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La distinction Nansen du HCR décernée au chef traditionnel d’un village camerounais pour l’accueil et l’intégration exemplaires de réfugiés centrafricains

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La distinction Nansen du HCR décernée au chef traditionnel d’un village camerounais pour l’accueil et l’intégration exemplaires de réfugiés centrafricains

Chef traditionnel et gardien des traditions, Sa Majesté Martin Azia Sodea incarne fièrement l'hospitalité, une valeur chère à la communauté de Gado-Badzéré, dans l’est du Cameroun.
10 décembre 2025 Egalement disponible ici :
A man in colourful robes with his arms crossed stands in front of a group of people

Martin Azia Sodea, chef du village de Gado-Badzéré dans l'est du Cameroun, est le lauréat mondial du prix Nansen pour les réfugiés 2025 décerné par le HCR.

Il faut parcourir plus de dix heures de route depuis Yaoundé pour atteindre Gado-Badzéré. À première vue, rien ne laisse supposer, lorsque l'on arrive dans le village que celui-ci n'est pas tout à fait comme les autres. Pourtant, en s'approchant de plus près, on se rend compte qu’ici, l’hospitalité est une tradition qui a transformé de nombreuses vies.

Sa Majesté Martin Azia Sodea est né à Gado-Badzéré, dans la maison qui sert encore aujourd’hui de chefferie. Derrière ce titre prestigieux se cache un homme à l'autorité discrète et à la voix douce, aussi à l'aise dans les champs, chaussé de bottes en caoutchouc, que lorsqu'il siège, vêtu du costume traditionnel richement brodé.

Enfant le chef Sodea observait son père régler les conflits, accueillir les visiteurs et rassembler le village. Il garde de cette enfance le souvenir d’un lieu dont la porte était toujours ouverte, où chacun trouvait une place.

« Ici, on m’a appris qu’on n’offense pas, qu’on ne refuse pas d’aider. Nos parents nous ont éduqués dans l’humilité et dans l’ouverture. Chez nous, il y avait toujours à manger pour tout le monde », relate-t-il.

Après ses études primaires puis secondaires, le chef Sodea s’engage dans la gendarmerie, où il servira 33 années avant de prendre sa retraite en 2020. Son parcours l’amènera à se former à la gestion de crise et à travailler comme soldat de la paix de l’ONU en République centrafricaine. Une expérience qui a profondément façonné sa compréhension des conflits, des déplacements forcés et de la nécessité de protéger les civils.

En 2014, alors qu’un conflit armé fait rage en République centrafricaine, des milliers de personnes traversent la frontière pour trouver refuge au Cameroun voisin. Gado-Badzéré qui compte alors un peu plus de 12 000 habitants accepte d’accueillir jusqu’à 36 000 réfugiés. Onze ans plus tard, le chef et toute la communauté s’accordent sur le fait que l’accueil était la meilleure réponse à la situation.

« Les premiers réfugiés qui arrivaient ici avaient faim après avoir parcouru de longues distances dans des conditions difficiles. Je me souviens particulièrement des pleurs des enfants, des mamans épuisées, qui n’arrivaient même plus à porter leurs enfants », relate le chef.

A man in colourful robes sits in a large wooden chair and speaks

Le chef Sodea préside une réunion réunissant des membres de la communauté hôte et des représentants des réfugiés dans le village de Gado-Badzéré, dans l'est du Cameroun.

Ce qui compte à l’époque pour le chef, les notables et la communauté c’est de sauver des vies. Il n’est alors pas question d’un geste ou d’une contrainte, mais d’un devoir moral. Une manière de respecter la tradition.

L’accueil réservé aux réfugiés s’est toujours étendu au-delà de l’établissement d’un site ou la distribution d’abris et de vivres. À Gado-Badzéré, l’hospitalité a été pensée comme une cohabitation totale. « Dès le départ, ce n’était pas envisageable de mettre les réfugiés à part, précise le chef. Nous avons décidé qu’ils devaient vivre parmi nous, se déplacer librement dans le village… et que nous aussi, nous devions pouvoir entrer sur leur site comme bon nous semblait. Sans distinction, sans barrière. »

En reconnaissance de la profonde solidarité dont lui et sa communauté ont fait preuve envers les réfugiés, le chef Martin Azia Sodea est le lauréat mondial 2025 de la distinction Nansen pour les réfugiés décernée par le HCR. Attribuée chaque année, cette prestigieuse distinction honore ceux qui déploient des efforts exceptionnels pour venir en aide aux personnes déplacées de force ou apatrides. Outre le lauréat mondial de cette année, quatre lauréats régionaux seront également récompensés lors d'une cérémonie de remise des prix qui se tiendra à Genève le 16 décembre.

