Questions/Réponses : Le rideau tombe sur la dernière grande opération de rapatriement d'Afrique de l'Ouest
Questions/Réponses : Le rideau tombe sur la dernière grande opération de rapatriement d'Afrique de l'Ouest

GENEVE, 15 juin (UNHCR) - A la fin du mois, l'UNHCR mettra un terme à son programme de rapatriement assisté des réfugiés libériens. Mais Michel Gaudé, responsable du bureau de l'Afrique de l'Ouest pour l'agence, explique que l'UNHCR va rester au Libéria pendant encore 18 mois au moins, pour soutenir la réintégration des rapatriés. Michel Gaudé, dont la carrière à l'UNHCR a débuté au Rwanda il y a 27 ans, a expliqué à Andrej Mahecic, chargé de l'information, qu'il était prudemment optimiste sur l'avenir de la région dont il s'occupe. Voici quelques extraits de l'interview :
Est-ce que l'opération au Libéria a été un succès ?
Il y a quelques jours, nous avons atteint le 100 000ème rapatrié libérien rentré chez lui sous les auspices de l'UNHCR. Nous espérons que, d'ici la fin du mois, peut-être encore 5 000-10 000 personnes opteront pour le retour.... Les chiffres définitifs sont difficiles à prévoir.
Je pense que cette opération a été un succès.... La synergie a très bien fonctionné dans la région. Une très bonne communication et interaction ont prévalu entre l'ensemble des pays impliqués. Les mécanismes de coordination ont été mis en place à Monrovia, mais l'interaction entre toutes les parties a été très efficace dès le début du rapatriement. Même avant que l'opération ne commence, beaucoup d'efforts ont été faits dans le domaine de la coordination au niveau du terrain, et cela a porté ses fruits.
Les agences aussi ont assuré une bonne coordination entre elles. La coordination a particulièrement bien marché avec le PAM (Programme alimentaire mondial), avec les gouvernements concernés ainsi qu'avec d'autres agences, comme GTZ, qui a joué un rôle clé dans l'opération de rapatriement, et bien sûr avec toutes nos ONG partenaires, sans lesquelles nous n'aurions pas pu atteindre cet objectif.
Quels ont été les principaux défis de l'opération ?
Les problèmes majeurs auxquels nous avons été confrontés étaient liés aux conditions météorologiques et au terrain difficilement praticable. La saison des pluies, qui dure environ six mois dans l'année, a causé de sérieuses difficultés pour accéder aux zones de retour au Libéria. De nombreux réfugiés ont choisi de ne pas rentrer pour cette raison. Les mauvaises conditions de circulation ont eu un impact lourd et coûteux sur notre parc de véhicules.
Nous avons eu aussi des problèmes logistiques. Pour certains réfugiés, les distances étaient énormes. Je pense plus particulièrement aux réfugiés libériens qui se trouvaient au Nigéria ou au Ghana. Organiser le transport pour leur retour a été un défi important pour nous ... le transport par avion est très coûteux et ne permet pas aux réfugiés de ramener tous leurs biens. Affréter des bateaux était aussi un gros problème, du fait du manque de navires disponibles.
Un autre défi venait du fait que les réfugiés libériens ont généralement été bien reçus dans les pays d'asile. Ils ont bénéficié de bonnes conditions de vie et, dans certains cas, ont pu cultiver la terre ou avoir un emploi. De nombreux Libériens ne voulaient pas renoncer à une vie relativement confortable pour un avenir incertain. Quitter un camp avec des services comme des écoles et des dispensaires et décider de rentrer dans des endroits où presque tout a été détruit a été sans aucun doute un problème.
Il y avait aussi une autre contrainte spécifique à cette opération. Dans le passé, beaucoup de réfugiés libériens avaient été réinstallés dans des pays tiers avec l'aide de l'UNHCR, mais cela s'était arrêté lorsque l'opération de rapatriement a commencé. Nombre de Libériens ont continué de rêver à une réinstallation mais, pour l'UNHCR, cela n'est plus une option possible.
Est-ce que le rôle de l'UNHCR s'arrête quand la date butoir impartie au rapatriement est dépassée ?
Pendant les trois dernières années, l'UNHCR a joué un rôle fondamental dans la reconstruction et la réhabilitation du pays. Nous n'avons pas l'intention de quitter le Libéria prématurément. Le programme de rapatriement se termine ce mois-ci, mais nous allons continuer à travailler à des projets de réintégration jusqu'à la fin 2008. Nous allons, entre autres, continuer à plaider pour attirer davantage d'acteurs du développement au Libéria et pour aider à renforcer le processus de paix.
Nous allons continuer. Nous n'abandonnerons pas le Libéria ; nous n'abandonnerons pas les rapatriés qui nous ont fait confiance lors de ce processus de rapatriement. Nous allons garder une présence importante dans tout le pays et consolider les efforts pour la réintégration entrepris jusqu'à présent.
L'opération de l'UNHCR en Sierra Leone s'est terminée en 2004. Est-ce le signe annonciateur d'une paix durable et de la fin des déplacements à grande échelle en Afrique de l'Ouest ?
