNESCO, d'Amnesty International, etc.) Par exemple, j'ai pris contact avec le représentant de la MONUC à Butembo dans le Nord-Kivu et, le lendemain de mon arrivée, j'ai pu commencé à rencontrer 70 femmes responsables d'associations qui luttent notamment contre les violences sexuelles.

Je me suis aussi rapidement rendu compte que, dans tous les pays du monde - y compris en Afghanistan, un pays dont la société est dominée par les hommes-, il y a des femmes au tempérament de chef qui créent des associations réunissant des femmes. Elles me font ainsi connaître d'autres femmes de leur village.

Dans l'ouest du Rajasthan, j'ai vu une personne de la caste des intouchables dans la rue, elle cirait des chaussures. Je suis allée l'aborder avec une interprète pour lui demander si je pouvais faire son portrait. Elle nous a parlé des castes en Inde, étant elle-même plus pauvre que pauvre.

Je leur donne un petit salaire en fin de journée.

Parlez-nous de l'association, Lysistrata, que vous avez créée.

La priorité de l'association est d'aider les gens à s'aider eux-mêmes. Certes on ne va pas changer le sort de la République démocratique du Congo mais au moins on aidera concrètement des personnes. C'est un prolongement de mon travail qui me semble indispensable.

Je suis à l'origine de cette association qui a été créée il y a deux ans. J'en suis le parrain et je soutiens son action au quotidien. Les projets sont identifiés par le biais de mes rencontres avec des femmes sur le terrain. Certains projets concernent des populations relevant de la compétence du HCR. Nous essayons maintenant d'obtenir les moyens de mettre en place quelques projets.

Dans le Kivu, se trouvent des déplacés internes, des femmes violées dont les villages ont été brûlés. Des femmes avocates et d'autres qui sont infirmières ont créé une plateforme d'associations, offrant chacune à leur niveau le soutien psychologique, médical, juridique ou la formation professionnelle pour prendre en charge les victimes des violences en RDC, des doubles victimes qui sont rejetées par leur famille après avoir été violées. D'autres encore sont seules après avoir perdu toute leur famille. Un centre sécurisé avec un dispensaire à peu près équipé et des dortoirs a été ouvert par cette plateforme d'associations. Nous cherchons aujourd'hui à les équiper car elles manquent de tout : médicaments, matériel médical, ordinateurs, etc....

Le site internet de notre association est : www.lysistrata.org

J'ai aussi visité un centre à Gulu en Ouganda, qui accueille les filles arrivant à s'échapper de la LRA, géré par six religieuses. Elles recueillent ces filles et leurs enfants. Elles leur donnent une formation de couturière et leur apprennent comment tenir une maison. Ces jeunes filles, ayant été enlevées alors qu'elles étaient encore des enfants, savent uniquement comment nettoyer une kalachnikov. Ce centre est un centre exemplaire à reproduire, l'idée serait d'en ouvrir un autre à Butembu, Bukavu et dans d'autres villes.

Un autre exemple de nos projets concerne la plus grande favela de Rio où il est difficile d'entrer officiellement mais, avec une structure légère, on peut arriver à faire beaucoup de choses via des microprojets. Nous souhaitons créer un centre éducatif sportif, avec une petite cantine, pour ces enfants dont les familles n'ont pas les moyens de leur offrir ce type d'activité.

Y a-t-il des scènes ou des témoignages qui vous ont marqué ?

Je pense aussi à un autre exemple à Rumbek, j'ai fait le portrait d'une femme qui avait été déplacée à Khartoum pendant 15 ou 20 ans. Elle était revenue au Sud-Soudan car la paix y a été rétablie. Elle avait traversé le pays à pied depuis Khartoum jusqu'à Rumbek, cela lui a pris six mois. La plupart de ses neuf enfants étaient restés à Khartoum où ils avaient grandi. Maintenant, elle en a un dixième. Ils se faisaient régulièrement attaquer par des rebelles sur le chemin du retour. La colonne s'est fait attaquer une nuit et elle s'est dispersée dans la savane environnante. Le matin, ils ont compté les morts et, avant de continuer leur chemin, ils ont trouvé un tout petit garçon, âgé d'un an et demi ou deux ans qui marchait tout seul. Après avoir cherché en vain les parents, la femme l'a recueilli. Il s'appelle « one o'clock car » il a été trouvé à une heure du matin sur la route. Il a maintenant cinq ans environ.

Vous avez mentionné la Mauritanie, qui est un pays côtier. Que ressentez-vous, en tant que navigateur, lorsque vous voyez ces boat people dans le golfe d'Aden, en Méditerranée vers l'Europe. Feriez-vous ce voyage ?

Je ne peux même pas imaginer leurs conditions de navigation. J'ai toujours su me servir de mon bateau qui était sûr en mer.

A Nouadhibou, j'ai fait des portraits de ces migrants, dont une qui avait fait naufrage et qui était revenue. Elle ne pensait qu'à une chose, c'était de repartir vers les Iles Canaries en se répétant « c'est Dieu qui décide du jour de notre mort ». Le moteur de ces embarcations n'est pas assez puissant, elles sont impropres à la navigation et partent de nuit, car c'est illégal. Les migrants payent très cher pour la traversée, ils sont 45 par pirogue et le prix est de 1 000 ou 2 000 euros par personne. Il en faut du temps pour rassembler l'argent et repartir....

Ce qui m'a choqué dernièrement, c'est que le capitaine d'un bateau de pêche - qui s'était détourné de sa route pour porter secours en mer à des migrants ou réfugiés - s'est fait arrêter. C'est la première fois dans l'histoire de la marine. Tous les navigateurs le savent, on a un devoir, celui d'aider l'autre. Même en course, comme dans le Vendée Globe, si un bateau casse, les autres vont l'aider. Là, le capitaine a été condamné car il a porté secours en mer. C'est extrêmement choquant.

Parlez-nous de votre enfance.

Je suis né au Maroc. Titouan vient de « petit Antoine » et la ville de Tétouan. Mes parents m'ont prénommé Antoine mais quand j'étais bébé, au Maroc, on m'appelait Titouan. Je l'ai officialisé à une escale de course en 1985 en Australie, car je ne pouvais pas récupérer des voiles neuves à la douane. Je recevais les paquets au nom de Titouan et sur mon passeport était toujours inscrit Antoine. Lamazou signifie la maison en patois béarnais. J'ai grandi en Tunisie puis à Marseille.

Je suis en retraite définitive de compétition en voile mais j'ai le projet de vivre plus tard sur un bateau avec mon studio de peinture pour continuer à voyager avec ma maison sur l'eau. Ce sera une résidence itinérante pour artistes ainsi que ma propre résidence. Je vais armer un navire si possible avec un pavillon des Nations Unies, dont je voudrais que ce soit plutôt les « peuples unis ».

J'ai deux enfants, une fille de 25 ans qui vient de finir ses études de journalisme et un fils de neuf ans, qui est un futur petit marin.

Quels sont vos prochains projets avec le HCR ?

Nous cherchons à compléter le financement pour nos projets, dont certains sont très liés à la vocation du HCR. La Représentation du HCR à Paris nous a présenté le projet WLL, promouvant l'indépendance économique et sociale des femmes. Nous travaillons toujours avec des associations déjà existantes au niveau local.

Nous sommes venus aujourd'hui au siège du HCR à Genève pour présenter notre association [Lysistrata] à l'équipe WLL et trouver des financements pour nos micro-projets mis en place par des associations locales déjà existantes dans le Kivu, dans le Putumayo en Colombie et pour l'intégration des femmes roms en France, en faisant valoir leurs droits à Bruxelles.