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Deux frères fuient continuellement la terreur semée par Boko Haram

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Deux frères fuient continuellement la terreur semée par Boko Haram

Des Nigérians qui avaient trouvé refuge au Niger, le pays voisin, au côté de milliers d'autres ayant fui les militants, se déplacent encore à nouveau dans un contexte d'insécurité croissante.
24 Mai 2016
Les frères Bala (à gauche) et Mahamadou ont échappé de justesse aux attaques de Boko Haram

DIFFA, Niger, 24 mai (HCR) – Bala n’avait jamais imaginé qu’il devrait un jour enjamber des cadavres pour sauver sa propre vie. Son frère Mahamadou n’avait jamais cru qu’il devrait se cacher sous ces mêmes corps sans vie pour sauver la sienne.

« Ils tuaient des enfants dans les rues. Ils tiraient sur des femmes enceintes », mentionne Bala, âgé de 50 ans, en décrivant la façon dont Boko Haram a déchiré sa ville, dans le nord du Nigéria. « Tout le monde était terrifié et courait dans tous les sens. C’était le chaos. Des personnes étaient tuées et s’effondraient devant moi. J’ai paniqué : je me souviens d’avoir enjambé plusieurs cadavres pour m’enfuir. Les balles sifflaient de toutes parts. »

« Ils tuaient des enfants dans les rues et tiraient sur des femmes enceintes. Tout le monde était terrifié »,

Mahamadou, âgé de 63 ans, décrit les tirs de Boko Haram, au milieu desquels il a été pris. Le frère de Bala courait alors vers la rivière Komadougou afin de trouver refuge au Niger.

« Je me suis étendu dans l’herbe, sous des cadavres, et j’ai fait le mort », ajoute-t-il. « J’ai vu des personnes massacrées. Je n’aurais jamais cru m’en sortir vivant. Je suis demeuré caché sous les corps, en silence. »

La violence qu’inflige l’insurrection de Boko Haram est bien connue. Le sort de 2,7 millions de personnes déracinées, comme Bala, Mahamadou et leurs familles, est toutefois moins connu. Ces habitants du Nigéria, du Niger, du Tchad et du Cameroun, qui ont survécu aux attaques de la secte, ont été forcés de s’enfuir, souvent plus d’une fois.

« À la suite des attaques, j’ai fait des cauchemars pendant des mois », affirme Bala, qui était propriétaire d’une boutique de pièces de rechange de motocyclettes, chez lui à Damassak, un village de l’Etat de Borno, dans le nord-est du Nigéria. Son frère et lui tenaient à ce que leur nom complet ne soit pas cité. Bien que l’enlèvement de femmes et de jeunes filles soit largement connu, Boko Haram cible principalement les hommes et les garçons. 

 « J’ai passé des nuits à compter les personnes qui étaient tuées devant moi », poursuit Bala. « J’étais déprimé. Du même coup, je me sentais très chanceux d’être en vie. » À la suite de l’attaque initiale, en novembre 2014, Bala et sa famille ont trouvé la sécurité dans un village voisin. Pendant plus d’un an, ce lieu leur a servi de refuge.

Cependant, vers la fin du mois de mars dernier, des tireurs en motocyclette et en camionnette ont attaqué le village où Bala et sa famille se cachaient. Tout comme la première fois, ces tireurs ont fait feu en l’air, tué des personnes, brûlé des maisons et volé du bétail.

« J’ai passé des nuits à compter les personnes qui étaient tuées devant moi. » 

Dès qu’il a entendu les coups de feu, Bala s’est enfui, plus loin cette fois, avec sa femme et ses quatre enfants; ils ont traversé la rivière et sont arrivés au Niger. Le couple a étendu une corde entre les deux rives afin d’aider ses enfants à traverser la rivière. La famille s’est ensuite arrêtée, épuisée, dans une installation appelée « Gagamari », près de la ville de Diffa.

Bala, son épouse et leurs enfants se sont joints à plus de 157 000 réfugiés ayant échappé, souvent plus d’une fois, au règne de terreur de Boko Haram. Ils ont trouvé une certaine sécurité dans les 135 campements provisoires, étendus sur 200 kilomètres, le long d’une route principale du Niger, en parallèle avec la frontière du Nigéria, appelée « Route nationale 1 » ou « RN1 ».

Cette population réfugiée est constituée de Nigérians, de Nigériens déplacés internes et de Nigériens rentrés depuis le Nigéria. La plupart d’entre eux ont fui, l’an dernier, devant de nouvelles attaques qui ont parfois débordé jusqu’au Niger, et certains ont échappé à un enlèvement. Ils n’ont eu d’autre choix que de s’établir le long de l’autoroute, car des cas de violence antérieurs avaient repoussé les gens vers les villages et les villes qui sont actuellement trop peuplés pour accueillir de nouveaux arrivants.

