CONCLUSION

Par Gordon Brown, Envoyé spécial des Nations Unies pour l’éducation mondiale

Gordon Brown, ex-Premier ministre britannique et Envoyé spécial des Nations Unies pour l’éducation mondiale, en visite dans une école publique de Beyrouth (Liban) qui gère un système de classes alternées pour les réfugiés syriens. © Theirworld

Shehana et les membres de sa famille ont l’enseignement dans le sang.

Avant que les violences exercées contre les Rohingyas ne les chassent de leur pays, le père de Shehana enseignait dans une école de l’État de Rakhine, au Myanmar. L’une de ses sœurs aînées assure à présent l’éducation préscolaire d’enfants dans le vaste camp de réfugiés de Kutupalong, à l’extrême sud du Bangladesh. Shehana, qui a 16 ans aujourd’hui, rêve de perpétuer la tradition familiale.

Mais sans école digne de ce nom, sans examens en bonne et due forme, sans le moindre espoir d’acquérir des qualifications reconnues, les choses ne se présentent pas bien pour elle. Avec détermination, Shehana et quelques autres adolescentes font de leur mieux dans un des centres d’apprentissage informel de Kutupalong, mais l’enseignement à plein temps dont elles bénéficiaient dans leur pays n’est plus qu’un lointain souvenir.

Bien que Shehana exhorte sans cesse ses amis et ses proches à veiller à ce que leurs enfants étudient, pour plus de 90 pour cent des enfants réfugiés rohingyas de son âge, l’idée d’aller dans une école, quelle qu’elle soit, est à peine plus qu’une chimère, même si certains centres d’apprentissage s’occupent chaque jour de trois groupes d’élèves distincts.

La population mondiale de réfugiés est désormais supérieure à 25 millions. Plus de la moitié des réfugiés ont moins de 18 ans. Des centaines de milliers de jeunes réfugiés grandissent sans possibilité d’accéder à l’éducation — plus de 50 pour cent des enfants réfugiés d’âge scolaire, aujourd’hui au nombre de 7,1 millions, n’ont pas de places pour eux à l’école.

Pourtant, personne ne remet en question le rôle capital de l’éducation. Nous savons déjà qu’elle protège, stimule, enrichit, développe et renforce la vie des enfants, des adolescents et des jeunes. Nous savons déjà ce qu’il faut faire pour améliorer l’accès à l’éducation dans le monde entier. Si nous ne faisions pas tout ce qui est en notre pouvoir pour donner une instruction à ces enfants, nous manquerions de manière répréhensible à notre devoir.

Dans les pays les plus riches de la planète, il va de soi que chaque enfant, ou presque, aura accès à l’école primaire et secondaire. Nos débats passionnés sur la nature et la qualité de nos écoles témoignent bien de l’importance que nous attachons à l’éducation.

Imaginez donc le tollé qui s’élèverait si le taux de scolarisation des enfants en âge d’aller à l’école primaire n’était de 91 pour cent, comme il l’est à l’échelle mondiale, mais inférieur à 75 pour cent. Ou si le taux de scolarisation dans le secondaire n’était pas de 84 pour cent, comme il l’est dans le monde, ou supérieur à 98 pour cent, comme dans les pays les plus riches — mais de 24 pour cent.

Cependant, tel est le lot de la population réfugiée dans le monde. Privés d’une scolarité complète, pénalisés par un accès très restreint à l’enseignement secondaire, les réfugiés n’ont pas d’espoir d’atteindre le niveau universitaire ou d’acquérir des connaissances et compétences professionnelles de haut niveau.

Il est choquant, mais guère surprenant, de constater combien le taux de scolarisation des réfugiés dans l’enseignement supérieur est faible  – juste 3 pour cent pour les jeunes réfugiés, contre 37 pour cent dans le monde et plus des deux tiers dans les pays à revenu élevé. Ceci prive des pays entiers, souvent ravagés par des années de conflit, de générations de dirigeants, de planificateurs, de penseurs et d’hommes d’action.

Ce n’est pas un problème qui se pose dans des contrées lointaines et sur lequel les pays riches peuvent fermer les yeux. Le problème est là, à notre porte, avec des enfants réfugiés — dont beaucoup ne sont pas accompagnés ou séparés de leur famille — enfermés derrière des barrières dans des centres de rétention gérés par des gouvernements qui affirmeraient d’autre part qu’ils honorent leurs engagements internationaux et respectent les valeurs et les principes humanitaires.

Il y a près de 70 ans, la communauté internationale a adhéré à la Convention de 1951 sur les réfugiés en réponse à la crise des réfugiés européens survenue dans l’après-guerre. Ce serait beaucoup dire qu’on accorde aux réfugiés d’aujourd’hui la compassion dont on a jadis fait preuve à l’égard des réfugiés européens. Ceux qui risquent leur vie en tentant le voyage vers l’Europe se heurtent au mieux à l’indifférence, au pire à une franche hostilité. Dans le même temps, les pays qui s’occupent des réfugiés supportent seuls cette charge, sans le concours de leurs prétendus partenaires européens.

Pourtant, en regardant et en lisant les témoignages présentés dans le rapport annuel du HCR sur l’éducation, personne ne pourrait honnêtement douter du désir de ces jeunes d’accomplir un cycle d’études complet. Nous ne pouvons pas nous contenter de les aider à survivre à l’épreuve du déplacement ; nous devons leur donner les moyens de s’épanouir, de se transformer en individus indépendants et autonomes, réalisant pleinement leur potentiel.

Le moment est venu de prendre des mesures décisives, novatrices, pour mettre fin à cette incurie. C’est pourquoi je soutiens la nouvelle initiative du HCR, le Programme d’éducation secondaire pour les jeunes, qui vise à rallier la communauté internationale à cette cause. Pour donner à des millions d’enfants, réfugiés ou non, la possibilité de faire des études et l’opportunité de donner leur pleine mesure, les projets de financements innovants comme ce programme, associant le savoir-faire et la puissance de feu des secteurs public et privé, seront d’une importance décisive.

L’élimination des obstacles qui entravent l’accès à l’enseignement secondaire profitera non seulement aux réfugiés mais aux millions d’enfants qui vivent à leurs côtés dans les pays à revenu faible et intermédiaire. La construction d’écoles, la formation d’enseignants, l’élaboration de méthodes innovantes pour permettre aux enfants de rattraper les cours manqués sont des projets faits pour durer, des initiatives laissant des traces dont nous pourrions être fiers.

Le monde a encore dix ans pour réaliser les 17 objectifs de développement durable, dont l’ODD 4 – Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. Mais si nous n’assurons pas l’accès de tous les enfants réfugiés à l’école, cet objectif ne sera jamais atteint.

Shehana et ses camarades de classe n’ont pas de programme officiel à suivre, pas de bureaux pour écrire et pas de chaises pour s’asseoir. Cependant, leur curiosité dévorante et leur insatiable désir d’apprendre restent intacts. Elles ont été négligées pendant trop longtemps. Nous leur devons de balayer les obstacles à l’éducation et de les soutenir pendant qu’elles construisent leur propre avenir.