Des réfugiés rohingyas raniment l'intérêt pour le cricket en Irlande
Des réfugiés rohingyas raniment l'intérêt pour le cricket en Irlande
CARLOW, Irlande – Un bruit rare surgit de nouveau dans la campagne irlandaise – le bruit sourd du cuir contre le bois.
Grâce aux réfugiés rohingyas, on peut de nouveau entendre le cricket, ce jeu qui réunit des joueurs des Caraïbes à l’Asie du Sud et à l’Australie, dans la petite ville de Carlow située au sud-est de l’Irlande.
« Nous allons jouer des séries de quatre points. Les batteurs peuvent se mettre au service », ordonne Ben Parmeter, un bénévole du club de cricket de Carlow devenu maître des arcanes de ce jeu.
De jeunes enfants se précipitent autour de ce médecin local originaire d’Australie. Certains sont vêtus de la tenue traditionnelle blanche de cricket, tandis que d’autres portent les couleurs verte et rouge du Bangladesh où certains joueurs ont passé plusieurs années de leur vie comme réfugiés.
Ils envoient les balles dans les deux sens pendant que, dans un autre coin du terrain, des enfants beaucoup plus jeunes apprennent les bases du jeu avec Jimmy Dooley, éducateur auprès des Services de l’enfance de Carlow et secrétaire du club.
« Il n’y aurait pas d’équipe de cricket ici s’il n’y avait pas de Rohingyas », déclare Jimmy Dooley. « Tout cela, c’est grâce à eux ».
Alors que le cricket était autrefois largement répandu en Irlande, la popularité de ce sport a décliné au fur et à mesure que les habitants se passionnaient davantage pour les jeux traditionnels gaéliques comme le hockey sur gazon (hurling) et le football gaélique.
Carlow a connu ses heures de gloire, mais le club de cricket a fermé ses portes pour de bon au début des années 80.
Puis, en 2009, 64 réfugiés rohingyas ont été réinstallés dans la ville de Carlow. Dans les camps du Bangladesh, beaucoup de garçons s’étaient mis au cricket. Aujourd’hui, ils sont impatients de ressortir les battes.
« Jouer dans un champ boueux avec une batte en bois toute sale était une distraction dans notre vie quotidienne difficile », explique Robi Alam, 15 ans, né dans le camp de réfugiés de Nayapara au sud-est du Bangladesh.
Sa famille a fui leur foyer dans l’ouest du Myanmar où des décennies de violence ont forcé des centaines de milliers de personnes, en majorité des Rohingyas, à partir. Le Bangladesh était un pays sûr mais beaucoup de Rohingyas vivent dans des installations d’urgence et connaissent des taux de pauvreté très élevé.
« J’espère jouer un jour dans l’équipe nationale de cricket d’Irlande ».
Une fois à Carlow, Alam a commencé à jouer près du centre d’hébergement dans lequel il était installé avec les autres membres de la communauté rohingya.
« Quand nous sommes arrivés ici, nous avons acheté une batte bon marché et nous jouions sur la grande pelouse derrière notre centre », raconte Mohammed Rafique, secrétaire assistant du club et membre de la communauté rohingya de la ville. « Certains habitants intéressés se sont joints à nous et, en très peu de temps, nous nous sommes mis à disputer des matchs de cricket – l’équipe des Irlandais contre l’équipe des Rohingyas ».
Une modeste aide financière leur a permis de s’acheter deux battes, des casques, des gants et un jeu de stumps, les trois piquets que l’équipe adverse cherche à toucher en lançant une balle. Le club de rugby local de Carlow leur a prêté des terrains pour jouer et ils ont rapidement rejoint la ligue nationale d’Irlande.
Bien qu’ils n’aient pas remporté de titre dans un championnat, ils possèdent aujourd’hui deux équipes qualifiées dans des divisions différentes. La première équipe est montée en 9ème Division l’année dernière et l’école secondaire locale, St Mary’s Academy, a disputé son premier jeu en juin. Ils l’ont remporté sur le King’s Hospital, une école établie à Dublin.
« Je ne pense pas qu’ils avaient l’habitude de perdre », affirme Yunus Mohammed, un autre membre de la communauté rohingya. « Je pense qu’ils ont été surpris ».
Avec 13 nationalités représentées aujourd’hui dans le club de cricket de Carlow, ses joueurs espèrent que le succès va continuer. Mais pour alimenter la dynamique, le coaching va devenir essentiel. C’est un défi alors que Cricket Ireland, l’instance nationale dirigeante pour ce sport, n’a pas été en mesure de fournir un coaching spécialisé pour renforcer la participation dans la région.
Les officiels du club ont donc dû intervenir, les parents des nouveaux joueurs participant aux cours de coaching professionnel pour faire en sorte que Carlow redevienne une grande ville pour le cricket.
L’espoir est que non seulement l’équipe locale en bénéficie, mais aussi l’Irlande.
« J’espère jouer un jour dans l’équipe nationale de cricket d’Irlande », déclare Alam. « Je pourrai ainsi montrer qu’il est possible de passer d’un camp sordide au plus haut podium national ».
*Giulia La Scala a contribué à cet article