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De l’espoir pour les membres de la communauté Pemba reconnus officiellement comme citoyens kényans

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De l’espoir pour les membres de la communauté Pemba reconnus officiellement comme citoyens kényans

Barke Hamisi s'est toujours sentie kényane, jusqu'à sa première confrontation avec les stigmates de l'apatridie. Près de trente ans plus tard, elle peut enfin dire : « J'existe ».
30 Août 2023
Portrait d'une femme portant des lunettes et un voile.

Barke Hamisi a grandi en tant qu'apatride au sein de la communauté Pemba au Kénya. Elle est devenue assistante juridique afin de pouvoir lutter pour la reconnaissance des membres de sa communauté comme citoyens Kényans.

Une légère brise souffle sur une rangée de vêtements colorés qui sèchent sur une corde derrière Barke Hamisi, 29 ans, et ses deux jeunes sœurs, Sharifa et Nuru. Assises devant leur maison en pierre, elles discutent tout en cuisinant des « sambusas », un mets local populaire.

Mais dès son plus jeune âge, la vie de Barke a été marquée par l'incertitude, car elle appartenait à la communauté apatride des Pemba, dans la région côtière du sud du Kenya. Sa perception positive de la vie s'est effondrée dès son plus jeune âge.

« Je ne me suis jamais considérée comme différente de mes camarades de classe jusqu'à ce que j'arrive en troisième année et qu'on me dise constamment "Tu es une Pemba", et c'est ce qui m'est resté en tête », se souvient-elle. « Les gens disaient que les Pemba n'étaient pas kényans, alors je me suis demandé qui j'étais. »

Plus d'un siècle d'apatridie

Pendant de nombreuses années, elle s'est demandé pourquoi la situation était ainsi faite pour son peuple, alors que le Kénya était la seule patrie à laquelle les membres de sa communauté se sentaient rattachés.

« Nous avons lutté contre l'apatridie pendant plus d'un siècle », précise Barke. « Je ne sais pas grand-chose de mes arrière-grands-parents, mais je sais que mon grand-père est né et a grandi au Kenya, tout comme ma grand-mère, mon père et ma mère. »

Au Kénya, les Pemba représentent une population estimée à 7 000 personnes. Ce peuple serait entré au Kenya en provenance de Zanzibar avant l'indépendance, en 1963, et se serait installé sur une bande côtière d’une quinzaine de kilomètres, où la pêche constituait sa principale activité économique. Lorsque le Kenya est devenu une république en 1964, les Pemba n'ont pas été enregistrés en tant que tribu locale ni reconnus comme citoyens kényans.

En Afrique de l'Est, on estime à 103 000 le nombre de personnes apatrides ou menacées d'apatridie. En 2014, le HCR a lancé la campagne #IBelong (ou « J'existe » en français) pour mettre fin à l'apatridie. Sans nationalité ni identité légale, les apatrides comme les Pemba ne peuvent pas exercer leurs droits, ni accéder aux soins de santé, à l'éducation ou à un emploi formel. Ils se sentent souvent exclus de la société.

Barke était déterminée à agir pour que les choses changent et à lutter contre l'apatridie, avant même d'avoir pleinement saisi le sens de ce terme. Elle s’est engagée comme bénévole afin de permettre aux membres de la communauté Pemba de se joindre à la lutte pour leur reconnaissance en tant que citoyens kényans.

« Ce n'était pas une tâche facile, mais nous avons fini par atteindre notre objectif », indique-t-elle. « Les gens avaient peur d'engager le dialogue avec le gouvernement et n'admettaient jamais qu'ils étaient des Pemba, de peur d'être arrêtés. »

Une défenseuse de la communauté Pemba

Grâce à ses efforts pour mettre fin à l'apatridie au sein de sa communauté, elle a été nommée porte-parole de la communauté Pemba du Kenya. C’est à ce moment qu’elle décide de devenir assistante juridique afin de sensibiliser les membres de sa communauté.

« Le fait d'être juriste a été un atout pour moi, car je me suis sentie plus à même de défendre les intérêts des Pemba. Lorsque les doyens ont décidé de fédérer la communauté Pemba du Kenya, j'ai compris que j'avais la possibilité de jouer un rôle essentiel pour changer la façon dont nous étions perçus », explique-t-elle.

