Lettre à l'éditeur : Séville : il faut agir sans tarder
Lettre à l'éditeur : Séville : il faut agir sans tarder
Par Ruud Lubbers
Genève, le 20 juin 2002
Inquiets, les dirigeants européens qui se réuniront cette semaine (21-22 juin) à Séville pour le sommet du Conseil de l'Union Européenne ont toutes les raisons de placer l'immigration au plus haut de leurs priorités.
Leurs difficultés à différencier les demandeurs d'asile des immigrants qui se présentent à leurs frontières leur cause un véritable casse-tête politique et font les gros titres de la presse européenne. Les électeurs expriment leurs frustrations face à ce qu'ils perçoivent comme étant des politiques gouvernementales impuissantes et inefficaces. Ils veulent de l'action et les gouvernements semblent à l'écoute.
L'attention paraît se porter principalement sur les mesures applicables en Europe-même. S'il est vrai qu'il y a beaucoup à faire ici - entre autre, mettre un terme à l'enlisement de la situation à Sangatte - l'Europe devrait également regarder au-delà de ses frontières, vers les régions et pays d'origine. C'est là que les vraies solutions devraient voir le jour.
Il est irrationnel, pour les gouvernements, de dépenser des millions d'Euros au renforcement des frontières, à des mesures diverses de dissuasion, à la gestion de centres d'enfermement et de détention et à de nombreuses autres actions à portée nationale, sans investir simultanément dans des solutions à la source du problème. Il est beaucoup plus sensé d'aider les déplacés et les démunis chez eux, ou le plus près possible de chez eux. Sinon, les personnes désespérées emploieront toujours des moyens désespérés pour trouver de l'aide, en recourant aux trafiquants d'êtres humains.
On peut citer en exemple l'Afghanistan, qui l'année dernière était le premier pays d'origine des demandeurs d'asile en Europe - environ 51 000 personnes. Aujourd'hui, les Afghans rentrent chez eux à un rythme si intense que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a dû revoir à la hausse ses prévisions de retour pour cette année, à 2 millions au lieu de 1,25 million, la plupart depuis le Pakistan. Depuis le 1er mars, sur une population totale de 3,5 millions de réfugiés, le HCR a aidé 1 million d'Afghans à rentrer chez eux.
Le chemin de l'exil s'est rapidement transformé en chemin du retour - et les effets s'en font sentir dans toute l'Europe. Durant le premier trimestre 2002, le nombre de demandeurs d'asile en Europe a chuté de 33 %, ce qui montre clairement que s'attaquer directement aux causes du déplacement, peut avoir des retombées immédiates et tangibles sur les demandes d'asile des continents lointains.
Et pourtant, le HCR - principale agence responsable du rapatriement et de la réintégration des réfugiés - a encore besoin de 86 millions de dollars, sur les 271 millions nécessaires pour que les Afghans puissent rentrer chez eux et y demeurer. L'agence a déjà dû réduire la distribution des kits de construction prévus pour refaire les maisons, d'autres réductions seront bientôt inévitables. Le travail des agences humanitaires contribue à la sécurité et à la stabilité en Afghanistan. Sans ce travail, les Afghans pourraient reprendre le chemin de l'exil.
Ce n'est pas seulement en Afghanistan que nous avons ce genre de problème. En Afrique et ailleurs, les agences humanitaires font face à des manques chroniques qui sont autant d'épreuves pour les réfugiés et pour les nations pauvres qui les accueillent. Il faut que l'aide au développement soit plus présente dans les premiers pays d'accueil pour promouvoir l'auto-suffisance des réfugiés, ce qui les inciterait à rester sur place.
Outre le rapatriement, d'autres solutions sont possibles dans les régions d'origine - soit à travers l'intégration des réfugiés dans leur pays de premier asile soit, si cela n'est pas possible, par la réinstallation dans un pays tiers. Ces deux dernières solutions permettent aux réfugiés de devenir des citoyens à part entière, contribuant au développement de la société et de l'économie du pays d'asile.