 

Les réfugiés cherchent à vivre en sécurité au Niger.

Le fait de vivre le long de la route offre certains avantages. Les organisations humanitaires, les autorités gouvernementales et les commerçants ont facilement accès aux réfugiés. Cependant, les conditions sont difficiles. Dans cet environnement éloigné et semi-désertique, la température peut grimper jusqu’à 48 °C au cours de la saison sèche actuelle. La pluie qui suit cette période inonde souvent les installations de fortune.

Les abris sont faits d’herbe séchée, et les soins de santé sont limités ; les toilettes et les installations d’assainissement sont rares. Les enfants n’obtiennent aucun enseignement, puisque les écoles des villages avoisinants sont déjà remplies. L’approvisionnement alimentaire est irrégulier et la population locale n’est pas toujours capable de partager ses maigres ressources avec les personnes déplacées.

« J’ignore comment j’ai réussi à survivre. Ce qui se produisait autour de moi me bouleversait complètement. »

A cause de l’insécurité grandissante, du nombre élevé d’installations et du manque de financement, les organisations humanitaires, comme le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, arrivent difficilement à répondre aux besoins des réfugiés. Quelque 22 organismes d’aide, notamment le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, recherchent la somme de 112 millions de dollars pour mener une opération au Niger, dans la région de Diffa; jusqu’à présent, moins du sixième de cette somme a été obtenue.

Suite à son arrivée à Gagamari, Bala a heureusement réussi à trouver son frère Mahamadou. Ce dernier, sa femme et leurs sept enfants avaient immédiatement quitté le Niger après la première attaque à Damassak. Mahamadou doit, lui aussi, composer avec les souffrances psychologiques que les raids de Boko Haram lui ont infligées. Sa voix tremble lorsqu’il décrit la scène d’un insurgé armé, qui arrache un nourrisson des bras de son père, le jette au sol, puis abat le père.

« J’ignore ce qui est advenu du bébé », déclare Mahamadou. « J’ignore comment j’ai réussi à survivre. Ce qui se produisait autour de moi me bouleversait complètement. J’étais entouré de cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants. Je n’ai ni mangé ni bu de la nuit. Les insurgés qui étaient demeurés près de la rivière achevaient les survivants. »

Bien qu’elle soit survenue il y a près d’un an et demi, cette attaque constitue toujours un énorme traumatisme, selon Mahamadou. « Les enfants demeurent très anxieux, surtout lorsqu’ils entendent des bruits intenses ou des cris. Ils sont toujours sur leurs gardes. Bien que nous nous sentions plus en sécurité ici, au Niger, nous craignons toujours que les insurgés nous attaquent. »

Ces craintes sont fondées. En février 2015, Boko Haram a attaqué la ville de Diffa, avant d’être repoussé par l’armée. Récemment, la sécurité s’est détériorée dans la région de Diffa et de Bosso; des incidents se sont produits successivement, comme des attentats suicide près de villages et de sites où des réfugiés nigérians et des personnes déplacées à l’intérieur du pays se cachaient. Deux marchés importants, le long de la route principale, sont fermés depuis avril, de crainte que des insurgés s’infiltrent et ciblent ces lieux. Un couvre-feu est en vigueur, de 19 h à 5 h du matin, dans l’ensemble de la région.

« De plus en plus de personnes demandent à être transférées loin de la frontière, de crainte que Boko Haram les attaque. Le contexte de la sécurité de la région de Diffa demeure instable et imprévisible », souligne Karl Steinacker, Représentant du HCR au Niger. « De plus en plus, autant les habitants que des réfugiés demandent à être éloignés de la frontière, par crainte d’une attaque de Boko Haram au Niger, comme ce groupe l’a fait au Nigéria. La peur est palpable. »

A la mi-mai, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a commencé à transférer des centaines de réfugiés qui préféraient s’installer à 50 kilomètres de la frontière, dans un camp qui abrite actuellement au moins 3 000 personnes. Bala, Mahamadou et leur famille faisaient partie des premiers qui ont choisir le transfert.

« Nous nous sentons plus en sécurité ici. Nous avons un abri convenable, nous avons accès à une clinique et à de la nourriture. Nous venons d’inscrire les enfants à l’école », mentionne Bala. « Désormais, mon souhait le plus cher, c’est que les décideurs du monde entier interviennent plus rapidement et efficacement afin d’empêcher les insurgés de tuer d’autres hommes, femmes et enfants innocents, au Nigéria. Toute cette violence nous a épuisés et nous horrifie. »