« Ils ont pris ma famille, mon plus beau cadeau dans la vie »
« Ils ont pris ma famille, mon plus beau cadeau dans la vie »
Suabo était dans sa cuisine et préparait un repas pour sa famille, lorsqu'elle a entendu des enfants crier à l'extérieur : « Des hommes armés ont envahi la ville ! »
Ces cris la laissent perplexe. Elle avait entendu parler d'attaques sporadiques dans le passé, mais jamais près de chez elle, à Palma, dans le nord du Mozambique. Elle décide de continuer à cuisiner.
Une heure plus tard, les enfants sont de retour, cette fois-ci ils parlent de bombes. En regardant par sa fenêtre, elle voit des gens qui descendent les collines en courant vers la plage, près de chez elle.
Elle ne trouve pas son mari, qui est sorti travailler. Suabo appelle immédiatement sa fille et lui demande de venir immédiatement avec son bébé. Elles rejoignent en hâte d'autres villageois qui fuient et, dans la panique et le chaos, elles parviennent toutes les trois à embarquer à bord d’un ferry transportant plusieurs employés et sous-traitants de Total.
« Depuis le bateau, je pouvais voir des hommes armés tirer sur les gens. Nous avons réussi à nous échapper, mais ils ont empêché beaucoup d’autres bateaux de quitter la rive », se souvient la quadragénaire.
« Depuis le bateau, je pouvais voir des hommes armés tirer sur les gens. »
Elles sont arrivées à l'hôtel Amarula et ont passé la nuit en plein air, sans nourriture ni eau. Mais l'hôtel a également été attaqué, ce qui les a obligées à fuir de nouveau en courant et à se cacher dans la brousse pendant trois jours avant de réussir à quitter Palma en bateau.
Cette ville côtière a été attaquée le 24 mars dernier par des groupes armés non étatiques, forçant plus de 11 000 personnes à fuir. Depuis, des Mozambicains déplacés comme Suabo sont arrivés dans les villes de Pemba, Nangade, Mueda et Montepuez à pied, par la route et par bateau.
Suabo et sa famille ont débarqué à Pemba une semaine plus tard, en même temps qu’environ 1100 autres civils déplacés, en majorité des femmes et des enfants, qui sont arrivés épuisés, avec très peu d’effets personnels. Ils présentent tous des signes de traumatisme sévère dus aux atrocités dont ils ont été témoins et sont inquiets pour leurs proches restés sur place.
« Ces personnes ont eu la chance de pouvoir fuir. En effet, des milliers d’autres sont toujours bloquées à Palma. Elles se cachent et ne savent pas si elles arriveront à s’enfuir », déclare Margarida Loureiro, la responsable du bureau du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, à Pemba.
En collaboration avec les autorités locales et les partenaires, le HCR a mené des vérifications sur les récents arrivants et des évaluations sur leurs besoins en matière de protection, afin d'identifier les personnes les plus vulnérables et de leur fournir d’urgence une assistance. Celles-ci sont orientées vers différents services et aidées à retrouver les membres de leur famille. Près de 80% des personnes séparées sont des femmes et des enfants. Le personnel des organisations partenaires est également formé à la protection des personnes déplacées contre la violence sexiste et l'exploitation sexuelle.
La majorité des familles déplacées sont hébergées par des proches et des amis, mais des personnes comme Suabo, qui n’ont aucun proche chez qui séjourner, sont hébergées dans un centre de transit établi par les autorités, où elles reçoivent une aide alimentaire, des nattes de couchage et des couvertures. En date du 6 avril, environ 250 personnes déplacées résidaient dans ce centre de transit.
- Voir aussi : Le HCR intensifie son aide alors que des milliers de personnes fuient les attaques au nord du Mozambique
Suabo vit actuellement dans l'incertitude et se demande ce que lui réservera l’avenir. Elle est triste et inquiète, après avoir été séparée de son mari et de leurs trois autres enfants.
« Je souhaite que le conflit s'arrête. Je ne souhaite à personne de subir ce que je vis. »
« Ils ont pris ma maison, mes affaires et, pire que tout, ils ont pris ma famille, mon plus beau cadeau dans la vie », explique-t-elle.
Comme Suabo, Lucia a également fui par bateau et se trouve actuellement au centre de transit. Environnementaliste et membre d'une ONG, elle s'inquiète pour l'avenir et a peur de rentrer chez elle.
« Nous avons besoin de l'aide des organisations humanitaires. Il y a tellement de femmes et d'enfants ici, et ils sont séparés de leurs familles », indique-t-elle.
Avant cette toute dernière attaque à Palma, près de 700 000 personnes étaient déjà déplacées dans les provinces de Cabo Delgado, Niassa et Nampula. La grande majorité d’entre elles vivent au sein de familles d'accueil, dont les maigres ressources s’épuisent rapidement.
L'escalade des violences à Cabo Delgado a de graves répercussions sur les installations sanitaires, l'approvisionnement en eau et les abris, ainsi que sur l'accès aux vivres dans la région. Cette effroyable crise humanitaire est aggravée par une situation déjà fragile due à la combinaison du sous-développement chronique, de catastrophes climatiques successives et d'épidémies récurrentes dont la plus récente, la pandémie de Covid-19.
Alors que le HCR et ses partenaires continuent d’intensifier l'assistance aux milliers de personnes déplacées, Suabo espère que la paix sera rétablie dans sa ville natale.
« Je souhaite que le conflit s'arrête. Je ne souhaite à personne de subir ce que je vis en ce moment », déclare-t-elle.