Le HCR anticipe des problèmes possibles dans le système d'asile européen et propose des solutions
Le HCR anticipe des problèmes possibles dans le système d'asile européen et propose des solutions
Le 22 janvier 2004
DUBLIN - L'élargissement de l'Union européenne (UE) pourrait conduire à un engorgement des systèmes d'asile dans certains pays parmi les nouveaux membres de l'Union européenne, a prévenu jeudi le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Ruud Lubbers, devant les ministres de l'intérieur européens, proposant pour y remédier et renforcer la capacité de l'Union à faire face collectivement à de telles difficultés pratiques, un ensemble de mesures détaillées.
Dans son discours prononcé devant le Conseil de la Justice et des Affaires Intérieures réuni à Dublin, M. Lubbers a remercié la Présidence irlandaise pour cette opportunité donnée d'échanger des points de vue sur certains aspects essentiels de la politique d'asile européenne, précisant que ses propositions étaient offertes dans un esprit d'engagement constructif, afin d'avancer vers des solutions.
M. Lubbers a souligné que l'expansion de l'UE à dix nouveaux membres en mai prochain, couplée avec l'entrée en vigueur de législations européennes récemment harmonisées, pourrait bien changer les schémas de demandes d'asile dans l'ensemble de l'Union élargie. Ce phénomène pourrait entraîner une hausse du nombre de demandes d'asile devant être traitées dans les nouveaux pays aux frontières de l'Union.
Par le nouveau système Eurodac d'empreintes digitales et d'enregistrement, qui est entré en opération il y a un an, les demandeurs d'asile peuvent plus facilement être identifiés s'ils se déplacent entre les Etats. Conformément au Règlement européen dit « Dublin II » - également en vigueur depuis 2003 - ces demandeurs peuvent alors être renvoyés dans le premier pays d'entrée qui, en pratique, sera probablement l'un des pays situé aux frontières de l'Union.
« Si nous n'y prenons pas garde, nous risquons de causer l'engorgement des systèmes d'asile, fragiles ne bénéficiant pas de ressources suffisantes dans les nouveaux pays de l'Union », a souligné Ruud Lubbers avant la réunion. « Dans ce cas de figure, la nouvelle législation harmonisée européenne risque de ne créer qu'une nouvelle série de problèmes. Ce serait particulièrement ironique, à un moment où le nombre des demandeurs d'asile fléchit.
« Dans certains des nouveaux pays de l'Union, en Europe centrale, a-t-il poursuivi, il n'y a que 15 ou 20 assesseurs des demandes d'asile. Il y a dix ans, ces pays-là n'avaient pas du tout de système d'asile. Que va-t-il se passer si des milliers de demandeurs d'asile supplémentaires sont renvoyés vers ces pays par les autres pays de l' « intérieur » de l'Union ? Il y a un danger d'effondrement des procédures harmonisées dans ces nouveaux pays, effondrement qui conduirait à davantage, et non moins, de mouvements irréguliers entre les Etats de l'Union. »
M. Lubbers a ensuite soumis aux ministres un ensemble de propositions pour gérer ce problème de manière souple, s'il devait effectivement se produire, et suggéré d'autres mesures concrètes pour renforcer l'efficacité du processus d'harmonisation européenne de l'asile. Celles-ci incluent des mesures pour limiter les abus du système d'asile sans toutefois s'engager plus avant dans la spirale des législations de plus en plus restrictives qui affectent la capacité des réfugiés - par opposition aux autres migrants - à trouver sanctuaire en Europe.
Les propositions de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, contenues dans un document de sept pages remis aux gouvernements juste avant la réunion de Dublin, comprennent les éléments-clés suivants :
L'établissement de centres de réception européens, où les dossiers de certaines catégories de demandeurs d'asile pourront être étudiés par des équipes d'assesseurs et d'interprètes de toute l'Union.
La mise en place d'un mécanisme de « partage du fardeau » pour répartir à travers l'Union ceux qui sont reconnus comme réfugiés des catégories sélectionnées, plutôt que les laisser, en grand nombre, dans un petit nombre de pays. Une attention particulière serait accordée aux liens que pourraient faire valoir des demandeurs d'asile dont un ou plusieurs membres de leur famille vivent déjà dans un pays donné.
L'établissement d'un système collectif de renvoi rapide des personnes, parmi les demandeurs d'asile, dont on établit qu'elles ne sont pas des réfugiés et qu'elles n'ont besoin d'aucune autre forme de protection internationale. Ce système se baserait sur des accords de réadmission négociés collectivement par l'UE avec les pays d'origine.
La création d'une Agence européenne de l'asile - et plus tard, d'une Commission européenne de recours - pour gérer les nouveaux systèmes d'enregistrement et de traitement et épauler les Etats dans la procédure, tout en assurant que les responsabilités vis-à-vis des réfugiés sont réparties équitablement entre tous les Etats de l'Union.
« En bref, a poursuivi Ruud Lubbers, le HCR propose de s'orienter progressivement vers un traitement centralisé des dossiers pour certaines catégories de demandeurs d'asile dans des centres de l'UE, plutôt que de maintenir toutes les procédures de détermination du statut de réfugié au niveau national. Ainsi, les Etats pourront mettre en commun leur expertise et limiter la duplication, inutile et coûteuse, des procédures, tout en diminuant le flux et reflux de mouvements mal gérés. Ceci irait de pair avec les efforts visant à renforcer les institutions et accroître les capacités d'accueil dans les nouveaux Etats membres de l'UE. »
Selon Ruud Lubbers, l'introduction de l'ensemble de ces mesures pourrait se faire de manière graduelle. Elles sont, dit-il destinées à venir compléter le vaste programme d'harmonisation prévu par le Traité d'Amsterdam de 1997.
La propositions du HCR à l'UE, a-t-il aussi souligné, n'est pas une initiative isolée, mais s'inscrit dans le cadre d'une approche globale visant à améliorer la gestion des flux de réfugiés, par un effort soutenu pour améliorer la protection, trouver, et financer des solutions dans les régions d'origine des réfugiés. Si cette double approche, dans l'Union et par des interventions régionales, aboutissait, a-t-il affirmé, il serait plus facile de rationaliser et d'améliorer les systèmes d'asile nationaux, tout en s'assurant que les dossiers des réfugiés hors des catégories examinées dans les centres de l'UE, soient traités de manière rapide, juste et efficace.
« L'Union européenne ne peut pas se permettre de considérer ce problème sous un angle exclusivement européen », a poursuivi M. Lubbers. « Les demandeurs d'asile arrivent de pays et de régions en proie aux conflits. Il nous faut davantage les aider sur place, par le biais d'une aide accrue au développement et d'efforts redoublés pour trouver des mesures de protection et des solutions locales. Les réfugiés devraient pouvoir trouver une protection quand ils en ont le plus besoin - d'une manière générale, le plus tôt possible - afin que ces personnes très vulnérables n'éprouvent plus le besoin de confier leur destin à des trafiquants sans scrupules. »
En conclusion, le Haut Commissaire a déclaré qu'il espérait que la première phase d'harmonisation des législations européennes serait finalisée vers la mi-année. Ces propositions du HCR, a-t-il espéré, devraient pouvoir constituer une base solide pour la seconde phase d'harmonisation, et contribuer à « une approche européenne vraiment commune pour gérer les flux migratoires irréguliers. »