Recouvrer son enfance, pas à pas
Recouvrer son enfance, pas à pas
BETOU, Congo, 6 mai (HCR) - Vendredi 10h30, c'est l'heure de la récréation pour les centaines d'enfants de l'école du camp de réfugiés du 15 avril à Bétou dans le nord-est du Congo. Les rires et les cris fusent de toutes parts ; petits et grands courent sur la terre battue. Au milieu de la cohue, un garçon prend en chasse l'un de ses camarades qui fait presque deux fois sa taille… Faute de le rattraper, il lui lance une pierre dans le dos.
Le petit a 9 ans et il s'appelle Albert. « C'est un enfant qui supporte très mal la contrariété », explique son enseignant de 2e année, Dénago Samuel. « Mais c'est un élève brillant qui réussit mieux que la moyenne. »
Ce sont des résultats encourageants pour un enfant qui n'allait pas à l'école il y a un an parce qu'il était trop violent. « Il se bagarrait beaucoup avec les autres, c'était un enfant complètement renfermé qui ne parlait pratiquement pas et qui restait toute la journée dans les jupes de sa mère », se rappelle Maguelone Arsac, chargée de protection pour le HCR à Bétou.
Il y a un an, Albert venait tout juste de retrouver sa famille, après avoir vécu deux longs mois avec l'ennemi dans sa RDC natale en taisant son identité de peur d'être tué.
Albert appartient à l'un des groupes ethniques ciblés par les rebelles qui ont embrasé sa région natale dans le nord-ouest de la République démocratique du Congo (RDC) vers la fin 2009. Dans le chaos d'une attaque contre son village, Albert s'est retrouvé seul, séparé de sa famille. Pendant que 116 000 habitants de sa région traversaient la frontière tracée par le fleuve Oubangui pour fuir les violences et se réfugier au Congo, Albert est resté dans la zone de combats, recueilli par la femme d'un rebelle.
« Une femme m'a dit de mentir et de dire que j'étais d'une autre ethnie si on me le demandait », raconte-t-il nerveusement, le regard dans le vide. De sa vie avec les rebelles, il ne dit pas grand-chose : « Je les voyais partir le matin, j'entendais les coups de feu, je voyais la fumée. Je savais qu'ils étaient en train de piller et de tuer. »
Deux mois après, alors que ses ravisseurs perdaient du terrain face aux forces armées, Albert a réussi à s'échapper et à traverser le fleuve Oubangui vers la sécurité. Une fois au Congo, il a retrouvé sa famille grâce au travail des fonctionnaires du HCR auxquels il a été confié par sa protectrice. Mais la joie de revoir sa mère et ses huit frères et soeurs à Bétou - à 50 kilomètres au nord du lieu où il avait été retrouvé - a vite été remplacée par la douleur d'apprendre que son père avait été tué dans les combats.
Aujourd'hui, l'équilibre d'Albert demeure précaire. Sans le soutien d'un père, toute sa famille a été plongée dans une extrême vulnérabilité. Sa mère est rentrée en RDC il y a quelque mois et il vit avec sa tante ainsi que ses frères et soeurs au camp de réfugiés du 15 avril. Le plus souvent, il ne mange qu'un repas par jour, malgré les rations alimentaires reçues par sa famille.
Grâce au HCR, Albert reçoit désormais un soutien psychologique pour l'aider à vaincre son traumatisme et la violence qu'il a emmagasinée en lui. « On sent que c'est un petit garçon qui est en train de resocialiser. Il est dans un cadre de vie plus organisé, maintenant il va à l'école, il joue avec les autres », explique Maguelone Arsac. Albert reçoit aussi des fournitures scolaires de la part du HCR pour l'aider dans ses études.
Aujourd'hui, Albert dit qu'il gardera toujours au fond de lui le souvenir de ce qu'il qualifie de « mauvaise histoire où l'on tue des gens en cascade. »
Quant à ses projets futurs, il veut d'abord apprendre à lire et à écrire. Ensuite, il veut devenir infirmier parce que, dit-il : « Quand les gens sont malades et qu'ils souffrent, on leur donne des médicaments ou on leur fait des piqûres, et ils guérissent. »
Le 12 mars, les parties au conflit en RDC dans la province Equateur ont signé un accord de paix après un dialogue communautaire d'un an, appuyé par le HCR. Cette réconciliation devrait ouvrir la voie au retour de réfugiés comme Albert.
Par Anouk Desgroseilliers
A Bétou, Congo