L’accès à l’école et à la santé, symboles d’accueil

À Gado-Badzéré, l’école primaire où a étudié le chef Martin Azia Sodea est l’un des symboles les plus visibles de l’accueil réservé aux réfugiés. Près de 65 % des élèves sont des enfants réfugiés. Dans l’une des classes de CP, ils sont 154 à se partager un espace prévu pour trois fois moins d’élèves. Mais ici, aucune distinction entre enfants locaux et enfants réfugiés qui apprennent, jouent et grandissent ensemble.

Maitresse en classe de CP depuis un peu plus de cinq ans, Jacqueline Ayisi Ngah prend son travail à bras-le-corps. Pour elle, éduquer ces enfants n’est pas un emploi comme un autre, mais une responsabilité envers toute la communauté. « C’est à nous de leur donner les bases. Quand j’entre en classe, je sais que je construis l’avenir de tout le village », souligne-t-elle.

Et la complexité de la tâche n’ébranle en rien l’ambition qu’elle nourrit pour chacun de ses élèves. « Je veux voir ces enfants grandir, pas avec des armes dans les mains. Je veux les voir réussir, devenir des leaders et des citoyens responsables. »

A woman stands in a classroom surrounded by pupils sitting at wooden desks

Jacqueline Aissinga enseigne dans une classe de CP composée d'élèves locaux et réfugiés à l'école primaire de Gado-Badzéré.

À la cantine scolaire, Nazira Pélagie, 52 ans, mère de sept enfants, s’active aux fourneaux aux côtés d’autres femmes. Les marmites frémissent, les rires fusent, les gestes sont coordonnés. Difficile, en observant la scène, de distinguer les femmes réfugiées de celles issues de la communauté hôte.

Arrivée de Bangui en 2014, Nazira dit garder intacts les souvenirs de ses premiers instants à Gado-Badzéré. « Quand nous sommes arrivés, nous étions fatigués, perdus. Mais le Cameroun nous a accueillis. Le gouvernement et les chefs nous ont offert une place, de la nourriture, des soins. Je ne peux jamais oublier cela. »

Onze ans ont passé. Ses enfants ont grandi ici. Six d’entre eux vont encore à l’école du village. Pour cette mère de famille, une seule ambition, offrir à sa progéniture un avenir meilleur. Dans la chaleur de la cuisine, son sourire traduit une réalité indéniable : pour elle et sa famille, Gado-Badzéré n’est plus seulement un lieu d’accueil. C’est devenu, petit à petit, leur foyer.

Women wearing aprons distribute bread from a large container to a group of children

Le personnel de la cantine scolaire distribue le déjeuner aux élèves de l'école primaire de Gado-Badzéré.

À quelques centaines de mètres de la chefferie, le Centre de santé intégré de Gado-Badzéré soigne chaque jour une file ininterrompue de patients. Camerounais et réfugiés y bénéficient de la même politique de couverture santé universelle. Dans la salle d’attente, les conversations se mêlent en Sango, Français, en Gbaya.

Si Gado-Badzéré est un bel exemple de l'accueil réservé aux réfugiés, c'est aussi le fruit d'un engagement national plus large en faveur de l'intégration des réfugiés, qui se reflète dans les engagements pris par le Cameroun en 2019 et 2023, dans le cadre du Forum mondial sur les réfugiés. Cette approche impliquant l'ensemble du gouvernement vise à élargir l'accès des réfugiés aux services sociaux, à renforcer leur autonomie et à promouvoir leur intégration locale, en passant d'une réponse humanitaire à un programme de développement à long terme.