Mais ces deux solutions nécessitent, elles aussi, un soutien international, sans quoi, les mouvements de population se poursuivront.
Lorsque des peuples quittent leur région d'origine - quelle qu'en soit la raison, que se passe-t-il ? Les nombreux pays situés entre l'Europe et les zones de crise n'ont pas la capacité de gérer l'arrivée de demandeurs d'asile. Le HCR peut contribuer au renforcement de cette capacité, comme il l'a fait depuis dix ans, avec succès, en Europe centrale. L'an dernier, 47 000 demandes d'asile ont été déposées dans les Etats d'Europe centrale (en comparaison, le chiffre était de 4 000 chaque année au début des années 90). Dans ce contexte, nous avons vraisemblablement déjà contribué à réduire de 10 % la pression sur l'Union Européenne.
Il reste encore beaucoup à faire dans les pays de l'Union, comme le développement d'une politique d'immigration commune et d'un système d'asile commun. Nombreux sont ceux qui, atteignant les frontières de l'Europe, sont des réfugiés en quête de protection. Mais nombreux sont aussi ceux qui entreprennent le voyage essentiellement pour des raisons économiques. Il faut des politiques strictes et pratiques pour différencier les réfugiés des immigrants.
L'une des mesures qui fait l'unanimité est une meilleure surveillance des frontières de l'Union. Oui, mais à condition que les réfugiés continuent à avoir accès aux procédures d'asile. Le personnel des frontières, formé sur les questions d'asile, devra s'assurer que les réfugiés ne sont pas renvoyés dans leur pays où ils risquent la persécution, l'emprisonnement, la torture ou la mort. Le HCR peut aider à former ces spécialistes.
Néanmoins, l'Europe a aussi besoin de développer des voies d'entrée légales, y compris par la réinstallation des réfugiés et une immigration organisée. Cela veut dire pour l'immigration, la mise au point d'un système régi au niveau européen selon des règles communes à l'Union européenne. Devant le vieillissement de la population, la gestion de l'immigration est la manière la plus logique de répondre aux futurs besoins de main d'oeuvre en Europe.
Ceci permettra aussi de mieux combattre les entrées irrégulières et de réduire la confusion et l'engorgement actuel des systèmes d'asile. Les différences dans les systèmes d'asile en Europe ne peuvent s'aplanir que par un processus d'harmonisation, dont le principe a été accepté au sommet européen de Tampere - mais qui doit encore voir le jour dans la réalité. En adoptant des normes de réception, des procédures et des définitions semblables, les pays de l'Union peuvent supprimer beaucoup de raisons pour lesquelles les demandeurs d'asile passent d'un pays à l'autre, en quête du meilleur système disponible « sur le marché ».
Ne pas réellement s'attaquer au problème, conduit à des situations pénibles, comme celle de Sangatte, en France, où des centaines de personnes guettent chaque jour une occasion de se glisser vers l'Angleterre par le tunnel sous la Manche. Le HCR est prêt à proposer ses bons offices à la France et à l'Angleterre pour essayer de trouver une solution acceptable aux deux parties. Cela pourrait entre autre, prendre la forme d'une aide dans la détermination de qui sont ces gens, et de la mise au point d'une formule de « partage du fardeau » pour ceux qui ont besoin de protection. Les autres pourraient être renvoyés dans leur pays et là aussi, le HCR est prêt à jouer un rôle positif.
Les Etats européens doivent aussi accélérer les procédures d'asile et simplifier le recours en appel, tout en s'assurant que la procédure de détermination du statut de réfugié soit juste, mais stricte. L'intégration des réfugiés en sera facilitée, tandis que ceux qui ne peuvent prétendre au statut seraient plus rapidement écartés du système.
Dans ce domaine aussi, le HCR peut apporter sa contribution. Si le processus de prise de décision reste de grande qualité, les gouvernements devraient être capables de renvoyer les demandeurs d'asile déboutés, une fois leurs cas correctement traités. La crédibilité fondamentale du système d'asile est en jeu. Espérons que les dirigeants européens réunis à Séville sauront enfin traduire leurs paroles en action.