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La guerre brise les rêves d'un adolescent congolais

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La guerre brise les rêves d'un adolescent congolais

13 Décembre 2002

Du haut de ses 14 ans, Roger se rend tranquillement à l'école. C'est le début de l'après-midi et la chaleur est accablante à Brazzaville en ce mois de juin 1997. Il vient de déjeuner avec ses parents et ses deux petits frères, dans la belle villa familiale d'un quartier résidentiel de la capitale congolaise. Il a vaguement entendu parler à table de l'agitation que connaît son pays, mais ces conversations de grandes personnes ne le préoccupent pas outre mesure.

Chahutant avec ses camarades d'école, il s'apprête à rentrer en classe lorsque des tirs de mitraillettes se font entendre dans le voisinage. En quelques minutes, les élèves sont mis à l'abri dans une classe et comme les tirs se font plus nourris, les professeurs décident d'évacuer les élèves vers un lieu plus sûr.

Malheureusement, dans la capitale Brazzaville, c'est l'embrasement immédiat. Les rumeurs les plus folles courent dans les quartiers et la panique s'empare de la population civile. Des maisons brûlent, des cadavres jonchent les rues, des passants effrayés rasent les murs, à la recherche d'un lieu sûr, au milieu d'un vacarme assourdissant d'armes de guerre.

La seule issue possible pour Roger, ses camarades et ses maîtres, est de fuir vers la gare toute proche. Par miracle, un train s'apprête à quitter Brazzaville. Roger et ses compagnons d'infortune parviennent à se hisser dans les wagons déjà bondés de fugitifs, au moment où le train s'ébranle vers une destination inconnue, à travers le sifflement des balles, l'odeur de la poudre, les fumées noires des maisons et des voitures en feu.

Arrivé au premier arrêt dans un village de brousse, le groupe descend, espérant bien pouvoir prochainement retourner à Brazzaville. Les enfants terrorisés, affamés et assoiffés restent blottis les uns contre les autres. L'atmosphère n'est plus aux rires ni aux jeux insouciants qui appartiennent maintenant à un passé qu'ils ne retrouveront plus.

Les rares nouvelles de Brazzaville sont mauvaises. L'exode des citadins s'accélère tandis que les combats s'intensifient. On interroge les nouveaux arrivants pour avoir des nouvelles de parents, d'amis, de voisins. On assiste à quelques rares retrouvailles mais c'est surtout la terreur et l'angoisse qui se lit sur les visages.

Ne pouvant rester dans cette gare isolée, après 48 heures à la belle étoile et sans manger, nos écoliers, accompagnés de leurs maîtres, prennent la route de Pointe-Noire, la grande ville de l'Atlantique dont on dit qu'elle est calme. Après un voyage harassant, la ville apparaît comme un havre de paix. Des associations caritatives accueillent les exilés, leur offre une paillasse et de la nourriture. Roger restera près d'une année à Pointe-Noire, scolarisé à l'école française de la ville. Les contacts avec Brazzaville sont difficiles. Roger garde dans son coeur l'image de ses parents et de ses frères qu'il a quittés cette après-midi-là, sans savoir qu'il ne les reverrait pas.

Jusqu'au jour où la guerre arrive aux portes de la cité portuaire. Le cauchemar de Brazzaville recommence. C'est la débandade. Roger se retrouve seul avec des inconnus qui fuient à pied vers la frontière gabonaise. Un groupe d'exilés parvient à obtenir d'un pêcheur qu'il les aide dans leur fuite en les transportant par la mer. Ils proposent à Roger de les suivre. Ils resteront huit jours sur la mer agitée, sous un soleil écrasant, avec peu d'eau et de vivres et dans l'angoisse terrible de l'inconnu.

Roger, qui a maintenant 15 ans, se retrouve seul sur le port de Cotonou au Bénin, un pays qu'il ne connaît pas mais où, heureusement, on parle le français. Il souffre de malnutrition et de déshydratation. Les autorités le conduisent au bureau du HCR où il sera enregistré, soigné et pris en charge.

Le HCR à Cotonou entreprend vainement des démarches pour retrouver trace de sa famille. Roger est désorienté, perdu, affaibli. Il est inscrit dans une école béninoise mais les traumatismes qu'il a subis ont raison de sa volonté d'apprendre. Il échoue dans ses études, hanté par le souvenir de sa vie de famille heureuse, avant la guerre, avant cette séparation brutale et inhumaine, avant cet exil douloureux, avant que le destin impitoyable ne fasse de lui un adulte avant l'âge.

Les privations ont affecté sa vue. Il doit désormais porter des lunettes. Aujourd'hui, Roger termine une formation de vitrier, financée par le HCR. Dès l'année prochaine, il espère être recruté par son maître de stage et pouvoir vivre, à 18 ans, des fruits de son travail.

Bien que marqué par l'exil, son coeur est toujours proche de sa famille laissée au pays. Secrètement, il rêve de revoir le sourire de sa mère, de la serrer dans ses bras. Il espère retrouver le père qu'il admirait tant et se demande parfois s'il reconnaîtrait ses petits frères qui ont sûrement grandi, si toutefois ils sont en vie.

Aujourd'hui, cinq ans après la fuite de Roger et trois guerres civiles plus tard, une paix fragile s'est établie au Congo-Brazzaville. Tandis que son pays tâtonne sur la voie de la paix, de la reconstruction et de la démocratie, les temps nouveaux permettront-ils au jeune Roger d'avancer d'un pas sur la route qui le réunira avec sa famille ? On ne peut que l'espérer.

Par Michel Gaudé, HCR Bénin