Jusqu'en 1989, l'Afrique de l'Ouest était perçue comme une région en paix, avec de petites crises ici ou là mais sans déplacement majeur de population d'un pays à un autre.... Le premier conflit - et le plus important - a commencé au Libéria en décembre 1989. Il y a aussi eu la crise entre la Mauritanie et le Sénégal, en avril 1989. Le conflit entre le Mali et le Niger a généré un important déplacement de populations. La guerre civile en Sierra Leone a commencé juste après le conflit au Libéria, tandis que des réfugiés sont arrivés par vagues depuis le Togo en 1992-1993 et plus récemment en 2005.
Une énorme énergie a été dépensée pour restaurer la paix et aider à la réconciliation dans toute l'Afrique de l'Ouest et cela a été indispensable pour apporter la paix.... Il y a encore beaucoup à faire et il y a de nombreux risques, mais nous constatons une forte détermination parmi les pays d'Afrique de l'Ouest pour éviter de nouvelles éruptions de conflit. Je suis confiant : nous entrons dans une nouvelle ère, plus stable et plus pacifique.
Devrions-nous donner aux réfugiés davantage de temps pour qu'ils rentrent chez eux ?
Je ne crois pas que nous précipitons la fin de cette opération, qui a commencé en octobre 2004. Les personnes sont libres de rentrer, indépendamment de notre assistance. C'est leur volonté qui est le facteur déclenchant et l'UNHCR ne forcera personne à rentrer. Le retour massif des réfugiés libériens veut dire que notre assistance a été - et reste - la réponse appropriée. Je suis aussi persuadé que la présence de ces gens est nécessaire chez eux pour construire la paix et oeuvrer pour la stabilité et la prospérité. Les réfugiés rapatriés doivent être impliqués dans les efforts de reconstruction, j'entends par là, la reconstruction physique ainsi que la restauration de l'esprit de paix et la dynamique du développement et de la stabilité.
Et que vont devenir les réfugiés libériens qui ne rentrent pas ?
Il est facile de comprendre pourquoi de nombreux Libériens ne débordent pas d'enthousiasme à l'idée de rentrer dans leur pays, qui est complètement inconnu des jeunes générations. Nombreux sont ceux à vouloir rester où ils sont et l'UNHCR travaille avec les pays d'accueil et les réfugiés eux-mêmes pour étudier l'option de l'intégration locale. Nous évaluons tous les aspects juridiques, pratiques et financiers liés à l'intégration locale d'environ 50 000 Libériens.
Nous avons remarqué, durant les 20 dernières années, que les pays d'Afrique de l'Ouest accueillant des réfugiés ont généralement une attitude positive à leur égard. Nous ne prévoyons pas de problèmes majeurs empêchant que l'intégration locale devienne aussi un succès.... Quelques gouvernements ont même offert aux réfugiés un accès facilité à la citoyenneté, ce qui démontre clairement qu'ils s'intéressent à l'identification de solutions durables pour les réfugiés qui veulent rester.
Dans quelles autres parties de la région l'UNHCR intervient-il ?
Il y a l'opération du rapatriement des Togolais. Nous avons signé des accords tripartites en avril avec le Ghana et le Bénin, des pays d'accueil, ainsi qu'avec le Togo. Des réfugiés togolais au Ghana et au Bénin ont clairement signifié le désir de rentrer chez eux avec l'aide de l'UNHCR. Le rapatriement a commencé et ... va s'accélérer dans les prochaines semaines.
Nous sommes optimistes sur le fait que les réfugiés mauritaniens présents au Sénégal et au Mali vont aussi bientôt pouvoir rentrer chez eux. Le Gouvernement mauritanien a montré sa volonté de mettre un terme à cette situation dans les 12 prochains moins et nous sommes prêts à coopérer.
La Côte d'Ivoire fait l'objet d'une attention particulière depuis les cinq dernières années.... Nous sommes maintenant plus optimistes sur le retour d'une paix durable en Côte d'Ivoire.... Il y a environ 12 000 à 13 000 réfugiés ivoiriens dans les pays voisins. Mais reste un défi plus important encore en Côte d'Ivoire même avec des centaines de milliers de personnes déplacées internes. Nous sommes optimistes et pensons que, dans les prochains mois, nous pourrons leur offrir la possibilité de rentrer chez eux en toute sécurité.
L'UNHCR va-t-il réduire sa présence en Afrique de l'Ouest ?
Dans plusieurs pays où le niveau des opérations a été significativement réduit, nous avons déjà établi des bureaux plus restreints.... Nous allons conserver une présence importante au Nigéria. Nous allons aussi rester massivement présents au Libéria jusqu'en 2009. En Guinée et Sierra Leone, nous avons déjà commencé à nous réduire nos opérations et cela continuera jusqu'en 2009. La même chose s'applique au Bénin. Au Ghana et en Côte d'Ivoire, notre présence sera nécessaire plus longtemps.
Nous sommes persuadés que Dakar, au Sénégal, est le meilleur site pour réétablir un bureau régional.... Nombre de nos partenaires les plus proches ont une présence régionale à Dakar et de nombreux autres disposent de structures régionales ou de direction à Dakar. Nous avons besoin de travailler en équipe avec eux et d'autres partenaires et Dakar apparaît comme le meilleur endroit pour faciliter cette coordination.