Elle rejoint alors le centre HAKI, une organisation non gouvernementale de défense des droits humains qui collabore avec le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, à Kilifi et Kwale, dans la région côtière du Kenya, pour défendre les droits des communautés apatrides.

Après des années de plaidoyer par le Centre HAKI, avec le soutien du HCR, le gouvernement kényan a annoncé en décembre 2022 qu'il entamait le processus de reconnaissance des Pemba en tant que citoyens kényans. Les Pemba font partie des 16 groupes de populations côtières parlant le swahili qui ont été reconnus en janvier comme l’un des groupes ethniques du Kenya.

Le travail de Barke consiste désormais à faire du porte-à-porte et à participer à des émissions de radio et à des forums communautaires avec les leaders de la communauté Pemba afin de partager des informations sur la manière de demander des actes de naissance - la première étape pour acquérir la citoyenneté.

Barke qui sensibilise les femmes de sa communauté à l'importance des actes de naissance parcourt souvent des kilomètres à pied pour se rendre dans des villages reculés afin de distribuer des actes de naissance et d'éviter que des enfants ne deviennent apatrides.

« Je suis très heureuse lorsque nous remettons aux mères les actes de naissance de leurs enfants, car je sais que c'est la fin de leurs difficultés à accéder à des services tels que les soins de santé pour leurs enfants », explique-t-elle. « Je suis heureuse parce que leurs droits ne seront plus bafoués. »

« Barke est une héroïne dans notre communauté. Nous l'appelons Centre HAKI lorsqu'elle se promène dans les rues », indique Jamila Mohamed, l'une des femmes qui a bénéficié de l'aide de Barke pour l'enregistrement des naissances de ses enfants.

Sharifa, la sœur de Barke, est du même avis. « Tout le monde dans cette communauté la considère comme une héroïne pour son courage et ses efforts en vue d'aider les Pemba à être reconnus comme des citoyens kényans. »

Andrew Ochola, responsable des programmes du centre HAKI à Mombasa, explique que l’organisation organise également des formations pour les agents de l'état civil afin de les aider à comprendre l'apatridie, les droits des apatrides et la manière de procéder à leur enregistrement, en particulier à l'enregistrement des naissances.

Un avenir prometteur

Il précise que même si le défi semble insurmontable, l'apatridie peut être résolue si les communautés affectées, les organisations de la société civile et les acteurs tels que le HCR travaillent ensemble pour y remédier. Mais il souligne par la même occasion l’importance de la volonté politique.

Une cérémonie organisée le 28 juillet 2023 a marqué la fin du processus d'enregistrement des 7 000 membres de la communauté Pemba. 

Prenant la parole, la représentante du HCR au Kenya, Caroline Van Buren, a estimé que le Kenya établissait un précédent que d'autres pays pourraient imiter dans leurs efforts pour mettre fin à l'apatridie. « La cérémonie d'aujourd'hui est un nouvel exemple de l'engagement du Kenya à lutter contre l'apatridie et à trouver des solutions durables pour les personnes sans nationalité », a-t-elle déclaré.

« La résolution du problème de l'apatridie n'est pas seulement une question de droits de l'homme, c'est aussi un outil qui permet de promouvoir le développement collectif d'une société. Cela permet de s'assurer que personne n'est laissé pour compte et que chacun se sent inclus et peut accéder aux services de base tels que l'éducation, les soins de santé et l'emploi, contribuant ainsi au développement économique du pays. »

Le voile de l'incertitude ayant été levé, Barke entrevoit un avenir prometteur, aux possibilités infinies, tant pour elle que pour sa communauté. Elle peut désormais solliciter un financement pour entreprendre des études de gestion. Un jour, elle espère diriger sa propre entreprise qui créera des emplois.

« Il y a une renaissance dans la communauté », déclare-t-elle avec un grand sourire. « Nous avons l'impression d'être dans un monde différent où nous pouvons cultiver et réaliser nos rêves oubliés depuis longtemps. »