Depuis l'arrivée des réfugiés centrafricains, Gado-Badzéré a bénéficié du soutien du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, d'ONG et d'autres organisations internationales, lesquelles ont fourni de la nourriture, des abris et des infrastructures sanitaires. Mais au fil du temps, l'aide humanitaire n'a cessé de diminuer. Les distributions alimentaires, autrefois régulières, sont devenues sporadiques et insuffisantes. Le chef et le reste de la communauté ont dès lors cherché les moyens de permettre aux réfugiés de subvenir à leurs propres besoins.

« La dignité des familles passe par leur capacité à se nourrir elles-mêmes », rappelle Sa Majesté Martin Azia Sodea. « Quand l’aide a commencé à baisser, il fallait trouver une solution. J’ai mis à disposition des terres sur lesquelles nous travaillons ensemble. La production, feuilles de manioc, tubercules ou maïs aide des familles entières à vivre. »

Au total, ce sont environ 66 hectares qui ont ainsi été mobilisés. Au-delà de l’aspect économique, cette initiative renforce le lien social entre réfugiés et communautés hôtes qui échangent et se soutiennent mutuellement.

People bend down to tend to crops in a field

Le chef Sodea (au centre) aide à désherber un champ mis à la disposition des réfugiés originaires de République centrafricaine dans le village de Gado-Badzéré, dans l'est du Cameroun.

Pour le chef Martin Azia Sodea mettre à disposition des réfugiés des terres cultivables est pour lui un acte profondément culturel et spirituel qui va bien au-delà d’un simple geste hmanitaire. « La terre, elle ne disparaît pas. Depuis nos ancêtres, elle est là et elle restera là, même après nous. Alors pourquoi la garder pour soi ? », interroge-t-il. « Nous savons que les réfugiés ne viennent pas pour s’éterniser. Alors mieux vaut leur laisser la terre pour cultiver, se nourrir et se relever. »

La résolution pacifique des conflits constitue d’un des piliers essentiels de l’accueil à Gado-Badzéré. Afin de maintenir la cohésion, un conseil hebdomadaire réunit le chef, ses notables, ainsi que des représentants des réfugiés. Ensemble, ils examinent les tensions, identifient les sources de conflits et trouvent des solutions immédiates, afin d’éviter toute escalade.

« Nous avons créé des comités mixtes. Dès qu’il y a un problème, le chef de secteur vient nous voir et on règle cela entre nous. Depuis l’arrivée des réfugiés en 2014, il n’y a jamais eu besoin d’aller au tribunal », souligne Chef Martin Azia Sodea.

Retours volontaires et déchirement

Lorsque certains réfugiés centrafricains optent pour un retour volontaire, profitant de l’amélioration progressive de la situation sécuritaire dans leur pays, le Chef Martin Azia Sodea l’admet, c’est un moment difficile.

« Ça nous fait mal. C’est à chaque fois un vrai déchirement de voir partir des gens qui ont fait pendant plus d’une décennie partie intégrante de notre communauté », souligne-t-il.

Pour autant, il respecte ces choix et formule un vœu simple : que ces retours soient durables et sécurisés. « Ils ont déjà souffert. Je souhaite qu’ils rentrent dans une paix réelle, pour ne plus revivre des atrocités », ajoute-t-il.

Two men smile and embrace in a field, surrounded by other people

Le chef Sodea serre dans ses bras l'un des réfugiés résidant à Gado-Badzéré, dans un champ près du village.

Le Chef Martin Azia Sodea se dit heureux de voir progressivement disparaitre la frontière invisible entre « eux » et « nous ». « Aujourd’hui, nos enfants parlent Sango et Gbaya. Nous vivons ensemble. »

Malgré le rôle clé de son leadership et de ses actions exemplaires dans l'accueil et l'hébergement de dizaines de milliers de réfugiés à Gado-Badzéré, la plus grande fierté du chef Sodea réside dans la manière dont toute la communauté s'est mobilisée et a démontré ce qu'il est possible d'accomplir en gardant une attitude ouverte et généreuse.

« C'est une grande fierté que Gado-Badzéré soit désormais connu dans le monde entier. Au-delà du Cameroun, Gado représente aujourd’hui l’Afrique », conclut-il. « Accueillir les réfugiés n'a pas été facile. Mais nous avons eu le cœur de le faire. Je remercie encore une fois la population de Gado d'avoir accepté cela. »