Inquiétudes sur le sort des communautés indigènes tentant d'échapper à la violence dans leurs territoires
Inquiétudes sur le sort des communautés indigènes tentant d'échapper à la violence dans leurs territoires

ISTMINA, Colombie, 7 avril (UNHCR) - Pendant des années, ils ont résisté à la présence des groupes armés irréguliers, aux blocus alimentaires, à la peur et aux intimidations répétées afin de pouvoir continuer à vivre ensemble sur la terre de leurs ancêtres. Aujourd'hui et pour la toute première fois, les indigènes Wounaan sont obligés de quitter leur territoire traditionnel du Chocó, cette vaste région colombienne qui s'étend sur plus de 500 kilomètres le long de la côte pacifique.
La panique s'est emparée de la communauté Wounaan de Medio San Juan après le meurtre de deux de leurs enseignants en l'espace de 48 heures la semaine passée. Bien qu'ils aient déjà affronté de nombreuses épreuves par le passé, c'est la première fois qu'un groupe armé irrégulier tue l'un d'entre eux. En l'espace de quelques jours, 1 748 personnes venues des cinq communautés Wounaan ont rejoint leur plus grand centre de rassemblement, Unión Wounaan, en attendant de pouvoir entreprendre le voyage de huit heures qui les conduira jusqu'à la petite ville d'Istmina.
Ulysses a été l'un des premiers à arriver lundi, à bord d'un petit bateau transportant 36 autres personnes. Encore traumatisé par les récents événements, il a parlé au nom du groupe et expliqué le choc qu'ils ont tous ressentis après ces deux assassinats.
« La mort de tout membre de notre communauté est terrible mais nous ressentons tout particulièrement la perte de nos deux instituteurs », a-t-il indiqué à Philippe Lavanchy, le directeur du bureau pour les Amériques de l'UNHCR qui s'est rendu à Istmina après avoir été informé de cette crise. « Partir pour étudier, devenir enseignant n'est pas chose facile pour nous. Notre langue est rare. Seuls 30 % de nos enfants savent lire et les personnes plus âgées sont illettrées. Perdre deux instituteurs est donc un coup terrible que nous éprouvons tous très durement. »
Mercredi après-midi, quelque 400 personnes sont arrivées et davantage étaient en route. Istmina, qui compte environ 12 000 personnes, pour la plupart d'origine afro-colombienne, ne dispose que de ressources limitées et gère difficilement cette situation. Ulysses et quelque 70 autres personnes ont passé leur première nuit à Istmina dans une maison en ruine près de la rivière. Ce logement précaire ne dispose ni d'eau courante, ni d'électricité, ni d'installation sanitaire. Les femmes du groupe ont organisé un feu à l'extérieur mais il n'y avait pas grand chose à cuisiner.
« Outre la sécurité, ils ont besoin d'un logement décent, de nourriture et d'eau potable », a ajouté Philippe Lavanchy qui a rencontré les autorités locales pour leur demander de fournir l'assistance nécessaire aux personnes déplacées. « En cas de crise humanitaire, la réponse doit être immédiate. Il y a beaucoup d'enfants et de nombreuses femmes enceintes ici. Ils ne peuvent pas attendre d'être aidés. »
Chaque jour, de nouveaux bateaux arrivent à Istmina, avec à leurs bords des dizaines de personnes terrorisées. Jeudi, une embarcation transportant 200 individus a dû s'arrêter en route et passer la nuit le long de la rivière à cause d'une panne d'essence. Plus de 1 000 personnes se trouvent encore à Unión Wounaan, attendant désespérément de pouvoir s'enfuir. A Istmina, l'inquiétude grandit pour ceux qui sont restés derrière.
« En tant que chef de famille », indique Ulysses, assis sur les bords de la rivière San Juan River, « je ne peux pas m'empêcher de me faire du souci. Même ici nous avons peur alors je n'ose pas imaginer ce qu'ils peuvent éprouver là-bas, assiégés de toutes parts. Il y a des personnes âgées et des malades. Quand j'y pense, ça m'empêche de dormir la nuit. »
On s'attend à ce que toute la population Wounaan de Medio San Juan se réfugie à Istmina. Les déplacements forcés sont particulièrement éprouvants pour les peuples indigènes dont les cultures sont très liées à la terre et aux ancêtres qui y ont vécu. Des communautés entières, avec leur culture et leur langue uniques, sont menacées de disparition du fait du conflit colombien. Afin d'éviter cette tragédie, l'UNHCR travaille à travers tout le pays pour aider les chefs indigènes à défendre le droit de leurs peuples à rester sur leurs territoires traditionnels.
Forcés de quitter leur terre, les Wounaan sont néanmoins déterminés à survivre en tant que collectivité. Ils veulent rester ensemble et disent n'avoir pas besoin de maison mais simplement de pouvoir vivre près de la rivière. La rivière de San Juan, expliquent-ils, joue un rôle central dans leur culture et ils craignent de perdre leur identité s'ils doivent s'éloigner de l'eau. Et si la situation actuelle est pénible, l'avenir inquiète encore plus le peuple Wounaan.
« Nous sommes très inquiets », dit Ulysses. « Nous ne voyons pas comment ce problème pourra être résolu. Il ne date pas d'hier mais jusqu'à présent il n'y avait jamais eu mort d'hommes. Qu'allons nous faire ? Tant que les groupes armés resteront sur notre territoire, nous ne pourrons pas y retourner. »
Par Marie-Hélène Verney à Istmina